Lun 12 Sep 2016 - 21:28
« Très bien, mais rapproches toi alors. Tu souffres du froid toi aussi, si on était plus intelligentes on serait déjà rentrées, mais... »
Lena afficha un sourire comme seule réponse, comprenant parfaitement ce que voulait dire Nettie.
Pourquoi restaient-elles au froid alors que la chaleur les attendait à quelques pas de là. Elles auraient pu cette baie vitrée dans le sens inverse et rejoindre le couloir lumineux et chauffé à souhait. Mais non, elles restaient là, l’une à peine appuyé contre l’autre.
Un silence les entourait, comme les isolants dans une bulle. Ce n’était pas un silence de gêne, plutôt le genre de silence que l’on appréciait, qui nous permettait de nous délecter des détails importants, ou non d’ailleurs. La faible chaleur provenant de Nettie qui frôlait légèrement la Russe, la respiration de l’Irlandaise qui glissait à ses oreilles, le froid pinçant que la brise invitait sur le balcon par moment et qui les faisait toutes deux frissonner.
Lena observait droit devant elle, mais sa concentration se portait sur ces petits détails.
Lorsque Nettie ramena ses jambes contre elle, Lena l’imita et s’appuya alors un peu plus contre sa voisine sans vraiment s’en rendre compte.« Dis, tu n'as pas répondu à ma question... Celle sur le futur... As tu déjà vu les étoiles ? Y-a-t'il seulement encore des étoiles ou sont elles, comme ici, gommées par de trop grandes villes à la lumière abrutissante ? »
Une légère crispation la parcouru, ses mains se refermant sur elles même, ses bras rapprochant encore plus ses jambes contre son buste.
Avant même d’avoir eut le temps de réagir, Nettie enchaîna sur d’autres questions.« J'aimerais sortir d'ici et voir derrière les immeubles, ou bien au-dessus d'eux. J'aimerais retrouver la nature... C'est étrange, j'ai toujours cru que plus l'on se rapprochait du soleil, plus l'on avait chaud. Je ne pensais pas qu'il faisait plus froid en hauteur... Et as tu déjà vu la mer ? Parce que moi non. Je me demande s'il y a la mer à Pallatine. Je me demande si... Si Pallatine a des endroits dans lesquels... Je me sentirais un peu chez moi. »
Lena regardait toujours devant elle, mais elle remarqua le mouvement de tête de la jeune femme qui venait de poser son regard sur elle.« ... Pardon, je ne sais pas pourquoi je raconte tout ça. Le froid ne me réussit pas. »
Cette fois, elle n’avait pas le coeur à esquiver de nouveau les nombreuses interrogations de la demoiselle.
Mais même résolu à répondre, les mots ne semblaient pas vouloir s’échapper de son gosier. Un “je” quasi-muet se fît entendre, aussitôt suivit d’un léger éclaircissement de voix. Le froid n’aidait pas, mais c’était avant tout de devoir se souvenir de son époque qui retenait les paroles de Lena. Elle poursuivait finalement, la voix un peu nouée malgré tout.« Les étoiles oui, en Russie, je m’en souviens. On allait parfois camper avec ma famille l’été. Mais à Moscou, c’était comme ici, trop de lumière pour les voir. »
Elle passait sa main sur sa nuque, relevant un peu la tête.Elle semblait à peine gênée d’aborder ce sujet et pourtant, c’était une chose éprouvante pour elle. Les souvenirs de New York était déjà difficiles, mais ceux de Russie étaient une torture.« En Amérique non plus on ne voyait pas les étoiles, je crois. »Elle hésita avant de poursuivre, réfléchissant à ce qu’elle venait de dire.« Non, je ne me souviens pas en avoir vu. En même temps, j’avais plus vital à faire là-bas. Et puis, il y avait l’autre ville. »
Elle pointa son index vers l’immeuble face à elles.« Imagine cet immeuble et les autres, imagine tout Pallatine avec, au sommet de chacun des plus grands bâtiments, une ville entière qui s’y repose de tout son poids. D’autres immeubles, tout aussi grands, qui y sont construit, juste là, par-dessus, encore plus proche du ciel. Encore plus grand et plus lumineux que la ville juste sous leurs pieds. »
Lena se tourna vers Nettie un instant, observant sa réaction puis enchaina avec le reste des réponses, comme voulant se débarrasser de cette corvée et en finir rapidement.« Et la mer, je l’ai vu, même traversé d’ailleurs. Pour aller en Amérique, ils nous ont fait passer par le Détroit de Béring, tout au Nord-Ouest de la Russie. »
Elle se rappela l’époque d’où Nettie avait dit venir et, ne sachant pas si elle pouvait connaître ou non ce détroit, s’engagea dans une rapide explication. Elle posa sa main sur son propre genou et approcha le bout de ses doigts à quelques millimètres du genou de Nettie. Sa main tremblait, comme le reste de son corps à vrai dire. Le froid la parcourait maintenant entièrement, mais elle poursuivait malgré tout.« Tu vois, c’est comme-ci ma main, c’était la fin du territoire russe et ton genou, le début du territoire américain. Il n’y a que peu de chemin à parcourir pour passer de l’un à l’autre. C’était ça, le détroit de Béring. Juste un peu d’eau à traverser. »
La Russe releva alors son regard vers celui de sa voisine, juste quelques secondes, puis retira sa main contre elle.« Pour Pallatine, je t’ai dit que je ne sors pas beaucoup maintenant, mais à mon arrivée j’ai fait le tour de l’île pendant quelque temps. »
Durant les premières semaines, en effet, Lena avait été indépendante, ne voulant pas se faire à l’idée qu’elle était prise au piège de ce nouveau monde. Puis, lorsque la première crise post-transfert eut lieu, la même raison qui l’avait poussé à se joindre aux Sharks la poussa à se rapprocher des gangsters. Elle ne leur avait presque rien raconté sur elle et avait simplement proposé son aide pour le casino. Depuis son arrivé ici, Lena gardait alors en tête son refus quasi-total de quitter ce casino, ne franchissant les portes que lorsqu’elle ne pouvait faire autrement.
Elle posa finalement son menton sur ses genoux, gardant les bras autour de ceux-ci.« Oui, c’est une île, donc des plages, ça ne manque pas. Tu auras l’occasion d’y faire un tour un jour, j’imagine.»
Un long soupir de soulagement lui échappa une fois les réponses terminées, soulagé d’avoir réussi cet exploit.