Heidi Koskila
Caractère
"Bonjour, Mthrfock3r35201,
Suite à la signalisation et la confirmation de propos injurieux de votre part, l'administration de Chronosrep.net applique la suspension de votre compte pour une durée de 30 jours..."
"Tss ! Fais chier..."
En fait, non, ça ne la faisait pas vraiment chier. En fait, quand on s'est déjà vu supprimé une dizaine de comptes, on trouve juste un autre nom, on en pirate un... A cœur vaillant, rien d'impossible, dit-on. Et quelle bravoure faut-il, pour dépenser la moitié de son temps libre et de sa matière grise pour le seul et médiocre but d'insulter et tourmenter de pauvres innocents !
Pourquoi ?
Certains diront par pauvreté d'esprit, puérilité, besoin d'attention, manque d'éducation, bêtise s'ils sont bienséants, et tous ceux là n'auront pas tout à fait tort. Heidi aimera dire avec une touche de sarcasme que c'est la maigreur de son égo, qui la pousse à rechercher une forme d'amour-propre, dans le rabaissement d'autrui. Et sous couvert de l'humour, elle aurait un peu raison. Ses motifs sont complexes, un subtil mélange entre le plaisir de manipuler et le sentiment de toute-puissance qui s'en retire, l'ennui, le mépris, la culture de la répartie, et tellement d'autres, qui sont autant de justifications qui lui permettent de légitimer ses actions . La meilleure de toute étant : parce qu'on lui répond et que c'est drôle.
"C'est mal, de faire ça !
- Pourquoi ?
- T'es sérieuse ? Parce que...! Ca peut blesser des gens !
- Et pourquoi c'est mal ?
- C'est une blague ?... Parce que c'est immoral !
- Selon qui ? Toi ? Les autres ? Tu sais, ça, ça porte un nom : un diktat. Est-ce que les lions accusent les lionnes d'être "méchantes" avec les antilopes, quand elles les déchiquètent vivantes ? Le bien et le mal n'existent pas dans la nature, c'est un concept social et religieux humain, qui varie en fonction des groupes et des individus, donc si avoir un comportement blessant m'apporte du bonheur, tant que je reste dans les limites de la loi et que j'en assume pleinement les conséquences, ton jugement arbitraire n'a pas valeur ni de leçon, ni de règle, ni de morale, et je n'ai donc aucune raison d'y accorder un quelconque crédit."
Heidi, c'est l'avocat du Diable. Elle pourrait tergiverser des heures durant, à revisiter les fondements du bien et du mal, à démonter des idéaux, à vous contredire et remettre en question vos valeurs les plus chères, et en virtuose de l'argument, elle étayera ses thèses avec tant de conviction, sincère ou non, qu'elle pourrait peut-être bien finir par vous convaincre. Elle le fait parfois par expérimentation, car rien n'est plus distrayant qu'attaquer quelqu'un sur un sujet sensible, et d'observer ses réactions, pour savoir de quoi il se compose.
A la seule lumière de son écran, soufflant posément les volutes de vapeur s'échappant de sa tasse de café tenue d'une main, parcourant les forums de l'autre, c'est certainement un être méprisable. Et pourtant, en tête-à-tête, il est peu probable qu'elle se fatigue à risquer un conflit s'il n'est pas nécessaire. La conversation, si elle se présente, s'en tiendra à une écoute réelle, quelques acquiescements prémâchés mais adéquats, d'éventuelles relances, un intérêt aussi réel qu'il s'évanouira dès la conclusion du dialogue. Elle répondra succinctement aux questions personnelles, détournant habilement et rapidement le sujet à l'autre, avec autant de simplicité qu'il est vrai que l'être humain moyen aime rester le centre d'attention.
Si elle peut devenir la confidente rêvée, accordant une attention particulière à comprendre, c'est qu'elle est fine psychologue et tend à se perfectionner, c'est qu'elle n'aide pas par compassion, mais égocentrisme, sans nullement s'en cacher. Elle en tire de la fierté, autant qu'à vilipender. Une forme de mépris bénéfique, mais du mépris tout de même.
Elle pourrait faire de grandes choses, de ses compétences informatiques, de son éloquence, de ses qualités de manipulatrice minutieuse, de son étrange charisme pesant dans son silence. Heidi est surtout, et avant tout, un monstre de gâchis. Derrière le vieux comptoir de sa boutique, c'est solennelle, qu'elle bidouille plus qu'elle ne répare, une vieille unité centrale déjà mainte et mainte fois rapiécée, pour avoir une raison de se concentrer, ne surtout pas trop s'introspecter, rester occupée. Cette touche de gravité, de sérieux, qu'elle expire à chaque respiration, peut-être subtil, se ressent, d'une manière ou une autre. Ce calme d'apparence imperturbable, n'est-il pas, après tout, la protection parfaite pour une éternelle adolescente révoltée et désenchantée à l'égo fragile ?
