Dim 28 Aoû 2016 - 20:33
Les doigts posés sur le cristal et les sons qui enveloppent l'espace. Paroles et tintements, rires feutrés au dessus des verres. Jambes croisées, main sur la cuisse. Les gouttes de champagnes dorées au bord des lèvres, et les cils courbés qui papillonnent. La main remonte doucement, sur sa propriété. La jambe frémit, se rétracte un court instant. Le regard noir de l'homme rencontre le diamant des prunelles de la femme et elle se laisse faire. Elle plie, puis compose un sourire sur ses lèvres roses pour gommer le sentiment qui l'a éprise une seconde auparavant. Il prend sa nuque, plaque sa bouche contre la sienne dans un mouvement possessif, sans tendresse. Elle se laisse faire, docile, ses lèvres se mouvant de concert avec les siennes sans maladresse. Sa propriété. C'est cela, qu'elle est.
Et il trouve cela agréable, d'avoir sa petite chose. Son petit oiseau, dans sa robe moulante avec son regard brillant et ses jolies lèvres qu'il aime regarder se mouvoir... Elle ne parle pas beaucoup, sa petite chose. Et ça l'arrange, elle ne l'embarrasse pas. Il peut l'emmener partout. Si elle n'était pas si jolie, il oublierait presque qu'elle est là. Comme un joli volatile coloré que l'on aime exhiber, mais qui n'a pas vraiment grand intérêt. Pourtant, il en profite. Il peut montrer le pouvoir qu'il a sur elle, le pouvoir qu'il a sur les autres.
Sa petite chose, sa petite... Chose.
Nettie lève les yeux vers le luminaire au mur une fois débarrassée de l'emprise étouffante d'Alteo. Elle croise le regard dédaigneux d'une femme assise non loin d'elle. Elle est entourée d'hommes dont la tranche d'âge va de la trentaine à la cinquantaine. Elle est belle, droite, le regard acéré. Au même niveau que les autres. Nettie fuit délibérément ces orbes bruns qui la jugent sans vergogne. Toujours sur son visage ce même air innocent. La petite poule d'Alteo, voilà comme on la considère ici. Il a toujours une main posée sur elle, il lui tourne presque le dos à présent. Il est plongé dans une discussion dont la jeune femme ne perd pas une miette. Pourtant, elle n'a rien de vraiment intéressant, mais elle écoute comme il parle. Elle regarde ses faux semblants, prête attention à ses allusions, écoute ses ironies et surtout le sous texte de ses mots. Elle se rend rapidement compte que toute la conversation n'est que le théâtre de deux coqs cherchant à se dominer. Sous les sourires et les paroles anodines, chaque syllabe claque et cherche la supériorité. Le regard de Nettie se baisse à présent vers ses genoux dénudés. Sa peau blanche et parfaitement épilée est couverte d'un tissus ivoirin, une robe qu'on lui a offerte. Tout comme ses bracelets délicats, ses boucles d'oreilles aux pierreries mirobolantes et ses escarpins vertigineux. Tout cela, des cadeaux pour qu'elle soit jolie.
Mais cela l'étouffe. La fumée des cigares distrait un instant ses yeux, la lassitude peut se lire sur son visage pourtant d'ordinaire si doux et candide. Un homme en costard appartenant à sa table, accoudé plus loin, la dévisage alors que la faiblesse est visible sur ses traits.
Nettie posa sa main sur l'épaule d'Alteo, dérangée par l'attention qu'on lui prodiguait tout à coup. Le jeune homme tourna la tête vers elle d'un geste sec, interrompu dans sa phrase. Il n'avait pas l'air satisfait que sa petite chose puisse s'exprimer.
« Je vais prendre l'air.»
Il haussa un sourcil. Elle sourit doucement.
« La fumée me donne mal au crâne.»
Il eut un petit sourire narquois.
« Pas trop longtemps.» Répondit-il, voulant qu'elle lui obéisse. « Va falloir t'habituer.»
Nettie hocha la tête, il captura ses lèvres une fois de plus puis elle se leva sans un bruit et s'éclipsa, gênée par le regard des hommes de la tablée. Ils n'étaient pas à proprement dit dans un bar, mais plutôt dans les étages au dessus de celui ci. Ils avaient l'habitude de se rejoindre ici, c'était leur quartier général. Ils pouvaient y faire ce qu'ils voulaient, l'immeuble leur appartenant tout autant que le bar. Toutes les salles leurs étaient ouvertes, à eux. A leur famille. Alteo était un natif, rejeton d'un sacré bonhomme provenant d'une famille de gangster à l'influence non négligeable. Mais Alteo n'était pas très intelligent, avec sa belle gueule, il roulait des mécaniques. Ce n'était pas Alteo qui intéressait Nettie, c'était les hommes et femmes à ses côtés. Ils la regardaient comme une fille stupide au bras d'un garçon un peu ridicule. C'était pratique. Elle ne savait pas s'ils étaient tous dupes, mais elle jouait bien sa partition.
Les couloirs étaient vides, elle descendit un étage, se retrouvant au niveau du bar ouvert à tout public. Sa silhouette blanche traversa la pièce, passant derrière le bar pour aller se réfugier dans une pièce à part. Elle était vide, à première vue. C'était l'espace réservé aux clients VIP, lambrissé de bois sombre au vernis brillant. De grands fauteuils occupaient l'espace, face à une table de verre sur laquelle trônaient deux verres vides et une bouteille de whisky. Nettie s'approcha de l'étagère et se saisit d'un verre qu'elle remplit du liquide ambré. Le liquide brûla sa gorge quand elle l'avala cul sec. Elle toussa une ou deux fois, pressant sa main sur sa poitrine à la sensibilité ravivée par l'alcool. Un léger bruissement attira son attention vers sa droite. Une silhouette se profilait. Venait-elle d'entrer ? Ou était elle là depuis le début ? Nettie posa le verre à plat sur le bras du fauteuil de bois posté près d'elle. Son regard se plissa, elle reconnu des courbes féminines.