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Vague. Tae Joon.

Dim 11 Juin 2017 - 2:06

Je n’osais approcher du rivage. Il y avait contre l’écume des vagues un fantôme qui dansait au gré de la marée, qui chassait le raisonnable de mes pensées. Il y avait des images qui me revenaient, et pour ma part j’échouais déjà. Le monde m’avait rejeté sur sa berge, abandonnée dans mes folles chimères.
Jean avait ce sourire nostalgique qui ne s’effaçait plus de ses lèvres, ses lèvres humides. Je repensais à son costume embourbé par les algues. Sur le bord de mer, son teint était celui d’un ectoplasme verdâtre. Il affichait son corps spongieux avec une impudeur troublante.
Heureusement, il n’inspirait des horreurs qu’à ceux qui pouvaient encore le percevoir, sentir sa présence pourrissante. Iodée. Je sentais son corps en décomposition, quoique son squelette demeurait éternel comme l’épave abandonnée au fond d’une eau trouble.
Nous nous regardions dans cette immobilité, et j’étais saisie par son calme étrange, par la façon dont il parvenait à se tenir debout, vivant à travers une illusion, se nourrissant de mes inquiétudes les plus vives. Il avait arrêté de me faire signe, sans jamais cesser pourtant de m’inviter à le rejoindre.
Je lui cherchais un sourire qu’il n’avait plus alors, emporté, qui avait dû se rompre comme le reste de son âme contre les récifs sauvages. Il ne partait pas.
Et je ne sais pas vraiment depuis combien de temps nous nous observions ainsi, alors que nous nous demandions qui serait le premier à faire le pas de trop. Mais je ne savais plus comment avancer. Mes jambes m’avaient abandonné et semblaient avoir creusé leur tombe dans le sable chaud. L’après-midi tombait dans sa lourdeur ensoleillée. Par instant, la figure de Jean semblait s’assécher.
Je me rappelais alors que nous étions déjà morts.
Mais Jean se dressait de toute sa hauteur, et presque impérial, je n’avais d’yeux vraiment que pour lui. Il était ma dernière fascination. Celui qui me tenait loin du rivage, et celui qui m’entraînait indubitablement vers mon havre dernier.
J'avais pour lui l'horreur propre à ces phénomènes surnaturels, psychologiques aussi, et qui me le rendaient presque trop tangible ou trop peu abstrait.
La lueur au fond de l'oeil était celle de la vaste étendue bleue, de la mer déchaînée, distante.
Je sentais sa colère qui grondait comme un écho en moi, je sentais sa rage d'exister encore. Je sentais comme un râle de souffrance aiguë que rien n'apaisait encore.
J'accusais la vague de ses silences.
J'attendais le déferlement.
J'attendais qu'on me cueille au passage, qu'on décrasse mes poumons de cette encre noire qui me rongeait les entrailles.
Mais je ne savais plus comment détourner mes pensées de son être, de ces rêveries mortuaires.
Nous n'aspirions plus.
Plus rien que la fin des temps à venir.
« Il y a simplement des parasites auxquels on n’échappe pas. » 

Mar 13 Juin 2017 - 14:49
« Qu’était l’homme s’il tournait dos au futur ? Si prisonnier du présent il ressassait inlassablement des et si, jetant des regards emplis de mélancolie derrière lui ? Et Taejoon aurait aimé qu’on lui arrache tout de son passé, qu’on le prive de sa mémoire et qu’on le jette à moitié nu sur le rivage, tel un naufragé. Il aurait souhaité, oui, se réveiller au son des vagues, ne se souvenant que de bribes, que de mots éparpillés impossibles à lier. Tout aurait alors été plus simple, non ? Il n’aurait pu que vivre l’instant, se tourner vers demain : se redécouvrir, se réapprendre. Il aurait été de ces chenilles qui après quelques jours passés sur une branche devenaient papillons. Aurait-il été le même, se serait-il retrouvé ? Ou aurait-il incarné un tout autre personnage, modelé par ce nouvel univers ? Il ne savait pas et savait qu’imaginer de tels scénarios ne l’avancerait pas.

Il était bloqué et la vue de l’océan devant lui emportait au loin toute pensée. C’était comme si la marée en venant puis partant attrapait son être et le lui volait, l’emportant plus loin que jamais il ne pourrait aller. Assis en hauteur il admirait la vue, ne la voyant qu’à moitié : il était fatigué et s’il avait été moins prudent se serait allongé puis assoupi. Il ne comprenait pas, d’ailleurs, pourquoi il était si attaché à la vie. Pourquoi même lorsqu’il n’avait plus rien, il s’y raccrochait, ne voulant tout à fait abandonner. Peut-être avait-il un rôle à jouer, un but à accomplir qui le forçait malgré lui à rester ici.

