Cameron Abaddon
Caractère
Une barre de dynamite, paraît. Un bâton de nitroglycérine, ouais. Un chaton qui se prend pour un tigre, peut-être, mais paye ton chaton ; celui-ci est de la pire espèce, il griffe et mord jusqu'au sang, tu l'as aux basques qu'il te lâche plus, gare à ton cul, une vraie teigne. Et il aime ça. Ça le fait marrer, de s'approcher comme ça, tout sourire, sa batte sur l'épaule, de se planter devant toi et d'attendre le moment propice pour te défoncer les rotules. Nah, ça reste un gosse – un crétin qui se croit malin, un morveux violent qui ne sait rien faire d'autre que frapper ceux qui le cherchent et de massacrer ceux qui le trouvent. Mieux vaut l'avoir dans sa poche, pour sûr.
C'est pas un mauvais garçon pourtant, du moins je crois pas. Il n'a pas le syndrome du survivant, quand bien même on l'a sorti de la rue par la peau du cou alors qu'il s'y noyait depuis ses sept ans, il s'est débrouillé pour nager comme il a pu – c'est-à-dire mal. Qui faudrait blâmer ? Lui, les autres qui lui ont pas laissé de chance, ou bien cette ville qui broie les innocences ? Il n'est rien de plus qu'un gosse paumé comme on pourrait en ramasser à la pelle, à qui personne n'a appris à dire merci et qui quémande de l'attention n'importe comment, quitte à jouer les tempêtes dans des verres d'eau. Faut avouer qu'il démarre au quart de tour, le loustic : un mot de travers et voilà le chiot qui se met à grogner. Ce n'est pas qu'il essaie de dominer à tout prix, nan, il essaie de ne pas être dominé, nuance. À seize ans et bâti comme il est, il est assez lucide pour savoir qu'au bras de fer, c'est la raclée assurée, alors il préfère prendre les devants et jouer sur son terrain – tactique de survie, la base. Un tantinet casse-cou, d'accord, mais pas suicidaire pour autant ; l'école de la rue lui aura tout de même enseigné les fondamentaux de la sécurité.
Je ne suis pas sûr que l'on puisse lui faire confiance. Il a ce côté insolent, monsieur je-n'en-fais-qu'à-ma-tête, et s'il a décidé au dernier moment de te laisser dans ta merde, il n'aura aucun scrupule à t'observer patauger sans bouger le petit doigt. Pourtant, d'aucuns racontent qu'il rendrait parfois des menus services en échange de crackers au sésame, c'est son dada, ou même gratos si tu l'as déjà aidé par le passé. Comme quoi, il oublie pas tout, le petiot, pis il a ce goût du troc qui lui vient probablement des montagnes – à moins que ce ne soit, dans une certaine mesure, une illustration inconsciente des préceptes de ces hippies d'Alters.
Tu l'attrapes pas, Cam. Ça non. C'est une bourrasque, une gifle, et quand il ne bouge pas tu te demandes toujours s'il ne mûrit pas une sale crasse. Parfois, il agira à l'exact opposé de ce à quoi tu t'attends juste parce qu'il a horreur qu'on prévoie ses réactions, esprit de contradiction oblige. Ça l'angoisse, il se sent piégé, c'est bizarre. Je n'ai jamais trop compris pourquoi mais, une chose est sûre, il ne suit que lui-même. Et t'as intérêt à t'accrocher pour le suivre en retour, car il n'hésitera pas à t'abandonner sur le carreau. Il n'y a que sa sœur à laquelle il est lié, et encore, ce n'est plus aussi franc et massif qu'à l'époque, à ce qu'on dit. Je crains quelquefois qu'il ne vire extrême et qu'il soit impossible de le récupérer, qu'il fasse une grosse connerie – c'est tellement influençable, à cet âge-là. Sûr qu'il est coriace, qu'il a supporté plus que ce qu'un collégien banal pourrait endurer, mais quand même. Ça reste un môme. Et ce n'est pas parce qu'il aboie plus fort que le reste de la marmaille ou qu'il ne chouine pas dès qu'il se prend une rouste qu'il ne sait pas ce que c'est de pleurer. J'suis même persuadé qu'au fond, c'est un brave gamin.
Au fond du fond du fond.
Âge: 16 automnes
Naissance: 12/11/1999
Arrivée: Natif
Présence en ville: Un peu plus de seize ans
Nationalité: Estonien
Métier: Altermondialiste en formation | Slide de postes en postes en vue de se trouver un futur emploi.
