Le Deal du moment : -15%
(Adhérents Fnac) LEGO® Star Wars™ ...
Voir le deal
552.49 €

(en attendant godot)

Jeu 29 Juin 2017 - 20:58
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

Attendre pendant des heures que la personne que vous voulez voir arriver daigne venir pour de bon, c'est la déchéance la plus totale, mais comment vous faites lorsque vous n'avez pas l'adresse de la personne concernée et que vous ne savez pas non plus si elle a  un compte chronosrep (et que vous n'avez pas envie de chercher), et que vous ne connaissez personne qui pourrait la contacter pour vous et que vous n'avez même pas envie de voir cette personne mais qu'il faut alors vous faites tout pour ne pas la voir jusqu'à ce que l'énervement vous donne enfin envie de la voir apparaître pour mettre un terme à votre calvaire ?
Le pire, sans doute, est le fait que les passants, à force de vous voir squatter votre banc (qui n'était pas encore à vous il n'y a même pas une semaine mais dont vous avez désormais fait votre propriété incontestée), finissent par vous prendre pour un clodo. Il faut dire que lorsque vous ne prenez pas la peine de vous coiffer correctement (les peignes et Dimitri n'ont jamais été en de très bons termes), que votre façon de vous habiller est à mille lieux de ce que vos pairs bien nés aiment porter (comprendre : des tenues issues de l'aristocratie du début du XXe siècle russe et non des jeans et baskets rapiécés), et que votre air revêche et mordant intiment aux autres l'ordre de s'éloigner, on peut comprendre que certaines personnes sautent trop rapidement à ce type de conclusion. Vous ne penseriez jamais la même chose d'une jeune maman bien apprêtée venant  soulager ses jambes sur ce même banc après sa balade quotidienne avec bébé, par exemple (quand bien même elle utilisait ce même banc depuis bien plus longtemps que vous, sans que personne ne songe à penser qu'il s'agisse du sien). Mais les gens sont bien prompts à imaginer le pire sur Dimitri, dans la mesure où celui-ci ne fait pas vraiment d'effort pour les détromper.
Lorsque son frère Ilya le verra, il aura bien du mal à retenir une grimace : par pure fainéantise, Dimitri a volontairement négligé de se laver les cheveux la veille, et ces derniers commencent à revêtir une pellicule grasse sans que cela gêne le jeune homme - de telles considérations ne sont bonnes que pour la gente féminine, après tout. Il n'a pas fait l'effort de s'habiller correctement et porte un jean élimé - à la dernière mode, mais il sait très bien qu'Ilya ne sera pas de cet avis - et vous savez quoi, il s'en fiche bien sûr. Lorsqu'il a  commencé à se mettre à la recherche de son frère, il y a de cela cinq jours, Dimitri s'est d'abord dit qu'il ferait un effort vestimentaire  pour ne pas heurter la sensibilité d'un homme qu'il sait très à cheval sur ce genre de choses. Cinq jours plus tard, à force d'attendre à proximité de là où il pense être le quartier général des opportunistes, le peu de patience qu'il possède a eu le temps de s'évaporer - et accessoirement, sa seule tenue "correcte" a fini au lavage, sans possibilité de la remplacer. Mais tout cela lui paraît bien secondaire en comparaison de l'énervement qui ne le quitte plus. À bout de patience, Dimitri se ronge les sangs et meurt à petit feu sur ce banc où il s'étale d'un regard vide. On n'entend que des soupirs agacés sortir de sa bouche, lorsqu'il retrouve brièvement l'usage de sa voix pour exprimer son mécontentement. Il est là, sur ce banc, la tête penchant vers sa poitrine, les bras en croix sur le dos de son banc, le torse prêt à glisser inexorablement vers le sol poussiéreux, les jambes écartées et pliées au niveau du genou, regard d'en bas, bouche vers le bas. Il ne dormira pas pour passer le temps, il ne regardera même pas son téléphone, non, il restera là pendant les quelques heures que son emploi du temps lui laisse libre, et à guetter du regard la personne qui le dégoûte le plus de lui. Il aurait le temps de réfléchir, mais Dimitri refuse de tomber dans ce piège-là : il passe plus de temps à essayer de fuir ses pensées que de les développer, et ainsi il s'épuise. Je ne penserai pas à cela. Je ne dois pas d'excuses à Ilya. Je ne me demande pas pourquoi je veux des explications. Ne pas s'interroger sur ses motivations, c'est bien quelque chose que Dimitri sait faire à la perfection quand il s'agit de son frère. Tout comme il ne peut pas reconnaître qu'il n'éprouve pas uniquement de la haine à son égard, mais aussi un peu d'amour fraternel et beaucoup d'admiration. Qu'il ne supporte pas le mépris dans lequel le place son frère, quand bien même il fait tout pour le mériter. Donc, ça ne plaît pas à Dimitri, cette façon dont leur précédente rencontre s'est déroulée. Il se sent le devoir d'y remédier.
Pour rappel : des excuses avortées, des paroles mystérieuses, de la colère, beaucoup de colère, et une séparation orageuse.
Mais même en fuyant ses pensées, Dimitri ne peut pas s'empêcher de se demander ce qu'Ilya a bien pu vouloir lui dire lorsqu'il a avoué l'avoir tué. Évidemment, ces mots prennent un sens tout particulier pour Dimitri, compte tenu de ce qu'il sait, mais Ilya ne devrait pas le savoir, et c'est justement ça le problème : Dimitri ne peut pas croire qu'il soit tombé dans les mêmes travers que lui. Pour être honnête, il continue encore à idéaliser Ilya et n'envisage pas un seul instant que ce dernier se soit mis dans la même situation que lui. Et pourquoi ferait-il ça ? Non, cela n'a pas de sens. Ne reste qu'une seule solution.
Le verbe « tuer » n'a pas le même sens pour Ilya que pour Dimitri.
Tuer peut prendre beaucoup de sens métaphoriquement, et notamment le fait d'empêcher quelqu'un de se développer correctement en se montrant surprotecteur et trop autoritaire avec lui : exactement ce qu'Ilya a fait avec lui. Dimitri croit - espère ? - qu'Ilya lui a enfin avoué qu'il a tout fait pour étouffer son frère, et que Dimitri a tout gâché en n'acceptant pas correctement ses excuses. Ces excuses, Dimitri les attend depuis des années : même s'il sait qu'il est souvent en tort, il sait aussi qu'il n'aurait jamais dérivé de la sorte si les attentes d'Ilya n'étaient pas trop hautes pour lui. Ce serait bien son genre de ne pas les voir lorsqu'elles arrivent enfin.
Bien sûr, si c'est le cas, Dimitri ne trouvera jamais le courage d'expliquer à Ilya le sens que « tuer » a pour lui - mais cela fait partie des rares mots capables de le faire frissonner. Lorsqu'il s'est dit qu'il présenterait ses excuses à son frère, pas un instant le fait de révéler les plus sombres aspects de sa personnalité n'est entré dans l'équation. Cela n'arriverait - si cela devait arriver - que des années plus tard, lorsque leur relation se serait calmée - si elle se calmait un jour -, et uniquement au moment où Dimitri serait certain qu'Ilya l'aimerait assez pour ne plus le juger sur cela. Dans tous les cas, la probabilité pour que cela arrive est faible - mais il se voyait tout de même se confier un jour quand même.
Quand il ne serait plus le même, par exemple.
Mais lorsque ses pensées prennent cette direction, cela l'énerve, et il s'empêche de réfléchir tout court. Il se traite d'idiot, par exemple, jusqu'à oublier la raison pour laquelle il a dû se traiter ainsi.
Tiens, mais ce n'est pas Ilya qui vient de passer devant lui ?
Dimitri ne se redresse pas sur le coup. Sa vigilance a baissé à cause de ses heures d'attente, à tel point que sa proie passe devant lui sans qu'il le voie. Ilya non plus ne l'a pas vu, ou alors il fait semblant ou a besoin lui aussi de temps de réagir. Peu importe. Lorsque Dimitri comprend ce qui se passe - avec quelques secondes de retard donc - il s'extraie brusquement de ce banc avec qui il faisait corps et chancelle un peu - à force d'être assis, il a perdu l'habitude d'être debout - et fait quelques pas hésitants vers Ilya. Des mots lui brûlent les lèvres. Ta gueule, Dimitri, si tu l'ouvres tu vas tout gâcher, attends qu'il te remarque putain. Mais il ne sait pas si son frère va finir par le remarquer. Il serait très inconfortable de le suivre comme son ombre par peur de devoir lui adresser la parole. Mais lui dire bonjour, c'est mission impossible, sa gêne va trop se sentir, parce que ça le gêne franchement de lui demander des explications - et puis, si Ilya apprend que ça fait cinq jours qu'il l'attend, qu'est-ce qu'il va en penser ? Si seulement il pouvait traiter Dimitri de stalker ! Ce serait infiniment plus agréable que tout ce qu'il pourrait penser d'autre.
Et à force de se poser des questions, Dimitri finit par craquer :

« Ah putain ! Mais c'est pas possible. »

Bien sûr, c'est à lui-même que s'adressent ces mots, mais Dimitri ne doute pas un instant qu'Ilya les aura entendus et les interprétera mal - comme toujours. À croire que toute conversation entre les deux Kovalevski était toujours destinée à dériver avant même d'avoir commencé. Foutue malédiction familiale.

