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Défi #1 - Révélations [Ysraël]

Mer 7 Sep 2016 - 18:25
Tout avait commencé autour d'un café. Elle avait attiré son attention par son accent américain lui rappelant ce voyage commis, oh il y a des siècles, au sein du Nouveau Monde. Il avait perçu des vieux mots de cette époque, des formulations que, ici à Pallatine, nombre d'habitants qualifiaient de vieillots. À ses oreilles ils avaient le charme du passé, du souvenir. Tobias s'était levé, avait proposé à la femme de payer sa consommation – sans songer même qu'il était en train de la séduire selon des codes mille fois éculés, mais toujours d'actualité.

Ysrael lui ouvrit les portes d'un nouvel univers. Du verbiage américain des années 20, du charme du jazz. Tobias avait même émis le souhait de se rendre à la Nouvelle-Orléans, la terre natale de cette musique, avant de se rappeler qu'ils ne pouvaient pas, que Pallatine les retenait prisonniers.

Sept mois s'étaient écoulés au rythme endiablé instauré par Ysrael. Sept mois où, chaque jour, il avait fait la route jusqu'au quartier où vivait la femme pour l'accueillir au pied de son immeuble, marcher à ses côtés dans les rues de la ville, l'aimer dans ses draps. Apprenant à la connaître du bout des doigts, du bout des lèvres.

Aujourd'hui il lui avait donné rendez-vous et l'attendait, dans un café situé à quelques pas de son immeuble. Le doute l'assaillait depuis qu'il avait reçu une lettre, anonyme, intrigante. À laquelle il ne voulait donner aucun crédit. Parce que si l'inconnu disait vrai, alors Ysrael serait la seconde personne à l'avoir trahi. Et il ne savait pas encore s'il s'en remettrait ou si la rage le consumerait.

Tobias se leva lorsque Ysrael poussa la porte du café, le carillon tintant dans un éclat d'argent.

« Bonjour. » souffla-t-il après avoir embrassé ses lèvres. « Ta journée de travail n'a pas été trop fastidieuse, j'espère ? »

Lui tirant sa chaise, il attendit qu'elle se soit assise pour se poser sur sa chaise, à son tour. Il aurait pu attendre, patienter, commencer par des banalités communes. Néanmoins l'Autrichien n'était pas homme à tourner autour du pot. Il posa la lettre, pliée sur la table, la faisant glisser jusqu'à Ysrael.

« J'ai reçu ça il y a quelque jours. Une lettre anonyme. Qui m'assure que tu fais partie des Gangsters. » Ils n'avaient jamais abordé leur appartenance à une diaspora, comme si c'était là un sujet tabou. « Ysrael. Tu sais que je suis homme à abhorrer le mensonge. Alors dis-moi. C'est faux. N'est-ce pas ? »

Ses yeux imploraient un oui.
Jeu 8 Sep 2016 - 3:04
Tobias | Ysrael
Défi#1 - Révélations

I take a look at my life and realize there's nothin' left
'Cause I've been blasting and laughing so long,
That even my mama thinks that my mind is gone

Le quartier de Kingslaugh s'animait d'une agitation propre aux fins d'après-midi estivales. Les rues de Pallatine respiraient l'arrivée de l'automne. Il semblait parfois à Ysrael qu'elle connaissait tous les immeubles et établissements qui entouraient son appartement. Elle aperçut de loin la lumière familière qui rayonnait au travers des larges vitres du café dans lequel elle avait rendez-vous. Il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour reconnaître la chevelure blonde de son compagnon lorsqu'elle fut assez proche pour discerner les silhouettes des clients.

Sept mois déjà qu'ils se connaissaient. Sept mois qu'ils avaient appris à s'apprivoiser. Ysrael ne savait trop ce qui lui plaisait chez cet homme. Ou plutôt, elle n'aurait su dire ce qui lui plaisait le plus. La finesse de ses traits, la douceur de son sourire. Le monde auquel il appartenait. Le petit accent qu'il avait lorsqu'il s'exprimait en anglais ; ou au contraire, les intonations irrésistibles qu'il prenait et qui la faisaient tant rire quand elle lui demandait de parler allemand. Les petites taches colorées qu'il avait constamment sur les mains, la ride de concentration qui barrait son front quand il peignait.
Elle n'était pas amoureuse. Ou si elle l'était, elle refusait de -se- l'admettre, par peur de perdre ce cadeau. Mais Ysrael était quelque chose. Mue par l'envie de construire un morceau de vie avec cet homme. De partager quelques précieux mois, quelques belles années avec Tobias.

Un tintement de clochette discret accompagna l'entrée de la brune dans le café. Son visage s'illumina lorsqu'elle vit l'Autrichien se lever pour l'accueillir. Elle déposa un baiser sur ses lèvres. La saveur mélancolique d'une époque perdue, révolue, lui parvint. Quelque chose semblait tracasser Tobias.

« Oh une journée banale. Nous autres comptables avons rarement une vie bien intéressante au bureau. Répondit-elle en s'asseyant. »

Ses orbes émeraudes suivirent le blond lorsqu'il prit place. Le crissement insupportable d'un papier sur la table la fit grimacer. Ysrael saisit du bout des doigts la lettre pliée que Tobias lui tendait. Elle en parcourut le contenu une fois, deux fois. Son visage devint froid. Son sang se glaça comme les terres de l'Antarctique. La voix du trentenaire lui semblait lointaine, comme effacée.

« Alors dis-moi. C'est faux. N'est-ce pas ? »

L'Américaine releva les yeux vers son partenaire. Le regard qu'il lui lança la crucifia sur place. Elle ne lui avait jamais menti, et ne comptait pas commencer aujourd'hui. Mais ils n'avaient jamais parlé du groupe auquel ils pouvaient bien appartenir. C'était si futile, si secondaire dans une relation. Pourquoi donc placer cela sur le tapis à présent ? Qui avait eu l'horrible idée de semer la discorde dans leur couple en dévoilant cette information ?

« Ta vision de moi changerait si c'était la vérité ? »

Elle se tut. Évidemment qu'elle changerait. Tobias ne connaissait pas son passé, il n'avait jamais pris le temps de le scruter à la loupe. Tout ce qu'il savait était qu'elle avait été l'experte-comptable d'un grand groupe de Chicago. Ce qui n'était pas si éloigné de la vérité si on omettait la partie concernant la mafia. Et à Pallatine, elle était juste cette belle Américaine, employée d'un cabinet comptable, amoureuse de jazz, qu'il avait rencontré dans un café comme celui dans lequel ils se trouvaient à présent. Jamais le jeune homme ne pourrait supporter l'idée de partager sa vie, son lit, avec une femme à l'âme corrompue par tant de crimes.

La brune replia doucement le papier et le laissa tomber sur la table. Une serveuse arrivant à point nommé lui permit de grappiller quelques précieuses secondes avant d'avoir à révéler ses activités au sein du gang de Capone. Ysrael se commanda un cappuccino et choisit pour Tobias sa boisson favorite. La demoiselle repartie, la gangster dû confronter les orbes métalliques de son interlocuteur.

« Je ne voulais pas t'en parler. Pas tout de suite.»

Elle déglutit le cœur au bord des lèvres. Ysrael eut un petit sourire rassérénant.

« Ça ne change rien à la personne que je suis, tu sais. »

Elle se sentait jugée. Automatiquement. Cette sensation écœurante l'insupporta.  

Ven 9 Sep 2016 - 0:40
L'Antarctique charria ses glaçons dans le cœur de Tobias, les empilant consciencieusement pour mieux lui faire prendre conscience de la chute que son esprit opérait. Le Destin adorait, décidément, lui jouer des tours pendables. Il avait voulu ne pas croire en la trahison d'un ami, s'y était accroché jusqu'au bord de rupture, se laissant entraîner dans un tunnel sans fond – pauvre gars se lançant dans la traversée de la Manche, à la nage, sans même un flotteur pour l'aider. Il avait voulu ne pas croire en cette lettre, en cette écriture tapée à l'ordinateur, informelle et froide jusqu'au dernier caractère.

Tobias croyait en l'humain, en sa bonté, se raccrochait au mot espoir comme d'autres s'accrochaient à des objets matériels, à des souvenirs.

Et le Destin, à chaque espoir, coupait un fil et le laissait gesticuler en un pantin désarticulé.

Mains posées sur ses genoux, l'Autrichien n'osait pas lever la tête. Les paroles de Ysrael plantaient autant d'aiguilles dans son corps, l'empêchant de bouger. Il pouvait sentir le regard de la femme sur sa nuque. Elle pouvait déceler, sans aucun problème, la rougeur qui marquetait son épiderme. La honte le paralysait car il ne pouvait pas nier la justesse des propos de Ysrael.

Qu'elle soit gangster, opportuniste, membre de l'Institut ou d'une autre diaspora, qu'est-ce que cela changeait ?

Tout, dans une cité comme Pallatine.

Tobias releva la tête, faisant face au déluge qui allait se précipiter sur lui. Il avait amorcé la bombe, approché l'allumette incandescente de la mèche. Il se devait d'assumer ses gestes jusqu'au bout – comme un adulte.

« Et si je te disais que j'étais un Indépendant ? Est-ce que cela changerait quelque chose pour toi ? Même si tu ne l'avoueras pas au début, ça changera ta perception sur moi. C'est comme découvrir que, au sein d'un couple, d'une famille, on ne vote pas pour le même parti politique. Que nos opinions s'opposent, se contredisent. Alors une faille se creuse dans la confiance instaurée. »

Entre les mains de Tobias le café se refroidissait, à l'image de son cœur. Du plomb se formait dans son corps, pesant dans son estomac juste au niveau du nombril.

« Si nos diasporas se confrontent, saura-t-on choisir entre nous et nos groupes ? Est-ce que tu serais capable d'abandonner les gangsters pour te retrouver dans le groupe que toute la ville méprise ? »

La voix de Tobias s'était élevée. L'homme ne contrôlait plus son débit. Ça avait été comme ouvrir un robinet, ou briser un barrage. Le filet d'eau devenait rivière, puis torrent.

« Est-ce que tu participes à leurs actions ? As-tu... » Tobias s'humecta la gorge, sachant très bien qu'il approfondissait la faille. « … commis des méfaits à leur demande ? »

Lui revint, telle une photographie instantanée, l'image des tableaux déchirés à coups de couteaux, le rouge à lèvres sur la toile, Tom gisant au sol suite aux coups donnés par le groupuscule des gangsters. Et leurs visages grimaçants, déformés par la haine.
Dim 11 Sep 2016 - 18:27
Tobias | Ysrael
Défi#1 - Révélations

Ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait face à cette situation pour le moins délicate. On avait à de nombreuses reprises tenté de lui fracasser le crâne par le passé pour y faire entrer l'idée que la vie qu'elle menait n'avait rien de bon. Être un gangster, lorsque l'on était un homme, créait chez l'interlocuteur un sentiment mélange d'intérêt et d'effroi. Lorsque l'on était une femme, en revanche …
Ysrael savait pertinemment où cette discussion les mènerait. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait tu ses activités dans le monde de la pègre jusqu'à ce jour. Tobias était un homme bon. Foncièrement bon. Et c'était ce qui l'avait attiré, en premier lieu. La douceur infinie qu'il dégageait, la sensibilité artistique dont il était une source inaltérable. C'était  reposant, apaisant même. L'Autrichien n'avait rien des hommes qu'elle avait fréquenté jusqu'alors. Ces derniers avaient pour la plupart un ego surdimensionné ; le monde comme le soleil tournaient autour de leur nombril. Le blond était différent. Simplement différent.

« Et si je te disais que j'étais un Indépendant ? Est-ce que cela changerait quelque chose pour toi ? Même si tu ne l'avoueras pas au début, ça changera ta perception sur moi. C'est comme découvrir que, au sein d'un couple, d'une famille, on ne vote pas pour le même parti politique. Que nos opinions s'opposent, se contredisent. Alors une faille se creuse dans la confiance instaurée. 
Que tu sois un Indépendant m'importe peu. Tu pourrais bien appartenir aux Iwasaki-Rengô que je n'en aurai rien toujours rien à faire. Notre diaspora ne définit pas qui nous sommes, bien au contraire. Elle n'est qu'une infime partie de notre identité, probablement la moins essentielle. »

Elle fixa son attention sur Tobias. Y croyait-elle réellement ? Dix ans qu'elle vivait du crime organisé. Dix ans qu'elle était une gangster. Elle ne savait même plus à quoi ressemblait la vie hors de ce système. Elle n'avait plus envie de le savoir.

Pourquoi fallait-il toujours que les gens placent les diasporas au-dessus de tout ? Au-dessus de l'être humain. Au-dessus d'eux-même …

« Si nos diasporas se confrontent, saura-t-on choisir entre nous et nos groupes ? Est-ce que tu serais capable d'abandonner les gangsters pour te retrouver dans le groupe que toute la ville méprise ? »
 

Le cœur d'Ysrael se serrait à mesure que Tobias parlait, crachait le flot d'émotions qui le traversaient. Son pauvre palpitant se retrouvait serré dans un étau, écrasé entre les pinces d'un crabe titanesque. Il lui sembla que toute la chaleur dont son corps était empli s'évapora lorsque son compagnon haussa la voix. Un regard alentours lui permit de constater que certaines têtes s'étaient tournées vers eux, prises d'une irrépressible curiosité malsaine. Elle détestait les témoins gênants -déformation professionnelle. Sa gorge se serra d'autant plus. Mais elle ne laissa rien paraître. Tout dans son attitude témoignait de l'immense force qu'elle employait à paraître rassurante. De son regard compréhensif à l'esquisse de sourire doux qui pointait sur ses lèvres. La jeune femme saisit du bout des doigts le cappuccino qu'on lui avait apporté quelques secondes plus tôt. La chaleur qui irradiait la tasse réchauffa légèrement les mains devenues glacées de la demoiselle. Oh, comme elle aurait voulu partir. Fuir une nouvelle fois. S'en aller pour ne pas avoir à affronter la finalité de cet échange.

« Il faut savoir faire des sacrifices, dans une relation. Je … Je n'avais jamais réfléchi à cela. Je ne sais pas si je pourrais abandonner ma diaspora. Peut-être … si c'était la bonne personne. Si j'étais sûre de ne pas regretter mon choix. Elle fronça les sourcils. Mais ce n'est pas une question que nous avons à aborder maintenant. Personne ne nous demande choisir. »

Elle baissa les yeux sur son breuvage, en prit une gorgée pour se redonner du courage.

« Est-ce que tu participes à leurs actions ? As-tu ... commis des méfaits à leur demande ? »

Le temps ralentit.
Sa mâchoire se crispa.

Un vertige la prit lorsqu'il lui posa la question fatidique. Ysrael braqua immédiatement ses orbes verts dans les yeux de son amant, suppliants. La foudre venait littéralement de s'abattre sur elle, comme la sanction tant attendue d'un dieu en colère. Un poids gigantesque chut sur ses épaules. La déception prit place sur son visage habituellement souriant et ouvert. Elle prit une lourde inspiration et attrapa la main de Tobias pour la serrer entre ses doigts.

Lorsque les soldats revinrent d'Europe, après la guerre, on leur demanda maintes fois combien d'Allemands ils avaient tué. Tous avaient toujours gardé le silence. C'était plus facile pour tout le monde.

« Est-ce que la vérité t'aidera à mieux dormir ? Elle baissa la voix. Je n'ai simplement pas envie que tu me considères autrement. Si je te dis oui, tu me prendras pour un monstre. Si je te dis non, tu ne cesseras de te demander combien de jours avant que je ne franchisse ce pas. »

Une vérité prononcée à demi-mots. Il était déjà trop tard de toute façon. Aurait-il préféré qu'elle lui dise de but en blanc qu'elle avait menti, détourné, ruiné, tué, fait tué, manqué d'être tuée ? Ysrael se sentit seule ; comme un flotteur malmené par une mer déchaînée, un bateau sans amarre pour le maintenir à quai.

« Je tiens à toi. C'est la seule chose qui compte. Ne me dis pas qu'il en est autrement pour toi. Je t'en prie. Ne me dis pas qu'une simple lettre peut réduire à néant tout ce que tu ressens pour moi. »


Mar 13 Sep 2016 - 22:35

« Je ne sais pas... » laissa échapper Tobias, ne trouvant pas les mots, incapable de prononcer un discours cohérent face au flot de paroles de Ysrael. Il ne savait plus quoi penser de cette femme. Il avait l'impression qu'un masque s'effritait, qu'une main invisible venait de braquer une loupe sur l'Américaine, grossissant ses défauts, éclipsant ses qualités. Une simple lettre pouvait-elle changer une relation à ce point ? Tobias n'avait jamais compris ces couples qui, du jour au lendemain, brisaient des mois, voire des années de relation. Allait-il suivre cette voie lui aussi ?

Il avait déjà perdu un ami. Était-il condamné à perdre une amante ? Une voix chuchota, au sein de son esprit, une réponse affirmative qui le glaça. L'homme repoussa la tasse, encore à demi pleine. L'amertume du café ne saurait chasser l'aigreur qui lui nouait l'estomac. Ses entrailles se tordaient, serpents frétillants qui s'amusaient à former des nœuds en son corps. L'image lui vint de crabes le cisaillant de l'intérieur, mettant à vif ses organes.

Son front reposa entre ses mains alors qu'il cherchait quelles paroles prononcer, quel geste exécuter. Son esprit était blanc, aussi blanc qu'un tapis de neige tout juste formé.

« Même moi je ne saurais pas choisir si on me demandait. »

Les Indépendants lui offraient cette liberté qu'il n'avait cessé de rechercher toute sa vie. Alors que les Gangsters, à ses yeux, n'était qu'un ramassis de rustres, un groupe rongé par la corruption, répandant en Pallatine les germes d'une future déchéance. Ce qui n'aidait guère l'Autrichien à concevoir que Ysrael puisse en faire partie. Tobias n'aimait plus les mystères depuis la trahison de Wilhelm. Le mystère était l'apanage de l'Art. Chez les humains il dissimulait, toujours, de noirs aspects dont l'ignorance nous en préservait.

« Tu sais, Ysrael. J'aurais préféré savoir que tu officiais en tant que call-girl ou même prostituée, plutôt que d'apprendre que tu étais une gangster. Et cela de la part d'une tierce personne. »

Oui, c'était cela le plus blessant. Qu'elle ne lui ait jamais rien dit, qu'elle cacha cette part d'elle.

« Combien d'autres mystères t'entourent ? À quoi dois-je m'attendre ? Car tu vois, moi, je n'ai pas peur de dire qui je suis. Tu peux même me demander de le clamer haut et fort, ici, je le ferais ! »

Tobias s'était levé. Son geste finit d'attirer les regards des derniers clients qui n'avaient pas encore observé le spectacle. Qu'ils se régalent tous de son malheur. L'Autrichien s'en moquait. Son univers, son regard, tout son être était focalisé sur l'Américaine. Sur son visage, ses expressions, ses réactions. Il savait qu'il menait là une action audacieuse, aussi audacieuse que de jongler avec les pieds en tenant en équilibre sur un trépied.

« Je refuse de vivre le mensonge. On m'a déjà trahi une fois ainsi. Je n'accepterais pas une seconde fois. »
Jeu 15 Sep 2016 - 4:44
Tobias | Ysrael
Défi#1 - Révélations

Elle retint son souffle, craignant la réponse qu'elle connaissait déjà. C'était terminé. Ça s'était terminé à l'instant même où le regard si doux de Tobias avait heurté cette lettre écœurante, lâche. Ysrael se sentit mal. Il lui sembla que l'air devint lourd, écrasant. Qu'il comprimait ses poumons, la prenait à la gorge pour l'empêcher d'inspirer. D'expirer. Son cœur frappait sa poitrine comme un batteur lancé dans un solo endiablé. Chaque palpitation faisait vibrer ses côtes, douloureuse. C'était bien sa veine. Elle avait pris tant d'années à consolider à grands renforts de mastic et de silicone son palpitant. Elle l'avait cru brisé à jamais lorsqu'on lui avait annoncé dans une ruelle glacée que l'homme qu'elle avait si longtemps aimé avait été tué. Elle avait cru pouvoir en refaire quelque chose lorsqu'elle avait rencontré l'Autrichien. Elle avait cru … Quelle imbécile elle faisait à présent.

Ridicule. Elle était ridicule. Comme un vingt-neuf février perdu dans une année non-bissextile. Dieu qu'elle se sentait stupide d'avoir songé un seul instant qu'elle pourrait un jour construire quelque chose avec un homme normal. Un homme qui ignorait tout de la pègre et des gangsters.

« Tu sais, Ysrael. J'aurais préféré savoir que tu officiais en tant que call-girl ou même prostituée, plutôt que d'apprendre que tu étais une gangster. Et cela de la part d'une tierce personne.
Je t'assure que je t'en aurais parlé. Mais tu te doutes bien que ce n'est pas un sujet facile à aborder. J'avais peur de ce que tu en penserais. Et ta réaction ne fait que confirmer les craintes que j'ai eues. Je ... »

Sa voix s'étrangla entre ses lèvres. Elle déglutit. Ses orbes verts fuirent l'éclat magnétique des yeux du blond. Elle ne voulait pas y lire tout le ressentiment qu'il avait à son encontre. Elle n'en avait pas la force. Cela ne ferait que l'abattre davantage. Ysrael se tenait en équilibre précaire. Funambule sur le point de chuter. Elle se tenait sur un trépied bancal qui s'effondrerait à la seconde où elle se heurterait aux prunelles de son amant.
Son amant. Pouvait-elle encore l'appeler ainsi …

« Combien d'autres mystères t'entourent ? À quoi dois-je m'entendre ? Car tu vois, moi, je n'ai pas peur de dire qui je suis. Tu peux même me demander de le clamer haut et fort, ici, je le ferais ! »

Le jeune homme se leva, emporté par son excès. Tous les regards convergèrent aussitôt vers le couple en difficulté. L'Américaine se fit minuscule sur son siège. Elle qui était habituellement d'une nature discrète, du moins d'apparence, se retrouvait à présent au centre de l'attention. Comme elle détestait être sous les feux des projecteurs, surtout à un moment pareil. Il eut fallu que Tobias choisisse un café pour accueillir leur scène de rupture. Ysrael darda des yeux désemparés sur le visage de son compagnon. Elle y lut tout ce qu'il aurait voulu entendre, et tout ce qu'il aurait voulu oublier. Le dédain, la colère, la tristesse, la déception. Tant de sentiments qui blessèrent la brune au plus profond d'elle-même. Il parlait de mensonge, de trahison. Jamais. Jamais elle n'avait fait cela. Jamais elle n'avait souhaité lui faire de tort.

Sa vision s'embua d'une rivière de larmes, sa gorge se noua. Bon Dieu, pouvait-on faire plus cliché que cela. La jeune femme attrapa son sac à main, l'ouvrit rageusement et en tira de quoi régler la note. Elle se leva aussi brusquement que Tobias s'était levé quelques secondes plus tôt. Attrapant le trentenaire par le poignet, elle le força à le suivre alors qu'elle se dirigeait vers la sortie, la mine basse, ne supportant plus la curiosité oppressante des clients du café. L'air qui se rafraîchissait au dehors lui fit un bien fou. Ysrael lâcha le bras de l'Indépendant. Du revers de la main, elle fit disparaître les larmes qui menaçaient de rouler sur ses joues blanches. Elle se tourna vers Tobias.

« Il n'y a aucune honte à être un Indépendant. Et je n'ai pas honte d'être une Gangster. Cries-le sur les toits. Je le crierai avec toi. Tu veux la vérité ? Elle leva ses paumes vers le ciel, haussa les épaules. J'ai fait cela toute ma vie. Lorsque je regarde derrière moi, tout ce que je vois, ce sont les années que j'ai pu passer dans le crime organisé. À fricoter avec ce monde. À construire ce monde, même. Et oui. Oui, j'ai commis des actes réprimandables. Est-ce que cela fait de moi un monstre ? »

Assurément.

« Non. Elle se passa nerveusement la main sur le front. J'ai fait beaucoup de choses dont je devrais avoir honte. Mais te trahir ? Te mentir ? Elle siffla entre ses dents. Jamais. Et voilà bien une chose dont je n'aurai pas honte. »

Un quidam passant à leur hauteur leur accorda des œillades interloquées. Ysrael lui lança un regard noir comme son âme. Elle refixa son attention sur son interlocuteur.

« Je crois que tu as peur, Tobias. Peur de te rendre compte que tes proches ne sont aussi parfaits que tu le souhaiterais. Elle lui prit la main avec douceur. Je sais que je suis loin d'être parfaite. Mais je t'en prie … Tu m'as aimé, non ? Des nuits durant, des jours durant. Tu ne vas pas laisser cette lettre détruire ce que nous avons mis sept mois à construire ... »


Jeu 15 Sep 2016 - 19:35
Il l'avait blessé, elle le blessait en retour. Juste revanche. Ysrael savait lire dans le cœur des gens, elle savait déceler leurs qualités et défauts. Tobias fit un pas en arrière lorsque l'Américaine lui asséna une cuisante vérité. Oui il n'appréciait pas de découvrir que les gens qu'ils admiraient cachaient quoi que ce soit, qu'ils ne répondent pas à l'image qu'il s'en était faite. Amer constat auquel il lui faudrait s'habituer. Il aurait voulu se boucher les oreilles face aux révélations de Ysrael mais se retint. Il devait l'écouter, jusqu'au bout. Quelque chose se rompit en lui, comme du silicone mal durci.

Lorsque Ysrael lui prit la main, ce fut comme un pont de fortune jeté en travers d'un ravin. Un espoir résidait, minuscule, presque indicible. Tobias s'en saisit comme il l'avait fait tant de fois par le passé. L'optimisme de l'Autrichien tentait de remonter à la surface, de rejoindre le quai pour ne pas sombrer à nouveau. Une idée folle, impensable, irréalisable, tailla son chemin dans l'esprit de l'homme. Une idée comme il en avait eu tant lorsque, au sein de son pays natal, il construisait des châteaux en Espagne, tirait des plans sur la comète.

« Partons ensemble. Cette ville n'apporte que des ennuis à ses habitants. Les gangsters, les indépendants, les opportunistes... On a aucunement besoin d'eux. »

Les longs doigts de l'Autrichien se refermèrent sur la main de Ysrael. C'est qu'il y croyait à ce projet insensé, avec la même ferveur qu'un enfant croyait à l'existence du Père Noël.

« Je sais. On ne peut pas quitter cette ville. Sinon je l'aurais déjà fait. » Et plutôt deux fois qu'une. « Mais on peut tâcher de vivre en marge de cette société. Trouvons-nous un endroit aux limites de Pallatine. La vie sera difficile mais on pourra vivre ensemble, sans le poids de ces diasporas, avec ce passé derrière nous. »

Tobias se doutait bien que Ysrael serait réfractaire à ce projet que, comme tous les autres, elle tenterait de le ramener à la raison. La raison en Tobias était aussi présente qu'un 29 février au sein d'une année non bissextile. Si tous deux abandonnaient les diasporas, tout serait réglé. Ysrael ne tremperait plus ses mains dans les crimes – de corbeau, elle redeviendrait une colombe purifiée. Tobias ne traînerait plus les affronts que subissaient les Indépendants. Ils redeviendraient de simples adultes, des êtres humains vivant chichement, durement. Des survivants vivant en marge d'une ville qui ne répondait pas à leurs attentes.

Le visage de Tobias se rapprocha de Ysrael. Ses cheveux frôlèrent ceux de l'Américaine.

« Es-tu prête à me suivre ? »
Ven 16 Sep 2016 - 18:39
Tobias | Ysrael
Défi#1 - Révélations

Qu'elle se sentait stupide à se raccrocher au peu d'espoir qu'il restait encore. Elle se figurait à souffler précautionneusement sur la dernière braise qui alimentait le foyer de son couple dans l'espoir de voir un feu repartir. Pourquoi donc perdait-elle son temps lorsque tout était déjà joué d'avance ? La jeune femme était partagée. D'un côté l'envie de baisser les bras ; de l'autre celle de résister pour sauver la situation. Elle n'était pas prête à souffrir une nouvelle fois. Son esprit n'était plus fait pour supporter une rupture. Passée la trentaine, Ysrael avait eu l'impression de franchir un cap. Elle savait, en son for intérieur, qu'elle n'aurait plus la force de soigner son cœur comme elle le faisait étant plus jeune.

Et pourtant elle lui tenait la main. S'accrochant comme une enfant qui craignait de perdre ses repères, son ourson, son parent, ce qu'elle avait de plus cher. Son cœur fut transporté de chaleur lorsqu'elle sentit les doigts de Tobias serrer les siens.

« Partons ensemble. Cette ville n'apporte que des ennuis à ses habitants. Les gangsters, les indépendants, les opportunistes... On a aucunement besoin d'eux. 
- Qu- … quoi ? Mais enfin …
- Je sais. On ne peut pas quitter cette ville. Sinon je l'aurais déjà fait. Mais on peut tâcher de vivre en marge de cette société. Trouvons-nous un endroit aux limites de Pallatine. La vie sera difficile mais on pourra vivre ensemble, sans le poids de ces diasporas, avec ce passé derrière nous. »

La peine se planta au fond des yeux clairs d'Ysrael. Elle sentit la chaleur qui l'avait irradié quelques secondes auparavant disparaître, s'enfuir à tout jamais. Le peu d'enthousiasme qui animait son corps l'abandonna. Dieu qu'il était beau avec son innocence, sa candeur, ses rêves d'enfant. Comme elle aimait lorsque son regard se mettait à étinceler de la sorte. Comme elle aimait lorsqu'il divaguait de la sorte, faisant des plans sur la comète. Cet artiste. Son artiste. Il vivait ailleurs : dans un monde dont il était le seul à avoir la clé. Parfois déconnecté de la réalité. Trop déconnecté, à l'instant précis.

Le visage si doux de son amant se rapprocha. Ysrael ferma les paupières, laissa son front reposer contre celui de Tobias. Le parfum du jeune homme lui parvint, amenant avec lui une vague de souvenirs. Il avait une odeur reconnaissable entre milles, suave et forte à la fois ; qui restait imprégnée dans ses draps des jours durant ; qui flottait sur sa peau, là où il l'avait touché.

« Es-tu prête à me suivre ? »

Un rire nerveux franchit les lèvres de la gangster. Elle se détacha de l'Autrichien, recula quelque peu.

« Non … murmura-t-elle désolée. »

Elle se détourna légèrement. Sa dextre finit sa course sur son bras gauche qu'elle frotta de haut en bas, désemparée.

« Dans quel monde vis-tu Tobias … Ouvre les yeux. Nous avons déjà eu notre chance. Nous avons déjà tout abandonné, laissé nos vies derrière nous. Et … tu veux recommencer ? Une fois ne t'a pas suffit ? Elle soupira. Tu ne t'en rends peut-être pas compte car tu n'es pas là depuis longtemps, mais les gens se reconstruisent après leur transfert. Je me suis reconstruite. »

La jeune femme désigna les alentours d'un vague signe de la main.

« J'ai une vie ici. J'ai un emploi, un appartement, des amis … la diaspora. Et les responsabilités qui vont avec tout cela. Je ne peux pas tout abandonner pour suivre un rêve, une chimère. Elle le fixa. Et toi non plus ! Nous n'avons plus vingt ans. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en marge de cette société, à nous nourrir exclusivement d'amour et d'eau fraîche. Enfin Tobias, regarde-nous. Nous avons l'âge de construire quelque chose, de … de fonder une famille … Pas de fuir comme des adolescents craignant la réalité. »

Elle se tut. Le silence lui creva le cœur.

« Je ne quitterai pas la ville, je ne quitterai pas non plus ma diaspora … Elle baissa les yeux, comme honteuse. Et je crois qu'il ne servira à rien de continuer notre relation si tu ne peux pas te faire à cette idée ... »

De nouvelles larmes lui brouillèrent la vue. Tobias n'y parviendrait pas. Jamais. C'était évident.

« Je suis désolée ... »

Sam 17 Sep 2016 - 21:47
C'était fini. Ça s'était terminé si simplement. Pas de grande envolée lyrique, pas de menace au suicide, aucun versement de sang. Des mots seuls avaient suffi à briser sept mois de relation, d'entente entre deux adultes pleinement consentants. Des mots jetés sur un papier, tout d'abord, tapés à l'ordinateur d'une main anonyme, d'une écriture dépourvue d'âme. S'étaient succédé les tirades entre l'Autrichien et l'Américaine, transformant la fracture en un fossé donnant tout droit directement sur leurs âmes respectives. Ils avaient regardé à l'intérieur, tour à tour, avant de s'en détourner.

Ça s'était fini si simplement, si brusquement. Il n'y avait que dans les romans, les grandes tragédies théâtrales qu'une rupture s'accompagnait du tumulte déchaîné de la Nature, que les amants se complaisaient en des gestes pathétiques. Aussi sensible soit-il, Tobias n'aurait pas l'audace d'agir à l'image d'une Ophélia ou d'une Juliette. Il rassemblerait simplement les éclats de son âme, tâcherait de les recoller, se laissant le temps de se reconstruire.

Il n'en voulait même pas à Ysrael. La cause était bien plus profonde. Tout provenait de Pallatine, de ses diasporas qui divisaient la population mieux que ne l'aurait fait n'importe quel gouvernement corrompu. Lorsque l'on entrait dans une diaspora, l'on y laissait son âme, l'on se laissait mener sur une voie préalablement établie. Tout était codifié, régenté. Écœurante dystopie.

La main de Tobias se tendit vers Ysrael voulant la serrer, une dernière fois, entre ses bras, essuyer ses pleurs, les recueillir sur sa chemise – qu'importe qu'elle soit en état de finir à la machine après ça ! Néanmoins les doigts de l'Autrichien se replièrent sur eux-mêmes. S'il retouchait à l'Américaine, il ne ferait que rendre la séparation plus douloureuse encore. Il se devait de l'épargner.

« Je comprends. Tu n'as pas à t'excuser. »

Autour d'eux Pallatine et ses habitants continuaient à vivre au rythme habituel. Amer constat que de remarquer que le monde continuait à tourner sans eux, sans la moindre considération envers eux. Ils n'étaient rien. Rien que des pions jetés en travers d'un plateau de jeu bien trop grand pour eux.

« Je comprendrais si... pendant un temps... tu veux qu'on n'ait plus de contact. »

Même la reconduire jusqu'à chez elle, il s'en sentait incapable. Le lieu lui rappellerait bien trop de souvenirs. Ne sachant plus quoi faire de ses mains, l'Autrichien les croisa dans son dos. Se donnant un air encore plus emprunté que d'habitude.

« Malgré tout, je... Je ne regrette en rien ce qu'on a vécu. Peut-être... qu'avec le temps... on pourra se reparler. Au moins, rester amis. Je ne sais pas, je... Je souhaite juste le meilleur pour toi. Pour mes affaires qui sont restés chez toi, si tu veux, on pourra convenir d'un jour et j'irais les prendre en bas. »

Il se demanda, furtivement, si elle conserverait les croquis qu'il avait fait d'elle.
Jeu 22 Sep 2016 - 17:28
Tobias | Ysrael
Défi#1 - Révélations

Les larmes roulèrent sur les joues d'Ysrael, dessinant des sillons sur sa peau blanche. Elle voulut se détourner pour ne pas infliger ce spectacle à l'homme qui était à présent son ancien compagnon. Elle ne supportait pas de paraître faible. Surtout pas dans un moment comme celui-là. Mais le mouvement que Tobias amorça cloua la jeune femme sur place. Sa gorge se serra, son cœur s'arrêta. Elle retint son souffle, attendant qu'il termine son geste. Qu'il la prenne dans ses bras. Qu'il la serre contre lui en lui disant qu'il comprenait, qu'il ferait des efforts, que tout s'arrangerait. Qu'il accepterait !

Mais rien.

« Je comprends. Tu n'as pas à t'excuser. »

Le geste fut avorté, et Ysrael sentit quelque chose en elle se déchirer plus encore.
C'était si égoïste de sa part de le vouloir changé alors qu'elle avait refusé de changer elle-même. Elle n'était pas prête à abandonner les gangsters ; mais elle n'était pas prête à se retrouver à nouveau seule, face à sa conscience. Elle ne voulait pas tirer un trait sur ces sept derniers mois, les effacer d'un claquement de doigt. Tout oublier à cause d'une lettre. Une simple lettre.
La brune était si abattue qu'elle n'avait même plus la force et le courage de se révolter contre cela. En d'autres circonstances, elle aurait pourtant recherché l'auteur du morceau de papier dénonciateur pour lui faire payer.

« Je comprendrais si... pendant un temps... tu veux qu'on n'ait plus de contact.
- Ce sera plus simple, oui … murmura-t-elle. »

Aurait-elle pu faire les choses autrement ? Peut-être, sans doute même, la situation se serait-elle terminée différemment si elle avait pris le temps de lui dire qui elle était vraiment, la femme qu'elle avait été dans son ancienne vie, celle qu'elle était à présent, et celle qu'elle serait à jamais. L'esprit d'Ysrael était déjà concentré à ressasser les choix qui l'avait mené jusqu'à cet instant précis.
Elle aurait dû lui dire qu'elle était une gangster.
Elle aurait dû ...

La jeune femme essuya ses larmes du revers de la main, comme honteuse. Elle replaça une mèche ondulée derrière son oreille, tentant de faire bonne figure. En son for intérieur, elle ne souhaitait que retrouver le confort de son appartement, la douceur de ses draps. Elle voulait s'y enfermer pour ne plus jamais en sortir, se réfugier sous sa couette comme une enfant chagrinée. Et pleurer. Pleurer comme elle l'avait fait à la mort d'Isaac, puis à celle de Mike. Une rupture, c'était une forme de décès après tout. Il lui faudrait faire son deuil. S'habituer à nouveau à ne plus voir son visage endormi au petit matin ; oublier le goût de ses lèvres sur son cou lorsqu'ils faisaient l'amour, la caresse de son souffle dans sa nuque lorsqu'ils dormaient l'un contre l'autre.

« Malgré tout, je... Je ne regrette en rien ce qu'on a vécu. Peut-être... qu'avec le temps... on pourra se reparler. Au moins, rester amis. Je ne sais pas, je... Je souhaite juste le meilleur pour toi. Pour mes affaires qui sont restés chez toi, si tu veux, on pourra convenir d'un jour et j'irais les prendre en bas. »

Chaque mot que prononçaient les lèvres du blond résonnait dans son crâne avec fracas. Pourraient-ils se reparler un jour, comme avant ? Comme si rien de tout cela n'était jamais arrivé ?

« En bas, oui … On en discutera par message, ce sera plus facile ... Elle eut un sourire vide. Je ferai en sorte de te les rendre au plus tôt. Je n'ai pas envie de t'embêter. »


Elle eut une seconde d'hésitation. La brune détourna les yeux pour regarder derrière elle. Elle croisa les bras sous sa poitrine pour tenter de conserver le peu de chaleur qui restait dans son corps. N'osant pas retrouver les prunelles grises de Tobias, elle se contenta de fixer le sol et leurs pieds. Gênée. L'Autrichien lui apparût pour la première fois comme un inconnu qu'elle dérangeait de sa simple présence.

« Je … je vais y aller. Elle désigna un point dans son dos. J'ai ... »

Sa voix s'étrangla. Elle sentait les larmes lui revenir, les sanglots batailler pour sortir.

« Bonne soirée. »

Ysrael se détourna. Elle fit quelques pas, deux, peut-être trois, avant de faire volte-face et de rebrousser chemin. Elle s'immobilisa à quelques centimètres seulement de l'Indépendant. Un ange passa. Elle se glissa sur la pointe des pieds pour le prendre dans ses bras. Une étreinte au goût triste de regrets et d'amertume.

« Prends soin de toi … D'accord ? »

Elle le lâcha aussi brusquement qu'elle l'avait enserré. Fuyant son regard, la jeune femme se retourna. Elle replaça la bandoulière de son sac sur son épaule avant de disparaître dans la foule, les lèvres pincées, le cœur lourd. Elle survivrait. Elle s'en remettrait.
Elle s'en remettait toujours.

Ven 23 Sep 2016 - 21:03
Ce fut douloureux, intensément douloureux de ne pouvoir la toucher, de sentir son parfum, de sentir la chaleur de sa peau. Pour la toute dernière fois. Un sourire tordit les lèvres de l'Autrichien, une grimace qu'aurait pu tracer un enfant maladroit en manipulant de la pâte à modeler. Il avait tenté de sauver les apparences, de donner une dernière belle image à l'Américaine. Mais le visage de Tobias était bien trop expressif dévoilant, sans ambages, le fond de sa pensée.

Il n'avait pu rien lui dire, pas même lui renvoyer l'ascenseur. Ysrael lui avait échappé, filant plus vite qu'une biche aux abois. Tobias regarda sa silhouette s'éloigner, sa chevelure dansant sur ses épaules. Il imprima la dernière image en lui, l'enferma dans un coin de son cœur. L'Autrichien savait combien son acte allait le détruire, à petit feu. Mais c'était dans sa nature d’accroître la souffrance.

Tobias ne sut jamais comment il revint dans son petit appartement, se glissant sans un bruit, sans même vérifier si Tom était présent ou non. Se posant dans un recoin, l'homme laissa ses doigts gratter le papier. Le blanc fut recouvert du noir du fusain, empoissant ses doigts. Il lui fallut dessiner, croquer les derniers instants. La silhouette de Ysrael avalée par la foule. Sa chevelure flottant tel un étendard. La courbe de son front, de ses lèvres. Ses mains encerclant une tasse de café.

Ce ne fut qu'après le dernier portrait, la dernière feuille achevée, que Tobias laissa libre cours à ses larmes. Elles dévalèrent sur ses joues, furent étouffées par ses mains qu'il pressait contre ses paupières afin d'épargner ces derniers portraits.

Des portraits qu'il dissimula, consciencieusement, au sein d'un tiroir en espérant, un jour, pouvoir les regarder sans trembler, sans sentir la cicatrice se rouvrir dans son âme. Il espérait un jour pouvoir observer ce passé sans faillir. Et ce jour-là, il pourrait à nouveau sourire à Ysrael en toute quiétude. Un jour, peut-être.

Fin
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