Statut civil: Célibataire
Groupe: Altermondialistes
Section: Jeunes
Rang: Membre
Nom de code: Kalev
Taille: 1.67
Corpulence: Fin et sec
Cheveux: D'un roux châtaigne
Yeux: Noisette
Autres: /
Histoire
Ne bouge pas d'ici et attends-moi sagement. Je reviendrai te chercher.
Mais il n'est pas revenu. Et toi, tu as attendu.
Tu as attendu tellement longtemps que tu as oublié le sens du mot. Ce n'était rien qu'un mensonge et, d'une marque d'obéissance, ton immobilité ne tarda pas à se transformer en peur. Ta prétendue sagesse devint solitude. Et ta patience, abandon. Ta récompense pour ta confiance. Tu retins la leçon, comme une épreuve brillamment foirée – la première d'une longue série qui ne devait pas connaître de fin, commencée quelque part sur ce sentier bucolique au vert milieu des montagnes. Ta seconde naissance. Même s'il en eut ensuite beaucoup d'autres, dont tu perds le décompte en chassant tes phalanges par-dessus l'épaule.
Tu ne voulais pas le suivre. Il était bizarre. Un grand, un adulte, tu avais promis de rester sur place et d'attendre sagement parce que les tiens devaient te récupérer pour te ramener à la maison, ils avaient dit, et lui n'était pas de la maison, tu ne l'avais jamais vu d'ailleurs, un adulte tout vieux avec les cheveux blancs comme des pinceaux usés, aussi usés que le monde, et le voir suffisait à te donner envie de hurler jusqu'à en briser l'écho des montagnes. Sauf que tu t'es contenté de le regarder, tes yeux d'enfant barbouillés de larmes, et quand il t'a tendu la main, cette paluche crevassée plus robuste que l'écorce des pins, tu l'as saisie comme un affamé. Tu l'étais, d'ailleurs. Une faim féroce au creux de l'estomac – faim d'amour, de vie, d'orage. Il t'a sorti du fossé, t'a extirpé de l'abîme où tu menaçais de disparaître pour te ramener chez lui, là-haut dans les reliefs, là où quelqu'un d'autre existait déjà, où vous n'étiez plus tous seuls et où, durant les quatre années qui suivirent, tu grandis à la manière d'un brin d'ortie.
Elle était ton aînée et, cependant, tu ne la considéras jamais ainsi. Peut-être parce qu'elle parlait peu, Nergüi, et que cela t'énervait quand elle ne te répondait pas, parce qu'elle avait cet air fragile, cette silhouette neigeuse qui semblait se désagréger au moindre heurt avec, dessous, un brasier auquel tu ne manquas pas de te brûler à plusieurs reprises. Elle fut ta sœur par la force des choses, mais cela aurait pu être pire. Ensemble, le Vieux vous éleva du mieux qu'il put, ce qui consistait souvent à vous laisser explorer les environs tandis qu'il courrait par monts et par vaux sur les traces de gibier ou à vous charger de l'entretien du foyer quand il descendait vendre ses trouvailles et créations aux villages. Très vite vous apprîtes la liberté, jamais l'un sans l'autre, les deux doigts d'une main recousue maladroitement, et les vallons vous offrirent le meilleur terrain de jeu dont peuvent rêver les gosses de votre âge.
Grimper aux arbres, dresser des pièges à lapins, construire des cabanes et des barrages miniatures, piétiner les fourmilières avant de se jeter dans les rivières, voler les œufs des mésanges et se tailler arcs et cerfs-volants dans des branches d'aubépines ; l'existence à flanc de la montagne s'écoulait paisiblement au gré des saisons. Il y avait toujours un repas chaud qui vous accueillait à votre retour, une couche étroite à retrouver à la nuit tombée, la tienne juste à côté de celle de Nergüi, et un nouveau soleil à avaler tout rond le lendemain, pastille au citron sur la langue. Innocemment, tu pensais que ces jours-là ne finiraient jamais. Que c'était là ton immuable avenir. Et c'était bien la seule chose que tu ne craignais pas de voir se figer.
Vous n'avez jamais connu que la montagne. Cela sonnait presque comme un reproche.
