Dim 26 Fév 2017 - 6:04
HEARTBEAT
Cœur : Organe musculaire creux.
Constitue l'élément moteur central de la circulation du sang.
Aussi siège des sentiments ; sensibilité, affection.
Comme d'habitude, on avait envoyé un simple message à Junji : « Tiens toi près. » Comme d'habitude, il s'était vite rendu à ce local désaffecté (qu'il tentait de rendre aussi stérile que possible, dans ses temps libres). Et il avait attendu. Il avait regardé ses mains, une fois, deux fois, trois fois - elles ne tremblaient pas. Ses bêtabloquants étaient efficaces, les doses étaient bonnes cette fois. Il était détendu, mais pas somnolant. Conditions idéales, comme la plupart du temps. Puis, les hommes d'Iwasaki, sont arrivés, un corps encore chaud dans leurs bras et l'ont déposé sur la table d'opération. Ils quittèrent sans plus de cérémonie. Leur travail était accompli. Celui de Junji ne faisait que commencer.
Son masque couvrant sa bouche, ses gants en latex, son sarrau, il tentait de reproduire les meilleures conditions possibles, surtout pour le prélèvement d'organes. Les contaminations étaient non désirées. Tout son matériel était bien disposé à ses côtés, dignes du perfectionniste qu'il était. Les boîte de glace sèche étaient à proximité. Tout était prêt. Il pouvait commencer.
Mais pas sans lui jeter un regard. Toujours fugitif, à travers ses cils, entre deux battement de paupière, avant de tourner la tête vers son matériel. Issei, compagnon de médecine, compatriote d'Iwasaki. Ami ? Peut-être, si on considère que le fait que les personnes avec qui Junji se sentait confortable étaient rares. Il faisait partie de ces quelques personnes pour qui il avait du respect. Il l'appréciait.
Peut-être trop.
Il se surprenait parfois à le fixer, à détailler sa silhouette du coin de l'œil. Il s'accrochait à de petits détails, comme ses mains - il les voyait toujours lorsqu'ils opéraient ensemble et Junji devait se faire violence pour ne pas perdre sa concentration. Quand il était près de lui, il avait des frissons. Quand ils parlaient ensemble, il se sentait bien, il riait, il l'écoutait... Oh, il n'était pas ignorant, il savait bien ce que cela signifiait. Mais il refusait de se l'admettre. Il ne devait pas céder.
« Je vais ouvrir. »
Il prit le scalpel et pratiqua l'incision tout en long sur l'abdomen. La peau encore souple s'ouvrit. Junji devait faire une scissure avec ses sentiments. Séparation entre le corps et l'esprit, ses mains expertes et ses idées affolées. Généralement, cela fonctionnait - jusqu'à ce que son cœur s'en mêle, battant plus fort, plus vite et venant inévitablement déranger ses mains. S'il n'était pas prudent, il commettrait une erreur.
Voilà pourquoi il essayait de se ternir à une juste distance avec Issei. S'il devait se rapprocher trop, il finirait blessé. Encore, il connaissait bien la chanson. Mais il échouait lamentablement. Il ne voulait pas sacrifier ce qu'il avait déjà, cette proximité, ce confort. Et il se consolait en se disant que, à la longue, ça finirait bien par lui passer.
« Tu veux commencer par quoi ? Le cœur ou les yeux ? »
Enfin, il espérait que ça ne durerait pas.
Il leva la tête, croisa son regard. En attente de sa réponse, il le soutint une seconde, deux, et l'abaissa aussi pour se figer à nouveau sur le corps.
Le regarder en face était toujours risqué. Il se prenait à rêver, à fabuler... Et il ne voulait pas ça.
La chute ne serait que plus brutale.