Soupirant il s’était redressé et épousseté, se rapprochant des flots d’une démarche lente mais souple. Ses mains dans les poches, le vent fouettait son visage, menaçant de l’emporter. Froid, il était vivifiant : le maintenait éveillé. Et quelle surprise de surprendre une autre silhouette au loin, se découpant presque difficilement du paysage, qui à la fois calme et violent semblait tout engloutir. Se rapprochant car elle était sur son passage, Taejoon avait eu du mal à dissimuler sa surprise : Jade lui faisait face. Leur dernière entrevue remontait à plusieurs semaines déjà, il en aurait presque oublié ses contours, ne l’avait vue lorsqu’il était repassé au musée.

Ne le détestait-elle pas, à présent ? Alors qu’elle était son inconnue, il était sans doute à ses yeux une existence étrange, dérageante. Il l’avait jetée alors qu’ils ne se connaissaient pas, l’avait malmenée sans raison et ne le réalisant que plus tard Taejoon s’était rendu compte qu’il devenait peu à peu un être flou, différent de ce qu’il avait pu être un jour. Il ne se reconnaissait plus lorsqu’il se dévisageait dans le miroir, ses yeux ayant pris des teintes différentes d’auparavant. Devenait-il mauvais ? Détaché il passa une main derrière sa nuque, laissant être emporté par le vent un quelconque : « Vous semblez ailleurs, Jade. » Et il aurait du s’excuser pour la dernière fois mais sachant qu’elle ne les accepterait sans doute pas il avait fait comme si de rien était.

Lun 26 Juin 2017 - 23:34

Ailleurs, oui. J’étais ailleurs, et pourtant je me sentais tellement . Comment aurai-je formulé ça autrement ? C’était un autre qui était ailleurs et là en même temps. C’était cette silhouette qui se faufilait toujours en moi toujours au devant de moi telle une ombre. Un instant, je laissais le silence flotter entre nous. Je n’avais pas besoin de le regarder pour le reconnaître. Mon absence me refusait ces sursauts brusques et habituels qui nous saisissent parfois lorsqu’on se fait surprendre. Il s’agissait encore pour moi d’un moment intime, où je m’efforçais de contempler ma douce angoisse, ma douce fin promise. Elle se mouvait là entre les vagues. Je croyais être prise en flagrant délit, mais n’ayant pourtant rien à me reprocher, je restais bien sage. Rien ne perturbait jamais Jean, alors je restais fascinée par cette obstination.

Je n’avais pas de fin sourire à donner ; j’aurai pu me sentir troublée bien sûr. Han Tae Joon choisissait toujours si mal ses apparitions. De cela, il aurait tenu de mon Jean. Aurai-je pu le lui avouer ? Probablement jamais, comme je me devais pour ma propre santé de tenir ma langue, de noyer l’existence dérangeante de mon fantôme, de la manifestation cruelle de mon trouble. Un soupir m’échappa enfin. L’aurai-je voulu quand bien même, Han Tae Joon était un homme que je ne savais pas ignorer indéfiniment. « Pourtant vous vous retrouvez encore une fois dans cet ailleurs. »

Je me sentais épiée et suivie. Bien que cela me déplaisait, je ne parvenais pas à cet instant à me sentir nerveuse. Il était certes une intrusion plus violente que celle du musée. Il venait quand même se déposer là comme un grain de sable au milieu d’une mer, et un instant, Jean n’était plus l’unique. Pourtant notre rencontre au musée m’avait ébranlé plus que celle-ci. Peut-être parce que l’espace semblait s’étendre ici, peut-être parce que je m’étais toujours sentie en sécurité au musée, et que pour la première fois, Tae Joon m’avait appris le contraire. J’avais soigneusement évité les couloirs ensuite, repliée dans ce bureau perdu au milieu d’une réserve immense de toiles en tout genre, à vieillir un peu plus avec les œuvres. Je me souviens qu’en enfouissant mon nez contre mon coude, j’avais cru sentir le renfermé.

On dirait que j’exagère sûrement, que je fais une montagne d’un rien. On me disait toujours, Jade vous êtes tantôt trop passive et tantôt trop excessive, il faut vous arranger. Mais que pouvais-je y faire si je ne savais pas oublier ? Je me rappelais de tout, sauf de moi-même. Et devant cette étendue bleue, il me revenait en souvenir qu’à l’orphelinat du Vietnam on nous donnait des bols d’eau chaude pour nous remplir la panse. Voilà. Depuis je n’avais eu de cesse d’être écœurée.

