Histoire

A l'intention des personnes qui récupéreront Elliott Yuri Stilinski,

Je vous en conjure, prenez soin de lui. C'est un enfant terrorisé, il a vu tant d'horreurs en si peu de temps… Ne le laissez pas dormir seul, même s'il en fait la demande ou se déclare assez grand pour supporter la solitude dans le noir ; il mentirait et, en quelques minutes, vous supplierait de le rejoindre et de laisser la lumière allumée.

J'aurais voulu lui offrir une enfance des plus traditionnelles, avec une famille stable aussi bien psychologiquement que financièrement ; mais la guerre nous est tombée dessus, son père a été enlevé presque immédiatement… Je suis moi-même russe, mais lui était un juif autrichien et nous avions décidé d'emménager chez lui, si proche de l'Allemagne. Crédules comme nous l'étions, c'était inévitable : dès que la Shoah a commencé, nous nous sommes réfugiés partout où c'était possible.

Et aujourd'hui, alors que nous entamons la cinquième année consécutive de massacre humain, mon petit Elliott a atteint sa première décennie. Je refuse de le voir souffrir d'autres bombardements, d'autres fuites ou d'autres morts, mais je ne puis l'accompagner dans son voyage. Mes frères, mes sœurs et mes parents ont besoin de moi, ils ont besoin que je reste auprès d'eux. C'est pourquoi je vous écris cette lettre, suite à notre accord : emmenez Elliott, peu importe où tant que c'est ailleurs que dans ce monde gangrené par la haine et le mépris d'autrui.

Il est né fragile de santé, dans des conditions assez misérables ; la liste des médicaments qu'il doit prendre est dans son sac, pliée au fond de la poche avant. Veillez à ce qu'il les prenne tous, même s'il semble rechigner à obéir. La douceur fonctionne mieux avec lui, je la recommande vivement – ce n'est pas un enfant si difficile, une fois qu'il se sent en sécurité.

Il est fort probable qu'il se sente d'abord menacé par mon absence, je ne l'ai jamais quitté depuis qu'on l'a mis dans les bras, la première fois. Et pourtant, aujourd'hui, je vous le confie.

Prenez soin de lui, je vous en supplie. Je remets entre vos mains ce que j'ai de plus cher, comprenez mon désarroi. Et, si par chance ses souvenirs sont altérés, ne lui rappelez pas les horreurs de cette guerre. Atténuez, enjolivez la réalité, peu importe… Faites que sa vie soit longue et la plus sereine possible.

Je m'en remets à vous. Sincèrement,
Madame Cinthia Stilinski, anciennement Kazakov, mère d'Elliott Stilinski.