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.Only prayers left alive | Sansar.

Dim 22 Jan 2017 - 17:06
Sansar

Sansar Enkhsaikhan

feat OC - Ibuki Satsuki |

Caractère

À la surface du thé flotte une feuille d'herbe, de celles qui ne sont rien de moins que l'ellipse des étoiles. La fumée s'en élève avec des langueurs d'automne, lascive, à l'agonie, fidèle peinture du vieillard non loin assoupi sur les lattes cirées de sa terrasse, et le tableau tout entier longuement se dissipe derrière le verre poli de ses prunelles. Il est là, immobile, couché sur son monde ainsi que le ventre vorace d'un dieu dévoreur d'enfants, à regarder ce temps qui s'écoule entre chaque battement de cils, entre chaque clin jusqu'à guetter le déclin, à attendre la fin qui ne vient pas, qui vient toujours trop tôt, qui vient et qu'il ne sait apprivoiser.
Ce que l'on pense au nadir de sa vie, ce que l'on ressent, ce en quoi l'on croit, Sansar l'ignore. Et parce qu'à ses yeux muets le moindre geste prend des airs d'abandon, puisque le moindre souffle résonne tel un adieu, il y songe sans cesse, ne trouvant jamais ni réponse ni nom à cette inconnue qui marche dans ses pas silencieux.

Sansar est statue. Sansar est pierre à cerf, pétrifié quelque part à l'orée de l'univers, pétri de compassion, un blanc mégalithe d'abnégation. Sur son visage dont les années ont estompé les couleurs demeure un sourire infini, pâle, presque chagrin, qu'il adresse à quiconque croise sa route, désintéressé. D'une frêle clarté. C'est qu'il ne lui reste plus assez de temps pour le perdre par mépris ou le tuer en de futiles conflits – nul besoin de se convaincre du contraire face à ces phalanges qui n'en finissent plus de tressaillir –, aussi préfère-t-il user du diamant de la pitié, et qu'importe si ses ongles s'arrachent sous ses caresses répétées, qu'importe s'il ne subsiste à la fin qu'une poussière d'os à racler ; Sansar a tellement à donner avant de partir, tant et tant qu'il en oublie qu'il ne possède rien à offrir. Si peu au creux des mains. Un trésor dérisoire, fruit d'un ascétisme contraint puis recherché. Alors, à pleines brassées fait-il voler les fables nées de ses souvenirs, les contes tissés à même la langue, et que virevoltent pour les autres ces lumières qui ont cessé de danser devant lui. Incapable de compter, il dispense à ceux qui lui font grâce d'un instant ce qui n'a pas de prix, prodigue mille attentions, professe valeurs à la folie, miséreux dépourvu d'avarice, et l'on médit de lui qu'il irait jusqu'à embrasser celui qui l'aurait poignardé. Dans le cosmos de Sansar n'existe plus ni remords ni préjugés, prêtant du « Cher... » à tous, adjuvant ou opposant, gamin ou vieillard, aveugle aux actes des uns comme aux intentions des autres. Tous lui sont désormais précieux. Et tous il salue d'une égale manière, avec révérence, considérant que les distinctions n'en valent plus guère la peine.
Ce renoncement aux vanités, ce don déraisonnable de soi ne s'accomplirent que sur le tard, pourtant.

