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Le silence entre nous - [Naga/Hafiz] [Terminé]

Ven 15 Sep 2017 - 12:49
Hafiz sortait du marché, les bras chargés de victuailles pour les repas de la semaine. Viande, poisson, fruits,, légumes, tout y était. Son esprit aurait dû être envahi d’idées de plats à préparer pour son colocataire ou de nouvelles recettes à essayer. Mais ses pensées ne cessaient de revenir vers les rencontres qu’il avait faits au cours des derniers mois. Et, au plus profond de lui, l’iranien savait que cela l’avait changé. Le Hafiz  peureux et peu sûr de lui suite au transfert avait laissé place à une personne plus confiante dans ses capacités et dans ses rapports aux autres. Chacun de ses inconnus l’avaient amené à réfléchir sur son attitude. Il avait appris à déceler des humeurs chez les autres qu’il ne pensait pas trouver. Lui qui croyait être un être faible apercevait enfin qu’il n’était pas seul. Tout le monde avait ses faiblesses. Il n’avait plus ce sentiment d’infériorité vis-à-vis des personnes avec qui il parlait. L’aboutissement de cette réflexion l’avait mené à candidater au poste d’adjoint de brigade chez les Techniciens. Et à sa grande surprise, il avait été désigné à ce poste. Le cuisinier avait été très heureux d’être coopté mais il savait que maintenant, ses devoirs envers la diaspora seraient plus importants. Mais cela allait de pair avec sa volonté de s’engager un peu plus dans la vie de Pallatine.

Cependant, il y avait un autre problème qu’il devait régler avant. Depuis quelques temps déjà, lui et son colocataire ne se parlait presque plus. Il se contentait des marques de politesse habituelles ou des demandes nécessaires à la vie en colocation, mais cela n’allait pas plus loin. Hafiz savait que c’était en partie sa faute. Il n’aurait pas dû laisser ses sentiments le submerger au point de se confier à Naga qui n’avait strictement rien demander. Plusieurs fois, l’iranien avait essayé de discuter avec le jeune altermondialiste mais il n’avait rien trouvé d’intéressant à dire. Aujourd’hui devait sonner l’heure du changement. Cette décision, il l’avait prise ce matin en allant au boulot et n’avait aucune intention de passer à côté. S’il ne le faisait pas maintenant, il ne le ferait sans doute jamais. Et tant pis si cela brisait le peu de relation qui restait entre eux. Hafiz avait besoin de s’endurcir. Malgré tout, plus il se rapprochait de chez lui, moins il avait envie d’avoir cette confrontation avec Naga. Un sentiment de peur lui nouait l’estomac. Il ne voulait pas brusquer son ami mais il n’avait pas vraiment le choix. Le cuisinier avait bien l’intention de faire la paix avec lui-même. Libéré de la prison de ses pensées.

Quand il entra dans leur appartement, le sentiment de peur avait disparu. Il ne sentait pas bien pas bien pour autant mais il se trouvait étonnamment calme dans une telle situation. Avant toute chose cependant, Hafiz rangea les courses presque comme un automatisme. Il se demandait comment il allait pouvoir aborder le sujet. Devait-il se montrer direct ou utiliser des moyens détournés ? L’iranien préférait la première approche, ne serait-ce que par honnêteté envers son colocataire.