Et j’étais encore là, rendue à moi-même. Je me souvenais de tout oui. Han Tae Joon. Je me souviens de toi, de tes mots, de ton sourire chafouin que je ne devine que trop bien. Je me souviens m’être fait jetée sans raison alors que je n’avais rien demandé, pas même à être gardée. Car pour me jeter, il aurait fallu que j'appartienne, mais je n’appartenais à personne, pas même à moi-même.

Mes rougeurs n'ont pas oublié enfin.
Et je me rappelle que je n'étais pas digne de retenir après avoir été découverte.

« Tae Joon, vous êtes pire qu’un bol d’eau chaude. »

Mar 27 Juin 2017 - 22:54
« Jade était là et pourtant elle ne le regardait pas. Il existait à ses côtés, lui parlait, invoquait son attention et pourtant, elle ne cédait pas. Elle restait là, à mi-chemin entre un univers qu’il ne connaissait pas et celui dans lequel tous deux se trouvaient. Son corps était ancré au sol, mais son esprit, vagabond, semblait ailleurs. Et il aurait aimé la secouer d’un coup, lui ordonner de le réaliser, de sortir de cette torpeur qui, malgré tout, faisait naitre chez lui un sourire amusé.

À la contempler ainsi, presque indifférente, il se retrouvait. Il revoyait leur première rencontre, où lui n’avait rien demandé : s’était juste assis là, pour réfléchir. Elle était entrée dans sa vie sans son avis, avait décidé de se poser à ses côtés. Elle aurait pu choisir un autre banc, choisir de poursuivre son chemin : mais non, elle l’avait choisi lui et il avait fini par la blesser. Elle était la coupable et pourtant il était celui devant s’excuser. Il était celui, qui, étrange, lui avait dit qu’il ne voulait pas la connaitre.

Il avait peur, compreniez-vous, de se lasser d’une si belle âme. Car il l’aimait dans son gris, dans cette impression de vide que toujours elle lui renvoyait. Jade respirait et pourtant, jamais elle ne semblait exister. Elle était femme mais un peu autre chose, aussi. Il aimait l’imaginer oeuvre d’art, statue finement sculptée : il avait l’impression que jamais elle ne se mettrait à crier. L’imaginer hurler faisait naitre chez lui diverses émotions, et il se représentait avec difficulté des larmes couler le long de ses joues. Elle lui semblait poupée, mais poupée cassée : elle lui semblait amputée d’un membre, et alors qu’il aurait pu s’agir d’un bras, lui pointait le coeur.

Jade lui apparaissait comme une vaste plaisanterie. Elle se tenait droite, belle, se tenait femme et pourtant il était sur qu’en plongeant en elle il n’y trouverait qu’un trou béant.

Oui, Jade était un creux.

Elle était une surface lisse qu’il voulait toucher pour que d’un seul coup elle explose. Il voulait la voir volcan, la voir répandre ses flammes puis sa lave : voulait la voir si pleine d’émotions qu’elle ne pourrait les garder pour elle. Et peut-être était-elle un objet de réflexion, un outil qu’il maniait à sa guise. Elle était, pourtant, humaine : et les hommes jamais ne devaient devenir de tels objets. Il aurait du voir en elle quelque chose de sensible, aurait du vouloir de par sa douceur réchauffer tout ce qui chez elle encore dormait. Mais Taejoon n’était pas comme ça, et s’incarnant conscience il voulait danser sur ses épaules, lui poser mille questions et la faire chuter. Il voulait la faire tomber et l’aider à se relever, il voulait expérimenter et il savait, qu’au fond, ce qu’il faisait n’était pas gentil.

Mais était-ce pour autant mauvais ? Ne pouvait-ce donc pas être bon, pour elle ? Si elle avait voulu se jeter d’un haut d’une tour, qu’aurait-il fait ? L’aurait-il laissé faire, ou aurait-il essayé de l’éveiller, de lui parler, de lui demander pourquoi ? Il aurait sans doute réfléchi avec elle et aurait trouvé un point d’entente, quoique, il ne savait pas.

Et les mains dans les poches, se tenant droit, son fin pull sur les épaules, il ne disait rien. Elle le traitait d’eau chaude, non, le traitait que de pire que ça, et lui souriait, muet. Il se perdait dans sa contemplation du vide.

Se perdait dans sa contemplation de Jade.