À l'époque où ses jambes le portaient encore d'un élan solide, à l'époque où les silhouettes se découpaient encore dans le marbre de sa vision – où les contours sous ses doigts ne s'évanouissaient pas –, il aima et haït tour à tour avec la même ardeur, s'empoisonna l'âme pour une étincelle de gratitude, foula au corps ses convictions pour un éclat vengeur et dédaigna les honneurs faciles afin d'en récolter de plus obscurs, les lauriers de cendres du jardin des ombres. Ceux qui en furent victimes lui reprochèrent ardemment ses trahisons, ceux qu'il dupa déclarèrent ne daigner le revoir qu'à la condition que sa tête ornât leur frontispice, mais, en dépit de ces impardonnables traîtrises, au fil de ses innombrables méfaits nécessaires, s'il est une loyauté qu'il n'ébranla en aucune circonstance et pour laquelle son immédiat sacrifice n'aurait été qu'une médiocre tentative de rédemption s'il y avait été un jour contraint, ce fut à l'évidence celle qui l'enchaîna à son maître et qui, par-delà sa mort, le lia de toute éternité à l'Iwasaki-rengô.
Sansar et la diaspora, ce n'est pas de l'amour – trop fluide pour appartenir à une autre sphère que celle des hommes ; il ne s'agit pas non plus de devoir, qu'il naquît d'une promesse ou d'un ordre. Sansar et l'Iwasaki, c'est une science, un axiome, un système atomique. Un code génétique strictement identique, qu'il ne partage non pas avec ses membres, mais avec la structure même du clan – du moins lui en a-t-on souvent fait la remarque. Les individus qui le composent n'y sont peut-être pas étrangers, néanmoins ils ne forment que le substrat délitescent de cette entité, de cette harmonie inhérente à sa propre anatomie ; il l'a dans le derme, dans le sang, dans chacune de ses fibres et de ses cristaux, patrimoine cellulaire commun, lui voue sa vie – plus grand-chose, donc – et continue de la servir avec une inaltérable ferveur. Très jeune, il sut en effet qu'il ne serait qu'un misérable rouage, un écrou dispensable de quelque marche historique indifférente à sa position, et cette idée longtemps noircit sa rétine. Jamais ne lui fit-on grâce d'un si grand honneur qu'en lui attribuant sa place parmi la diaspora, une infime encoche dans ce sublime mécanisme que de purs esprits venaient de fonder et qu'il occupe encore dans le secret de beaucoup.

Temudjin est un nom peu ou mal connu des nouvelles générations. Les anciens se souviennent-ils peut-être de son rôle quand les jeunes n'y accolent que des rumeurs aux vagues relents de mythe. Aujourd'hui, presque personne hors diaspora ne songerait que cet ancêtre en train de déambuler sur ses trois pattes fut le khan d'un vaste royaume dont les racines s'étendent toujours d'un bout à l'autre de Pallatine ; il a certes abandonné son trône, vieillesse oblige, cependant il n'est pas rare de l'apercevoir aux abords d'un bordel asiatique, sollicitant une entrevue avec le propriétaire ou discutant avec les employés désœuvrés, repartant les bras chargé de pollen et d'écorce. Même si la sénescence le rattrape et qu'il a quitté depuis plusieurs années déjà les couloirs enfumés de ces bouges, rien ne saurait lui interdire ces escapades en son plus proche pays.
Le sien lui a toujours trop manqué. Et il lui tarde autant qu'il redoute d'enfin le retrouver.

Sansar

Âge: 86 ans
Naissance: 17 mai 1862
Départ: 1878
Présence en ville: 70 ans
Nationalité: Mongol
Métier: Ex-dirigeant de maison close et ancien ambassadeur-coordinateur auprès des responsables des réseaux de prostitution asiatiques.
Statut civil: Célibataire

Groupe: Iwasaki-rengō
Section: Anciennement Lotus rouge
Rang: Membre honoraire
Nom de code: Temudjin

Taille: 1.74 cm
Corpulence: Plus très fraîche.
Cheveux: Neigeux.
Yeux: Quasiment aveugles. D'un noir blanchi.
Autres: La peau de son dos est un véritable papyrus de cicatrices. Il se repère aux bruits et aux odeurs.