Sam 8 Juil 2017 - 9:18
ждет Годо

Il s'est passé beaucoup de choses depuis que tu as croisé ton frère.
Tellement de choses que tu as eu le don d'oublier cette rencontre. Comme un de ces rêves que tu as toujours, de ceux où le sang croute l'espace sous tes ongles - ceux qui te réveillent sans que tu saches respirer, une lame au travers de ta trachée. Ceux que tu t'efforces d'effacer lorsque se lève le soleil, d'enterrer au fond de ta psyché, là où tu caches tout ce qui finit toujours par bouillir jusqu'à exploser. Et tu as explosé, oui, bien sûr; tu as toujours les coupures du verre sur tes mains, toujours ces marques rouges pour le prouver. Personne ne te pose de questions; tu es menuisier, après tout. Mais chaque fois que tu baisses les yeux, c'est un souvenir comme une flamme dans ton estomac qui te rappelle la douleur, le vase fracassé - moins une pensée et plus une impression, une sensation dans le fond de tes tripes. Tu as appris à l'ignorer, le laisser te traverser sans même broncher, puisque tu sais qu'il ne sert à rien de le combattre. Tu te contente d'enfouir, de tout enfouir dans le fond de ton crâne, jusqu'à ce que ça explose, jusqu'à ce que tu te retrouves avec tes phalanges fracassantes et le goût du sang sur ta langue. Tu le sais comme tu connais la glace dans tes veines, et le regret d'avoir assassiné celui que tu devais toujours protéger. De ces certitudes aussi puissantes que les galaxies dans tes iris, que les chaînes qui t'attachent toujours à cette terre sans que tu ne puisses devenir l'archange que tu aurais pu être - que tu aurais dû être. Celui que tu as toujours vu en toi, jusqu'à ce que tu ne le tues à coup de baïonnette, jusqu'à ce que tu le voies se vider de son sang à tes pieds, tachant ses ailes de vermeil.

Alors même si tu penses toujours à Димитрий, tu n'as pas pensé à Димитрий. Tu as eu son fantôme derrière toi, dans ton ombre, posant à chacun de tes pas une goutte d'écarlate, pour que ceux sachant le voir puisse reconnaître en toi l'assassin. Mais tu l'as presque oublié, ton devoir t'accaparant avec tout ce qui s'est passé chez les Opportunistes; tu as vécu comme si jamais vos chemins ne s'étaient croisés de nouveau. Tu as oublié tes mots, les siens; tu as oublié cet aveux qu'il a refusé et repoussé, son état de martyr constant, la façon dont il t'a blâmé pour tout ce qu'il dédaigne chez lui-même. Son mépris de tout ce que tu as fais (ce que tu as essayé de faire) pour lui. Tu as oublié comme il te déteste, et tu as oublié comme tu le détestes. Tu as perdu ces sentiments dans les méandres de ta conscience, là où tu n'iras pas les chercher, là où tu ne t'aventures jamais (cet endroit qui s'échappe lorsque tu détones, entre les éclats fracassés de verre et de bois). Et c'est tant mieux comme ça, puisque tu ne saurais vivre avec ces choses dans le devant de ton esprit, puisque tu te le refuses, le dos droit et le menton levé comme si c'était une affaire de devoir et d'honneur plutôt que la culpabilité et la honte qui te déchirent les viscères.

Ainsi tu te contentes de marcher avec ton ombre, son fantôme qui foule tes pas - puis soudainement il s'exprime. De cette voix que tu ne saurais jamais cesser de reconnaître, qui te fais t'arrêter et te retourner pour le voir (en chair et en os) debout devant toi. Tu ne sais parler; tu l'observes, de haut en bas, méprisant sa tenue, son air débraillé - ainsi qu'il fait honte à ce que vous êtes, ainsi qu'il s'échappe d'une énième façon à ce devoir qui te façonne, et ainsi le mépris te monte à la gorge comme s'il y avait planté une lame.
'Привет' было бы достаточно. ('Bonjour' aurait suffit.)
Tu l'aurais préféré digne et ferme, tout du moins capable de t'aborder de front. Dans ton dos, sans même oser te toucher et ne t'adressant que quelques jurons, il t’écœure jusqu'au fond de tes os. Est-ce ceci qu'il est devenu, ceci que tu as fais de lui? Certes, tu ne mérites rien d'autre de sa part, mais tu te débectes de le voir ainsi, puisque tu aurais voulu qu'il soit meilleur que ça. Tu ne l'imagines pas meilleur que toi, mais à la fois tu aurais voulu qu'il le soit, qu'il sache grimper sur ce trône au firmament que tu ne saurais désormais plus occuper; qu'il se fasse ton héritier. Et pourtant de nouveau il te déçoit, et c'est ton échec qui laisse un goût amer au fond de ton œsophage.
Lun 31 Juil 2017 - 10:30
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

C'est avec une dignité solennelle et guindée qu'Ilya se tourne vers Dimitri - déjà, le cœur du jeune homme s'enfle d'une jalousie mal contrôlée en constatant la perfection que renferme un geste aussi simple et banal, et à laquelle il est incapable d'accéder. Il se tait brusquement, se calme presque, obnubilé par cette vision détestable qui lui interdit les grossièretés. C'est avec cette même dignité froide et impitoyable qu'Ilya lui fait remarquer qu'un simple bonjour aurait suffi, sans pour autant lui retourner la politesse. Dimitri déglutit difficilement, oppressé par le sentiment de faute que son frère lui rappelle sans pitié. Il n'y a pas besoin d'accusation pour produire un tel effet chez Dimitri - le mépris mal contenu que son apparence débraillée provoque chez son aîné, la déception qui se lit dans ce regard clair face à la loque humaine qui a l'audace d'être de la même famille suffisent. Il se sent accusé et coupable sans que le verdict ait été prononcé.
Réflexe de défense, le mensonge lui vient sans qu'il ait besoin de l'appeler à lui. Dimitri a pris l'habitude de ne jamais donner raison à son frère, même lorsque celui-ci est dans le vrai ; par habitude, il s'opposera toujours à lui, lui adressera toujours des reproches, refusera toujours d'entendre ce qu'il a à lui dire. Ainsi, Dimitri n'a besoin de se forcer pour que le mensonge franchisse la barrière de ses lèvres : il se coule tout naturellement dans sa bouche et, passé le premier bégaiement que la surprise d'être dépassé par ses pensées provoque, il se faufile tout souplement à l'extérieur de lui. Lorsqu'il se rend compte de ce qui se produit, il est trop tard - mais généralement, Dimitri n'éprouve pas de regret à en avoir trop dit. Sauf peut-être cette fois où il s'essaie à l'honnêteté.

« C-c'est pas ça ! s'écrit Dimitri avec véhémence. Je t'ai dit bonjour, tout à l'heure, mais tu m'as pas écouté, alors ça m'a énervé et puis... putain, BON-JOUR. »

Il souffle comme un taureau, Dimitri, alors qu'il a finalement réussi à saluer son frère au prix d'efforts exceptionnels. Il perd le souffle quand il s'énerve, cela arrive trop souvent, il épuise sa cage thoracique à force de jeter les mots qui l'empoisonnent plutôt que de les exprimer normalement. Il se sent aussi incroyablement seul. Ilya ne fait aucun effort pour l'aider, il doit se dépêtrer tout seul de la situation, sous son regard sévère dans lequel il ne trouve aucun réconfort. Dimitri se jugé, jaugé, et déjà condamné à l'indifférence et à la suffisance. Il voudrait bien que son frère l'aide, qu'il l'engage sur la voie de la conversation, qu'il tende la main à ses efforts maladroits pour essayer de rétablir la paix entre eux, mais peut-être son frère n'en a-t-il pas envie ? Peut-être Ilya se satisfait-il très bien de la situation actuelle et ne désire plus jamais entendre parler de Dimitri ? Peut-être a-t-il déjà tiré un trait sur son existence et attend le moment importun pour se débarrasser de lui sans se montrer impoli ? Oui, cette perspective semble très réaliste, et elle glace Dimitri d'effroi. L'idée de voir ses efforts réduits à néant le terrifie.
Il tente de se calmer, de se montrer raisonnable, comme il devrait être, en fait, mais ses sentiments sont trop agités pour le laisser tranquille. Dimitri sait bien que son agressivité n'a pas lieu d'être, il perçoit bien la différence entre lui et le Dimitri idéal qui devrait exister, mais il n'arrive pas à combler le fossé. Plusieurs émotions se bousculent en lui : dégoût de lui-même et culpabilité se mêlent à la terrible colère à l'encontre d'Ilya et le ressentiment de s'être lentement fané sur un banc pendant cinq jours. Parce que cette émotion est la plus récente et la plus vive, elle est celle qui domine en lui et, pour apaiser la blessure narcissique que la perfection d'Ilya lui inflige en permanence, Dimitri se sent d'humeur à lancer de nouvelles accusations et ne se fait pas prier pour combler ce désir :

« Ça fait cinq jours que je t'attends ici. Je n'avais ni ton numéro ni ton adresse. Qu'est-ce que tu pouvais bien foutre pour me laisser mourir cinq jours ici ? C'est long tu sais, on s'ennuie beaucoup ! »

En comparaison de l'éclat de violence de tout à l'heure, Dimitri paraît presque civilisé, mais il faut remercier le ton un peu pleurnichard qu'il prend lorsqu'il commence à se plaindre, et qui le rend beaucoup moins agressif. Mais ce n'est toujours pas le bon ton, et l'accusation cingle l'air, brûlante de ressentiment. Il sait qu'il en attend trop d'Ilya, que son frère ne pourra jamais lui offrir l'attention fraternelle qu'il attend de lui. Ce qui ne l'empêche pas de lui jeter ses revendications en pleine figure.

