Je m'inquiète souvent pour Blanche. Elle n'a pas eu une vie facile, et je ne veux pas la perdre à nouveau. Je ne sais pas ce que je ferai sans elle - ce n'est pas une question que je me permets de me poser très souvent. On s'est connus quand on était tout petits, à l'école, et qu'elle pouvait encore voir. Je suis allé vers elle parce qu'elle était toute seule, et même si on ne parlait pas la même langue on a fini par se comprendre. Il y a beaucoup de relations que je chéris dans ma vie, mais je crois que notre amitié est une des plus importantes pour moi. S'il y a bien quelqu'un qui me connaît comme le fond de sa poche (et vice-versa), c'est elle. C'est réconfortant, de savoir ça. Que je pourrais me retourner vers elle, et qu'elle pourrait presque deviner les mots que je m'apprête à dire. On a traversé beaucoup de choses ensemble - pas assez, à mon goût, mais quand même.
J'aurais voulu être là, l'année où on a été séparés. À ses côtés. Pour la soutenir, pour l'aider de n'importe quel moyen. Plutôt, on a été isolés - je comprends pourquoi, je comprends ce qui s'est passé - mais il y a quand même quelque chose en moi qui se sent... pas trahi. Non, ce n'est pas le bon mot. Mais j'aurais voulu pouvoir faire quelque chose, et on ne m'en a jamais laissé l'occasion.
J'essaie de compenser, un peu. De lui donner tout ce que je peux donner, pour essayer de m'excuser de ne pas avoir pu faire mieux. Je sais qu'elle ne le voit pas comme ça, on en a souvent parlé, mais c'était affreux de me sentir si impuissant. Parfois, ça me colle à la peau.
Je pousse la porte de ma maison puis la referme derrière moi. Je retire mes chaussures, et j'entends mon père qui travaille sur une autre de ses sculptures dans son atelier. Je crois que ma mère n'est pas encore rentrée, parce que ses chaussures ne sont pas là. Je traverse le couloir jusqu'à la cuisine, je me prends un verre d'eau et je m'assois à la table pour le boire. Je me demande bien comment Blanche s'est ramassée dans cette situation. J'ai hâte qu'elle me raconte exactement ce qui s'est passé, et puis j'aimerais bien rencontrer la personne dont elle m'a parlé. Tout est tellement si soudain et inattendu, mais je suis content.
Soudain, quelqu'un sonne à la porte. « J'y vais! » Je le dis pour mon père, qu'il ne se dérange pas pour rien. Je jogge jusqu'à la porte, et je l'ouvre pour révéler mon amie. « Oh! Blanche! » Un grand sourire fend mon visage en deux. « Entre, entre! » Je ne peux pas contenir mon enthousiasme, et pendant que je referme la porte derrière elle je lui demande: « Dis moi tout! Je veux tout savoir! »