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Les joies de la colocation. (Hafiz)

Ven 4 Mar 2016 - 16:09
Le premier geste de Naga lorsqu'il revenait sur Terre après sa journée de travail était de se débarrasser de ses bottes en caoutchouc avant de se précipiter sous la douche mise à disposition par sa diaspora dans le port de pêche. Son métier était physique : il ne s'agissait pas d'attendre avec sa ligne qu'un poisson daigne mordre, mais de préparer et remonter des filets remplis de poisson, et d'entretenir le bateau lorsque le besoin s'en faisait sentir. C'était autrement plus compliqué que de rester assis à ne rien, et Naga n'avait pas été épargné par la journée. En soi, relever les filets n'était pas très difficile : il fallait se contenter d'appuyer sur un bouton pour mettre en marche le mécanisme qui s'en occupait. Mais il fallait ensuite trier le poisson, une activité que Naga détestait car ces petites bêtes étaient glissantes, ce qui demandait une certaine habilité qu'il commençait à acquérir. L'amener dans la cale, le congeler, le transformer sur place, tant de petites tâches dont Naga s'acquittait sans problème, puisque c'était son métier. Mais il ne fallait pas lui en demander plus.
Une fois sortie de la coopérative de pêche, Naga était complètement métamorphosé. Sa chemise soigneusement repassée et son pantalon de smoking lui donnait l'air élégant des jeunes cadres d'entreprise. Ses cheveux parfaitement peignés ne semblaient pas avoir souffert de l'humidité, et ses mains gantées cachaient les dégâts que le travail physique commençait à y faire. Naga n'avait jamais pu se séparer de son apparence distinguée. Il aimait la mode autant que de prendre soin de lui, et il lui paraissait indispensable d'être toujours bien habillé en dehors de ses heures de travail. Être négligé, c'était presque un crime, une preuve de fainéantise qu'il refusait d'afficher. Comme si Naga, en décidant de vivre comme un humble, se comportait comme un jeune homme de bonne famille qui décidait de se mêler au peuple pour son amusement. Il ne paraissait jamais sérieux.

Naga ne vivait pas seul : il n'était pas assez haut placé dans la hiérarchie pour se le permettre. Qui plus est, il était encore en formation, ce qui signifiait qu'il avait besoin qu'un membre plus âgé lui montre la bonne façon de vivre. Mais cette colocation n'avait pas tous les effets désirés : Hafiz n'avait pas réussi à lui inculquer la moindre leçon de savoir vivre. Cette expérience ne profitait pas vraiment au jeune homme : elle lui donnait simplement de bonnes raisons de ne pas vouloir vivre ailleurs.
Hafiz était à la maison : Naga ne savait pas s'il avait eu congé toute la journée ou s'il ne travaillait pas pour le service du soir. Et cela arrangeait bien l'Inuit : il n'aurait pas besoin de réchauffer un plat pour ce soir, puisque le cuisinier s'en occupait. Un délicieux fumet parfumait d'ailleurs la maison. Naga ne prit pas la peine de signaler sa présence ou d'aller saluer Hafiz : ce n'était pas quelque chose qu'il avait l'habitude de faire. Ils auraient de toute façon bien assez tôt l'occasion de parler.
Après avoir chaussé ses pantoufles, Naga monta à l'étage, dans sa chambre parfaitement rangée – et malheureusement pas grâce à lui – pour aller chercher un peu de parfum. Certains hommes en portaient par élégance, lui parce qu'il appréciait avoir une odeur agréable dans le nez – ça le changeait du poisson. Naga n'était cependant pas très ordonné : même s'il pensait avoir rangé le flacon sur son bureau, il se rendit compte qu'il n'y était pas. Naga fit le tour de ses modestes possessions, puisqu'un vrai Altermondialiste n'était pas censé posséder plus que le nécessaire. Malheureusement, le flacon n'était nulle part en vue, au grand déplaisir de Naga. Sans conviction, il ouvrit un tiroir ou deux, puis, perdant patience, décida de faire ce qu'il faisait à chaque fois : aller demander de l'aide à Hafiz. Si quelqu'un savait où se trouvait son parfum, c'était bien lui.
Arrivé dans la cuisine, il ne prit pas la peine de saluer son colocataire :

« Hafiiiz. Tu n'auras pas vu le flacon bleu que j'avais sur mon bureau ? »

Puis, sans attendre, Naga s'installa à table pour observer celui qu'il traitait un peu trop comme son domestique. Se rappelant alors une promesse qu'il avait faite, Naga se sentir rougir de honte et s'empressa d'ajouter :

« Désolé, j'ai encore oublié d'amener du poisson. La prochaine fois. »

Cette promesse, Hafiz ne devait plus y croire, car on ne comptait plus le nombre de fois où Naga avait assuré qu'il ramènerait un peu de sa pêche et où il revenait les mains vides, parce qu'il oubliait. Il n'avait sans doute pas envie de se promener avec du poisson sur le bras, mais il ne pouvait pas non plus l'avouer à voix haute à son colocataire. Il était plus simple d'oublier, et c'était ce qu'il faisait.
Ven 4 Mar 2016 - 18:20
Hafiz était rentré assez tôt le jour là puisque son patron lui avait laissé sa demi-journée à causes des nombreuses heures en plus qu’il faisait au restaurant, et surement aussi à cause de son bon travaille. D’une certaine façon, le cuisinier était assez déçu de ne pas exercer son activité favorite mais  il n’allait pas non plus cracher dans la soupe et refuser un congé. Personne ne savait quand il en aurait un autre tellement le restaurant était réputé alors qu’il n’était pas très grand. En plus, cela lui permettrait de faire un peu les courses pour le repas du soir. Après avoir récupérer son sac à dos, il prit son vélo et prit la direction de l’épicerie la plus proche où il acheta quelques légumes frais, un magnifique filet d’agneau et de la semoule. Cela ferait peut-être plaisir à son colocataire de manger un couscous au diner. Comme à son habitude, il parla un peu avec le gérant de l’épicerie qu’il côtoyait de plus en plus mais qui, à différence de lui, était un altermondialiste pur et dur. Il reprit ensuite la route de la côte sur son vélo et profita de ce moment. Pallatine était totalement différente des villes que Hafiz avait pu connaitre en Iran et, il fallait bien l’avouer, plus calme et plus propre. En effet, il adorait passer une partie de son temps libre à faire du vélo sans avoir peur qu’un chauffard ne le renverse tellement les voitures étaient peu nombreuses. L’air était d’ailleurs aussi pur que s’il s’était trouvé en pleine nature.

Il finit par arriver chez lui, un petit appartement que la diaspora lui avait fourni, du moins en partie. En emménageant, il avait eu le plaisir de rencontrer le jeune Naga. Au fil que le temps passa, il avait appris à le connaitre, malgré une certaine distance au début. Hafiz fut d’ailleurs très surpris quand il son colocataire lui révéla son appartenance au peuple inuit. Jamais Hafiz n’aurait pu s’en douter tellement le jeune homme avait une attitude qu’il avait déjà vu chez les américains venus en Iran, à la différence notable qu’il ne le traitait pas comme un être inférieur. L’iranien avait d’ailleurs encore plus apprécié son comparse quand il apprit qu’il était en formation pour devenir pêcheur, fonction assez complémentaire de la sienne. L’inuit lui avait d’ailleurs promis d’un en ramener un mais Hafiz n’en avait jamais vu la couleur, ce qui le faisait rire plus qu’autre chose. Il imaginait mal Naga, en costume, portant un poisson à bout de bras.

Hafiz rangea les emplettes qu’il avait faites et décida de faire un peu de ménage. On pouvait dire qu’il appréciait le faire, peut-être un héritage de sa vie de domestique au service du shah. Dans tous les cas, il savait que son jeune colocataire profitait aussi de cela et le lui rendait bien. Il fit toutes les pièces de l’appartement, y compris celle de Naga assez rapidement et, voyant l’heure, prit une douche avant de se lancer dans la préparation du diner. Il était déjà bien avancé quand il entendit Naga rentrait mais ne le vit pas avant un petit moment. Le jeune pécheur houspilla plusieurs fois et déboula  dans la cuisine, visiblement, demandant où était un de ses flacons. Sans en être étonné, Naga s’excusa de ne pas avoir ramené de poisson. Hafiz se tourna lentement vers son colocataire et, un sourire aux lèvres, dit :

« Tiens, Naga, je ne t’avais pas entendu rentrer. Il me semble avoir vu ton fameux flacon bleu dans l’armoire de la salle de bain tout à l’heure. Il trainait sur ton bureau alors je me suis permit. »

Hafiz avait conscience que sa petite manie de tout ranger pouvait être assez perturbant voire même dérangeante mais l’habitude revenait toujours et il espérait également faire plaisir en faisant cela.