Mar 22 Aoû 2017 - 8:17
ждет Годо

Il y a toujours ce sentiment qui te brûle l’œsophage, qui fait pulser la nausée dans ta poitrine et te cloue sur place - autant que cet orgueil qui t'empêche de simplement tourner le dos et de partir. Tu ne feras pas de toi-même ce que tu lui reproches, dans sa lâcheté et son martyr que tu es pourtant bien en droit de partager, puisque tu lui as avoué la lame qui te pourfend et ton plus colossal échec (qu'on ne saurait même comparer avec quelconque autre, puisqu'il les dépasse de magnitudes inimaginables) et qu'il ne t'as renvoyé que pleurnicheries et accusations. Accusations que tu aurais acceptées de droit s'il avait même daigné te croire et cesser de s'apitoyer sur son sort, puisque tu les mérites amplement. Tu l'as tué, après tout, tu as assassiné ton frère, tu as fais couler son sang, et cela tu ne sais (ne veux) jamais l'oublier - si tu cesses un jour de t'en torturer, tu ne mériteras pas le souffle qui courra tes poumons et espères à cet instant que l'on aura la compassion de mettre fin à tes jours souillés. Que tu méprises, haïsses Димитрий ne purge pas tes mains de l'écarlate qui les macule.
У вас не было бы этой проблемы, если бы вы соизволили встретиться лицом к лицу с тобой. (Tu n'aurais pas eu ce problème si tu avais daigné m'approcher de front.)
Tu te dégoûtes toujours de ce blâme qu'il s'entête à poser sur toi. Tu as échoué, oui - et cette situation en est la preuve -, à faire de lui ce que tu aurais voulu, ce qu'il aurait dû être. Tu portes cet échec comme un de plus sur ta conscience, une chaîne de plus enserrant tes ailes, lacérant ce que tu aurais dû devenir - un rappel comme tant d'autres grugeant cette dignité que tu tente toujours de protéger farouchement. Sans aucun doute aurais-tu dû être plus dur avec lui, affermir ton influence plutôt que de le laisser à lui-même dès que tu avais dû te concentrer sur ton propre devoir - dès que tu avais réalisé qu'il ne s'effriterait et ne s'écroulerait pas sans toi - puisque ton devoir fût face à lui et que tu t'y es soustrait. Désormais tu ne peux que l'observer se faire martyr et faiblard sous tes yeux, statue creuse où tu aurais dû la sculpter immuable et fière, et sentir le dégoût dans ton œsophage comme le goût du sang et de la mort.

Si seulement tu avais été ce que tu aurais dû être, jamais tu ne l'aurais tué. Jamais il ne se serait posé de l'autre côté de ta baïonnette, du côté de la plèbe geignarde, si tu avais su faire de lui l'homme d'honneur et de devoir - celui au dos droit, aux épaules carrées, au menton levé - qu'il aurait dû devenir. Tu ne portes pas seulement que la responsabilité de l'acier ayant transpercé son œsophage, mais aussi de l'instant où il s'est tenu entre toi et vos idéaux (ceux qu'il aurait dû avoir) comme un ange déchu - trahi et banni des cieux, jeté pour s'écraser en enfer - t'entraînant avec lui par la gorge.
И как вы хотите, чтобы я знал? Вы хотели, чтобы я догадывался, что вы ждали здесь, как задница, может быть? (Et comment voulais-tu que je le sache? Tu voulais que je devine que tu m'attendais ici comme un clochard, peut-être?)
Puisque tu es la source de tous ses problèmes, pourquoi est-il revenu te chercher? Pourquoi même t'attendre? Tu le méprises de s'abaisser à cela. De n'avoir pas trouvé d'autre solution; de ne jamais avoir tenté de te contacter par chronosrep, par exemple, plutôt que de s'en remettre à la possibilité que tu passes par là. Tu méprises son manque d'ingéniosité, d'initiative. Toutes ces choses que tu aurais dû lui apprendre.

Если у вас есть что сказать, скажите это. У меня нет времени ждать бесконечно. (Si tu as quelque chose à me dire, dis-le. Je n'ai pas le temps de t'attendre indéfiniment.)
Pourquoi aurait-il cherché à te retrouver, si ce n'est pour t'abattre de nouvelles accusations, de nouvelles façons dont tu as ruiné sa vie? Qu'il en finisse, que tu n'aies finalement plus à supporter sa présence comme une lame en travers de ta gorge.

(comme le rappel constant que tu as échoué (avant que sa présence finisse par éroder l'orgueil comme un mur autour de ta raison (qu'il détruise cette barrière si piètre là où tu te convaincs que, si tu le détestes, sa mort (outre que son meurtre) cessera un jour de pourfendre toute ton humanité))


Spoiler:
Jeu 31 Aoû 2017 - 12:39
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

La conversation n'avait pas bien commencé, et elle ne prenait pas une meilleure allure à mesure qu'elle avançait. Dimitri n'eut pas besoin de beaucoup de temps pour constater que son cher frère était plutôt remonté contre lui - Ilya écarta ses excuses comme on se débarrasser d'un insecte, sans le moindre sentiment de pitié. Il ne faisait aucun cas des sentiments de Dimitri, ne devait sans doute pas se rendre compte des efforts de patience et de courage que le cadet avait dû faire pour l'approcher malgré toute l'appréhension qu'il ressentait. Chaque parole portait une nouvelle accusation - celle de lâcheté, tout d'abord, puis celle d'être négligé. Bien qu'habitué à ce traitement, Dimitri se sentit blessé par la comparaison avec un clochard. Jamais Ilya n'avait encore été si loin dans la dépréciation. Dimitri se doutait bien qu'il n'avait pas fière allure, mais de là à le traiter de clochard... oui, c'était trop pour lui. Il avait envie de répliquer avec violence, de se dédouaner, de renvoyer toute sa cruauté en pleine face à ce frère indifférent qui n'avait rien à faire de lui.
Mais il avait promis qu'il ferait des efforts pour se réconcilier avec lui, et il comprenait désormais ce que cela signifiait : pas seulement aller voir Ilya et lui parler, cela aurait été trop simple, mais subir sans broncher son jugement de bourgeois et ne pas répliquer. Dimitri ne savait pas s'il était capable de faire cela. Son ego lui criait de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Il montrait par ailleurs trop bien à tel point le comportement de son frère lui déplaisait : même s'il ne parlait pas, il avait serré les poings, sorti les crocs, et adressait à Ilya un regard d'une violence inouïe qui lui conseillait de mesurer ses paroles s'il ne voulait pas envenimer la situation. Dimitri faisait déjà beaucoup d'efforts pour recoller les morceaux entre eux, mais si Ilya de son côté refusait de le voir et se confortait dans son attitude désagréablement supérieure, toute conciliation entre eux était vouée à l'échec. Il ne pouvait pas tout faire lui-même.
Il ne répondait pas à l'insulte qui lui brûlait les oreilles, mais la colère s'était glissée dans sa voix alors qu'il s'apprêta à répondre à Ilya. Il s'efforça de ne pas penser au peu de cas que son frère faisait de lui, au fait qu'il le traitait comme un nuisible en lui demandant de révéler promptement la raison de sa visite, comme s'il allait s'éclipser aussi rapidement qu'il le pourrait. Il aurait quand même pu lui accorder un peu plus d'attention ! Mais si Dimitri y pensait, il était perdu, il ne pourrait jamais surmonter la colère qui grondait au fond de lui.