Histoire

Son père, ses oncles, ses grands frères et cousins sont en train de défaire le campement. Le soleil froid de la fin d'août balaie les hauts plateaux de l'Arkhangaï, noie d'un or gris les crêtes abruptes bordant les steppes ; dans peu de temps les herbes rêches se couvriront de neige, les pistes disparaîtront sous les flocons et les frontières de leur aïl, à l'endroit où ils séjournèrent durant ce court et bel été, seront consacrés par la glace et les traditions, empêchant quiconque de les fouler au pied. Les chevaux piaffent à l'approche du départ. Le pelage des yaks tousse des nuages de lumière dès qu'on les charge des ballots de peaux ou des soutiens de bois. Près du foyer qu'alimentent sa mère, ses tantes et ses jeunes sœurs, Sansar échauffe sa voix aux premières notes du morin huur, les narines effleurées par les odeurs de mouton bouilli. Aussi loin que porte son regard n'existe que l'espace, le cœur infini de ce pays où l'horizon commence là où termine le corps – et Sansar se dit qu'il serait bon que tout perdure ainsi, que rien ne s'arrête, ni le démontage des panneaux de feutre des yourtes, ni le cliquetis des sangles qui battent aux flancs des chameaux, ni le babil de la dernière-née qu'il amuse par ses jeux de cordes. Que la saison étire indéfiniment ses ultimes chaleurs, que les voix de ses proches s'élèvent toujours plus haut par-delà les reliefs familiers, que les esprits de la terre et Tengri lui-même continuent de fredonner au son du khöömi.
Les hauts plateaux. Les herbes rêches. Le mouton bouilli.
Ce serait bon, oui.

... trèfle amarante glaïeul reine-des-prés centaurée tulipe achillée saxifrage pétunia jasmin amaryllis marguerite garance mouron bleu freesia tamaris dent-de-lion morelle colchique hellébore rose anthurium digitale crocus lavande campanule perce-neige gerbera pivoine liseron...

Depuis combien de temps traîne-t-il, perdu quelque part entre ces mornes façades de béton, à ramper en tirant sur sa jambe fracturée, un mal de chien, sans savoir où aller, où quémander du secours ? Où se sont enfuies ses tendres montagnes, les fumerolles hospitalières des feux crépusculaires et les longs hennissements rassurants des museaux chauds ? Par quel sort injuste a-t-il atterri ici, sur ce lac de terre semé de bâtisses trouées d'un ciel dur et cerclé d'un fleuve à l'unique rivage ? D'où sortent ces lanternes dépourvues de flammes, ces sols lisses et glacials, ces deels morcelés, cousus de partout, sertis de cailloux plats et si fins que la moindre braise y creuserait des trous ? Que sont-ce ces jours tièdes à l'heure où le blizzard devrait déjà gémir d'un bout à l'autre de la plaine, ces pluies moins capricieuses que les humeurs des hommes et ces astres aux étranges lueurs ? Et quand lui rendra-t-on les siens, alors que voilà dix jours qu'il erre parmi les rues et les propos inintelligibles qu'il est incapable de traduire, à manger des langages inconnus et des couleuvres anonymes, à voir la solidarité qu'il supplie le rejeter sans scrupule ? A-t-il eu tort de s'être échappé de ce sanctuaire où il avait été enfermé, croyant tout d'abord avoir franchi le seuil du séjour des dieux ? Serait-il mort d'une autre manière que de faim et de douleur, aurait-il survécu à sa propre terreur ? Aurait-il jamais rencontré, à cet instant fragile, le sens de son existence ?
« Tu me dois ta vie. À partir de maintenant, j'en userai donc selon mon droit. »
Ce furent les premiers mots qu'il entendit de lui. Abasourdi par les sonorités natales, sincères bien qu'écorchées, il n'eut même pas le réflexe de protester. D'un seul coup, la galaxie entière ne se réduisit plus qu'à cette gamelle déposée devant lui, ce gruau épais et graisseux dans lequel surnageaient des morceaux de mouton, et à la silhouette lui souriant à travers les larmes impossibles à ravaler. De tous les ragoûts qu'il lui fut donné de goûter, ce fut sans conteste le plus infect. Mais il n'en laissa pas une miette.

... camélia euphorbe jonquille adonis violette hyacinthe orchidée pâquerette arum ophrys plantain valériane trolle stellaire ortie lotier iris œillet azalée magnolia primevère pensée genêt gueule-de-loup chrysanthème tournesol gentiane aubépine edelweiss lys dryade coquelicot...