Tu l'écoutais sans comprendre, assis à la droite de Nergüi, et le Vieux vous fixait de ses prunelles aquatiques, dont l'étincelle sombrait inexorablement vers les abysses. Tu ne l'imaginais pas, pourtant, ne songeais pas qu'un jour celle-ci pût s'évanouir, c'était le Vieux, il serait toujours vieux, c'était tout, et avec ta sœur vous l'écoutiez vous parler de ce que vous ne connaissiez pas, de ce qui ne vous avez guère traversé l'esprit jusqu'à présent parce que le quotidien du hameau vous convenait et que vous n'espériez rien de mieux. Malgré cela, il y avait de la magie dans les paroles de l'aïeul. Un charme indescriptible, tissé de merveilles et d'inconnu. La vie de ceux de la plaine. Pour sûr, c'était inquiétant – tu n'avais pas encore sept ans – mais comment ne pas céder aux sirènes de la découverte, au chant secret de l'inédit ? Là dehors, en bas, c'était l'aventure, l'énergie, la vitalité.
Bien sûr, il te faudrait renoncer à la douceur de l'âtre les crépuscules d'hiver, au fumet de la venaison au-dessus des braises, aux mélodies des alouettes nichées sous les poutres du toit ; cet univers de coton qui ne te demandait rien, qui te prodiguait tout, et qui composait jusqu'au plus lointain de tes souvenirs.
Sauf que tu étais curieux. Avide de connaître les coutumes de ces étrangers, d'arpenter leurs espaces, de confronter vos valeurs. Tu voulais savoir. Dix ans, c'était le bout du monde pour un gamin moins haut que trois poires, un défi insensé, une folie, toutefois Nergüi serait avec toi, vous vous entraideriez afin de remplir vaillamment cette quête saugrenue, et vous reviendriez vainqueur auprès du Vieux, riches de vos expériences et de vos enseignements. Tels se présentaient tes espoirs, tes envies, à l'aube de cette décision dont tu ignorais encore les conséquences.
Pallatine. La Babylone parallèle. La Cité viciée, écartelée entre ses diasporas, trop orgueilleuse pour prêter attention à deux agneaux extraits de leur montagne primitive. Le choc fut abrupt. La réalité exposait ses rudesses de guerre – impitoyable, indifférente, cruelle – et vous vous retrouvâtes aussitôt happés par cette vérité à laquelle vous aviez eu la chance d'échapper du haut de votre bourgade.
Pourquoi le Vieux vous avait-il envoyés ici-bas, parmi la froideur collective, jetés dans l'aridité des existences urbaines ? Pourquoi vous avait-il chargés de dix années au milieu de ces silhouettes trop occupées pour vous remarquer, où les serments ne valaient que pour ceux qui y croyaient, trois mille six cent cinquante jours à vous débattre pour ne pas racler les caniveaux, pour ne pas y éparpiller vos dents de lait et vos fonds de culottes ? La réponse, s'il en avait jamais été question, ne vint pas. C'était trop tard pour Nergüi, trop tard pour toi. Il vous fallut vous dévêtir de votre précédente enveloppe, vous défaire de vos attaches avec le monde des sommets ; à force de le brandir en guise de refuge ou d'excuse au mépris ambiant, il s'était érodé jusqu'à l'os. Il n'en restait que des fragments, des morceaux polis entre vos doigts d'enfants, et chaque jour passé dans la rue les émiettait davantage – des années plus tard, il ne demeurerait qu'un amas de cendres au creux de ta paume, encombrant comme l'est toujours le passé, et dont tu ne saurais trop que faire.
Jusqu'à treize ans environ, tu vécus à l'instinct, mode survie, et la faim qui t'habitait se fit matérielle et douloureuse. Contraint par les nécessités alimentaires, ton corps se développa timidement, incapable d'atteindre la taille réglementaire des garçons de ton âge, celle grâce à laquelle les imbéciles t'auraient probablement laissé tranquille. Petit, malingre, tu compensas toutefois par une hargne disproportionnée, le genre brutale, flamboyante, à gueuler pour n'importe quoi, crocs sortis et poings serrés devant ceux qui te traitaient de vaurien et insultait ta sœur. Là où Nergüi s'était protégée dans une pelisse de dédain, tu optas pour le bruit et la fureur, la rage et la violence. Tu te sentais abandonné une nouvelle fois par celui qui aurait mérité le titre de père et, lorsque tu eus la conviction que tu ne le reverrais plus, tu rompis le lien qui subsistait entre vous, ce nom par lequel il t'avait nommé jusqu'à ton départ – un mot d'adieu. À la faveur d'un intellectuel prolixe, Nergüi et toi vous emparâtes de ce nom harmonieux, un peu rondouillard, un peu joyeux en apparence, pour fonder votre propre fratrie. Abaddon. La signification n'avait aucune importance ; l'essentiel était d'enfouir qui vous aviez été pour vous concentrer sur ceux que vous vouliez être. Dissimuler la mémoire jusqu'au jour où elle devrait refaire surface, à l'orée de vos dix-sept ans. Ainsi tu devins Cameron, par défaut plus que par goût, et scellas la montagne à l'intérieur de ton crâne.