« Il arrive que les choses que nous n’aimons pas soient pourtant bonnes pour nous, Jade. » Les légumes, par exemple : nombre d’enfants ne voulaient pas manger d’épinards ou encore de petits pois. Pourtant, là étaient des aliments essentiels pour leur organisme. Aussi avait-il laissé s’échapper cette idée, calme. Il ne cherchait le conflit et pourtant savait qu’il était inévitable : il avait tourné le dos à son inconnue et à présent qu’il voulait revenir vers elle, elle était partie. Elle avait décidé de reprendre sa vie sans lui, de l’oublier pour de bon, de le mettre dans un coffre qu’elle avait, par la suite, jeté à la mer.

Et il espérait que les vagues le-lui rapporte. Il espérait qu’elle ne l’avait pas jeté au feu. Il ne voulait pas être donné aux démons, ne voulait pas devenir un quelconque amas de cendres. Il voulait revenir et, persistant, se refaire une place dans son esprit.

Il voulait rester à ses côtés et la découvrir sans jamais la chercher.
Car elle restait cette inconnue qui lorsqu’il la regardait, se voyait.

Mer 5 Juil 2017 - 19:34

« Je ne sais pas de quoi vous parlez, Tae Joon »

Non je ne voyais pas, ne pouvais. Car rien en Tae Joon ne me paraissait spécifiquement bon pour moi, j’aurai cru presque que mon corps émettait au contraire quelques signaux allergiques en réaction ; dans les tremblements nerveux que j’avais déjà ressenti, dans ce petit malaise qu’il me provoquait par ses simples mots. Enfin, une autre fois. Les rencontres avec Tae Joon se passaient toujours bien jusqu’à ce que j’atteigne ce point de rupture où tout en lui m’arrachait de timides points d’agacement qui se manifestaient par des piqûres nerveuses au coin de mes yeux, puis qui redescendaient jusqu’aux commissures des lèvres. Autant de micro déformations anodines qui me trahissaient pourtant.

Parfois j’entendais un peu trop ses mots qui, ordinaires, me frappaient par le sens secret qu’il semblait leur donner, comme si, dans un dialogue masqué, j’aurai dû comprendre et me reconnaître. Ce ne devait malgré tout pas être le cas. Tae Joon dans son ordinaire humain paraissait m’arracher ma singularité, alors seulement, j’aurai pu me voir à travers ses phrases, comme elles me traduisaient sans même me comprendre. En cela, et seulement en cela, Tae Joon m’effrayait.
Après, il révélait un peu de sa personnalité qui ne convenait pas à mes affres silencieux. J’aimais l’idée du silence, de ces mers sombres qui berçaient mon âme de quelques vagues remous. Mais il arrivait que mes douleurs sourdes s’éveillent et explosent comme des vaisseaux sanguins le font parfois. J’avais alors l’impression de me répandre. De l’encre.

Et je pourrai le regarder, pour mieux le chercher, pour mieux le trouver. Pour mieux le comprendre. Peut-on seulement se saisir d’une telle existence. Tae Joon. N’êtes-vous pas un passager clandestin ? À une autre époque, on vous aurait jeté par dessus bord. Vous baignerez-vous en cette douce après-midi, en cette fin de brume ? Le ciel n’est pas si clair, et rien n’est vraiment beau. Tout dans cette idée de paradis marine me fait l’effet d’une fin.  

Vous ne devriez peut-être pas tant vous jouer de la marée ; elle risquerait de vous emporter.  

Mais mes pensées deviennent soudain prétentieuses. Je veux croire que je ne suis pas si abandonnée, et ne le suis pas. Non je ne suis pas si égarée. La mer est encore loin, l’écume meurt sur le rivage bien avant d’atteindre le sable froid où mes pieds sont ensevelis. Et moi je surveille les grains comme les secondes de nos vies pendant que d’autres oublient.  

Souvenez-vous Tae Joon que votre existence si elle n’est pas nécessaire reste fortuite.  

Nous nous bousculons toujours et ne nous attachons jamais assez. Enfin. Ne croyez pas que je sois si peu aimante, seulement j’ai fini par m’habituer à presque tout. Même à penser et à aimer de loin. Mais vous, Tae Joon, êtes certes trop proche pour être aimé de loin.  
Vous surgissez, et en surgissant ne me laissez pas le soin de vous apprécier, vous et votre anodine existence, comme elle l’est pour tout un chacun. Bien sûr, comment apprécier quelqu’un qui n’a de cesse de vous déranger ? Vos mots parfois sont enfin si sensés qu’ils en deviennent insensés.
 
Je ris. Je ris intérieurement.  

Deux démons me prennent aujourd'hui en étau. L’un est sur la berge et l’autre sur la terre. L’un est dans ma tête et l’autre est bien réel.  