« Ce soir, reprit Hafiz toujours aussi content, je te prépare une spécialité arabe pour le diner. Tu me donneras ton avis n’est-ce pas ? Et sinon, comment c’est passé ta journée ? La pêche a été bonne ?»
Sam 5 Mar 2016 - 20:36
Ce qu'il y avait de bien avec Hafiz, c'est qu'il ne s'énervait jamais. Même lorsqu'on le dérangeait dans son travail, il trouvait toujours un peu de temps à vous accorder, et s'excusait si jamais il devait abréger la conversation. Naga ignorait comment l'Iranien faisait pour garder ainsi son calme : lui s'énervait à la moindre contrariété. Mais pas sur son colocataire, même lorsque celui-ci se permettait de ranger ses parfums à un endroit plus approprié. Tout ce qu'il avait à faire, c'était de trouver Hafiz et de lui demander, et si vraiment ça le dérangeait, il lui en ferait part, et l'Iranien n'y toucherait plus. En l'occurrence, cela ne dérangeait pas vraiment Naga : à présent qu'il s'était installé à la table de la cuisine, il était subitement pris d'une flemme incroyable et n'avait plus envie de se rendre dans la salle de bain. De toute façon, l'odeur de cuisine chassait bien celle du poisson.

« Permets-toi, dit-il sans méchanceté. C'est moi qui ne devrais pas le laisser traîner n'importe où. »

Une chance, vraiment, que son colocataire ait été domestique dans sa première vie : il était vraiment idéal. Hafiz se souvenait mieux de l'endroit où étaient rangées les affaires de Naga que Naga lui-même. Il s'occupait aussi des repas de Naga, puisque c'était son métier. Les spécialités qu'il préparait avait un nom imprononçable pour le jeune Inuit, et c'est sans doute pour cette raison qu'il ne lui avait pas donné le nom du repas du soir. Sans doute aussi parce qu'il voulait garder un soupçon de secret. La première fois, Naga n'avait pas été emballé à l'idée de déguster des plats inconnus : habitué à la cuisine de ses parents, il ne savait même pas ce que ses ancêtres mangeaient, alors des étrangers venus de l'autre bout de la Terre vivant plus d'un siècle avant lui... C'était la préhistoire. Mais il y avait pris goût, car ce n'était pas mauvais après tout, bien au contraire. Et c'était toujours meilleur que les plats basiques qu'il savait préparer.

« Un plat inédit ? demanda Naga. J'espère juste que ça ne pique pas trop, j'ai l'estomac sensible aux épices. »

La plupart des ingrédients présents sur la table lui étaient complètement inconnus, alors il préféra jouer avec le sel. Certaines cultures avaient des superstitions incroyables avec le sel. Lui se contenta d'en verser dans sa main et d'en jeter un peu derrière lui, en espérant qu'Hafiz ne serait pas dérangé par son geste. Sinon, il ferait l'effort de balayer ce qu'il avait renversé. Puisque son colocataire lui demandait si sa journée s'était bien passée – politesse que Naga n'avait pas eue -, l'Inuit n'eut aucun mal à se plaindre de son travail :

« C'est tuant, confia-t-il. La pêche est toujours bonne, du coup, les filets sont bien remplis, et ils sont lourds à porter. Déjà que vides, ils pèsent une tonne. Mais apparemment, ce travail ne peut pas être fait par une machine parce que les poissons sont trop instables et fragiles, à ce qu'il paraît. Il faut quelqu'un pour les rattraper s'ils font mine de s'échapper. »

Sur ce, Naga poussa un long soupir avant de s'affaisser sur la table. Il y avait toujours quelque chose à faire sur le bâteau, il ne s'ennuyait donc jamais. Pas comme le soir lorsqu'il était bloqué à Ocane. Le port de pêche n'était pas aussi vivant que Pallatine, ce qui lui faisait presque regretter d'avoir choisi ce métier. Naga aurait dû penser au lieu où se trouverait son logement. Il pouvait bien sûr aller faire un tour sur chronosrep, mais il fallait changer. En parlant du site, il sortit son téléphone pour voir les dernières nouveautés, mais rien ne l'intéressait. Aucune mise à jour dans la section consacrée à la culture inuit, ça ne valait pas la peine. Et personne ne l'avait contacté. Sa vie sociale était un échec.

« Je m'ennuie... se plaignit Naga. On fait quoi, ce soir, on sort ? »

Hafiz avait peut-être des choses à faire à la maison, mais la maison paraissait propre, et elle était équipée d'un lave-vaisselle, puisque c'était plus écologique que le lavage à la main. Pour cette même raison, il n'y avait qu'une douche, alors que Naga aurait bien aimé s'inviter chez quelqu'un pour prendre un bain. Pouvoir gaspiller en paix... bon sang, que ça lui faisait envie.
Mais ce n'était pas vraiment l'idéologie de la maison, et un bon Altermondialiste se devait de résister aux appels du capitalisme. Si Hafiz était raisonnable, il tenterait au moins de convaincre Naga de ne pas aller dépenser tout son argent en ville. Pas sûr que le plus jeune des deux l'écoute, ceci dit.
Dim 6 Mar 2016 - 11:02
Hafiz fut heureux quand son colocataire lui dit qu’il pouvait continuer à ranger ses affaires. Par contre, il fut surpris de ne pas voir le jeune inuit montait directement se parfumer un peu alors qu’il l’avait souvent vu faire. Enfin, ce n’était pas ses affaires. L’Iranien retourna alors à sa tâche principale et continua de préparer le repas qui ne saurait tarder. Il entendit Naga s’inquiéter du fait que le plat serait peut-être trop épicé. Le cuisinier savait pertinemment que pas mal de personne n’appréciait pas tellement la cuisine épicé qui pouvait s’avérer extrêmement forte, il devait le reconnaitre. C’est pourquoi, depuis qu’il était arrivé à Pallatine et depuis qu’il travaillait, il avait fait le choix de rajouter à la carte la possibilité aux clients de choisir s’il voulait un plat épicé ou nom. Quand il cuisinait à la maison, il faisait en sorte de faire le plat « classique » et préparait à côté un petit accompagnement  épicé, Naga pouvait alors manger ce qu’il voulait.

« Ne t’inquiète pas Naga, rigola Hafiz sans se retourner, c’est un plat qui se mange sans épices, bien que tu peux y rajouter une pointe de tabasco si tu aimes le piquant. »

Du coin de l’œil, le cuisinier vit l’Inuit jeté un peu de sel par-dessus son épaule mais ne comprit pas la signification de ce geste. De toute façon, il ne prit pas ombrage quand le sel tomba sur le sol car ça pouvait être nettoyé en quelques secondes. Il savait également qu’il avait encore beaucoup à apprendre sur la culture de son colocataire qui restait encore assez mystérieuse. Il écouta Naga lui raconté sa journée, ou plutôt se plaindre mais Hafiz savait qu’il appréciait beaucoup son travail puisque c’était un objectif qu’il s’était fixé. Le cuisinier avait appris à ne pas prendre tout ce que l’Inuit lui disait au premier degré et qu’il était possible de le comprendre une fois qu’on le connaissait bien. Voyant sa préparation sur le point d’être terminé, il commença à mettre la table et ne prit pas la peine de demander de l’aide à Naga. Non pas que ce dernier aurait refusé mais parce que cela faisait plaisir à Hafiz. De plus, en se retournant, il le vit en train de regarder son téléphone et avoir l’air un peu déçu, il ne voulait donc pas l’embêter. Que ne fut cependant sa surprise quand l’Inuit lui proposa de sortir le soir même.

« Sortir ? Oui pourquoi pas. C’est vrai que je n’ai rien à faire ni rien de prévu ce soir donc oui, c’est une bonne idée. »

Ce n’était pas spécialement le genre de Hafiz de sortir le soir mais ce n’était pas n’importe qui qui lui proposait de sortir. C’était son colocataire et son ami donc il ne pouvait pas refuser. Il ne le voulait d’ailleurs pas non plus. Il finit de mettre la table et amena les différents plats sur la table.