Histoire
12 ANS
Tout était calme, d'un silence assourdissant. Le reste du monde vaquait à ses songes, les lueurs de la lune s'insinuaient, insolentes, dans la salle de bain régie par l'obscurité. Depuis combien de temps était-elle accroupie là ? Une seconde, une heure, plusieurs ? Le temps s'était figé, l'espace paraissait disproportionné. Ses yeux écarquillés s'affairaient à graver dans sa mémoire les étincelantes particules qui virevoltaient sous les rayons de lumière bleuâtres. Et pourtant son esprit était absent, et ses pensées éteintes. Pourquoi était-elle venue ici ? Pourquoi ses bras se crispaient tant autour de ses jambes ?
Un aboiement subtil parvint à ses tympans, et sa conscience s'éveilla. Pourquoi son corps se refusait à réagir ? Son estomac était tendu. Cette tension si particulière qui se déclare lorsque l'on retient ses larmes. Mais elle n'avait pas envie de pleurer. Ses organes s'écartelaient encore, et encore, et encore, et semblait ne jamais vouloir se rompre. Le poids sur ses hanches l'écrasait. Pourquoi n'avait-elle rien dit, rien fait ? La main sur sa joue, les lèvres qui pirataient les siennes. N'avait-elle donc pas trouvé cela désagréable ? Ses émotions la trompait-elle ? Au fond d'elle-même... "T'es pas curieuse, toi ?" Il l'avait murmuré, le timbre de sa voix vibrant, la clarté des notes résonnait encore dans sa tête. C'était le moment de dire "non". Les souvenirs bancals se formaient laborieusement. Ses poignets plaqués sur le lit. Il n'avait pas senti sa tête qui s'enfonçait dans le matelas ? La confusion régnait en maître. "Arrêtes ! Tu me fais mal, arrêtes !" La douleur persistait encore. Une main sur sa bouche. C'était son ami, il ne lui avait jamais fait mal. "Chut ! Tu vas réveiller mes parents !" Elle ne voulait plus se rappeler, elle fermait les yeux, plongeait sa tête dans sa poitrine. "Ce sera meilleur après, tu vas voir..." Elle tremblait. "Laisses-moi finir..." Elle avait honte. Il posait sa tête contre son oreille. Elle était fautive. Les cheveux caressaient sa joue, le parfum d'amande de son shampoing envahissait ses narines. Elle ne s'était pas défendue. "Fais pas ta chienne."
Le chapitre se rejouait tout seul, ne laissant aucun répit. Les souvenirs de plus en plus lointains, devenaient flous, irréels, mais les sensations restaient intactes, plus subtiles, plus refoulées. Elle le connaissait depuis toujours. Ils avaient grandis ensemble. Alors que ses jambes la ramenait sur la scène, elle pensait qu'il avait du se rendre compte de quelque chose. Que peut-être, il allait s'excuser. Elle ouvrit la porte avec précaution, tout son corps s'affolait au rythme effréné des battements de son cœur. Il dormait à poings fermés. Le lendemain matin, il lui a dit bonjour, souriant. Rien ne s'était passé.
15 ans
Elle passe une main dans ses longs cheveux bruns en fouillis. Un énorme nœud bloque la bonne progression de la manœuvre. Un jour quand même, il faudrait qu'elle pense à se brosser. Elle pourrait même envisager de se coiffer... Son regard se pose sur l'instrument de torture. La flemme, elle le fera demain. Le grand miroir renvoie son reflet qui ne se décide pas à se stabiliser. Elle remonte sa poitrine qui continue de prendre du volume. La confiner dans un soutien-gorge trop petit ne paraît pas efficace, on dirait une vache laitière. Sur ses hanches, elle empoigne les petits pans de graisses qui sortent de sa culotte. Elle a encore grossit. Bordel, quel monstre ! Quand avait-elle commencé à s'enlaidir à ce point ? Elle enfile un t-shirt noir avec une barre de chargement dessus : "LOADING 99.9%". Un jean déchiré trop petit. Elle monte ses cheveux en chignon, pour cacher la misère...
Qu'est-ce que c'est que ce truc ?!