« Je voulais parler. »

Cette phrase lui en avait coûté, et pourtant, Dimitri sentait que ce n'était pas suffisant. Ilya lui avait demandé de lui dire ce qu'il devait lui dire, pas lui asséner des évidences, et Dimitri imaginait déjà Ilya le lui en faire le reproche sans la moindre compassion. Il ajouta donc précipitamment, pour ne pas recevoir à nouveau la morsure acérée d'un nouveau reproche :

« Sérieusement, je veux dire. De ce que tu m'as dit la dernière fois. De... ta présence à Pallatine que j'aimerais comprendre. »

Il haletait presque à cause de l'effort. Il ne pouvait pas expliquer à Ilya pourquoi ce dernier n'aurait pas dû se trouver là. Il n'aurait pas compris. Mais la question devrait se poser un jour, lorsque Dimitri aurait le courage d'affronter ce qu'il avait fait. Ses yeux évitaient toujours ceux de son frère pour cette raison - ils se promenaient sur son visage, s'attardaient sur sa bouche, son nez, mais jamais ne rencontraient leur alter-ego.

« Si tu as du temps à me consacrer. » ajouta Dimitri avec une amertume mal dissimulée.

Il ne voulait pas parler là comme ça, intermède de courte durée entre deux moments essentiels de la vie de son aîné, il voulait occuper une portion à part entière de son temps. Il voulait qu'Ilya accepte de lui parler, qu'il se comporte comme une personne civilisée pour une fois. Il ne voulait pas affronter un nouveau refus qui aurait anéanti pour de bon les dernières forces qui lui restait.

Lun 4 Sep 2017 - 5:31
ждет Годо

Là où tu contiens toute ta violence au creux de tes poings serrés dans ton dos, là où tu la gardes cachée derrière ton air hautain et ta fierté comme un bouclier - là où tu la caches l'enfouis et essaie désespérément de l'oublier, de la détruire par le néant (puisque si tu n'y crois pas, elle n'existe pas - ne peut déformer tes os), ton frère porte sa violence comme un badge. Les poings serrés (à ta vue), les crocs dévoilés et les yeux farouches, comme un animal enchaîné qui n'attend que la libération pour se jeter sur toi et déchirer tes entrailles du bout de ses griffes - seulement tu ne sais pas quelle est cette chaîne. Est-elle attachée au fond de ses viscères, souvenir d'un respect qu'il a pu un jour te porter, ou d'un amour il y a longtemps éteint derrière une amertume que tu méprises toujours? Est-ce la chaîne de votre lien que tu croyais avoir brisée lors de votre dernière rencontre, vestiges du même sang qui coule dans vos veines - que tu as fais couler? Qui tache toujours tes mains, qui croûte toujours sous tes ongles, que tu ne sais oublier, dont le goût s'ancre au fond de ta gorge, qui strie tes mains lorsque la violence, la tienne, prends tes os et fracasse le verre - vient sectionner ta chair? Ou est-ce celle, la même, qui attache tes ailes de pierre, ta couronne d'épines, la grande cicatrice tout le long de ta gorge - ton frère ressent-il quelconque culpabilité de s'être rangé du mauvais côté de ton canon? Tu en doutes fortement, sachant tout ce qu'il a pu te dire, tout ce qu'il semble penser (tout du moins tout ce qu'il te révèle) n'est que défiance pathétique et geignarde - là où il revendique le courage de s'être tenu face à toi tout en te blâmant de la faiblesse qui court autrement dans ses os. Et pourtant l'amour et le respect te semblent tout autant impossibles que cette culpabilité que tu te refuses de lui prêter; alors qu'empêche ton frère de se jeter à ta gorge, de t'écraser de ses jointures? La décence? Il n'a aucunes conséquences à craindre - s'il ne le sait pas, il devrait savoir que tu ne lèverais(ras plus) jamais la main sur lui. Tout du moins pas dans un combat - pas pour te défendre de lui.

Que cherche à comprendre Димитрий? Il te semble avoir été assez clair lorsque tu lui as dit de cesser ton martyre, et cela te semble sans équivoque - ainsi veut-il parler d'autre chose. Et pourtant cette pensée repousse le long de ta gorge une nausée sans racines physiques, comme le sang que tu as toujours l'impression vouloir cracher au sol en sa présence; ton aveux, que tu porte toujours en ta poitrine comme une amertume térébrante, comme cette vérité que tu n'aurais jamais voulu échappée (réelle) et que pourtant il a écarté du dos de la main. N'a-t-il pas compris? Lui est-il si incompréhensible que tu l'aies pourfendu, jusqu'à ce qu'il ne puisse même le concevoir? En réalité cette possibilité t'es même plus douloureuse que l'alternative, puisque cette confiance qu'il t'accorde tu l'as déjà brisée une fois et - s'il n'a pas compris, s'il n'a pas réalisé ce que ton aveux signifiait et qu'il ne l'a repoussé non par mépris et haine mais par dédain d'une métaphore que tu n'as jamais faite - tu te devras de la fracasser une seconde fois ainsi que tu as broyé les artères dans sa gorge. Et ainsi qu'il pose devant toi cette confusion que tu n'avais su voir dans votre précédente rencontre, il te semble devoir te rendre à l'évidence - et pourtant ton orgueil se pose en travers de ton œsophage et ne permet jamais que tu le fasses avec quelconque repentance (autre que celle qui te déchire les boyaux, mais que tu ne saurais lui montrer).
Tu brèches l'espace entre vous d'un pas, et tu soulèves tes doigts jusqu'à ce qu'ils soient à la hauteur de la blessure que tu lui as infligée - et tu les y poses, aussi doucement que tu aurais voulu que ta lame ne brèche jamais un seul centimètre de sa chair.
Я поняла, Димитрий. Я убил тебя. Я вложил клинок в вашу трахею, и ты опустошил свою кровь в свои объятия. (J'ai été clair, Dimitri. Je t'ai tué. J'ai enfoncé une lame dans ta trachée, et tu t'es vidé de ton sang dans mes bras.)

(C'est toi le martyre, Илья. Avec tes mains entachées de sang et ta couronne d'épines, ange déchu qui n'aurait jamais dû toucher la terre - c'est toi qui est le martyre de tes propres erreurs, de ces failles que tu n'as jamais su colmater, de ce meurtre qui te hante et te laboure toujours les os, de ta vie de ces cendres que tu aurais voulues un bûcher triomphant au mal et à l'infamie - et pourtant tu es celui qu'on y brûle. Et volontiers tu mourrais pour t'expier de tes fautes et pourtant ta vie est ta pénitence, celle où tu dois avouer à ton frère, la chair de ta chair, que tu l'as assassiné pourfendu détruit, que tu n'as jamais pu lui dire que tu l'aimais et que tu n'es pas en mesure de le faire désormais - puisque tu ne mérites pas de te tenir là devant lui. Димитрий, Димитрий, ton bourreau ta victime, celui qui te lacère alors que c'est toi qui a répandu son sang - et qu'il mérite bien mieux que toi, bien mieux que ce que tu es prêt à lui donner - et tu l'aimes, farouchement profondément et tout à la fois tu le détestes viscéralement) jusqu'à ce que les ongles de ta main toujours dans ton dos percent la chair de ta paume et se tachent de perles écarlates.
Sam 16 Sep 2017 - 21:27
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

Il ne s'en rendait pas compte, mais il profitait des dernières secondes de son innocence, les dernières secondes où l'image immaculée qu'il avait substituée à son frère brillait de toute sa froide splendeur au dessus des ruines qu'était Dimitri. Pourtant, la vérité cruelle et nue l'avait surplombé depuis le début - il était simplement trop stupide pour saisir ce que tout autre que lui aurait immédiatement compris. Il était bien le seul à idolâtrer son frère au point de refuser de lui reconnaître d'autres défauts, d'autres faiblesses que ceux qui blessaient continuellement Dimitri. Il aurait sans doute compris ce qui se tramait sans artifices juste en face de lui.
Mais il avait fallu ces quelques pas qui, brusquement, avaient réduit la distance infinie qui existait entre les deux frères à une proximité qui n'avait rien de tendre ou de fraternelle, ces doigts levés vers un point précis de la gorge, ce contact sous-jacent de menaces qui faisait sursauter Dimitri. Ils ne s'étaient plus touchés depuis des années, et il ne se souvenait plus que c'était possible, jusqu'à ce que cela arriva à nouveau. Malgré l'extrême précaution qu'Ilya avait pris, ce contact était vécu par Dimitri comme une véritable agression, comme s'il transgressait à la fois son intimité et son intégrité. Un peu plus, pensait Dimitri, et le sang aurait coulé pour de bon. Il n'osa cependant porter la main à sa gorge et éloigné les doigts de son frère : interdit, Dimitri était incapable de bouger. Bloquée dans sa poitrine, sa respiration formait un poids qu'il ne parvenait plus à expulser.
Il écouta, horrifié, Ilya lui compter la façon précise dont il était mort - dont il l'avait tué. Une lame lui sectionnant la gorge, ouvrant la voie à un flot bouillonnant de sang qui peu à peu l'avait fait expirer. Tu aurais pu éviter de me faire souffrir, Ilya souffla la part de son esprit qui avait compris. Mais le jeune homme n'entendait pas cette petite voix : ses organes, et avec eux sa raison, venaient d'entamer une longue chute qui semblait ne jamais devoir s'arrêter.