« Par contre, avant d’y aller, il va falloir que tu manges. Voilà, je t’ai préparé un couscous avec un petit filet d’agneau. Je pense que tu vas aimer mais si ce n’est pas le cas, n’hésite pas à le dire et je te ferai autre chose. »

Sur ce, il servit une belle portion à Naga avant de se servir à son  tour. Il prit place autour de la table et commença à manger. Il remarqua cependant qu’il avait un peu mal cuit la viande mais c’était tout de même bon. Il guetta Naga du coin de l’œil pour voir s’il avait quelque chose à dire. AU bout d’un moment, il finit par dire :

« Où penses-tu m’amener ce soir ? Je te préviens tout de suite, je ne suis pas un adepte des casinos, rigola Hafiz. »

Il disait ça mais il ne faisait qu’énoncer une vérité assez universelle chez les altermondialistes et espéraient que ce n’est pas à quoi Naga pensait.
Dim 6 Mar 2016 - 16:07
C'est en levant ses yeux de son téléphone que Naga se rendit compte qu'Hafiz avait commencé à dresser la table. S'il se sentit coupable de ne pas l'avoir aidé, ce sentiment se dissipa assez rapidement lorsqu'il se rendit compte que l'Iranien n'avait même pas eu l'intention de lui demander. Parfois, cette servilité était un peu effrayante, sauf qu'il ne s'agissait pas d'un manque de personnalité de la part d'Hafiz, bien au contraire : c'était sa personnalité. Aider les autres faisait partie de sa nature, ou de son dressage pensait parfois Naga, et il n'envisageait pas le fait qu'il était aussi digne que les autres et qu'il n'avait pas à tout faire pour eux. Naga aurait dû le lui dire, mais lorsqu'il s'était rendu compte que cela signifiait abandonner sa petite vie confortable, il avait rapidement abandonné. Il n'était pas non plus fou à ce point. Il se décala légèrement pour laisser Hafiz terminer son travail.
À sa grande surprise, l'Iranien était d'accord pour sortir, ce qui fit étrangement plaisir à Naga. Après tout, l'emmener quelque part pouvait être une forme de remerciement pour tout ce qu'il faisait pour lui, et même si Hafiz avait été habitué à la technologie grâce à la formation de l'Institut, Naga restait tout de même plus à l'aise en ville. C'était son terrain de jeu, après tout. Naga espérait vraiment que cette proposition lui faisait plaisir – Hafiz serait capable de dire oui juste pour éviter de le contrarier.

« Parfait, alors. » fit Naga alors qu'Hafiz lui servait le plat.

Tiens, ce n'était pas aussi original que Naga l'avait pensé, ce qui ne signifiait pas que le plat n'avait pas demandé à un certain travail. Rien que d'y penser, Naga ne pouvait s'empêcher d'éprouver de l'admiration pour son colocataire. Passer des heures en cuisine n'était vraiment pas son truc, il préférait s'enfermer dans la salle de bain à la place, ou dans sa chambre, enfin, n'importe où que dans la cuisine. Faire des frites, cuire un steak, voilà qui était déjà beaucoup pour Naga. Il se rendait compte qu'il ignorait totalement les étapes de préparation de cette recette, mais que le résultat était joli. Hafiz pouvait peut-être critiquer la cuisson de l'agneau, mais pas Naga, qui trouva simplement qu'il était chaud.

« C'est drôle, je pensais que tu allais me faire quelque chose avec des feuilles de brick... c'est bien une spécialité iranienne, non ? »

Ce n'en était pas une, mais pour Naga, retenir à peu près d'où venaient les spécialités étrangères était déjà un bel effort. Il préférait se servir de sa mémoire pour retenir toutes les espèces de poisson qui existaient dans cette dimension, car il butait encore sur quelques noms plus exotiques.
Il piqua alors un beau bout d'agneau qu'il fourra dans sa bouche sans trop de délicatesse. Mais même ce geste chez Naga paraissait éminemment cultivé, comme si même ce qui aurait dû être le plus naturel chez lui avait déjà été dompté et maîtrisé depuis belle lurette. On avait appris à Naga à ne pas parler la bouche pleine, et c'était ce qu'il faisait. Il n'avait pas un regard pour Hafiz, et avant que celui-ci reprenne la parole pour lui demander où il comptait l'emmener, il aurait pu tout aussi bien oublier sa présence.

« Hum, voyons voir... À Pallatine ? » proposa Naga d'un ton suppliant.

Il était un peu déçu qu'Hafiz n'aime pas les casinos, même s'il comprenait que cette ambiance ne correspondait pas à quelqu'un d'aussi humble que lui. Surtout qu'il avait reçu il n'y a pas longtemps des jetons de la part de Seung Joo, ce qui lui permettait de jouer sans payer mais de recevoir tous les gains. Naga préférait tout de même garder secret cet arrangement avec cet Ace : ces accords n'étaient pas très bien vus par leurs camarades, d'autant plus lorsque cela portait sur une activité monétisée de ce type. Au final, c'était tout aussi bien qu'Hafiz refuse d'y aller. Mais avait-il un doute sur certaines des activités de son jeune colocataire ?

« Et pas de casino, ce n'est pas digne de nous, renchérit Naga avec sincérité. Non, je pensais à quelque chose de plus innocent, du bowling, par exemple, du patin à glace, n'importe quoi. »

Est-ce que les patins à glace existaient déjà du temps d'Hafiz ? Fichtre, avec ces personnes venues de temps si différents, on en perdait tous ses repères historiques. En tout cas, imaginer Hafiz sur la glace avait quelque chose de comique, et cette pensée élargit légèrement le sourire de Naga, donnant un air facétieux à son visage. Cette activité correspondait plutôt à Naga, qui résistait bien au froid. Il n'avait peut-être pas l'aisance d'un patineur artistique, mais il se déplaçait avec fluidité sur la surface blanche. C'était l'avantage d'habiter dans la banquise. Tout à coup, une vague de nostalgie s'empara de Naga, une vague qu'il n'avait pas prévue alors qu'il avait tout fait pour quitter son village natal. Bizarrement, tout cela lui manquait, et il en oublierait volontiers la puanteur des usines et le regard hagard des pauvres ouvriers pour le plaisir de contempler une étendue immaculée. C'était peut-être le seul charme que Naga avait trouvé à Kaktovik, et c'est sans doute pour cette raison qu'il avait commencé à se dire que le mode de vie inuit avait peut-être son intérêt.
Naga ne savait plus s'il avait encore envie de se rendre à la patinoire, et dans ces cas-là, mieux valait laisser Hafiz décider. Le connaissant, cela s'avérait assez compliqué.

« Sauf si tu veux aller ailleurs. » ajouta Naga.

Son ton s'était fait las, et il était presque certain qu'Hafiz allait remarquer le changement de son humeur. Il comprendrait peut-être même mieux les envies contradictoires de Naga que Naga lui-même.
Lun 7 Mar 2016 - 17:14
Hafiz rit intérieurement mais sourit pleinement à Naga quand celui-ci lui parla des feuilles de brick comme si c’était une spécialité iranienne. Il ne fit pas la remarque à son jeune colocataire mais lui-même savait que les plats à base de feuilles de brick étaient une spécialité nord-africaine. Il n’en voulut pas à Naga car, pour quelqu’un qui avait vécu très loin du monde arabe, avoir entendu parler de la feuille de brick était un miracle. Il savait que ce n’était pas de la mauvaise volonté. Hafiz garda l’idée en tête et en ferai un de ces jours à Naga. Après chaque bouché, l’Iranien jetait des coups d’œil à son vis-à-vis pour voir s’il aimait sa préparation mais il le vit engloutir peu à peu son assiette sans même faire une remarque sur la cuisson de la viande. Lui-même était non pas vraiment déçu mais savait qu’il pouvait faire mieux. Hafiz pensa que son colocataire ne lui fit aucune remarque pour ne pas être désobligeant et lui en fut gré.

Hafiz ne fut pas trop surpris quand Naga lui indiqua qu’il voulait aller à Pallatine. L’iranien savait que l’Inuit, en dépit de sa volonté de devenir pêcheur, était tout de même quelqu’un attaché au confort urbain. Hafiz comprenait parfaitement le sentiment de Naga de vouloir vivre en ville et lui aussi gardait ce souhait au fond de lui pour la simple et bonne raison qu’il voulait mieux connaitre la ville. Il voulait aussi au fond de lui-même dépasser la mauvaise idée qu’il avait de ce monde urbanisé. Mais il se doutait que son camarade avait des objectifs différents. Hafiz ne remarqua cependant pas la déception sur le visage de son colocataire quand il lui dit qu’il ne voulait pas aller au casino. C’est là que Naga lui fit deux propositions qui amenèrent Hafiz à faire les gros yeux à son ami.

