REPLONGER EN ENFER
Une fois de plus, le temps s’est arrêté. Je me retrouve à faire du surplace, courant à l’infini une distance maintes fois parcourue. Distance quasi nulle. Distance égale à zéro. Qui s’en moque ? De toute façon, elle ne sera pas prise en compte, le Temps l’effaçant de sa courbe rectiligne s’écoulant en tressautant. Il hoquète, le Temps, et de ses bulles d’air naissent des moments comme celui-là où tout va à vau-l’eau. Instants de grâce où nous, pauvres créatures éphémères, pouvons pour une poignée de battements de cœur frôler l’immortalité.
Ce que j’en pense ? C’est chiant.
C’est chiant car ce coup-ci, il s’est amusé à se contracter, le Temps, ce salaud, ce qui fait qu’il est bien plus tard qu’une seconde après 5 heures du matin, quelque chose aux alentours de 8 heures trente. Et j’ai couru à peine 300 mètres.
Connard.
Je rentre chez moi pour trouver l’appartement que je partage avec Locke étrangement vide. Je vérifie l’horloge murale dans la cuisine : 10 heures. Etrange autant qu’inquiétant, mon colocataire étant célèbre pour rester au lit jusqu’à midi… Mon téléphone vient répondre à la question commençant à se former sans oser se formuler, son strident emplissant mes oreilles de son cri inarticulé. A la place de quoi, concert de sonnerie et de vibrations.
« Ohlà, ohlà ! On se calme… »Je désamorce la petite bombe avant de manquer de m’étrangler en lisant l’annonce « RDV BLMAIL » programmée pour 10 heures. Pire, Locke était déjà parti, sans doute en chemin, ce qui signifiait que j’arriverai bon dernier…Oh…
Fait chier.
Douche, costume enfilé à la va-vite, micro réglé selon les instructions, et je file sur les chapeaux de roues, bolide lancé à toute allure, priant pour trouver un parking une fois sur place.
Le moteur rugit la gueule grande ouverte, crachant son nuage de fumée blanche par les pores de son pot d’échappement. J’arrive au lieu de rendez-vous, un bureau situé dans un duplexe ne payant pas de mine, rien qui puisse lui concéder l’adjectif « louche » en tout cas. Mais quelque chose me chiffonne sans que je puisse mettre le doigt dessus.
Soudain, une silhouette rentre dans mon champ de vision. Trop absorbé par mes observations primitives, je n’avais pas vu Locke – reconnaissable en priorité par ses pantoufles roses inimitables – traverser sans faire attention au danger imminent. Je me dépêche de freiner des quatre fers avant la collision, manquant de peu de l’écraser. Je me dépêche d’enlever mon casque, apostrophant le scientifique :
« Locke, mais c’est pas vrai ! Tu peux pas r’garder avant de traverser ? Ok tu manqueras à personne, mais c’pas une raison de t’suicider ! Sous mon bolide, en plus ! » L’hôpital qui se fout de la charité je pense en mon for intérieur.
Je me gare, pestant encore silencieusement, avant de saluer convenablement mes hommes. Et l’ambassadrice de l’Institut, qui ne doit sa présence qu’à l’aura d’innocence l’entourant, la douceur de ses traits et son statut de « jeune fille fragile à manipuler avec précaution, s’il-vous-plaît-merci » inscrit en gras police 56 sur son front juvénile et son sourire d’ange.
« Bonjour à tous. Et à toutes. Veuillez m’excuser pour cet éclat de voix due à un élément perturbateur (lourd regard vers Locke.)
Avant de commencer l’opération, j’aimerais un rapide topos de la situation. »Ma voix est basse, une tonalité amicale trompeuse pour ne pas attirer l’attention et de la Princesse ne me connaissant pas encore, et d’un éventuel espion placé quelque part. Je me suis suffisamment rapproché du groupe pour que l’on ait l’air d’une bande de potes plutôt que d’un commando s’apprêtant à passer à l’action. Mais l’éclat dur de mes yeux ne trompent pas mon équipe ainsi que Locke, je suppose, habitués à me côtoyer au quotidien. Ce qui va se passer dans les prochaines heures n’est pas de la rigolade, et je préfère serrer les boulons tout de suite. Avec aussi peu d’informations mises à notre service, j’ai conscience que nos chances de survie ne sont pas optimales, même si au-dessus des 70%. C’est pourquoi j’ai encore du mal à accepter pleinement la présence de Sarah Krizman et, plus encore, son encombrant fauteuil. Heureusement, avec son petit gabarit, elle ne doit pas peser bien lourd ; en cas de pépin, je pourrais toujours la transporter dans mes bras.
« On va respecter trois règles, je reprends.
1- On ne se sépare pas
2- Toshizô aura le rôle du leader. On le laisse parler et agir en tant que tel, sauf contrordre.
3- Pas de violence. Pas de balle, pas de coups. Sauf contrordre.
Et règle spéciale : Locke, fini les plaisanteries. »Je sais que je le traite comme un gamin mais j’ai peur qu’il ne fasse tout capoter avec son attitude de pré-ado en camp de vacances. Surtout, j’ai peur qu’il ne se fasse tuer par le chef de brigade et sa lame légendaire, plus rapide que les balles d’après ce qu’on dit. Je ne veux pas vérifier cette théorie. En tout cas, pas maintenant.
CODAGE PAR AMIANTE