« Ce n'est pas possible. »

Comment aurait-il pu accepter la dure réalité ? Jamais il n'avait été écrit qu'Ilya devrait un jour le tuer. Cette erreur monstrueuse était à mille lieux du fils prodige qui s'était illustré à la guerre et qui avait jeté dans son ombre glorieuse son cadet fragile et rancunier. Cette erreur était la sienne, celle qu'il portait cachée au fond de lui, celle qui le détruisait à petits feux. Pas son frère. Oh non, pas son frère. Le peu d'amour qui lui restait suppliait que ces tourments lui aient été épargnés.
(et puis merde, on ne pouvait croire quelqu'un qui affirmait vous avoir tué alors que vous étiez bien envie)

« Pas toi. Non, PAS TOI. »

Dimitri criait sans retenue et, sans gêne, s'était jeté sur son frère, avait saisi ses habits pour le rapprocher davantage de lui, heurter leurs fronts, exhaler son haleine putride à sa gorge, jeter des éclairs meurtriers pour définitivement le tuer. Il ne savait quel miracle au juste retenaient les larmes colériques qui inondaient son cœur, il ne savait où il trouvait la force d'y résister, et d'où lui venait cette rage féroce qu'il n'aurait pas dû ressentir et qui pourtant grignotait les dernières parcelles de son identité. Jamais Dimitri n'avait adressé un tel regard à Ilya, quand bien même son frère fût l'objet d'une rancune sévère et destructrice et qu'il l'eût maintes fois fusillé de la sorte. Jamais il n'avait été si près de céder à ses pulsions fratricides.
Ce ne fut pas sa retenue qui céda, mais ses émotions : elles déferlèrent sur lui avec la violence d'un ouragan et faiblirent la prise que Dimitri avait sur son frère. Ce n'était pas seulement Ilya qu'il sentait s'échapper sur ses doigts, c'était sa vie, et les larmes qui avaient refusé de couler s'échappèrent de ses yeux, à l'aveugler.

« Oh, Ilya... »

La colère avait reflué, laissant en Dimitri un vide atroce qu'il ne parvenait pas à combler. Il accompagna la prise qui s'échappait et se laissa tomber. Il enfouit la tête dans la poitrine de son frère, les mains toujours crispées, ersatz d'étreinte qui n'aurait su le consoler. Il aurait dû au lieu où il se trouvait, qui n'était guère indiqué pour de tels épanchements. Il aurait dû penser à Ilya, à la torture que celui-ci ressentait, mais qu'il parvenait à cacher derrière un masque d'impassibilité, mais seuls ses propres sentiments préoccupaient Dimitri. Cette révélation enfin comprise changeait la donne - mais n'apaisait en rien sa culpabilité. Car il était certain qu'Ilya avait eu de bonnes raisons de le tuer.
À vrai dire, c'était même logique. Dimitri méritait d'être tué.
Mais par quelqu'un de moins digne que lui.

« Pardonne-moi... » ses supplications plaintives s'étouffaient dans la couche de vêtement dans laquelle Dimitri voulait se fondre. « Pardonne-moi... »



hrp:
Lun 18 Sep 2017 - 3:25
ждет Годо

Tu attends sa colère. Sa violence qui s'écrasera sur toi comme une vague, et que pourtant tu refuseras à te faire basculer. Là où tu planteras tes pieds au sol comme la seule chose t'ancrant toujours à la réalité, alors que tu observes devant tes yeux la mort de ton frère - alors que tu l'assassines une nouvelle fois, alors que tu vois dans ses yeux la même confusion, la même incrédulité - il ne te croit pas. Non, refuse de te croire. Comme tu aimerais refuser de le croire toi-même; comme tu aimerais l'ignorer le nier jusqu'à ce qu'il ne reste de ton meurtre que quelques ombres floues, des impressions que tu chasserais d'un claquement de langue. Et pourtant tu le vois et le joues à cet instant, tes doigts comme ta lame, la fleur écarlate toujours bourgeonnant sur la mâchoire de Димитрий - comme ces instants se jouent derrière tes paupières lorsque tu fermes les yeux, comme ils se reflètent dans chaque objet que ta violence casse, dans chaque lésion sur tes mains - lorsque le sang sèche sous tes ongles, là où il sait trouver un endroit familier où se nicher. Tu ne sais pas le laver. Tu ne sais pas l'oublier - et encore, toujours, tu t'étouffes des derniers gargouillis de Димитрий.
Tu attendais sa colère - tu voulais sa violence. Et il se jette sur toi comme un animal, comme une pièce du puzzle de ce moment finalement mise à sa place. Tu n'aurais pas supporté qu'il se contente de te fixer sans rien dire - tu as besoin qu'il se déchaîne, brise tes os comme tu l'as fait les siens. Alors il hurle, comme il n'a pas su le faire la première fois - et dans le souffle qu'il envoie s'écraser contre ton visage (à défaut de jointures) se tient cette différence si capitale, qui tord tes poumons et resserre tes côtes, qui t'asphyxie à son contraire; il est en vie. Tu as plongé une lame dans sa trachée, tu l'as observé mourir - son sang tache toujours tes doigts; tu l'as tué, tu l'as tué et pourtant il se tient devant toi, son front écrasé contre le tiens, son souffle sur ton visage, ses mains accrochées à tes vêtements, ses ongles s’enfonçant dans ta peau, sa gorge fermée sur une blessure que tu as ouverte toi-même.

Il te relâche, ses doigts glissant contre toi, et c'est une terreur sans nom qui t'agresse en un instant. Soudainement, il est celui dont la prise s'est desserrée sur toi alors qu'il ne pouvait même pas te supplier de le sauver - alors qu'il tentait si désespérément de te dire quelque chose que jamais tu n'as su entendre. Il te relâche et il meurt, comme ses poumons se relâchent en son dernier souffle, comme ses paupières ne se ferment même pas - et quand il s'enfouit contre ta poitrine ce ne sont pas des larmes qui tachent ta chemise mais du sang, que tu prennes l'apparence de ce que tu es. Il meurt et tu le laisses glisser entre tes doigts encore une fois, et tu t'asphyxies de la lame qui l'a pourfendu comme tu l'as retournée contre toi-même, et tu l'observes mourir sans ne rien faire, toujours. Comme il s'est laissé glissé au sol, se tiens toujours dans ton dos cette main que tu as rendue écarlate de ta propre violence contenue; sans jamais que tu ne la lui tende.
Tu n'apprends pas de tes erreurs, Илья. Alors tu l'assassines de nouveau, et jamais ne s'échappent de tes lèvres tous les mots que tu devrais lui dire. Jamais tu n'ouvres ton thorax pour lui montrer ton cœur qui bat, là où tu l'aimes; là où ta haine n'est que l'autre côté de la médaille, puisque tu ne saurais l'aimer - tu ne le mérites pas. Tu ne mérites pas quelconque affection coulant à travers des veines, puisque tout ce que tu aimes finis par mourir de tes mains; et mourir une deuxième fois, sans que tu ne l'empêches ni ne fasse quoi que ce soit différemment. Tu ne sais agir pour changer tes regrets. Tu ne sais qu'être le martyre de ton propre bûcher.

Димитрий, Димитрий, pour qui tu écriras des lettres à l'encre de ton sang. Sur qui tu peins cette fleur écarlate alors que de ta main tachée tu soulèves son menton. De ta paume sur sa mâchoire, avec une douceur que tu ne peux attribuer à la tienne mais plutôt à la vie qui s'est échappée de ton être pour s'écraser dans ses pupilles.
Я убил тебя, но ты здесь. Почему ты здесь? (Je t'ai tué, mais tu es ici. Pourquoi es-tu ici?)
Puisque toutes tes émotions se sont éteintes - que tu ne sais plus réfléchir de l'avoir tué une deuxième fois. Que tu es coincé quelque part entre ta raison et ce qui se déchaîne dans ta poitrine, qui lacère tout ce que tu es - plus un homme, mais une enveloppe de chair autour d'une âme manquante. Un squelette aux os qui refusent de flancher. Mais tu n'es plus ici, tu es ailleurs; brûlant vif au bûcher de ta vie, afin qu'il ne reste de toi que des cendres.