Chun-Lian Fu compte plus de défauts que de qualités, davantage de travers que de droiture ainsi qu'un nombre conséquent de torts au sommet desquels se perchent la mauvaise foi, l'hypocrisie et l'opiniâtreté – un homme ô combien fréquentable, somme toute –, et dont la compassion n'a d'égale que son talent culinaire – frôlant le zéro absolu. Or, il dispose en contrepartie d'une confiance en lui-même inaltérable ainsi que d'une patience légendaire ornée d'une parfaite maîtrise de son territoire comme de son cheptel. L'information est reine, se plaît-il à répéter, et aime se nicher sous les oreillers. Sachant cela, il est aisé de voir dans le métier de Chun-Lian l'illustration d'une vocation innée, l'accomplissement d'un destin que Sansar n'aurait pas une fois espéré effleurer ne serait-ce que dans ses fantaisies les plus délirantes. Il ne s'en remit jamais tout à fait.
Il se souvient de ce faciès lisse, de ce parfum touffu de mangue verte et d'eucalyptus, de ces mains aux phalanges noueuses, doigts de soie dans un gant d'argent, se souvient de deux onyx moqueurs sous le fin pinceau de ses sourcils, de la bague d'acier torsadée qu'il portait au majeur gauche, des volutes prétentieuses à l'extrémité de son porte-cigarette, du remous charbonneux au fond de sa gorge. Il avait à peine seize ans lorsqu'il fit la rencontre du Chinois – celui-ci en avait déjà vingt de plus. Pourtant, c'est toujours cette même image de lui qui demeure dès qu'il en appelle à sa mémoire ; celle d'un prince félin, sournois en ses robes chatoyantes, qui s'approche de lui en plaisantant, un sourire mutin tracé au pourpre sur sa bouche, le prend dans ses bras, lui relève le menton pour l'admirer, et le gifle.

« Que tu es laid, Sansar, c'est à pleurer. »
Le jeune homme ne moufte pas. Garde les prunelles fixes, accrochées au motif de héron sculpté sur l'imposante bibliothèque qui se reflète juste au-dessus du crâne de Chun-Lian. À dix-neuf ans, son portrait dans la glace n'est guère aussi repoussant que s'amuse à le répéter son maître ; les caractéristiques ineffaçables de ses origines sertissent son minois d'un exotisme qu'apprécient la plupart de ses clients, toutes nationalités confondues. Le haut de ses joues a conservé ses rondeurs enfantines, sa peau n'a pas revêtu le grain sobre de la maturité et sa chevelure d'ébène, que son propriétaire coiffe avec une surprenante tendresse, luit d'un chaleureux éclat bleu. Et malgré cela, Chun-Lian le juge hideux.
« Sais-tu pourquoi ? »
Il secoue la tête, mutique, ce qui lui vaut un brusque coup de peigne.
« Parce que tu n'as pas confiance en toi. Et tu n'as pas confiance en toi parce que tu ne crois pas en moi. C'est aussi simple que cela. Tu es laid parce que tu ne me fais pas confiance. »
Une telle logique lui flanque la nausée – les interrogations tourbillonnent derrière ses tempes, mais il les retient avec désarroi tandis que son aîné s'en va fouiller les étagères à la recherche de quelque chose qu'il ne distingue pas, et s'en revient ensuite pour lui commander avec fermeté d'ouvrir ses mâchoires. Servile et silencieux, Sansar s'exécute. Trois ans au service du Chinois lui a d'ores et déjà appris à étouffer toute forme de protestation orale. Chun-Lian lui enfonce alors deux doigts jusqu'à la glotte pour caler une minuscule bille entre ses molaires, puis les retire en lâchant son ordre :
« Mords, maintenant. »
Aussitôt les yeux du garçon s'affolent. Ses prunelles lancent un cri fébrile, un appel de détresse à celui qui les observe et demeure inflexible – une supplique sans réplique. Les poings serrés sur ses genoux, il se met à trembler ; sa langue frémit au contact de cette capsule dont il devine le contenu, pour en avoir découvert l'usage auprès de ses camarades d'infortune, et qu'il ne peut se résoudre à déchirer. Ce n'est pas un banal défi. Une épreuve qui prouverait son dévouement ou même un de ces jeux sordides qui font le régal du dominant. Il n'y a rien que sa vie, là-dedans. Sa vie qu'il tient au creux des dents, entre deux tombes d'ivoire. Et son maître qui n'en finit plus de le contempler – sa vie sous ses propres crocs – que n'eût-il pas donné pour les planter dans sa gorge à lui ?
Sa gueule se referme. Ses poumons éclatent avec le rire de Chun-Lian.
La saveur du sucre, terriblement amère.
« Je retire ce que j'ai dit. Tu es peut-être plus beau que tu n'en as l'air, après tout. »
Sansar ne peut se retenir de vomir.