Le gars sentait le pain chaud et les viennoiseries. Les brioches au sucre, un peu comme ce clochard de Monavier qui proposait des friandises aux mioches qui le suivraient derrière le skatepark. Pour toi qui y venais souvent afin d'améliorer ta pratique de la planche à roulettes – fabriquée de tes mains, tu en es fier comme tout –, l'analogie avait le parfum des embrouilles. Pour autant, tu faillis lui rire au nez lorsqu'il se présenta, ses grandes idées sous le bras, et vous proposa son aide, à Nergüi-Sidney et à toi. Cette blague. Qu'est-ce qu'un homme tel que lui, mari et père comblé, avait à offrir à deux adolescents des rues, élevés à la rapine et aux coups ? Ce ne furent certes pas ses utopies anti-consuméristes qui eurent raison de la méfiance des Abaddon, ni ses théories d'Altermondialiste chevronné, mais le don d'un toit stable et d'une situation sociale moins précaire. Du haut de tes treize ans, tu aurais pu discerner l'arnaque. L'entrave derrière l'offrande. Mais tu étais fatigué. Fatigué de cette vie sur le fil du rasoir, de ce combat permanent. Tu en avais marre de ce cercle vicieux de vols et de brutalité, de n'être qu'un clebs miteux sur le bas-côté.
Alors tu acceptas, pour voir. Juste un coup d'œil. Histoire de.
Tu y es toujours depuis. Tu vagabondes dans la diaspora, cherchant un point d'ancrage, un port où fixer ta barque, sans succès. Ces écologistes excités ne t'émeuvent pas plus qu'ils ne te déçoivent ; tu prends sur toi lorsque Naga est dans les parages et cette grande gueule d'Aramis ne t'inspire pas, nonobstant tu te gardes bien d'en faire une affaire personnelle ; l'indépendance que ce groupe t'accorde justifie ton respect à leur égard, dans la mesure où le « respect » correspondrait à l'un des principes d'un casseur de ton espèce. Il ne faut pas croire.
L'éloignement de Sidney s'est quant à lui doublé du renforcement de ta solitude, celle-là même que tu étouffes à grand renfort d'éclats de verre et de portes défoncées. Dans le fracas des vitres qui explosent, dans les vibrations des coups qui remontent le long de tes bras, tu guettes de fragiles étincelles, des lueurs chatoyantes qui redonneraient un sens à ta vie. En vain. C'est morne, dedans toi. Terne et broussailleux comme un tag en pleine friche industrielle. Tu cherches dans les rixes et les rires un réconfort qui ne peut y nicher, fasciné par les frictions entre rebelles, par les cris des révoltés qui martèlent le pavé, slogans brandis et Molotov à la ceinture, prêts à incendier le ciel.
C'est quoi, l'avenir, dans un monde pareil ? Tu préfères ne pas y réfléchir. Ça n'a jamais été ton fort, de toute façon. Foncer, c'est plus simple. Foncer sans se retourner. Sans voir que derrière, il y a toujours cette montagne qui t'appelle, de loin en loin, évanescente, engloutie par les fumées qui s'élèvent autour de toi.
Ouh, l'angoisse des présentations...
J'ai des pseudos par milliers, mais Cam me paraît tout à fait approprié ici d'autant que c'est mon premier compte – j'avoue tout, pas la batte de baseball, pas la batte ! Pour le coup, ce perso' m'a tapé dans l'œil, sauf que c'est la première fois que je prends un scénario de membre alors j'espère qu'il conviendra à Sidounette, dont la fiche m'a beaaaaucooooup servi. Merci à toi ♥
S'il y a le moindre truc chagrin, n'hésitez pas à me casser les doigts, j'ai la fâcheuse manie de m'éparpiller parfois n'importe comment. Et cela ne se soigne pas.