« Du bowling ? Du patin à glace ? Je ne sais pas du tout ce que sait. »

Le premier mot ne lui disait absolument rien et il fut bien embêter, voire même un peu honteux de son manque de culture. Il ne savait pas non plus ce que « patin à glace » signifiait. Tout de suite, il pensa bien sûr à la glace qui servait à conserver les aliments au frais ou alors à ces sucreries froides qu’il avait découvertes à Pallatine. Il se doutait donc que cela avait un rapport avec la glace mais sans plus. Dans tous les cas, Naga lui laissa le choix de l’endroit. Hafiz n’était pas très bon quand il s’agissait de prendre des décisions autres que celles qui étaient liées à son métier. En tant que domestique, l’Iranien n’avait jamais eu d’activités particulières au sein du palais à l’exception des rares parties d’échec ou de cartes avec ses parents et les autres serviteurs, jeux qu’ils perdaient presque tout le temps d’ailleurs.

« Tu me poses une vrai colle mon ami, déclara Hafiz avec un grand sourire.  »

Ayant fini son assiette, Hafiz se leva et commença à remplir le lave-vaisselle avec ses couverts mais il cherchait toujours ce qui pourrait faire plaisir à Naga. Il fallait absolument qu’il fasse un choix pour ne pas désappointer son ami. Il réfléchit encore et encore jusqu’à ce qu’il se rappelle d’un détail qu’il avait complètement oublié. Son colocataire était un Inuit, un peuple connu pour les régions froides du monde et donc qui connaissait la glace. Peut-être que le patin à glace était une activité habituelle dans sa culture. De plus, Hafiz voulait encore en apprendre plus sur son ami donc il ne pouvait choisir que cela. Il retourna, cessant ce qu’il était en train de faire, rejoignit Naga à table et, le fixant droit dans les yeux, lui dit d’un air complice :

« Fais-moi essayer le patin à glace. »
Mar 8 Mar 2016 - 21:31
Les propositions de Naga n'avaient pas été faites au hasard : connaissant la période d'origine d'Hafiz et la difficulté de celui-ci à s'adapter à certaines avancées de la science, il avait volontairement évité les activités trop technologiques, qui risquaient de mettre l'Iranien mal à l'aise ou qu'il ne comprendrait pas. Ses connaissances en histoire des loisirs n'étant pas franchement poussées, Naga avait choisi des activités où les clients n'avaient pas besoin de se servir de manettes ou d'un autre objet du genre. Le bowling, la patinoire, ces activités paraissaient si rétro que Naga n'avait pas douté un seul instant qu'Hafiz les connaissait. C'est pourquoi il ne prit tout d'abord pas au sérieux l'étonnement de son colocataire : Hafiz cherchait très certainement à le faire marcher. Plaisanter de la sorte ne lui ressemblait pas, mais tout cette ignorance était impensable. Pas de la part d'un homme du XXe. Puis Naga comprit qu'Hafiz ne jouait pas du tout. Reposant sa fourchette dans son assiette, il observa l'homme à la peau mate comme s'il ne l'avait jamais vu auparavant.

« T'es sérieux ? » demanda Naga, encore un peu incrédule.

Mais Hafiz expliqua que Naga lui avait posé une colle, obligeant l'Inuit à réfléchir à la façon la plus simple de présenter ces deux activités. En faire une description rapide ne poserait pas problème, du moment qu'il n'expliquait pas les règles. Très sérieux, Naga évita le regard de l'Iranien au moment où il reprit :

« Eh bien, le bowling, c'est simple, tu dois faire tomber des quilles en leur lançant une boule dessus. Quant au patin à glace, ben tu vois, tu mets des chaussures spéciales qui te permettent de glisser sur de la glace artificielle – c'est ce qu'on appelle une patinoire. »

Naga évitait de regarder Hafiz parce qu'il sentait que l'ignorance gênait l'aîné des deux. Non qu'Hafiz fût le genre de personne à ne pas accepter d'ignorer quelque chose : le cuisinier était bien trop humble pour cela. Au contraire : l'ignorance gênait Hafiz parce qu'il avait l'impression d'embêter Naga en l'obligeant à lui expliquer les choses. Il ne semblait pas envisager le fait que la situation pouvait amuser l'Inuit.
Était-ce parce que la description de Naga avait été claire, ou parce qu'il avait ressenti que le jeune homme avait un attachement particulier à la glace ? Hafiz lui demanda de lui présenter la deuxième activité. Naga se demandait si c'était une bonne idée : il n'avait pas particulièrement envie d'apprendre à Hafiz à patiner, aussi égoïste que cela était, et aurait été bien content si quelqu'un d'autre que lui se chargeait de l'apprentissage. Mais il ne pouvait pas se défiler de la sorte sans être cruellement malpoli. Et puis, cela valait peut-être mieux que d'essayer de lui enseigner les quelques règles du bowling : Naga n'était plus sûr qu'Hafiz comprendrait, désormais, alors que quelques secondes plus tôt, il y croyait encore. Laissant échapper un léger soupir, Naga hocha la tête et reprit son repas en silence, sans prêter attention à l'autre. Le goût de la nourriture n'avait plus aucun intérêt pour lui, n'en déplaise à Hafiz.
Puis, alors qu'il avait avalé la moitié de son assiette, Naga revint sur le sujet qui le tracassait vraiment.

« Dis-moi, Hafiz... tu ne m'as jamais vraiment expliqué à quoi ressemblait ta vie d'avant. »

Et cela parce que Naga n'avait bien sûr jamais pris la peine de vraiment s'y intéresser. Il s'était contenté de poser quelques questions vagues lors de rencontre afin de briser la glace, et d'écouter brièvement les réponses polies et mesurées qui lui avaient été données. Hafiz n'était pas non plus l'homme le plus bavard de la Terre : l'échange n'avait pas été davantage poussé. À présent, Naga réunissait les quelques informations dont il se souvenait, si elles n'étaient pas fausses. Hafiz avait été un cuisinier bien placé dans sa première vie, il avait notamment travaillé pour le Chat (sic) d'Iran, mais ce matou-là réclamait plus qu'un petit peu de poisson. Et ensuite... Naga devait se creuser la tête. Il y avait eu des troubles dans son pays, et le voilà. Sa vie était bien plus passionnante que celle du pêcheur, mais ce dernier préférait accorder de l'attention à la sienne uniquement.

« Tu n'avais jamais... je ne sais pas, moi, des loisirs ? Tu ne sortais jamais en ville, tu n'allais jamais t'amuser quelque part ? » Pris d'un horrible pressentiment, Naga fronça les sourcils : « Ne me dis pas que t'étais le genre de type tellement bosseur qu'il ne s'arrêtait jamais ? »

Naga le savait, la société de loisirs n'était qu'une invention récente qui devait avoir à peine un siècle lorsqu'il était né. En tout cas, il lui paraissait logique qu'en 1970, le travail ne fût plus la seule occupation des gens. Avec Hafiz, il avait cependant un doute. L'homme semblait appartenir à un autre monde, un monde encore plus ancien. Un monde qui avait disparu dans l'Occident avec 1914.
Jeu 10 Mar 2016 - 16:46
Hafiz apprécia les explications de son ami au sujet des activités qu’il lui proposait et c’est cela qui lui fit se rappeler les origines de l’Inuit et donc choisir le patin à glace. De plus, il se disait  que cette activité serait surement très amusante étant donné qu’il était quelqu’un d’assez maladroit quand il était dans une position d’équilibre. Il s’imaginait bien vautré par terre tandis que Naga lui tournait autour sans avoir le moindre problème pour rester debout. Il distingua cependant un léger changement dans le regard de son colocataire mais il n’aurait su dire quoi. Il fit mine de ne rien avoir vu et continua ce qu’il était en train de faire. Un silence un peu pesant pour Hafiz s’installa dans la pièce mais il fut interrompu par Naga qui lui posa une question à laquelle il ne s’attendait pas. Il voulait savoir à quoi ressemblait sa vie. L’Iranien ne comprenait pas pourquoi son jeune colocataire lui demandait cela, surement maintenant. C’est vrai que Naga lui avait déjà posé quelques questions mais elles n’avaient jamais été aussi directes que celle-ci. Il est vrai que son colocataire ignorait encore beaucoup de choses de lui et inversement. Hafiz n’était pas très bavard sur sa vie d’avant craignant parfois le jugement des autres mais il se dit que s’il n’avait pas en confiance en Naga, alors il ne ferait jamais confiance à personne. Il revint à table, s’installant devant son colocataire et commença :

« Pour tout te dire Naga, ma vie n’est pas des plus intéressante à raconter. Je suis né et j’ai vécu au plus près du pouvoir et cela a eu une grande influence sur ce que j’ai fait. La vie d’un domestique n’est pas ce que l’on pourrait appeler quelque chose d’idéal. Servir le shah a été quelque chose de très bénéfique pour moi je pense mais il faut savoir qu’il pouvait s’avérer très sévère. »

Il prit une petite pause, souhaitant laisser son vis-à-vis revenir en arrière sur sa question s’il ne voulait finalement pas écouter mais Naga se contenta uniquement de lui demander s’il avait des loisirs ou s’il était un forcené du travail. Cette idée fit sourire brièvement Hafiz mais il redevint sérieux tout de suite.

