Histoire

"Quel bel enfant ! Vous avez vu ses yeux ?!"
Ah nan nan, désolée de vous contredire : un bébé c'est laid. C'est joufflu, ça pleure, ça crie, c'est jamais content, ça mange seulement quand on fait le petit avion ou quand on se met à chanter des chansons à la con.  Ouais, la joie. Mais finalement on espère tous qu'il soit heureux plus tard ou de le faire devenir un mini-soi, ce qui est assez ridicule en fait. Ou plutôt vraiment vraiment nul. Obliger un enfant à avoir la personnalité de ses propres parents, c'est vraiment merdique. C'est pas amusant. C'est un truc de connard.
Ca tombe bien non ? On est dans un monde de salopards.
Tellement des salopards qu'ils n'arrivent pas à se réjouir que c'est une fille. Ouais Carrie, t'as un vagin. Ouais tes parents auraient préféré autre chose. Déjà on sent la vie de merde qui commence, oulalalalah. Le truc bien dramatique des familles avec des pleurs, des cris et des morts.
Eh bah nan.



"Je suis occupée."
Une bien triste phrase qui sonne mal dans tes oreilles. T'as le seum, hein ? Les larmes ne tardent pas à s'échouer sur tes candides joues pour finir le trajet jusqu'à ton menton. T'es petite, tu te fais des histoires. Tu te dis que tes parents t'aiment pas, que sinon ils t'auraient fait une petite sœur et que même ils s'occuperaient de toi.
Que même ils seraient pas toujours sur leurs ordinateurs.
Tu comprends pas pourquoi ils travaillent tout le temps, pourquoi être un papa et une maman c'est pas aussi un boulot. Toi tu voudrais bien jouer à des trucs avec eux, mais ils ont pas le temps. "Le temps c'est de l'argent." Dans une société comme ça, c'est normal non ? Maman soupire, papa râle. Ils sont pas contents de ce qu'ils font. Tu tournes comme une mouche à la maison, car tu n'as que ça à faire de toute manière. L'école est terminée aujourd'hui, les copines doivent faire la même choses chez elles et ça c'est triste. T'aimerais bien être grande, comme ça tu pourrais aller dans leur maison. Pis peut-être que tu pourrais faire comme papa et maman, être une opportuniste.



"Regardez ! Y'a Ca-Ca-Carrie ! Ouuuuuuh, elle va pleurer ! Ahah, c'est vraiment trop marrant ! Tu sais pas parleeeeeer ? T'es trop débile pour ?"

Aristote, Lewis Caroll, Moïse, Albert Einstein. Vous connaissez ces personnalités n'est-ce pas ? Eh bien, elles ont un point commun. Elles sont bègues.
Vous ne saviez pas, hein ? Vous ne vous doutiez pas que ces putains de bègues ne sont pas forcément des attardés ? Maintenant vous le savez, et vous avez intérêt à fermer votre clapet. Vous ne valez pas mieux que ces rats dans les égouts ou des charognards. Vous êtes tellement faibles putain, de vous attaquer aux différences des autres. Elle va grandir, apprendre que la vie est injuste et vous vous allez devenir des connards. Des imbus d'eux-même sans cervelle.
Ne t'inquiète pas Carrie, ça va aller. Tout va bien se passer. Joue de la guitare invisible comme te l'a montré Madame Yû et inspire. Y'a que ça qui marche. Y'a que derrière cet instrument à cordes que tu prends confiance et que t'arrives à parler correctement. T'as douze ans.
Ca fait cinq ans que ça dure. Que tu te caches derrière une guitare invisible, que tu frottes tes vêtements comme si tu frottais des cordes sous la table en classe quand tu veux poser une question.
Tu ne te laisseras pas faire. Madame Yû -ta psychologue- t'a beaucoup aidé pour que tu reprennes confiance en toi. T'as commencé à écrire des chansons, des paroles de musique qui ne veulent rien dire pour te laisser aller. Pour oublier, t'échapper pendant quelques instants au point que tu te sentes transporter dans un autre univers. T'as besoin de rien d'autre. Ta musique, et toi.



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