Spoiler:
Dim 24 Sep 2017 - 22:23
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

Les pensées et les aveux se bousculaient à la bouche de Dimitri, les larmes à ses yeux, luttant tous à mort pour obtenir le droit d'être exprimé - mais comme à la guerre, aucun n'aurait le dessus. Il aurait été vain de décrire ce vide chaotique régnant dans sa tête, ou la sensation de coton qui engourdissait ses jambes, ou encore la douleur qui commençait à se faire ressentir dans ses doigts crispés. Il ne voyait pas d'autre chose que le gouffre en lui et essayait de faire correspondre les aveux cruels de son frère avec ses propres crimes, douloureusement étonné de leur correspondance si précise. Il cherchait avidement à aspirer la chaleur de son frère, jusqu'à lui donner la froideur cadavérique qu'il ne connaissait trop bien, pour le faire taire et, en le réduisant au silence, se débarrasser des dangereuses réminiscences qui les détruisaient tous les deux. Il était si heureux de l'avoir là, sous la main, alors qu'il pensait l'avoir perdu à jamais, et pourtant, Dimitri était incapable d'apprécier ce bonheur simple, cette seconde chance qui lui était accordée.
La cruauté de son frère, qui ne cherchait pas à le consoler, qui ne cherchait même pas à s'excuser alors que son cadet cherchait déjà à se faire pardonner, lui transperçait le cœur. Dimitri exprimait sa douleur sans obtenir de retour. Il ne s'en rendit pas compte, d'abord, perdu qu'il était dans son enfer, mais bientôt, il en émergea assez pour comprendre qu'Ilya n'avait rien fait. Cette pensée le remuait. Même son frère ne pouvait rester si indifférent après l'avoir tué. Mais on aurait dit qu'il s'en fichait. Dimitri comprenait qu'Ilya l'avait définitivement supprimé de sa vie le jour où il l'avait tué et que sa réapparition dans sa vie n'était pas une bonne nouvelle pour lui. Il s'était débarrassé de tous ses sentiments pour son cadet en même temps que ses souvenirs, et la politesse expliquait pourquoi Dimitri n'avait pas encore été rejeté. Il fut pris d'un frisson. Se pouvait-il que cette personne si froide fût vraiment son frère ? Ilya avait des accents inflexibles qui ne sauraient être imités.
Il aurait pu se séparer de lui, à présent, s'excuser pour l'avoir dérangé et sortir définitivement de sa vie en gardant son secret. Ce n'était pas quelque chose que désirait Dimitri, mais il avait promis de se racheter, et si pour cela il fallait endurer la froideur éternelle d'Ilya, il le ferait. Mais il sentit que celui-ci lui relevait doucement la tête pour le forcer à le regarder. À ceci près que cette pression était plus douce que ce à quoi son frère l'avait habitué. Aucun air de dégoût n'habitait ce visage aux traits altiers. Seule une lourde et cruelle indifférence y régnait.
La question qui lui était posée choqua Dimitri. Elle était l'écho parfait de ce que lui-même pensait et, pour cette raison, comprit qu'Ilya ne l'interrogeait pas uniquement sur les potentialités des lignes de temps qui existaient à Pallatine. Tous deux savaient qu'ils étaient déjà morts pour certains habitants transférés, et pas encore nés pour d'autres. Il ne pouvait donc pas répondre parce que ce n'est pas moi mais un autre Dimitri, car lui ou un autre, cela revenait au même. Il brûlait de savoir à quel point cet autre lui ressemblait, mais il tut cette question. Car cela aurait voulu avouer à voix haute que ce n'était pas son Ilya qui se trouvait face à lui, mais un autre, équivalent, mais guère plus sympathique.
Dimitri renifla bruyamment, conscient d'avoir laissé une belle trace humide sur la poitrine de son frère mais sans en éprouver ni honte, ni satisfaction. D'une certaine manière, l'indifférence de son aîné commençait à déteindre sur lui, même s'il faudrait du temps pour le rendre tout aussi inexpressif que lui. D'une petite voix, il répondit :

« J'sais pas. J'me posais la même question. »

Qu'il ne poserait pas, parce qu'il savait désormais qu'Ilya n'avait pas la réponse. Dimitri avait du mal à éprouver de la compassion pour lui. Sa réaction était à des années lumières de ce que lui aurait ressenti à sa place. L'amertume qui n'avait jamais totalement disparu revint mais, cette fois-ci, avec un soupçon de bon sens. Dimitri planta ses yeux dans ceux d'Ilya avec un certain air de défi, mais guère trop, car il n'était plus aussi combattif qu'avant. Le calme de sa voix l'effraya lorsqu'il demanda d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu :

« Pourquoi tu t'excuses pas ? Tu en as l'occasion. »

C'était un reproche, oh oui, parce que Dimitri, lui, désirait de tout cœur s'excuser, mais il sentait que le moment n'était pas venu. Si ce n'était son Ilya qui recevrait les excuses, celui-ci ferait très bien l'affaire, car il voulait reprendre avec lui la relation qu'il avait brisé avec le sien.



hrp:
Jeu 26 Oct 2017 - 6:54
ждет Годо

Pourquoi ne t'excuses-tu pas, Илья?
Pourquoi ne s'écoule pas d'entre tes lèvres comme des gargouillis sanglants les excuses que tu as si longtemps ruminées? Celles qui s'échappent constamment entre tes doigts - tes regrets, ceux qui écrasent ta trachée? Ici tu pourrais faire comprendre à ton meurtrié que tu n'as jamais souhaité la lame dans sa gorge, le lui dire tout haut pour que jamais il ne puisse songer que tu aies voulu quoi que ce soit d'autre que sa force et son succès. Tu pourrais te laisser tomber à genoux et le supplier de te pardonner ce que tu ne te pardonneras jamais à toi même. Tu pourrais enfin avoir quelconque lambeau de repentance, pour te l'accrocher au cou et bander la plaie qui n'est jamais née juste sous ta pomme d'Adam.
Oui, tu en as l'occasion, avec ton frère devant toi. Alors pourquoi ne t'excuses-tu pas, Илья?

Parce que tu ne mérites aucune repentance.
Pas même la plus petite, la plus minuscule des pointes d'un pardon, une goutte de miséricorde, ni le coin d'un sourire, ni l'ombre d'un regard qui ne te transpercerais pas de honte. Tu mérites le sang qui tache tes mains, la torture qui tord ta poitrine, tes côtes qui s'enfoncent dans tes poumons, l'asphyxie qui s'attache toujours à ton œsophage, et toutes les lésions qui naissent de ta violence. Tu ne saurais demander pardon puisque ce serait un mensonge - on ne t'offrirais jamais pardon qui expierait ta faute. Tu as failli à ta plus grande et ta plus importante tâche, à la seule où tu devais absolument, nécessairement réussir - et, de raison, tu t'es écroulé. Plus jamais tes jambes ne te porteront comme elles ont pu le faire. Plus jamais ton dos ne sera aussi droit, ton menton aussi levé, ta colonne aussi sempiternelle qu'elle a pu l'être; plus jamais on ne pourra redresser ton être crochu. Tu mourras avec ta droiture comme un mensonge, puisqu'elle ne peut exister que tu aies tué ton frère. Tu n'es pas droit. Tu ne connais pas le sens du devoir. Tout ce qui faisait de toi cet être est mort en même temps que Димитрий, écrasé sous ta lame. Désormais tes promesses sont creuses et tes gestes vides - tes engagements, tes travaux imparfaits à leur source. Puisque que tu as failli à ton plus fondamental devoir, tout ce que tu construis autour n'est qu'hypocrisie. Tu vis, après ton meurtre, imitation de toi-même. Seulement, tu es très mauvais acteur.

Alors tu observes ton frère. Cadavre au souffle irrégulier devant toi, toujours écroulé à tes pieds, alors que tu taches sa mâchoire de vermeil de nouveau. Alors qu'il t'accuses et te crache ta cruauté au visage, puisque tu ne daignes même pas lui offrir des mots quand tu aurais dû lui offrir tout ce que tu es. Et sous son regard tu continues, lentement, de brûler au bûcher de tout ce que tu as détruis.
Я не могу. (Je ne peux pas.)
Jamais tu ne pourrais tacher son honneur d'excuses qu'il n'accepterait qu'en se fourvoyant lui-même. Si ton orgueil te permets de conserver encore quelques lambeaux de fierté, de droiture, il ne te permet pas de mentir à outrance. Jamais tu ne pourrais mettre en mot quoi que ce soit pour sauver ton âme. Jamais tu ne pourrais prononcer quoi que ce soit qui puisses excuser ta trahison - et jamais tu ne t'y abaisseras, ni pour ta conscience, ni pour son orgueil.