... acanthe millepertuis fumeterre laurier orpin pervenche renoncule bruyère réséda astragale grémil hélianthème narcisse néottie sceau de Salomon tête de dragon silène souci raiponce pyrole myosotis  joubarbe clématite pied-de-chat pissenlit vipérine ficoïde ciste sauge cornouiller...

Il est une fille au bordel qui surpasse toutes les autres. Non qu'elle soit plus belle ou plus raffinée, non, au contraire. Elle est plutôt du genre à raser les murs, s'effraie d'un bruit, cache son visage sous une frange veinée de blanc nonobstant ses airs puérils. Quand Sansar travaille, la tête enfouie dans les coussins, il lui arrive de l'entendre miauler à travers la paroi qui sépare les deux chambres. Alors qu'il traite tous ses collègues avec la même empathie – c'est-à-dire le strict minimum illégal –, il éprouve pour elle une souffrance insolite, une plaie au cœur qui ne dit pas son nom. Ronce, c'est le sien. Professionnel, du moins. La lubie est signée du maître des lieux ; pour ne pas avoir à s'infliger les prononciations désastreuses des patronymes cosmopolites de ses employés, il a exigé qu'on les remplace par ces sobriquets végétaux – ersatz de pépinière royale – et les choisit avec un souci d'esthète. Il faut avouer que, une fois ce baptême réalisé, le charme est immédiat et personne n'a jamais contesté un surnom bancal ou mal-ajusté, même dans l'intimité salvatrice des bains. Et Ronce, cela sied à ravir à cette brindille taiseuse, cette solitude griffue dont les plaintes larmoyantes font le ravissement de ses usagers.
Il y a une règle, dans la Maison. Les relations inter-personnel sont prohibées.  
L'unique interdit que Sansar bafoua sans même s'en rendre compte.
Ronce et lui ne s'aimèrent pas d'amour tendre ; ils ne le firent d'ailleurs que par hasard, par mégarde, une ou deux fois tout au plus, assez néanmoins pour que cette parenthèse prît en son temps des proportions inappropriées et, pour le coup, plutôt encombrantes. Le bourgeon ne survécut pas aux rigueurs de son premier hiver. Ce ne fut un malheur pour aucun d'eux. À l'époque, Sansar avait atteint bon gré mal gré le quart de siècle, de même que Ronce, bien qu'on lui en octroyait moins d'un cinquième, et ce fait qu'un œil extérieur jugerait une tragédie les rapprocha d'une irrésistible façon. Ils refusèrent de réitérer l'expérience. Préférèrent devenir amis. Le sont toujours.

Puis les années soixante bousculèrent l'environnement de la Maison et sonnèrent le glas de son âge de bronze. Au contact d'autres responsables de son rang, Chun-Lian mûrit le projet de transformer son établissement, de revendiquer des lettres de noblesse qui le distinguerait des maquereaux occidentaux, piètres jouisseurs à la marchandise vulgaire. Ralliant désormais d'anciens concurrents, le réseau de prostitution asiatique cessa de jouer les autophages pour se consolider sur la durée et s'ancrer profondément dans les intérêts des différents clans. Dans le jargon, disons que le sexe prit du galon. Debout à la droite de Chun-Lian depuis qu'il avait surmonté son rite initiatique, Sansar entrapercevait de mieux en mieux les potentialités d'une telle posture. Il comprit que la beauté conjuguée au pouvoir formait un couple mortel, à l'intelligence vicieuse et à la puissance fascinante, et que si les apparences étaient au service de l'inhérence, lui-même était mis au service des apparences, et constituait en cela une strate particulière du mille-feuilles orchestré par le Chinois. Il découvrit par la même occasion le véritable dessein de ce dernier, et les circonstances pour lesquelles il avait organisé son transfert – de la langue épineuse de Ronce. De ce soir de septembre où il se précipita dans les appartements du coupable, il se rappelle encore l'arôme résineux du bâton d'encens mis à brûler sur le secrétaire, les vapeurs orageuses dégouttant le long des vases, l'atmosphère de guerre enfumant l'alcôve d'une brume rougeâtre. Et plantée sur la scène à l'instar d'un acteur révisant son soliloque, la silhouette du maître dans son haut château.
Qui sait déjà tout.