« C’est curieux mais je ne me souviens pas vous avoir dis que je ne vous aimais pas. Car on désaime ceux que l’on connaît assez pour cela, et vous l’avez si bien dit monsieur Han la dernière fois : nous ne nous connaissons pas. »

Oui, car je me souviens de tout, et surtout de notre discussion comme elle semble se prolonger si souvent ces derniers temps. Peut-être est-on en train de construire des km et des km de phrases, comme notre propre histoire. Je ne suis personne pourtant. Tae Joon avait été important. Mais il ne l’est probablement pas assez pour me propulser dans le rôle principal que j’ai abandonné.  

Que pourrai-je vous dire Monsieur Han que vous ne sachiez pas déjà ? Je n’ai pas tant à donner et crois même que vous n’avez pas tant non plus à m’offrir. Il s’agit encore de ce que l’on appelle une rencontre vaine.  

Mais je ne hais pas. Je suis trop fatiguée ou trop morte pour cela.  

La vie m’écoeure et c’est certainement une maladie dont on ne guérit pas, pas comme ça. Il n’y a plus de choses bonnes. Seulement des choses qui ont perdu leur pouvoir d’influence.  

« Mais vous avez aussi dit ne pas vouloir me connaître. Alors je ne vous détesterai ni ne vous aimerai jamais. Bien sûr, vous n’avez aucune plainte à formuler ? »

Ven 7 Juil 2017 - 22:33
« Il l’avait attendu, ce retournement de situation. Après tout, n’était-il pas parti du musée un peu trop brusquement ? Elle n’avait rien eu le temps de répondre ! À lui qui l’avait fauchée puis, indifférent, s’était éloigné. Et quelle mémoire elle avait ! Enfin elle lui rendait monnaie de sa pièce, lui renvoyait la balle. Souriant distraitement, Taejoon avait réprimé un rire. Il n’était ni gêné ni désolé, n’avait que trop suivi leur conversation pour ainsi se laisser emporter.

Il voulait se faire aimer et pourtant, impuissant face à ce qu’il était, n’avait pu s’empêcher de demander, moqueur : « Aimez-vous l’eau chaude, Jade ? » Vous êtes bien hypocrite. Et son ton restant calme, neutre, il avait fini par conclure, haussant légèrement les épaules : « Moi, je ne l’aime pas. » Et qui aurait aimé ! L’eau se buvait fraiche en été et ce n’était qu’avec un sachet de thé qu’on la savourait tiède, en hiver ! Elle l’avait traité de pire que ça, l’avait traité comme de la bière trop longtemps restée au soleil : imbuvable.

Aux yeux de Jade, Taejoon ne se buvait pas. On ne pouvait donc qu’être forcé de l’écouter, car boire ses paroles revenait au même que l’avaler tout entier ! Et quelle insulte, quel affront !

Hilare, il aimait pourtant la comparaison.

Se passant une main sur le front, il avait réprimé un soupir : « Mais vous avez raison : nous ne nous connaissons pas. » Il lui devait bien ça, pouvait lui accorder ce que lui même avait martelé. Mais était-ce bien vrai ? Était-ce ce qu’il avait dit ? N’avait-il pas, plutôt, exprimé son envie d’arrêter de la connaitre ? Il la côtoyait et aimait la côtoyer : mais à trop le faire il savait qu’un jour il la percerait, la découvrirait. Et cela l’ennuyait car il la savourait mieux en tant qu’inconnue, appréciait imaginer ses contours et se dire que le trou béant qu’elle était restait vif, vivant d’elle. « Et j’ai dit ne pas vouloir vous connaitre. »

Dévisageant l’océan, il avait riposté : « Mais l’homme est plein de surprises, n’est-ce pas ? » Il se faisait lui-même rire : « Et j’ai décidé de vous en offrir une, Jade : je crois que même si je venais à vous connaitre, vous ne me déplairiez pas. » Neutre, il s'était balancé doucement d'un pied à l'autre, ses yeux revenant vers elle : « Qu'en dites-vous ? » Ne me remerciez pas.

Taejoon espiègle.
Taejoon lumière contre laquelle certains papillons venaient s'y brûler les ailes.