Peut-être écriras-tu à Димитрий, à l'aube de ton dernier souffle, des lettres à l'encre de ton sang détaillant tout ce que tu aurais dû lui dire. Peut-être, de ton rouge cyrillique, lui admettras-tu finalement; я люблю тебя.
Sam 11 Nov 2017 - 20:36
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

C'est reniflant et larmoyant que Dimitri s'efforçait de plonger son regard dans les yeux de son frère, pour chercher dans les vagues tumultueuses et cruelles de sa torture la supérieure lueur de droiture qui y avait toujours brillé. Mais il se noyait à chercher ce phare qui n'existait pas. Il aurait pu contempler le regard d'un inconnu. Tout ce que Dimitri avait l'habitude d'y trouver avait complètement disparu, à l'exception de cette terrifiante froideur qui lui inspirait plus de peur que de respect.
Ainsi, l'aveu de faiblesse que lui faisait Ilya ne l'étonnait pas vraiment, car toute humanité semblait avoir déserté l'aîné. Mais Dimitri ne pouvait pas l'accepter. Ce déni allait à l'encontre de ses valeurs, des valeurs que d'ailleurs Ilya partageait, celle du respect, du pardon, de la famille, des idéaux auxquels Dimitri s'efforçait toujours de se rattacher alors que sa vie partait en lambeaux. Il s'était toujours cru que son frère plus que tout autre s'en ferait le défenseur, jusqu'à la mort, comme il l'avait prouvé. Il aurait voulu lui demander ce qui avait bien pu lui arriver pour le voir les renier si cruellement, mais à vrai dire, il comprenait. Seule la lâcheté bloquait dans sa gorge les paroles libératrices.
Pourtant, ça pourrait le sauver aussi...
Mais pour cela, il était bien trop tard, du moins, c'était ce que croyait Dimitri. Ceux qui étaient perdus ne pouvaient être rachetés d'une façon ou d'une autre, et même si une nouvelle chance leur était proposée, aucun des deux n'était vraiment décidé à la saisir. Seuls, ils y auraient peut-être songé, mais leur rédemption ne pouvait se faire qu'à deux. Peut-être étaient-ils présents tous deux à Pallatine pour se punir. Cette possibilité semblait si réel, quand on voyait la détermination d'Ilya d'échapper au pardon de Dimitri.

« Tu ne peux pas... » répondit le cadet d'un ton dangereux.

On le sentait gronder un peu à nouveau, à présent que ses larmes s'étaient séchées et taries, confronté à l'indifférence d'un frère que pourtant il pardonnait, mais ce n'était pas son agressivité qui prenait le dessus : c'était la déception d'une bête blessée. Il aurait voulu que son frère montre l'exemple - ainsi, il aurait eu une bonne raison de se défiler. Ilya lui aurait prouvé qu'il était définitivement meilleur que lui, alors qu'un crime similaire au sien souillait son âme à tout jamais.
Mais même s'il ne se montrait pas meilleur, Ilya était toujours un peu en avance sur Dimitri. S'il devait vraiment en vouloir à quelqu'un, c'était à lui-même, pour ne pas réussir à avouer ses pêchés, alors que le moment était idéal, et qu'Ilya aurait compris. Mais il ne voulait pas qu'Ilya comprenne, car il aurait dû ne jamais pouvoir comprendre. Si seulement il pouvait sauter dans sa ligne de temps originelle pour le sauver de son crime. Il serait mort avec plaisir, justice serait rendue. Mais il n'en avait pas le droit et chacun devait vivre avec son crime jusqu'à la fin de sa vie.
Il se releva, les yeux toujours baissés, car il n'osait lever les yeux vers ce frère dont il ne savait plus que penser - mais il l'aimait, il s'en rendait compte maintenant, même s'il détestait profondément tout ce que son frère lui inspirait, il l'aimait vraiment. Dimitri aurait voulu tenter un sourire, même maladroit, pour lui exprimer la joie réelle qu'il avait à le revoir, même si elle s'accompagnait d'une douleur coupable qu'en fait tous deux partageaient, mais le sourire se mourrait dans sa gorge avant même d'avoir pu naître. Il ne pouvait pas lui montrer autre chose qu'un visage meurtri et meurtrier. Dimitri se releva, donc, et, doucement, sur un ton si faible que ses paroles auraient pu se perdre dans le vent avant d'atteindre les oreilles d'Ilya, d'un ton qui disait tout de leur culpabilité commune :

« Pourtant, je t'aurais pardonné. »

Il l'aurait vraiment fait. Parce qu'il recherchait assez le pardon lui-même pour refuser de l'accorder à quelqu'un qui en avait aussi besoin que lui. Parce qu'il n'était pas en position de le refuser. Parce qu'il était venu à Pallatine vivre une nouvelle vie, parce qu'il était trop faible pour se suicider.
Mais il gardait une fois de plus les yeux baissés.

Mer 6 Déc 2017 - 9:02
ждет Годо

Non, tu ne peux pas. Même s'il te montre ses crocs, même s'il te saute à la gorge, même s'il s'écroule à tes pieds et s'effrite jusqu'à de nouveau t'échapper; tu ne peux pas. Puisque tu ne le mérites pas. Puisqu'il mérite infiniment mieux. Il ne comprend pas - il ne peut pas comprendre. N'a pas connu la mort comme tu la lui as infligée, comme tu te l'es infligée toi-même; ne connaît pas le sang qui tache toujours tes ongles, que tu vois toujours dans ta périphérie. Il ne peut comprendre l'impardonnable, l'irréparable, et donc il ne peut comprendre ton silence. Et tu brûles, tu brûles, sur ton bûcher, lentement, alors que tu ne peux plus rencontrer son regard. Alors qu'il se soulève, en silence, sans jamais relever la tête, avec toujours le fantôme d'une tache de sang sur sa mâchoire. Sans même baisser les yeux, tu sens l'écarlate qui sèche au creux de ta paume.
De toute panique, toute colère ayant pu t'habiter, ne subsiste que le silence. Sans que tu ne saches désormais ressentir ni tes idéaux ni tes plus profondes douleurs, alors que tes pupilles parcourent le profil de ton cadet ré-assassiné. Tu brûles d'un vide mordant, là où tes côtes te pourfendent sans un écho de douleur, là où ton asphyxie se répand dans tes os et te transi d'inhumanité. Ce n'est rien de ta contenance qui retient ta violence ou ta douleur - seulement le constat que, si tu n'avais jamais su conclure sans l'ombre d'un doute, sans la flammèche d'un espoir que ta faute ne pourrait jamais être expiée, tu en as désormais la preuve (en as pris la décision).

Димитрий, Димитрий, avec ses idéaux et sa compassion, avec sa faiblesse et sa sentimentalité, que tu ne sais toujours pas combler. Une brèche que tu n'as jamais pu colmater; une tour que tu n'as jamais su construire. Ton ton n'est pas dur de sévérité; c'est la neutralité de ta mort qui y sonne, la froideur de tes os dévorés par les flammes.
Я не позволю тебе опуститься до этого. (Je ne te laisserai pas t'y abaisser.)
Tu ne le laisseras pas mourir une troisième fois, à accepter ta lame. Et tu ne tacheras pas toutes les bribes d'honneur qui restent accrochées à ta gorge à le voir le faire. Tu l'aimes trop pour ça.


Spoiler:
Jeu 7 Déc 2017 - 22:14
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

C'était le silence avant la tempête. Le silence de ces eaux qui refluent joyeusement avec l'arrivée de la grande vague qui anéantira tout sur son passage. Le silence cotonneux qui précède l'orage, quand les corps meurtris de chaleur s'épuisent en dernières gouttes de sueur qui se font les pâles reflets des futures larmes de pluie. Le silence angoissant du futur défunt qui prend sa respiration avant de rendre son dernier souffle. C'était ce silence-là que Dimitri sentait entre eux. Il sentait que quelque chose de terrible allait se produire. De terrible pour lui. Ilya était déjà brisé, plus rien ne semblait le blesser, mais l'espoir pulsait encore en Dimitri en vagues douloureuses qui montaient, sanguines, au cerveau. Il sentait qu'il allait être déçu une fois de plus, que les idées auxquelles il s'était toujours raccrochées seraient piétinées une fois de plus.
Dimitri voulait comprendre, mais plus il découvrait ce qui habitait Ilya, et plus le nombre de questions qu'il aurait eu à lui poser augmentait. Il ne se sentait pas assez courageux pour le faire, comme s'il n'avait jamais tenu tête à ce frère pas si haï par le passé. Les dernières traces de cette ténacité enfantine avaient été utilisées pour l'aborder de front ; désormais vidé de cette substance, il se sentait perdu.
Peut-être aurait-il dû s'énerver - la réponse d'Ilya n'était pas du tout appropriée, à mille lieux de ce qu'il connaissait de lui. Pourtant, ce n'était jamais ce que Dimitri aurait souhaité entendre de lui. C'était le désir de ce pardon qui lui brûlait les veines et le faisait s'échauffer - alors entendre Ilya le piétiner, non, cela n'avait pas de sens. Désarmé, Dimitri se trouvait incapable d'émettre davantage qu'un grognement étouffé. Les poings serrés, le visage - coupable - toujours détourné, il entreprit de le détromper avec plus de douceur qu'il n'en avait jamais été capable.

« Tu te trompes. Il faut savoir pardonner. »

La frustration serra sa gorge et l'empêcha d'en dire plus. Cela lui semblait injuste. La situation, inversée, le plaçait en position de sagesse et l'amenait à rejeter les principes de l'aîné. Ça aussi, c'était faux. Rien dans cette situation n'allait.
Les yeux se levèrent lentement, et un orage y dansait, mais la voix, elle tremblait.