Elle rapproche son visage du miroir pour mieux apprécier l'énorme bouton qui a poussé sur le bout de son nez dans la nuit. Tellement frustrant.
"HEIDI ! DEPECHES-TOI ! TU VAS ENCORE ETRE EN RETARD !
- C'EST BON ! J'ARRIVES !"
Tss ! Fais chier...
Elle échange un regard avec elle-même. C'est à cet instant qu'elle vu qu'il n'y avait pas que son corps qui avait changé. Il manquait quelque chose dans ses yeux. Quelque chose qui était là avant. Quelque chose qu'elle voyait chez les autres. La clarté autrefois étincelante s'était ternie. Elle ne pouvait pas dire ce qu'elle avait perdu, mais soudain, elle se sentie emplie de regrets, elle constata un trou béant au fond d'elle-même. Elle se crispa, s'abasourdit. Ce n'était que maintenant qu'elle s'en rendait compte : trois ans auparavant, elle était morte.
"HEIDI ! BORDEL, BOUGES-TOI !"
L'adolescente serra les poings et se précipita sur la porte de la salle de bain, prise d'une rage folle.
"PUTAIN JE T'AI DIS QUE J'ARRIVES !"
Le pas furieux, elle dévale les escaliers, pour rejoindre sa mère et son petit frère qui l'attendait dans l'entrée.
"C'est pas la peine de gueuler !
- Qu'est-ce que tu faisais ?! T'étais encore sur ton fichu ordinateur ? Je t'ai dis mille fois de ne pas traîner avant l'école ! Tu sais combien de fois ton frère s'est fais réprimander à cause de TON retard ? Et regardes-toi ! Tu pourrais essayer de ressembler à quelque chose plutôt que de faire je-ne-sais-quoi enfermée dans ta chambre ! Tu pourrais au moins descendre prendre le petit-déjeuner avec nous, tu crois que c'est suffisant de se goinfrer de chips ?"
Heidi enfila rapidement ses chaussures et attrapa son sac, serrant les dents.
"J'ETAIS DANS LA SALLE DE BAIN !
- Bien sûr, ça se voit tout de suite, tiens ! Franchement, qu'est-ce qu'on vas faire de toi ? Tu vas passer ta vie à être en colère contre tout et tout le monde ? Tu n'arriveras jamais à rien comme ça ! Tu m'exaspères ! Tu exaspères tout le monde !"
Toujours la même foutue rengaine. Ses parents ne savaient rien. Personne ne saurait jamais rien.
21 ans
Sa mère avait raison sur un point : s'énerver ne menait à rien. Les années faisant, Heidi avait tiré bien des leçons de ses erreurs d'adolescente. Elle apprenait vite, elle apprenait bien. Pour une raison qui lui était inconnue, bien qu'elle n'était pas un animal très sociable, beaucoup de personnes venait se confier à elle. A croire qu'il y avait "bureau des plaintes" tatoué sur son front. C'était peut-être que personne ne comprenait que le seul intérêt qu'elle portait à leur misérable existence, était de se soulager d'entendre une histoire pire que la sienne. Mais à partir de l'illusion que le vécu douloureux d'autrui amoindri le sien, il semblait qu'écouter et observer lui avait appris plus qu'à relativiser. Elle comprenait. Elle analysait, elle calculait, manipulait. Et elle était douée. Sa vie n'en était que plus lassante, le monde devenait, petit à petit, de plus en plus prévisible, plus malléable, et pourtant qu'elle agisse en bien ou en mal, qu'elle marque les esprits ou non, ses quelques interventions dans la vie des autres semblaient inlassablement s'avérer négligeables.
Plus grand chose ne comptait. Tout ce qui la révoltait, dorénavant l'exaspérait. Alors, elle commença à prendre les choses comme elles viennent. Ne plus y réfléchir, ne plus se battre contre elle-même, juste accepter, aller de l'avant, errer comme un fantôme. Elle ne se rendait pas compte encore que tout ce qu'elle faisait, n'avait qu'un seul but : ne pas devoir regarder la vérité en face, qu'elle avait peur. La fuite en avant, tous les moyens étaient justifiables : de la cigarette aux drogues douces ou dures, du sarcasme à la cruauté. Chacun de ses gestes, discours et pensées servaient ce but.