Ven 7 Juil 2017 - 23:50

« Est-on forcé d’aimer ? » Je croyais que non, je croyais à ces jugements suspendus, qui ne penchaient ni vers l’adoration ni vers la haine. J’avais une espèce de neutralité désabusée ; mais je savais que dans ma voix il n’y avait pas l’innocence de ces questions existentielles qui n’en étaient pas. Au fond de moi je connaissais déjà la réponse pour avoir déjà choisi. Comment pouvait-on détester l’eau, et même l’eau chaude qui alors s’était révélée si vitale à l’époque ? A remplir nos ventres d’illusions. Comment l’aimer ? Tandis qu’elle ne pansait jamais la faim. Cette faim que j’avais apportée avec moi, qui ne m’avait jamais quitté depuis le Vietnam. J’avais faim. Mon âme avait faim ; le creux en moi ne réclamait qu’à être rempli. Aujourd’hui encore, je persistais pourtant à ne lui donner que de l’eau. Non, Taejoon, vous n’aimez pas l’eau chaude. Et à raison. Elle ne s’était pas révélée à vous avec la même nécessité douloureuse. Et j’aurai pu vous l’expliquer mille fois, de plusieurs façons différentes. Vous l’auriez sans doute tout de suite saisi. Mais vous savez Taejoon, il y a des souvenirs que l’on n’aime pas laisser émerger à trop haute voix, ces intimités dans lesquelles il ne fait pas trop bon plonger. Cela aurait fini par vous ennuyer. Les histoires des gens sont souvent pleines de déceptions. Celle-ci a assez mal commencé mais n’a pas suffisamment mal fini.

Et là encore il n’y avait qu’une indifférence profonde pour me tirer vraiment d’une contemplation dans laquelle je m’étais trop laissée dériver. Et nos regards s’étaient croisés. Mais trop sévère encore, mes yeux se perdaient et mes lèvres remuaient sans son dans un temps un peu vague. Avais-je seulement encore envie de plaire ? Je n’entretenais plus ni charme ni mystère. Cela aurait pu sonner semblable à une douce proposition. Dans un temps passé et plus joueuse, lorsque la vie glissait encore sensuellement derrière mes traits rieurs, dans ma jeunesse un peu folle, un brin, peut-être y aurai-je vu un défi à relever. Je vous aurai mis au défi de me connaître et de m’apprécier. Mais là encore, je n’étais plus cette adolescente inexpérimentée ; les surprises ne me faisaient plus autant plaisir. Je déballais à présent mes cadeaux avec détachement.

Déjà, je renonçais à cette surprise, à cette idée saugrenue. Car elle l'était. L'instant me désespérait. Lisez-vous ma lassitude ? Etait-ce des choses à murmurer à quelqu'un comme moi ? Lentement, je dessinais une esquisse de sourire. C'était en dire tellement pour si peu. L'hypothétique me laissait trop souvent ce goût d'inachevé qui me revenait quasi toujours. Je préférais peut-être le concret, voir la toile avant d'en entendre parler. C'était tout ? Votre répartie, Taejoon, bien que mordante, bien qu'ourlée de son espièglerie, rencontrait là ses limites. Les miennes peut-être.

« Faîtes comme bon vous semble, c’est très aimable à vous. »

Et d’un pas en avant, j’avançais vers mon Jean décharné,
jusqu'à ce qu'enfin je laisse à quelques centimètres de moi ce que je prenais pour des rêvasseries, quelque idée fantasque dans laquelle on m'avait mêlé sans que je sache bien pourquoi.
Je levais les mains. Vous ne me déplairiez pas. Ce que cela pouvait paraître prétentieux soudain.
N'avais-je donc pas mon mot à dire ? Car pour me connaître, il aurait fallu que je lui en donne une occasion. Peut-être au final les saisissait-il malgré moi, tel un vulgaire voleur, les poches pleines de fragments de moi-même.
De quelques mouvements enfin, je libérais ma nuque de la masse charbonneuse de mes cheveux, la laissait retomber contre une moitié de figure.

« Ne faîtes pas de surprises aussi peu tangibles. Vous croyez. Le verbe croire n’a jamais autant peu sonné satisfaisant. »    

Sam 8 Juil 2017 - 23:57
« Se serait-il approché d’elle, l’aurait-il surplombée, engloutie de son ombre qu’elle n’aurait pas cillé : Taejoon en était certain. Jade lui semblait hermétique et il ne l’imaginait succomber d’un coup au désir, se sentir fébrile face à un homme — face à un autre. Car de ses propos elle lui avait soudainement rappelé ses anciennes conquêtes, l’avait propulsé dans le passé et dans cette vie qui ne lui appartenait plus vraiment. Qu’il avait aimé ! Il se souvenait de chacune d’entre elles, ne les comptait que sur les doigts d’une main car toujours il avait essayé d’être fidèle, sérieux. Il savait faire la différence entre les pulsions soudaines de son corps et les mouvements agités de son coeur : savait que lorsque ce dernier s’emballait il fallait s’y accrocher.