« Non je ne suis pas un bourreau du travail et je pense que si mon maitre m’avait trop mis la pression, je me serais arrêté. Mais non, la cuisine est devenu une passion certes mais je ne suis pas tombé dans le piège d’en faire ma vie. Par contre Naga, il faut que tu saches que vivre dans un palais apporte de nombreuses restrictions. Les enfants n’étaient pas très nombreux dans le palais, ce qui limité beaucoup les jeux auxquels on pouvait jouer. Il y avait aussi le fait que l’on nous interdisait d’être trop bruyants, pour éviter de déranger le shah, sa famille ou encore ses invités. Cela nous limita donc essentiellement à de jeux intellectuels comme les échecs, les casse-têtes ou les devinettes. »

Hafiz se souvint d’ailleurs que la seule fois où lui et deux de ses amis avaient voulu faire une partie de cache-cache, l’intendant du shah étaient venus les voir et leur avaient défendus de recommencer sous peine d’une sanction sévère. Hafiz avait pris peur et s’était toujours tenu correctement. Mais ses deux camarades, un peu plus âgé que lui, pensèrent pouvoir passer outre. Quand il les revit quelques jours plus tard, ils avaient l’air sombre et ne marchait plus très droit. L’intendant leur avait infligé une punition corporelle des plus brutales. Il décida de ne pas parler de cet épisode à Naga. Et repris donc :

« Sortir n’était pas possible non plus. Tout le monde savait que les domestiques laissaient parfois trainer leurs oreilles et écoutaient les conversations, personne ne pouvait donc les laisser sortir, de peur qu’il ne révèle des secrets liés au pouvoir. Les seules fois où nous pouvions sortir, nous le faisions accompagner de gardes, et c’était uniquement pour servir de porteur au marché. On ne peut donc pas dire qu’il y avait beaucoup matière à s’amuser. De plus, la multiplication des révoltes dans le marqua un renfermement du palais sur lui-même et bientôt, plus personne ne put sortir du palais sans autorisation. Le peur nous accompagnait tous les jours et presque rien ne pouvait nous amuser. Je crois que le jour où je fus le plus triste fut quand on m’apprit la mort de mon maitre. Je gardais le sourire mais ce n’étais qu’une façade. Enfin voilà, les choses arrivent ainsi, on ne peut pas lutter. »

Il remarqua qu’il ne regardait plus Naga. Il ne savait pas depuis combien de temps mais, en racontant son histoire, il l’avait revu défiler devant ses yeux, oubliant la présence de tout le reste. S’en voulant un peu, il se focalisa sur l’Inuit avec un sourire feint et lui dit :

« Mais je t’embêtes avec mes histoires et j’ai la sale impression d’avoir plombé l’ambiance. »

Il espérait sincèrement qu’il n’avait pas ennuyé son colocataire avec ses histoires et voulait presque se cacher et oublier ce qu’il venait de raconter.
Sam 12 Mar 2016 - 20:37
D'une façon ou d'une autre, la question que Naga avait posée avait plombé l'ambiance. La réticence d'Hafiz à parler de son passé semblait s'être répandue dans l'air, jusqu'à le rendre étrangement étouffant. Naga commençait à regretter sa curiosité : lui qui n'était pourtant pas un grand gaffeur venait de commettre une belle boulette en se mêlant de ce qui ne le regardait pas. Il avait beau être persuadé qu'une discussion constructive valait mieux que le silence, même Naga pouvait se rendre compte qu'il valait mieux employer des pincettes lorsque des traumatismes surgis du passé entraient en jeu. Mais quel traumatisme, alors ? Et cela avait-il seulement un rapport avec l'histoire ? Ou bien cette plaie n'était-elle propre qu'à Hafiz ? Difficile de le savoir sans de meilleures connaissances historiques.
Au moment même où Naga allait se raviser et changer brutalement de sujet avec son indifférence coutumière, Hafiz brisa le silence, permettant à l'air de retrouver sa densité habituelle. Naga en avait presque oublié de respirer. Face au récit édifiant que lui faisait l'Iranien, Naga ne savait pas quelle réponse était appropriée. Il sentait bien qu'Hafiz essayait de rester le plus vague possible, comme si les détails renfermaient des réalités qu'il valait mieux ne pas évoquer. Que pouvait donc cacher cette sévérité du Shah, qu'Hafiz se remémorait dès lors qu'il parlait de sa formation ? Quels secrets d'État sa proximité avec le pouvoir avait-elle pu lui révéler ? Tout cela intéressait Naga : sa curiosité lui tiraillait le ventre et lui donnait presque envie de forcer son colocataire à tout révéler. Mais il ne pouvait pas. Hafiz trouverait cet intérêt, inhabituel chez l'Inuit, particulièrement malsain. Mieux valait feindre son indifférence habituelle, qui éveillerait moins les soupçons.
Et puis, il était beaucoup plus facile de réagir sur les conditions de vie très rudes que l'on avait imposé à Hafiz lorsqu'il était le jeune. Comme le craignait Naga, on lui interdisait la plupart des gens intéressants, lui demandant d'être silencieux comme un mort-vivant, de dépenser son énergie juvénile dans des activités qui ne l'épuisaient pas. Mais il est vrai qu'il travaillait – Hafiz ne l'avait pas précisé, dans la mesure où cette donnée lui paraissait logique, mais les enfants étaient embauchés dès qu'ils étaient assez grand pour effectuer quelques travaux. L'expression de Naga se transformait peu à peu en un choc muet : l'Inuit n'aurait jamais pu vivre ainsi. Pour accepter ce mode de vie, il fallait vraiment n'avoir rien connu d'autre. L'Iranien était incapable de voir toute la cruauté du traitement qu'on lui avait réservé – et s'il avait parlé de l'épisode auquel il pensait, Naga aurait crié à la torture, horrifié par les châtiments corporels, qui lui semblaient aussi barbares qu'inutiles. Il était bien élevé et n'avait pourtant jamais été soumis à tel supplice.
Profitant de son silence, Hafiz continua à décrire l'horreur de la vie en Iran. Enfermés en permanence dans un palais, par crainte de les voir révéler des secrets qui ne seraient pas tombés dans l'oreille d'un sourd, ils avaient ensuite été soumis à des révoltes – à ce mot, Naga tiqua, mais il ne put pas dire qu'il s'étonnait que la situation tournât ainsi – et avaient vécu dans la peur. Comme si cela ne suffisait pas, Hafiz se sentit obligé de parler de la mort de son maître, la cerise sur le gâteau qui acheva de gâter l'humeur de Naga.
Hafiz avait l'impression d'avoir plombé l'ambiance. En cela, il ne se trompait pas du tout :

« Un peu beaucoup, même, expliqua Naga. J'ai le moral dans les chaussettes, maintenant. C'est juste... horrible. »

À présent, Naga savait à peu près ce qu'avait pu être la vie d'Hafiz. Rien d'étonnant, avec un environnement pareil, de se sentir blessé par son passé et de se comporter de façon aussi servile. Il avait subi un véritable lavage de cerveau et n'avait même pas été récompensé par une situation politique stable. En comparaison, la lente extinction de la communauté inupiat de Kaktovik faisait presque office d'événement heureux. Presque. On ne touchait pas aux Inupiat de Naga.
Mais tout de même, pourquoi avait-il fallu qu'Hafiz en dise autant ? Tout ce que Naga demandait, c'était savoir s'il avait eu des loisirs : apprendre que son peuple avait été probablement massacré à plusieurs reprises à cause de révoltes ne faisait pas partie des informations que Naga désirait obtenir. Tant qu'il ignorait tout cela, Naga pouvait faire semblant que son colocataire était un homme normal, peut-être un peu trop docile pour son propre bien. Mais à présent que Naga savait, il ne pouvait qu'éprouver de la culpabilité à l'idée d'exploiter un si pauvre et honnête homme.
Pourquoi, Hafiz, pourquoi le dire ?

Repoussant sa chaise de la table, Naga adressa au cuisinier un regard mort :

« Maintenant, je n'ai plus du tout envie de sortir. Pardonne-moi, mais toutes ces révélations m'ont un peu retourné l'estomac. Je crois que je ferais mieux d'arrêter de manger. »

Ce serait bien dommage si Hafiz avait préparé davantage de plats, et notamment un dessert : l'Inuit avait perdu tout appétit en même tant que sa motivation. Naga avait été en quelque sorte touché par la tragédie qui avait frappé Hafiz plus jeune, et bizarrement, cela lui donnait envie de se remettre en question immédiatement. Ce genre de remise en question s'était déjà produite une fois, lorsque Naga s'était rendu compte qu'il avait bien hâtivement tiré le trait sur les Inupiat, et qu'il était grand temps de racheter son pardon. Les résultats ne seraient pas aussi spectaculaires dans le cas précis : touché sur le moment, puisque rien dans l'histoire de l'Iranien ne se rattachait au vécu de Naga, l'Inuit oublierait bien vite sa mélancolie et passerait à autre chose. Il ferait preuve de gentillesse et de bonne volonté avec Hafiz pendant quelques temps. Puis le naturel reviendrait aussi rapidement que la lassitude de devoir faire des efforts alors qu'il n'en avait pas vraiment envie. Tout redeviendrait exactement comme avant.
Naga avait pratiquement quitté la cuisine quand il interrompit soudain ses pas. Quelque chose le tracassait encore. Quelque chose qu'il fallait régler le plus rapidement possible.

« Mais pourquoi tu ne me dis jamais rien si je ne te demande pas ? lui reprocha Naga en lui tournant le dos. Il faut toujours que tu te montres honnête aux moments qu'il ne faut pas. Je ne sais pas, mon gars, un peu de retenue, tu pouvais te douter que tout me balancer d'un coup allait me faire du mal. Tu sais très bien à quel point je suis sensible au malheur des autres. »

Au malheur des autres, ou au sien, c'est au choix. C'était une façon de présenter les choses qui avait l'avantage d'éviter d'employer le terme d'égoïste, que Naga avait pourtant bien mérité.
Lun 14 Mar 2016 - 17:08
Hafiz compris tout de suite l’erreur quand il vit l’expression de Naga, ce que confirma peu de temps après ce que dit l’Inuit. Ce qu’il redoutait au fond de lui arriva tout de même : Naga avait totalement changé d’attitude, rien que son regard en dit long sur ce qu’il pouvait ressentir. Le coup de grâce fut quand son colocataire ne voulait plus passer de temps avec lui et qu’il ne voulait même plus mangé. Il laissa Naga parlait, lui reprocher toutes les erreurs qu’il avait pu faire en lui racontant ces évènements. Et plus son ami parlé, plus l’estomac et la gorge de Hafiz se serrait pour ne laisser place qu’à la douleur, mais il laissa rien transparaitre sur son visage. Il avait mal non pas à cause de ce que Naga disait mais bien parce qu’il prit conscience du trop-plein d’informations qu’il avait balancé comme cela à Naga. Sans s’en être rendu compte, il s’était laissé aller à tout raconter. Jamais ça ne lui était arrivé, souhaitant toujours rester dans le vague. Mais là quelque chose avait changé. Était-ce le fait qu’il considère Naga comme son ami ou était-ce simplement parce que quelqu’un lui posait vraiment une question sur sa vie dont il avait tellement besoin de s’exorciser. Il ne put dire qu’une chose :

"Je  suis désolé Naga."

Il aurait tellement eu envie de dire autre chose. Il était prêt à se jeter au pied de son colocataire pour lui présenter ses plus profondes excuses. Mais il se doutait que cela mettrait Naga encore plus colère. À quoi le jeune Iranien s’attendait-il ? Que son ami le réconforte, le prenne dans ses bras pour lui dire que c’était fini, comme la mère d’Hafiz l’avait fait quand il était petit et qu’il ne comprenait pas toujours tout. Il fallait qu’il fasse autre chose pour ne pas craquer, pas devant Naga qui, dans l’état où il était, serait vexé. Il se leva et commença à débarrasser la table. Remplir le lave-vaisselle et nettoyer ne lui prit que quelques minutes qui ne suffirent pas à faire passer cette douleur qui s’emmagasiner à l’intérieur de lui.  Une seule phrase passait en boucle dans sa tête :

« Tu n’es qu’un con Hafiz ! »

Il ne pouvait pas rester comme ça, pas dans l’appartement. Il extirpa le sac poubelle de son contenant et sortit de l’appartement. Il descendit les quelques étages qui le séparait de la zone des déchets, ne croisant personne. Il entra dans le débarras et, quand la porte claqua dans boucan assourdissant, il laissa toute sa tristesse explosé. Les larmes coulèrent à flot à tel point que Hafiz se demandait si elles n’avaient jamais coulé autant. Il se blottit dans un coin de la pièce, entre deux gros containers, la tête entre les mains. De toute façon, c’était là sa place, comme ça l’avait toujours été. À ce moment-là, l’Iranien ne se voyait plus comme un poids mort pour Naga, un déchet qui n’avait sa place que dans le plus profond des trous. Pourquoi l’Institut l’avait-il fait venir ici ? Ces types auraient très bien pu le laisser se faire assassiner, de toute façon il n’aurait manqué à personne à Pallatine et sa famille le croyait surement mort depuis longtemps.

Plusieurs minutes s’écoulèrent sans que Hafiz ne s’en rende compte et il finit par arrêter de pleurer, surement par manque d’eau dans son corps se dit-il. Il fallait qu’il remonte, même si la douleur n’était pas totalement passée. Naga ne s’était probablement pas rendu compte qu’il avait quitté l’appartement. Il s’essuya le visage, se frotta un peu les yeux et remonta. Encore une fois, il ne croisa personne mais ce fut à son plus grand soulagement. Arrivée devant la porte de son appartement, il souffla un grand coup, tentant vainement de masquer sa tristesse et son dégout de lui-même derrière un sourire. Il avait son plan, rentrer et filer le plus rapidement dans sa chambre pour ne pas se trouver sur le chemin de son ami.
Il entra.
Lun 14 Mar 2016 - 19:11
Naga aurait bien aimé provoquer une réaction chez Hafiz. De la colère, de la révolte même. Rien qu'un soupçon d'indignation aurait suffi. Une partie de lui avait conscience qu'il avait dépassé les bornes et que la façon dont il traitait son colocataire était abjecte. Si Hafiz avait pris la peine de le lui faire remarquer, Naga aurait réagi avec colère, refusant d'entendre les arguments et les plaintes de l'Iranien, mais il aurait pris acte de la bêtise dont il faisait preuve. L'Iranien savait peut-être qu'il ne servait à rien de vouloir inciter Naga à se remettre en question et abandonnait peut-être pour cette raison. Mais il était également possible qu'il abandonnât parce qu'il se sentait en tort, une possibilité qui contrariait Naga plus que de raison. La docilité d'Hafiz était certes agréable, mais se révélait parfois handicapante lorsqu'il fallait aborder des sujets importants. Naga ne le laisserait jamais avoir raison.
Et voilà qu'Hafiz s'excusait. La scène était aussi pathétique que déplaisante. Naga se sentait envahi par un dégoût profond. Cette situation l'écœurait, et il s'en voulait d'en être quelque peu responsable. Il était plus facile de rejeter publiquement la faute sur Hafiz qui accepterait le blâme, mais ce n'était pas tout à fait satisfaisant. Son cœur savait très bien ce que son cerveau refusait à haute voix.

« Laisse tomber, fit Naga, déçu. Ça n'a pas d'importance. »

Abandonnant Hafiz sur place, Naga monta dans sa chambre, avec l'intention de passer sa soirée seul avec lui-même et de déverser sa colère sur les réseaux sociaux. Il se demandait bien comment réagiraient les autres lorsqu'il aurait présenté sa version (biaisée) des faits. Il savait que tout le monde l'approuverait, parce qu'il monterait à quel point Hafiz était cruel de vouloir le faire culpabiliser avec les détails horribles de son passé. Comme si c'était de la faute de Naga s'il avait eu une histoire personnelle paisible ! Allumant pour la première fois de la journée son ordinateur, Naga se rendit compte qu'il avait oublié son téléphone dans la cuisine. En temps normal, il aurait demandé à son colocataire d'aller le chercher pour lui, mais Naga n'était pas bête. S'il donnait un ordre à Hafiz maintenant, celui-ci s'empresserait de l'exécuter, prouvant ainsi sa bonne volonté. Ce n'était pas dans l'intérêt de Naga, pas s'il voulait se faire passer pour la victime. En soupirant, il se força à se lever pour se rendre dans la cuisine. Ce serait peut-être l'occasion de reprendre la discussion avec Hafiz.
Si le téléphone se trouvait là où Naga l'avait laissé, le cuisinier, lui, n'était pas là. Étrange. La cuisine semblait propre : Hafiz avait peut-être terminé son travail, finalement. Naga ne l'avait cependant pas entendu partir. Il ne l'entendait jamais, de toute façon, sauf s'il devait se plaindre qu'il troublait son sommeil. Avait-il vraiment envie de le rejoindre et de lui parler ? Pas vraiment. Éviter son colocataire était de loin la solution la plus facile, celle qui plaisait le plus à Naga, et qu'il était le plus enclin à choisir. Pourtant, Naga avait du mal à quitter la cuisine. Quelque chose l'y retenait, il ne savait pas trop quoi. Il avait le sentiment qu'Hafiz finirait pas y revenir, et qu'il devrait être là pour l'attendre. Étrange, non ?
La porte d'entrée de l'appartement claqua soudain, et Naga comprit qu'Hafiz était sorti. C'était le moment où jamais : s'il ne sortait pas de cette cuisine, il ne réglerait jamais cette question. Trouver le courage nécessaire pour faire le premier pas était cependant une véritable épreuve personnelle que Naga accomplit les yeux fermés, sans réfléchir pour éviter de revenir en arrière.
Ce qu'il vit le choqua :

« Hafiz. » fit Naga pour combler le silence.

Il avait pleuré. Hafiz avait pleuré. D'une certaine manière, Naga trouvait cela rassurant : cela signifiait qu'Hafiz avait des émotions, et qu'il pouvait être amené à les exprimer si la situation s'y prêtait. Mais c'était également très perturbant. Naga ne savait pas comment réagir. Il aurait tenté de le consoler en temps normal, s'il n'avait pas eu la certitude que les larmes de l'Iranien avaient coulé par sa faute. S'il devait critiquer quelqu'un, ce serait lui-même, ce qui rendait caduc ses discours tout fait.
Mais sans ses discours tout fait, que pouvait dire Naga ?
Mar 15 Mar 2016 - 22:25
À la vision de Naga, son faux sourire raté disparu de son visage. Finalement il était plus dure de tromper son monde que ne le penser Hafiz. La douleur vint quand son colocataire prononça son nom mais pas aussi forte qu’avant, lui évitant à nouveau de verser des larmes. Il baissa le regard, ne sachant pas trop quoi dire. Mais il sentait qu’il devait se justifiait alors il dit :

« Je suis allé descendre les poubelles, fallait pas m’attendre. »

Pourquoi avait-il dit ça ? Son colocataire se douter bien de ce qu’il était allé faire donc à quoi cela servait-il de lui énoncer une évidence.  Voilà, Hafiz en rajouter une couche. Il avait énervé Naga et maintenant il le prenait pour un idiot. Bravo ! L’Iranien jetait des coups d’œil à son vis-à-vis pour voir sa réaction mais il était très mauvais à ce jeu-là. Il ne voyait pas quoi faire pour arranger les choses et surtout quoi dire. Il se décida finalement à parler :

« Bon bah je crois que je vais aller me coucher tôt ce soir. Je vais prendre une petite douche et j’irai au lit. »

Et comme si ça ne suffisait pas, maintenant il racontait sa vie à Naga qui n’en avait surement rien à faire. Il fallait qu’il bouge. S’il restait trop longtemps dans la pièce, il commencera à s’excuser ou à faire d’autres choses stupides. Mais ce ne serait pas respectueux de partir sans avoir tenté ne serait-ce qu’un petit peu de s’expliquer.

« Naga, je… Je ne sais pas ce qui m’est arrivé au cours du repas. Je me suis laissé un peu trop emporter. J’avais vraiment besoin d’en parler à quelqu’un mais je ne voulais pas te faire du mal. J’espère que tu pourras me pardonner. »

Il ne savait pas quoi lui dire d’autre. Qu’est-ce qu’il pouvait ajouter qui règlerait les choses. Il n’en avait vraiment aucune idée. C’est dans ce genre de situation qu’il aurait aimé avoir la même force de caractère que quand il travaillait et diriger son équipe. Il était conscient de cette « faiblesse » dans ce qu’il était mais il n’y pouvait rien et ne voulait pas changer non plus. Une idée lui vint soudain à l’esprit mais il prenait un risque. Il s’approcha de Naga, se planta devant lui et lui tendit la main.

« On oublie ça ? demanda Hafiz avec un sourire sincère. Je n’ai vraiment pas envie que ça reste tendu entre nous comme ça. Je ne voudrais pas perdre un ami. »

Cette action serait peut-être la dernière et il devait la tenter pour sauver  cette amitié, même si celle-ci n’allait que dans un sens.
Ven 18 Mar 2016 - 19:17
La culpabilité de Naga reflua bien rapidement quand il devint évident qu'Hafiz n'allait rien lui reprocher. Certes, l'Iranien avait sa fierté, et refusait de reconnaître qu'il avait pleuré : cela, Naga pouvait parfaitement le comprendre. Mais pourquoi ne disait-il rien ? Non seulement il ne formulait aucune parole de reproche, mais en plus, ses paroles ne sous-entendaient aucun reproche. Ce comportement presque angélique commençait à agacer Naga. Si l'Inuit avait douté que son colocataire avait un problème, il en avait désormais la certitude. Et avec elle, celle que toute discussion avec Hafiz se révélerait inutile et infructueuse.
C'est pourquoi la réponse de Naga se révéla particulièrement éloquente :

« Ok. »

Ok, fais ce que tu veux, ça n'a pas d'importance. Ok, si tu ne veux pas me faire face, je m'en fous, ce ne sera pas ma faute. C'est toi qui a un problème, pas moi. Pour Naga, l'affaire était donc réglée : il avait conclu qu'Hafiz était fragile, et qu'il fallait faire attention à lui parce qu'il était incapable de se protéger lui-même. Naga en prendrait compte et ferait à l'attention à l'avenir à éviter tout sujet sensible : il était évident qu'Hafiz n'était pas capable de les affronter. Ce serait le moins qu'il puisse faire pour lui. Il s'apprêtait à retourner à sa chambre, l'esprit en paix, quand Hafiz reprit la parole pour exprimer ses sentiments. Ah, la voilà enfin, cette fameuse confession. Le dos tourné à l'Iranien, Naga arborait un étrange sourire, comme s'il avait attendu ce moment pendant toute une vie, et que sa patience avait enfin été récompensée. Ou plutôt, comme s'il avait prévu que les choses tourneraient ainsi et qu'il se sentait fier d'avoir pu anticiper le déroulement de leur conversation. Les paroles d'Hafiz ne l'étonnèrent pas le moins du monde, ni par leur contenu, ni par la façon de présenter les choses. Une nouvelle fois, Naga était dégagé de toute responsabilité. Cela l'arrangeait, bien sûr, mais il se demandait tout de même si un jour, Hafiz aurait la vivacité d'esprit pour comprendre ce qui se passait.
À quoi bon ? Hafiz ne le dirait de toute façon jamais.
Lorsque Naga se retourna, estimant que ne pas regarder en face une personne qui s'excuse était d'une cruauté sans nom, il eut la surprise de voir qu'Hafiz se tenait devant lui, lui tendant la main, espérant par ce geste futile réparer ce qui était brisé. Une poignée de main n'engageait pas Naga, mais si Hafiz en avait besoin, il était prêt à essayer. Il la saisit, et par la même occasion, ajouta son petit commentaire :

« Il faudrait vraiment que tu revoies ta conception de l'amitié, elle est franchement bancale. »

Sur cette parole énigmatique, Naga lâcha la main d'Hafiz. L'Inuit était persuadé que son colocataire allait se tromper sur le sens de ses paroles et penser que Naga ne le considérait pas comme un ami, alors que c'était tout l'inverse que l'intéressé désirait prouver. Une véritable amitié ne se brisait pas pour si peu.

« Fais-toi un peu confiance, ajouta Naga. Si tu te remets en question dès qu'on te dit un truc, ça ne va pas aller. »

Oui, ceci était un conseil honnête et sincère, enfin, à peu près. Naga se sentait incapable de se montrer gentil dans une occasion pareille : il ne considérait pas qu'il avait besoin de convaincre Hafiz de son amitié ou de le manipuler pour obtenir quelque chose de lui. Il avait déjà tout cela. Qui plus est, la véritable amitié était d'accepter l'autre dans ses défauts, ce qui signifiait qu'Hafiz devrait se blinder contre le caractère mesquin de Naga. L'Inuit de son côté comprenait déjà pas mal comment fonctionnait Hafiz.

« Si tu veux aller te coucher, je ne te retiens pas, on sortira une autre fois. »
Lun 21 Mar 2016 - 17:25
Lorsque Naga lui serra la main, ce fut comme si l’ensemble du monde de l’Iranien se reconstruisait peu à peu. Cette poignée de main représentait tout pour Hafiz qui avait failli perdre pied quelques minutes plus tôt. La douleur qui lui avait serré la gorge et les tripes se dissipa au plus grand soulagement du cuisinier, et la blessure qu’il avait au cœur se cicatrisa à nouveau, pour un bon moment se rassura-t-il. Il sourit à l’Inuit quand celui-ci accompagna la parole au geste. L’amitié. C’est vrai que Hafiz ne savait pas exactement ce que c’était mais s’il était sûr d’une chose, c’est que dans son esprit et dans son cœur, Naga était l’unique personne à incarné ce concept. L’iranien prenait les mots de son colocataire comme un réconfort. Bien sûr que Naga pouvait vouloir dire que pour sa part, il ne considérait pas Hafiz comme un ami mais l’Iranien avait le sentiment qu’il ne fallait pas s’arrêter au premier degré et chercher un message caché. Du moins, c’est comme ça que le prit Hafiz.

Ce que Naga lui dit ensuite ne fit pas perdre le sourire à Hafiz. Il savait en effet qu’il devait à tout prix gagner en confiance en soi quand il parlait aux autres. Et pourtant, ce n’est pas cette confiance en lui qui lui manquait mais c’est juste qu’il avait beaucoup de mal à ressentir cette confiance ailleurs que dans une cuisine. Le pire dans toute cette histoire fut qu’il s’était dit en arrivant à Pallatine qu’il devait changer sa façon d’être, ou tout du moins gagner en force de caractère car son attitude de domestique ne lui permettrait pas de s’en sortir ici. Cette attitude n’était bonne que si on avait un maitre, ce qui n’était plus le cas pour l’Iranien. Mais entre le dire et le faire,  il y avait un gouffre que Hafiz n’avait pas réussi à enjamber. Il était prêt à faire tous les efforts du monde pour changer ça, et il trouverait la motivation à le faire rien que pour voir Naga être fier de lui.

« Je comprends ce que tu veux dire Naga. Je vais faire en sorte que cela ne se reproduise plus. »

Mais l’Inuit n’avait pas fini et ce que Hafiz entendit son ami dire le laissa pantois. Malgré tout ce qui s’était passé, Naga était tout de même prêt à sortir  avec lui. La joie que ressenti le cuisinier à ce moment-là était totalement indescriptible et, s’il ne s’était retenu, il aurait sauté au coup de l’Inuit. Hafiz avait en effet voulu réparer les choses entre lui et Naga mais il ne s’était pas attendu à cela de la part de son vis-à-vis.

« Bien sûr que je veux sortir. Oublies ce que je viens de dire. Laisse-moi juste aller prendre une douche et on y va. »

Il ne laissa même pas le temps à Naga de répondre qu’il se précipitait dans la salle de bain pour la seconde fois de la journée. Il se lava assez vite, le seul but étant de faire disparaitre l’odeur que le dépôt à ordure avait laissée sur lui. Comme vêtements, il choisit une chemise blanche avec un petit gilet brun sans manche et un pantalon appareillé. Il ne voulait pas paraitre négliger devant Naga ou face aux personnes qui les verrait ensemble. Il savait que les gens étaient souvent très rapides pour juger sur l’apparence physique. Il revint là où il avait laissé son ami et dit :

« Bon je suis prêt, on y va quand tu veux. Par contre, j’annonce tout de suite que je te paye un coup à boire juste après hein. »

C’était la moindre des choses qu’il pouvait faire pour une personne qui était aussi attentionnée avec lui.
Mar 22 Mar 2016 - 19:28
Tourner la page, refermer une parenthèse, voilà tout ce à quoi aspirait Naga au moment où il serrait la main d'Hafiz. Il n'aimait pas les effusions inutiles, qui lui avaient été épargnées depuis son plus jeune âge, aspirant plutôt à régler ses problèmes vite fait, bien fait. Naga avait fait son discours, s'était réconcilié avec Hafiz, et il passait déjà à autre chose. Il envisageait déjà ce qu'il allait faire de sa soirée, les personnes à qui il enverrait des messages, les sites qu'il consulterait et pourquoi pas, en fin de soirée, sortir un peu. Ce n'était pas raisonnable, il devrait être debout tôt le lendemain matin, mais lorsque le moral était au plus bas, la raison était une bien piètre consolation. Ces petites baisses de régime étaient le moment idéal pour se permettre quelques interdits. Naga avait envie de ne penser à lui, car Hafiz le contrariait, à prendre la mouche pour rien et à accepter ses critiques sans prendre la peine d'y réfléchir. Était-ce seulement possible d'être aussi... aussi... il n'y avait pas de mot adéquat pour décrire cette servilité en amitié.
Le problème, c'est qu'il y eut un malentendu quelque part. Lorsque l'Iranien lui répondit qu'il voulait bien sûr sortir, Naga fronça les sourcils. Il n'avait jamais proposé de revenir sur ce qu'il avait dit, n'avait jamais formulé cette deuxième invitation qu'Hafiz pensait avoir entendue. Naga se creusa la tête pour essayer de comprendre comment ce dernier pouvait se faire des idées pareilles... et comprit que sa façon de mettre fin à la conversation avait été mal interprétée. Pour Naga, il s'agissait d'une façon polie de lui souhaiter bonne nuit, pas de sous-entendre qu'il voulait partir sans lui. Quel pauvre type, pour se rattacher ainsi aux moindres perches non-tendues. Si encore il faisait cela pour manipuler Naga... mais non, même pas. L'Inuit avait fortement envie de soupirer – les disputes ne le mettaient pas en joie, et il était beaucoup plus facile de plomber son humeur que de lui donner le sourire. Il n'était pas girouette à ce point.

« Euh, j'ai jamais... »

Le problème aurait pu être gérable si Hafiz ne s'était pas précipité dans la salle de bain sans attendre sa réponse. C'est qu'il avait vraiment envie d'être ailleurs. Naga se permit de soupirer fortement. Il n'avait même pas eu le temps d'aller récupérer son flacon de parfum, et cela l'agaçait plus que tout. À présent que l'orage était passé, il pouvait se permettre de se laisser aller à de si futiles pensées. Il devrait se contenter de ce qu'il trouverait dans sa chambre, tant pis si cela ne correspondait pas à son humeur.
Se parfumer l'aida à se détendre un peu. Naga n'avait toujours pas plus envie de sortir que depuis tout à l'heure. Il pensait qu'après une dispute, il valait mieux laisser les choses se calmer, plutôt que de chercher à se rabibocher par la force. Allez faire comprendre cela à Hafiz ! Naga ne pouvait pas l'affronter alors qu'il se sentait encore par un sentiment de culpabilité envers lui. Mais l'Iranien lui faisait tellement pitié que même un être comme Naga ne pouvait s'empêcher de se sentir touché par sa détresse. Il aurait été un monstre s'il n'avait pas ressenti un élan de bonté à son égard dans une situation pareille. Être seul l'aidait également à se remettre les idées en place. Naga avait tout le temps dont il avait besoin pour mener une introspection minutieuse, et il pensait toutes les paroles qui avaient été prononcées pour déterminer son degré de responsabilité. Le silence... Au fond de lui, Naga avait besoin de cette solitude, la présence des autres le rendait insupportable, ingérable, jusqu'à l'écœurement. Et personne ne songeait vraiment à lui donner.
En entendant du bruit venir de la salle de bain, Naga se résolut à quitter sa chambre et à redescendre dans l'entrée. Il ne savait pas quel effet la bonne humeur d'Hafiz aurait sur lui, mais en général, une personne heureuse alors qu'elle n'aurait pas dû l'être et que vous ne l'étiez pas alors que vous auriez dû l'être n'arrangeait pas vos affaires. Ses bonnes intentions fonderaient-elles comme neige au soleil ? Du courage, Naga.
Non seulement Hafiz était heureux, mais en plus, il voulait lui payer un verre. C'était surprenant. Hafiz connaissait-il donc des adresses ? Cela ne lui ressemblait pas vraiment, et cela faisait plaisir à Naga. Enfin une initiative ! (et la perspective d'économiser un peu d'argent) Répondre positivement était beaucoup plus facile dans ces conditions.

« Bon, d'accord. Mais moi, je voulais aller au casino, je n'ai vraiment pas la tête à la patinoire. »

Puisque tout était parti de là. De cette étrange nostalgie que la patinoire avait éveillée en lui. Hafiz comprendrait peut-être. Ou pas. Peu importe. Mais puisqu'il était plus ouvert d'esprit que d'habitude et prêt à rompre avec ses habitudes d'altermondialiste, pourquoi pas ?
Naga ne voulut rien entendre : il sortit de l'appartement tout seul. Si le casino déplaisait à Hafiz, c'était son problème, pas le sien. Il était motivé à partir et n'allait laisser personne gâcher son initiative.
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