... chardon capucine asphodèle pavot salicaire séneçon verveine géranium érine gaillet cardamine bleuet belladone bouton d'or aster balsamine flambe daphné thym vesce romarin scille sabline rhododendron oxalis myrtille joli-bois knautie immortelle giroflée homme pendu...

Le visage de Chun-Lian est si près du sien qu'il peut presque sentir le velours de ses cils caresser ses joues. Il brille au fond de ses prunelles un orgueil féroce, une luciole de satisfaction dont Sansar ne saisit pas le motif ; qu'y aurait-il donc d'enivrant dans le fait d'être acculé à un mur, une aiguille d'ivoire pointée sur la jugulaire, face à un homme révolté qui vous crache vos mille vérités ? Le buste du propriétaire palpite en douceur contre son torse. Il semble tellement svelte, tellement vulnérable, comme s'il suffisait de s'y appuyer davantage pour en briser la cage et délivrer l'alouette qui s'agite à l'intérieur, docile et turbulente tour à tour, exaltée.
« Vous avez volé ma vie. Vous avez volé mon monde, ma famille et mon avenir, assène Sansar.  
Exact. »
Le ton est calme, gracieux. Désarçonnant.
« Vous m'avez exploité, vendu et meurtri pendant des années. Pour votre propre intérêt.
En effet.
– Vous l'avez fait parce qu'il vous suffisait de le vouloir. Parce que vous en aviez le pouvoir !
Pas tout à fait...
– Alors pourquoi ?! »
Entre les deux mains qui le secouent avec vigueur, Chun-Lian prend soudain des allures de poupée de chiffon. On dirait qu'il va s'éteindre – ses iris pareils à deux motus noirs et humides. Il lève ses poignets vers la figure de Sansar, laisse courir ses phalanges dans les herbes de ses cheveux, puis reprend en un murmure :
« Ton arrivée à Pallatine, ta fuite de l'Institut, ton altercation subite dans la ruelle pour t'abandonner sur mon perron, crois-tu que ce ne fût que du hasard ? Oh, il y en a une bonne part, je te l'accorde ; cela aurait pu n'importe qui d'autre, bien que j'ai tenu à circonscrire l'aire géographique à ta chère nation. Mais le hasard n'est que la guenille de la fatalité. Car c'est toi qui est apparu. Et c'est de toi dont j'ai besoin pour créer mon Empire.
– Votre Empire ? »
Le sourire du maître dévoile ses dents ; ses ongles raclent le crâne de Sansar.
« Rien de ce que j'accomplirai ne pourra me hisser au rang auquel j'aspire. Il en est ainsi depuis les origines, c'est ma réalité. Alors il me faut quelqu'un pour occuper cette place, quelqu'un qui ait toute ma confiance, mon respect et mon estime afin de s'acquitter de cette tâche. Ce n'est pas un rôle facile, ma chère Ancolie.
– Rien ne change ! Vous me demandez de continuer à être votre pantin. En connaissance de cause.
La connaissance est la clef de voûte, Sansar, c'est grâce à elle que l'on construit des cathédrales. Ne l'accueille pas avec tant d'ingratitude. Pour l'instant, tu es le soldat en attente de la victoire, le héros avant sa gloire. Mais si tu restes à mes côtés, je te ferai Empereur. Crois en moi et tu seras le grand Khan, Temudjin. »
Le vertige, telle une lame monstrueuse jaillie des abysses, engloutit toutes les étoiles.

Les décennies suivantes, tandis que la cité babylonienne fleurissait sous l'hégémonie verdoyante des Altermondialistes, permirent à Chun-Lian et Sansar d'approfondir leur réforme prostitutionnelle et d'ériger leurs défenses diplomatiques. Par le biais d'échanges de services ou de marchandises entre les différents chefs de claques, par de subtiles méthodes de chantage, par la pratique régulière de l'espionnage et du contre-espionnage et, parfois, si nécessaire, par quelques enlèvements ou frappes plus violentes, le vaste chantier entamé par le Chinois fut patiemment mis en œuvre. Sansar, qui ne se présentait plus que sous le seul nom de Temudjin, endossa les responsabilités d'ambassadeur, un titre pompeux que raillait souvent Ronce et qui démontrait, en un sens, son entière allégeance au seigneur. L'amie spinescente quitta par ailleurs la Maison l'année de la création des alliances asiatiques ; après avoir soutenu le futur khan dans son ascension au pouvoir et servi pour lui d'intendante secrète, elle partit vivre avec un Cambodgien et ouvrit une épicerie dont les réserves, dit-on, assurait une partie de l'approvisionnement de son ancien lieu de travail. Elle adopta trois enfants. Et à la question de Sansar qui l'interrogeait sur l'énigmatique réalité de Chun-Lian, elle avait répondu d'un sourire indescriptible, ceux-là même qui n'appartiennent qu'aux femmes, et qui ressemblait à s'y méprendre à celui de son maître.

... amourette brunelle filipendule églantine linaire onagre lupin pulsatille ravenelle sagine vélar mauve érythrone hibiscus rafflesia acacia aigremoine camomille kalmie chèvrefeuille passiflore lotus pois de senteur misère pourpre volubilis nénuphar myrte glycine muguet...

Constructeur acharné de la chrysalide qui donna le jour à l'Iwasaki-rengô, Chun-Lian n'eut cependant pas le loisir d'en admirer l'avènement. Il mourut à l'aube du nouveau millénaire d'une pneumonie, plongeant son temple dans d'affligeantes ténèbres ; Temudjin fit tout son possible pour assurer la relève et mettre sur le siège vide un digne successeur, sauf qu'il se heurta aux ambitions de jeunes chefs de gangs que l'industrie du sexe à la mode de jadis n'emballait plus et que les rivalités avec les gangsters avaient rendu brutaux et efficaces – la beauté resplendissante promue par Chun-Lian, certes longue à s'épanouir, mais douée d'une fidélité et d'une souplesse intrinsèques, se flétrit au profit du rendement. Les clients entraient puis sortaient – certains ne prenaient même plus la peine d'ôter leurs chaussures – et les belles-de-nuit avaient l'œil terne et le soupir au bord des lèvres. Il subsistait bien, çà et là, des nœuds de joie ou des débris de liesse que Sansar protégeait avec la férocité d'une chatte couvant sa progéniture, si peu pourtant, des lambeaux, des fleurs sèches sur le parchemin de ses paumes, et les clameurs l'appelant se confondaient avec les fantômes.
2005 annonça sa retraite.
Il disparut.

... nemophile héliotrope anémone saule houx if cyprès.

Du haut de son exil, Temudjin continue de veiller sur l'héritage de Chun-Lian, d'appliquer ses valeurs et d'entretenir ses relations. Même s'il ne touche plus aux pions dont il fut témoin de l'émergence et qu'il se contente de répondre aux requêtes qui lui échouent, puisque personne mieux que lui ne se déplace avec autant d'aisance à l'intérieur de ce capharnaüm capiteux, il conserve à l'égard du clan asiatique une dévotion sans faille. À quatre-vingt-six ans, que lui reste-t-il d'autre ?
Un rameau de ronce, un brin d'ancolie, et dans le silence de la nuit le son lointain du khöömi.  

Ceci est un grand écart facial et j'ai une crampe. Au secours.

Sinon, le métier, le sous-groupe et le rang sont en attente de vos prescriptions, puisque j'ignore trop comment remplir ces champs... Puis j'ai sans doute oublié plein de trucs - encore - mais à un moment il faut savoir s'arrêter. Et comme beaucoup d'informations ont dû être inventées, n'hésitez pas à me corriger sur des points qui auraient été extrapolés.

Ah, et c'est le DC de Cam. Oui, quand même.
Il y a tout mon amour pour vous dans ce papy.