Et il avait aimé séduire, avait aimé passer ses nuits en boite de nuit à danser et jouer. Il aimait rester avec ses amis et passer du bon temps puis rencontrer quelqu’un, aimait cette conversation se créant : souvent sans mot. Mais il y avait de ces silences qui lourds de sens devenaient bien bavards. Il y avait dans le langage du corps des choses se comprenant directement.

Il y avait dans le paisible de Taejoon quelque chose de bruyant.
Et il était là sans rien dire, aux côtés de Jade : de son inconnue à qui peu à peu il s’attachait.

Il n’avait pas envie de parler, voulait rester ainsi, indifférent aux pics qu’elle lui lançait. Il était certain qu’au fond, il l’épuisait : elle aurait soupiré d’aise s’il lui avait promis que c’était la dernière fois qu’ils se voyaient. Mais il ne voulait lui offrir ceci, et comptait bien la croiser encre de nombreuses fois. Il voulait qu’elle fasse partie de sa vie, qui vide ici à Pallatine, avait bien besoin d’elle.

Mais elle ne voulait surement pas et cela l’amusait.
Il était une démangeaison, était dérangeant : il était l’homme auquel elle était allergique et cela lui plaisait. Le destin faisait mal les choses car il était chafouin, taquin, car il ne pouvait s’empêcher d’être lui et de la pousser dans les orties. Il l’égratignait et la forcait à être et la lassait et cela le faisait profondément rire.

Alors il s’était tourné vers elle et s’était avancé jusqu’à ne plus compter que quelques millimètres entre elle et lui : « Dois-je être plus ferme ? » Sa voix était grave et tant bien même désirait-il laisser éclater un grand sourire il conservait un visage plus ou moins calme : « Vous dire » pause « vous me plaisez ? »

Et il y avait quelque chose dans son regard d’un peu sombre, d’un peu lui. Taejoon se mettait lui-même au défi mais ne sachant se prendre au sérieux il luttait contre son côté désabusé.

En vain.

Reculant, les mains dans les poches, il avait continué, certain que ce moment ne l’avait pas troublée : « Mais que feriez-vous, si c’était le cas ? Vous m’avez dit être indifférente, vous m’avez dit tant de choses qui font que je préfère cet entre-deux. » Et puis, avancer ce genre de choses n’était-il pas trop vite mal interprété ? (son sourire était revenu, vague)

Il ne désirait pas Jade et ne l’aimait pas dans ce sens-ci, était juste intrigué, attaché.
Chat.

Dim 9 Juil 2017 - 12:33

« ce que je ferai ? Ce que vous m’obligeriez à faire bien sûr. » et elle s’éloigna de quelques futiles centimètres comme il s’était à son tour reculé. Trop satisfaite peut-être de cet espace retrouvé. Car si Jade aimait les espaces clos, elle n’affectionnait point ceux qui l’enfermaient auprès d’un tiers. Elle aurait encore dit que Taejoon de toute sa hauteur était encombrant. Il lui déplaisait enfin qu’on l’assaille, avec une taille en plus ; cela semblait ridicule. Mécontente, elle s’était bien retenue encore d’afficher ouvertement son refus, son rejet, et s’était bien gardée de lui dire de reculer car elle était certaine encore que cela n’aurait obtenu que l’effet inverse. Il se serait bien trop délecté de la situation. Cela n’était pas acceptable. Enfin. Elle savait faire preuve de patience. L’attente aurait raison de lui.

Jade n’était pas allée plus loin, retenait volontiers la conversation. Il existait bien des mots ensuite qu’elle ne disait pas. Elle fut soulagée naturellement de ne rien avoir à interpréter. Elle aurait pu ajouter : Taejoon vous ne faites pas attention. Une autre femme se serait méprise. Mais il commençait peut-être bien à comprendre les rouages de son caractère, de ses envies mortes et passives pour savoir que de tels mots ne l’atteignaient pas. Au contraire, Taejoon en tendant l’oreille aurait entraperçu ce soupir discret, tranché, poussé sitôt qu’il lui eut rendu sa distance. Ce qu’il ne fallait pas entendre. Enfin il aurait été embarrassant de lui dire qu’il ne lui plaisait pas.

« Monsieur Han, il serait bien fâcheux que je vous plaise."

À chacun son grand méchant loup ; vous n’êtes pas le mien. À quoi bon dire des mots qui pourraient prêter à confusion alors que vous savez qu’ils ne seront pas mal interprétés ? Que vous arrive-t-il enfin ? Qui vous dérange ainsi pour vous donner envie de déranger ? Cela me donne presque envie de vous ranger. Et ne me dîtes pas que vous aimez l’idée.

Mais c’est à mon tour de vous poser une question que vous n’entendrez pas, et si malgré tout vous finissiez par me plaire ?

Bien sûr vous pensez que cela n’arriverait pas ? Ou l’aimeriez-vous ou le désirez-vous ? Que je m’attache à vous ? Pensez-vous me deviner assez pour affirmer que cela n’adviendrait pas ou n’agissez vous qu’avec hasard. Et quelle prétention serait ce que de me croire hermétiquement fermée à toute forme de sentiments ? Quelle cruauté étrange me donneriez vous  alors ? Alors que même les animaux ressentent. Cela serait me réduire tellement. Et ai-je besoin d’être réduite à cela par un autre alors que quelque part en moi cela se produit déjà. Quel besoin vous vient-il de m’écorcher quand je peux déjà m’en charger ? Vous n’êtes pas méchant pourtant. Seulement, ne me donnez pas l’impression de faire n’importe quoi avec ce qui ne vous appartient pas. Et quel mal y verriez-vous encore tandis que vous pensez que vos mots ne me touchent pas. Et à raison. La réflexion seule me rend colère. Colère contre vous Taejoon. C’est à cet instant que l’on comprend que cet échange n’a que trop duré. Pourtant j’avais passé l’âge de bouder. Pourtant je savais que les hommes ne savaient plus me faire d'effets, et que de leur affection, leur marque je m'étais lassée. Que m'importait de vous plaire tandis que je savais déjà que je ne vous plaisais pas tant que ça.

« Vous avez seulement pris goût à m’embêter. Alors je vais me contenter de vous souhaiter une bonne journée avant de vous en vouloir. »


Dim 9 Juil 2017 - 21:45
« Et s’il ne s’était agi de Jade, Taejoon aurait juré qu’on le mettait au défit. Réprimant un rire, il avait baissé la tête, cherchant en vain jusqu’à où s’étendait l’océan. Au fond de lui il sentait que, déjà, leur rencontre s’achevait. Et que pouvait-il faire, contre ça ! Il leur fallait rentrer, s’en aller : quitter cette plage à laquelle ils n’appartenaient pas. Ils étaient de la ville et leurs obligations gisaient aux pieds de trop grands immeubles. Que feraient-ils, une fois partis ? Lui reprendrait sa vie, mais Jade aussi : ils continueraient ce que toujours ils avaient fait, sans savoir s’ils se recroiseraient.

Cela faisait déjà trois fois : peut-être ne se reverraient-ils jamais.

Souriant, il avait laissé s’installer le silence, qui entrecoupé par le son des vagues ne lui paraissait trop lourd. Que pouvait-il bien faire, pour la retenir ? Que pouvait-il bien faire pour qu’ils restent liés, qu’elle ne l’oublie pas et que bientôt ils se retrouvent ? Il se savait sans attache, se savait seul et se savait bien ainsi. Bien sûr, s’il avait pu il aurait préféré être entouré de nombreux amis ! Mais ici à Pallatine tous étaient bizarres, tous étaient étranges : seule Jade lui rappelait chez lui. Seule Jade et son indifférence apparente, seule Jade oui et tout ce qu’elle incarnait le faisait se sentir lui.

Elle n’était pas folle et ainsi lui n’était plus seul.
Elle n’était pas folle et lui lui ressemblant n’était donc pas fou.

C’était les autres, qui étaient dingues !

Secouant doucement la tête, il avait tourné le dos au paysage, faisant face à Jade : « Alors fuyez. » Et jamais son sourire ne s’était fait si malin, si coquin (vorace) : « Pendant que vous le pouvez. » Haussant les épaules, Taejoon avait ri. Il avait ri sans se cacher, ri sans se forcer : il n’y avait rien eu de fort, rien eu de déplacé. Il était un être taquin, moqueur; et tant bien même aimait-il sa Jade, jamais il ne s’effacerait pour elle.

Aurait-il été différent que, peut-être, il l’aurait plainte.
Mais trop content d’avoir trouvé un partenaire avec qui jouer, d’avoir trouvé quelqu'un qui l’amusait, lui plaisait, il ne le pouvait. « Car je vous le dis, Jade, je vous apprécie. » Donnant un petit coup de pied dans le vent, il avait dévisagé ses pieds : « Et je ne suis pas prêt de m’arrêter. »

Lui offrant un sourire bizarre, trahissant un homme gentil, il s’était approché d’elle, avait posé sa main sur son épaule, lui avait souhaité à bientôt et s’était éloigné.

Il ne l’embêterait plus.
Pour l’instant.

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