« On peut se tromper. Ça arrive. Il y a des erreurs qui sont plus difficiles à assumer que d'autres. Comme... tuer... » L'hésitation dans sa voix était nette, il avait baissé le ton, laissant la honte le submerger. « Mais tu sais ce que je sais ? C'est vrai qu'on ne peut pas défaire ce qui a été fait, mais les conséquences, tout le monde les assume. Même les gens qu'on croit épargnés. Parce qu'ils sont touchés d'une façon ou d'une autre, parce que leur quotidien en est un peu changé. Alors c'est pour ça qu'il faut pardonner. Parce que toi... » Dimitri enfonça son index dans la poitrine d'Ilya sans la moindre délicatesse. « Toi tu en souffres, alors que ça peut être changé. Tu me ramèneras pas des morts. Mais j'ai le pouvoir de te sauver. »

Mon dieu, après ce discours, s'il avouait ce que lui-même avait fait, il n'aurait plus aucune chance de sauver son frère. Car voilà où il en était, tout à coup, sans se rendre compte du glissement qui s'était opéré. C'est peut-être ça ma rédemption, qui sait.... Le sauver. Parce qu'Ilya ne méritait pas de sombrer pour avoir éliminé de la surface de la terre un minable comme lui.
(et puis, s'il était sauvé, il pourrait enfin lui proposer ce pardon dont Dimitri était assoiffé).

Jeu 7 Déc 2017 - 23:47
ждет Годо

Обязанность.
Quel est le sens du devoir? Lequel est le plus fondamental? Où te situes-tu désormais sur cet axe de droiture, alors que tu as faillis à ta plus intrinsèque responsabilité? Comment peux-tu te considérer droit alors que tu as tué ton frère, celui que tu devais protéger au prix de ta vie? Toujours, toujours, avec la lame au travers de ta gorge; plus jamais tu ne seras ni droit ni réel. Avec ta colonne crochue, un demi-centimètre moins grand que tu l'as toujours été.
Tout ce que tu n'es, que pièces de l'homme que tu fus dans le passé, aux os brisés et aux mains tachées, à la trachée écrasée et aux poumons noyés - tout ce que tu n'es plus se tient alors devant ton meurtrié, te raccrochant jusqu'à t'en arracher les ongles aux derniers lambeaux de ton honneur sans que jamais il ne comprenne. Sans que dans sa douleur il ne sache t'écouter, comme toujours il est resté sourd à tes conseils - jusqu'à ce qu'il ne puisse qu'être muet à tes accusations. Comme il s'étrangle dans sa voix, sans l'écarlate entre ses lèvres, et pourtant comme tu as de nouveau planté une lame dans sa gorge.
Assoiffé de pardon comme d'air, et pourtant tu refuses de guérir sa blessure.
Tu pourrais réparer tes erreurs, retirer ta lame de sa trachée, laver le sang de tes mains, cesser de t'asphyxier, encore, toujours, avec le goût du verre sur ta langue. Repartir à zéro. Reprendre tes droits sur tout ce qui t'appartiens. Te redresser, et gagner de nouveau ce demi-centimètre.

Mais pourtant, pourtant, ton devoir est de souffrir.
S'il ne reste de ton être que ces lambeaux, ces morceaux d'os brisés, s'il ne reste de tes convictions que ces pièces éparpillés et de ton honneur que des échos lointains - chacun des lambeaux de ton devoir t'intiment de souffrir. De payer pour ton meurtre. Ce n'est pas de ces erreurs que l'on peut pardonner, surtout pas toi - surtout pas à toi; irréparable, comme tu l'es désormais. Et comme tu le resteras, sur les dernières bribes de ton honneur, jusqu'à ce que tu pousses ton dernier souffle et que ton âme s'échappe jusqu'en enfer. Comme tu te dois de l'être.
Il faut savoir pardonner.
Не вы. (Pas toi.)
Pas lui, puisqu'il doit continuer son chemin et t'oublier - puisqu'il doit te haïr jusqu'à vouloir t'arracher à la vie de ses propres mains. Comme la brûlure latente de ton mépris pour ses erreurs, que tu blâmes mais ne sais blâmer pour son meurtre; là où, si tu avais su faire de Димитрий ce qu'il aurait dû être, jamais vous ne vous seriez opposés jusqu'aux armes.

Tu agrippes son doigt, le retire et le repousse, qu'il cesse de se salir. Quelque chose en toi méprise son désespoir. Quelque chose en toi déteste qu'il tente encore, toujours, de rendre les choses plus difficiles pour toi.
Я не хочу, чтобы меня спасли. Мне не нужно, чтобы ты меня спасал. Прощение меня - это лгать себе: жить в иллюзии, чтобы избавить свою повседневную жизнь. Я не смог сделать все, что тебе следовало бы, но я не позволю тебе смять у меня ноги и притвориться, что ты принимаешь свое собственное убийство. (Je ne veux pas être sauvé. Je n'ai pas besoin que tu me sauves. Me pardonner, c'est te mentir: te bercer d'illusions pour sauver ton quotidien. Si j'ai toujours échoué à faire de toi ce que tu aurais dû être, je ne te laisserai pas t'abaisser jusqu'à t'écrouler à mes pieds et prétendre que tu acceptes ton meurtre.)
Tu resserres ta prise sur sa main, avec une colère froide qui revient lentement hanter tes os.
Вам не хватает чести до принятия братоубийства. Я не дам вам осквернить вас своим убийством, если это последнее, что я делаю. (Tu ne manques pas d'honneur au point d'accepter le fratricide. Je t'empêcherai de te souiller de mon meurtre si c'est la dernière chose que je fais.)
Jeu 21 Déc 2017 - 22:00
La vie est une malade mortelle.
(on finit toujours par en mourir)
Image du personnage
En attendant Godot
hiver 2016
Place centrale

Dimitri & Ilya Kovalevski

Et parmi toutes ces effusions dramatiques, ces regrets pathétiques et ces interdits que l'on se fixait sans trop savoir pourquoi, un constante restait invariablement en jeu : cette distance entre eux, que ni le cours des années ni le poids de leurs crimes avait pu effacer. Les centimètres qui les séparaient avaient l'allure de galaxie. Le contact qui aurait dû les rapprocher ne faisait que souligner l'infini qui les rendaient étrangers l'un à l'autre - et il pouvait se refuser, ce contact, simplement en repoussant le doigt que Dimitri avait tendu. Ce rejet ne le dérangeait pas, il s'en sentait plus familier que de tout autre attitude qu'Ilya aurait pu adopter face à lui. Cependant, cela signifiait également que les paroles de Dimitri se perdaient dans l'air avant d'avoir pu toucher le cœur de celui à qui il les adressait. Ilya n'accepterait pas son pardon et ne prêterait attention qu'aux reproches parce qu'il les trouverait probablement justifiés.
Il n'avait pas le droit de lui voler son attitude, son caractère, ses répliques. Tout se passait comme si Ilya avait endossé le Dimitri qu'il avait tué : son fantôme en le hantant l'avait déjà altéré. Le Dimitri toujours vivant voulait éparpiller cette présence encombrante, le chasser du corps de son frère et lui faire retrouver un peu de la fière posture que l'aîné avait toujours adoptée - même si ce garçon qu'il voulait faire disparaître était plus innocent que lui. Ce n'était pas seulement par rapport à son frère qu'il pensait cela : au fond, cela le gênait de se voir dans les yeux de son frère, d'apercevoir son reflet corrompu noyer progressivement la lueur de fierté qui avait survécu à toutes les horreurs que sa rétine avait vues. Dimitri en avait assez de lui-même - malheureusement pour lui, lui-même était également la seule personne dont il ne pouvait pas se séparer.
On ne pouvait cependant nier l'honneur qui poussait Ilya à rejeter toute excuse et tout pardon, et l'espace d'un instant, une lueur d'admiration brilla dans les yeux de Dimitri, qui se rendait compte qu'il était dépourvu de cette force quelque peu excessive qui lui permettait de garder la tête haute malgré la merde qui lui montait au cou. Lui, il était déjà tout en dessous.
Le doigt pris dans la poigne de son frère commençait à lui faire mal. Dimitri hésitait cependant à s'en défaire d'un mouvement violent, retenu par la peur du ridicule si jamais il échouait. Il baissa les yeux vers son doigt, puis vers son frère, et partit d'un éclat de rire forcé et douloureux.

« Sérieux, tu me prends pour qui ?! »

Langage plus relâché. Il ne savait pas s'il se sentait vexé ou amusé par cette image cristalline qu'Ilya avait de lui. La culpabilité modifiait vraiment le regard qu'il portait vers son petit frère. Pourquoi avait-il eu besoin d'aller si loin pour enfin prêter attention à Dimitri ?!

« Mec, au cas où t'aurais oublié la merde que j'ai été depuis ma naissance, comment tu peux croire que je ne suis pas déjà souillé ?! »

Le rire gagna en ampleur, jusqu'à devenir incontrôlable, incontrôlé. Mais la joie l'avait déserté, la moquerie n'y avait pas fait son nid, on ne ressentait que la nervosité qui s'épanchait dans les tressautements de sa poitrine. Ce n'était pas drôle. C'était foutrement dramatique mais Dimitri n'avait plus larmes en réserve pour pleurer...

Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum