.Convenience friendship. [ft. Toshikata]

En ne pouvant regarder sur les étals l'empilement anarchique des sachets d'épices dont il tentait vainement de distinguer les arômes, il se dit que Ronce avait eu raison : il n'aurait jamais dû venir ici seul. Il n'y avait pas six mois, à l'endroit même où il se trouvait, il pouvait sentir les effluves réfrigérés des bottes de citronnelle et toucher les paquets de liserons d'eau, or il n'y avait désormais plus que la sécheresse de la cardamone et d'innombrables relents mêlés de clous de girofle et de badiane, avec peut-être, en notes de fond, la rudesse d'un curry vert.
D'ordinaire, il se rendait ici avec Kun Thea qui ne manquait pas de le tirer dans tous les rayonnages ou de lui agiter bruyamment sous le nez chaque friandise qui intéressait son cœur d'enfant – les gâteaux de coco ou la papaye séchée ayant sa préférence. Lui essayait de jauger, au poids du panier plombant son bras, si la liste de courses n'avait pas quelque peu dérivé en cadeaux dissimulés, aussi comptait-il ensuite systématiquement le nombre de produits sur le tapis en le comparant aux réclamations des parents, et soustrayait le surplus. Les hôtes de caisse, devenus familiers de cette vieille silhouette aux plis empathiques, avaient pris l'habitude de nommer chaque élément au moment de l'ajouter au panier total, l'aidant ainsi à vérifier que sa petite-fille n'avait pas filouté une nouvelle fois sur les brioches aux haricots. Et toujours, une fois approuvé l'ensemble des courses, il ajoutait à l'addition l'une des confiseries qu'il avait précédemment ôtées. Il entendait alors, sans jamais s'en lasser, la petite respiration surprise de Kun Thea dont la main grippait sa tunique plus fort, et son rire ravi ravalé derrière ses remerciements.

Aujourd'hui cependant, il n'y avait personne avec lui. Et comble de malchance, depuis le temps qu'il ne s'était pas présenté dans cette épicerie, toutes les étagères avaient été réagencées à l'occasion de travaux d'agrandissement, brouillant les repères auxquels il avait espéré se raccrocher. Kun Thea était à l'école à cette heure ; ses parents étaient occupés ; il refusait de trop solliciter Ronce depuis ses états de faiblesse passagers. Mais il manquait des ingrédients aux festivités du nouvel an chinois que la boutique familiale ne proposait pas à la vente, ingrédients qui faute d'être pris dans la matinée risquaient de faire défaut dans la soirée. Pour rendre service, puisqu'il connaissait bien – avait bien connu ! – le supermarché, il s'y était donc rendu.
Et s'y était donc perdu.
Quérir de l'aide en cette période de fêtes où d'aucuns luttaient contre la montre lui paraissait des plus incorrect. Il lui aurait été difficile d'espérer accomplir sa mission sans recours extérieur, néanmoins, même s'il répugnait à emprunter du temps à quiconque ; par chance, ayant pris beaucoup du sien, il savait qu'il n'avait pas besoin de rentrer trop tôt et que, par conséquent, il avait de quoi flâner le long des allées de manière à récupérer ses connaissances éparpillées entre la sauce pad thai et les œufs de cent ans. Son panier vide dans une main, sa canne dans l'autre, il continua de sorte à arpenter les rayons, ce fouillis bariolé sur fond blanc, sans jamais se saisir des produits qui y étaient présentés, relâchant de temps à autre un son de contentement quand il reconnaissait l'odeur des nougats ou les cliquetis des bouteilles d'alcool entrechoquées par les clients.