Dim 22 Jan 2017 - 19:38
CE DC.
On a eu un paquet de personnages absolument géniaux, mais Sansar, lui, il rafle tout, je crois. Et mon dieu que tu écris magnifiquement bien. S'il y a des inexactitudes, je serais incapable de les voir tellement c'est PARFAIT. En même temps, Sansar n'a pas l'air facile à jouer, je te souhaite bien du courage aussi.
Pour le métier, je ne sais pas si à 86 ans c'est encore nécessaire, à voir avec la spécialiste je pense. .Only prayers left alive | Sansar. 3416388633

De l'amour. Cœur
Dim 22 Jan 2017 - 19:59
Je crois que je n'ai jamais respecté quelqu'un autant que toi.
Je n'ai pas encore tout lu, parce que j'ai envie de savourer ta fiche, mais te connaissant ça va être une merveille. Cette idée de personnage est déjà parfaite. Littéralement.
Pour le métier, effectivement, il n'est plus nécessaire d'en avoir un, tu peux quand même indiquer ce qu'il a fait. Le sous-groupe, je pense que seuls Iwasaki et Lotus peuvent convenir, à toi de voir ce que tu préfères, mais dans les deux cas ça correspondrait surtout à ses dernières années (pas le tout tout départ quoi Malicieux Malicieux ). Et de même pour le rang, je pense que tu peux le considérer comme honoraire, ça me paraît bien ?
Mar 24 Jan 2017 - 10:14
Je crois que je pourrais ensevelir cette page sous une avalanche de gratitude et d'amour que ce ne serait pas suffisant pour traduire l'émotion que vos commentaires me procurent. C'est. Mon dieu. Beaucoup trop pour mon p'tit cœur. Merci merci merci. Je ferai de mon mieux pour être digne de ce respect !

.Only prayers left alive | Sansar. Old-man-crying

Du coup, sur les conseils de Sneug, la section sera "Lotus Rouge", même si cela me paraît un peu réducteur par rapport à ce que Sansar considère aujourd'hui comme l'Iwasaki-rengô. On expliquera cela par le fait que lorsqu'il était au firmament de sa carrière, bien avant que Tsunemi ne prenne la tête de la diaspora, c'étaient les décisions de Chun-Lian qui primaient et que celui-ci, de par ses origines, s'était greffé au groupement chinois. Si cela convient comme justification ?

Et membre honoraire, c'est parfait ~
Mar 24 Jan 2017 - 11:31
OH MON DIEU OH MON DIEU OH MON DIEU.
MAIS TU LES MÉRITES TOUS CES COMPLIMENTS, TU SAIS ?
J'ai connu beaucoup de gens qui écrivaient bien, mais toi tu es un cran au dessus, en toute sincérité. C'est absolument magique ce que tu écris, comme avec Cam tu as une façon de rendre ton texte vivant et poétique, je ne sais pas comment tu fais. Apprends-moi. Et ton personnage en lui-même est absolument bouleversant, la façon dont tu le décris est de toute beauté, et on sent que ce n'est pas forcé. Je n'ai même pas les mots nécessaires pour décrire toutes ces émotions en moi quand je lis ta fiche. J'ai envie d'un rp. Je regrette de ne pas avoir plus de temps que cela.
Sinon, pour le groupe, après avoir vu ta fiche, tu peux considérer que c'est un groupe à part. J'en suis désolée, j'aurais probablement dû le faire plus tôt mais franchement, c'est le genre de fiche qui s'apprécie trop pour lire en vitesse. Ça ne pose en tout cas aucun problème, vu que la fin ne contredit nullement la situation actuelle.
Et merci pour cette fiche. Sincèrement. Mon respect pour toi, déjà bien grand, atteint des sommets.

Sansar Enkhsaikhan

a reçu son permis de séjour à Pallatine

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Ce permis de séjour vous donne le droit de résider à Pallatine, de trouver un emploi et d'appartenir à une diaspora. Il atteste que vous êtes apte à vivre par vos propres moyens en ville. Nous vous rappelons que ce permis est obligatoire pour toutes vos démarches administratives auprès de l'Institut.

Si vous trouvez cette carte, merci de la déposer à l'Institut.

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Facultatifs :
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