24 ans
Depuis un an, peu après l'obtention de son diplôme en informatique, elle avait ouvert son humble boutique : CompuRepair. Maintenance informatique pour les ordinateurs, téléphones, tablettes, montage, tuning, ventes de pièces et logiciels, conseils et même dépannage à domicile le mardi et le vendredi. Un nom peu original, mais qui avait l'avantage d'être explicite. Elle avait eu la chance de pouvoir emprunter de l'argent aux Altermondialistes, grâce à l'appui de ses parents, membres impliqués de la diaspora, à un taux acceptable. C'est ainsi qu'Heidi pu se mettre si rapidement à son compte, et s'installer au Spencer's. Elle habitait un petit appartement au-dessus de son lieu de travail. Ses revenus était modestes, mais bien suffisant pour avoir une vie confortable et amortir son prêt correctement. La vie était monotone, mais agréable, sans surprises, surtout sans problèmes.
Pourtant, il y avait ce jeune homme. Son charmant sourire revenait plusieurs fois par semaines, depuis un mois. D'abord c'était l'hologramme de son téléphone qui fonctionnait mal. Puis, son ordinateur avait besoin d'un nettoyage. Puis il venait se renseigner sur les meilleurs composants, les derniers logiciels , ou achetait un petit porte-clés lumineux. Souvent il venait demander une information sur un produit qu'il choisissait ponctuellement dans l'étalage de la boutique, faisait un commentaire sur la météo, puis racontait une ou deux situations cocasses, avec toujours le même regard enjôleur. Et Heidi rigolait comme une bécasse. Un jour, le besoin d'éclaircir la situation se fit sentir.
" Vous me voulez quelque chose, ou c'est juste pour profiter de mon excellent système de climatisation ?
- A vrai dire, je peux vous inviter à boire un verre ? Je connais quelques endroits où la clim est bien meilleure."
Peut-être que c'était ça, qui manquait à sa vie, car rarement elle avait été aussi impatiente, exaltée, et paniquée en même temps. Devant son miroir, avant le rendez-vous, elle passa un temps mémorable à dénouer ses cheveux, pour les laisser onduler légèrement sur ses épaules. Au bout du dixième essai, l'eyeliner acheté en trombe la veille, semblait enfin à peu près symétrique. C'est fou ce que ça pouvait coûter cher, ces machins-là. Le rouge appliqué, elle enfila la seule robe de son armoire, qu'elle avait achetée quelques années plus tôt pour le mariage d'un ami de son père. Un peu vintage, blanche à fleurs rouges. Elle lui allait mieux qu'avant.
Après avoir dépoussiéré les jolies sandales à talons assorties, vidé son sac de tous les tickets de caisses, papiers de bonbons, paquets de cigarettes vides, puis retrouvé au passage un petit pochon d'herbe qu'elle avait perdu deux mois auparavant, Heidi était fin prête. Et en retard.
Le rendez-vous fut charmant, le bonhomme aussi. Oh, elle n'était pas très à l'aise, mais après tout, c'était la première fois qu'elle ne s'enfuyait pas au premier signe d'intérêt. Deux verres plus tard, sur un banc du grand parc de Sundlaw, le crépuscule estival teintait le ciel de cette touche de cliché romantique, qui enhardit les âmes. La conversation laissa un instant place à des regards qui se perdirent l'un dans l'autre. Les cœurs battants se rapprochèrent, inspirés d'une volonté secrète. La main sur sa joue, les lèvres qui pirataient les siennes.
Une autre panique s'empara de son corps, une impulsion, un instinct de survie. De ses deux mains elle repoussa son prétendant avec une violence surprenante, et se leva d'un coup sec.
"DEGAGES !"
Elle voyait dans ses yeux la surprise, la confusion. Il voyait dans les siens la terreur, la démence.
"Excuses-moi, j'ai cru que...
- Tu t'es trompé ! Laisses-moi tranquille ! Je... Je suis pas intéressée !"
Elle tourna les talons et couru jusqu'à perdre haleine. Lorsqu'elle passa la porte de son appartement, elle se rua sur le petit pochon qui l'attendait sagement sur sa table, et alluma son ordinateur. Elle perdit une chaussure et trébucha, enleva l'autre pour la jeter violemment dans la cuisine. Dans l'excès, elle coupa ses cheveux qui l'insupportaient à tomber devant ses yeux. Elle ne comprenait toujours pas, que fuir ne sera jamais une solution. Elle ne revit jamais le jeune homme. Il en allait très bien ainsi.
Vous pouvez m'appelez "Hey, toi !", s'il le faut, sinon c'est mon premier compte, et un retour au Rp suite à une loooooooongue pause de... un certain nombre d'années. tout éventuel compliment, même hypocrite, vous gratifiera de toute ma reconnaissance. Merci.