« Naga ? Tu es là ? Héla Hafiz tout en se déplaçant dans le couloir qui menait au chambre. J’aimerai parler de quelque chose avec toi ! »
Ven 15 Sep 2017 - 15:24
Le soleil était agaçant et lui piquait les yeux.
On trouvait là le désavantage des saisons printanières et estivales : la lumière qui, subitement, se déchaînait à l'horizon. Une main levée au niveau de l'arcade sourcilière peinait à contenir les rayons les plus téméraires qui venaient se frotter à sa cornée. Il aurait fallu porter une casquette, ce à quoi Naga s'était toujours refusé, considérant cet objet comme dénué du style qui le caractérisait, et des lunettes de soleil qu'il avait malheureusement oubliées chez lui. Ses yeux se fermaient inexorablement sur cette lumière aveuglante qui refusait de baisser.
Les murs épais de la maison apportaient ombre et apaisement à un regard écarquillé.
La porte de sa chambre dans son dos le coupait du monde extérieur - un monde cruel et indifférent qui ne tenait aucun compte de ses aspirations profondes. Il avait vingt-cinq ans. Le nombre de ces années suçait l'air de ses poumons lorsqu'il y pensait. Il n'était pas préparé à ce quart de siècle qui lui paraissait trop vite passé. Une petite catastrophe qui détruisait les piliers de sa stabilité. La main était toujours crispée sur la poignée. Jusqu'à ce qu'il trouva quelque part en lui le courage de retrouver son souffle, tout au fond de ses entrailles, et de le propulser hors de lui. Son visage blanc retrouva ses couleurs en revenant à la vie.
La voix d'Hafiz retentit peu après, emplie d'une assurance qu'il n'éprouvait pas quelques mois auparavant. Naga n'était pas certain d'apprécier le changement. L'affection qu'il portait à l'ancien Hafiz, doux et réservé, ne survivrait peut-être pas à l'évolution de sa personnalité. Il n'avait pourtant pas fait beaucoup d'efforts pour éviter l'Iranien, ce n'était pas sa faute s'ils ne s'étaient pas beaucoup parlés. Naga pensait que son colocataire avait compris qu'il fallait respecter une certaine distance avec l'Inuit, qu'il ne désirait pas s'engager dans une relation amicale dépassant un certain degré d'intimité. Le caractère de Naga engageait d'ailleurs à respecter cette réserve que le jeune homme dressait telle une muraille entre lui et le monde. Non qu'il fût particulièrement froid ou insensible, en fait : il se faisait volontiers amical lorsque les circonstances l'y obligeaient, et à sa manière, il était sincère. dans ses sentiments. Mais il faisait trop souvent semblant, il ne faisait plus la différence entre l'illusion et la réalité. Il rouvrit la porte sans bruit et lança à Hafiz d'un ton totalement détaché :

« Si c'est par rapport au repas de ce soir, tu sais très bien que je n'aime pas les viandes en sauce, rappela-t-il. Pas la peine d'insister. »

Naga tarda à refermer la porte, comme il l'aurait fait si la conversation n'avait été amenée à aller plus loin. D'une certaine façon, il se doutait bien que quelque chose était en train de se tramer, et si son esprit ne le savait pas encore, son cœur, lui, le pressentait.
Mar 19 Sep 2017 - 10:41
Hafiz entendit la réponse de Naga et fut des plus étonné. Pourquoi lui rappelait-il cela après sa question ? Son colocataire devait bien avoir l’habitude de laisser le cuisinier faire le repas tout seul. Et puis, ce n’est pas comme si c’était nouveau. Depuis qu’il l’avait appris, l’iranien n’avait jamais fait un tel plat pour l’inuit. C’était étrange. Peut-être était-ce une façon pour le jeune homme de lui faire comprendre qu’il ne voulait pas parler pour le moment et donc qu’il faisait en sorte de cesser la conversation le plus tôt possible. Pendant un moment, Hafiz s’arrêta dans le couloir, se demandant à nouveau si ce qu’il faisait été une bonne idée. Peut-être que Naga avait eu une dure journée. Peut-être avait-il fait une mauvaise rencontre. Peut-être que…Non. Il ne devait pas se poser de telle question. Si Hafiz pensait comme cela, ce ne serait jamais le bon moment. La détermination pris le pas sur l’incertitude et le ragaillardit.

« Cela n’a strictement rien à voir avec la nourriture. C’est…au sujet d’autre chose. »

Le cerveau de l’iranien tournait à plein régime. Il tentait de trouver comment la commençait sans froisser irrémédiablement son colocataire. Car, même s’il l’aimait beaucoup, Hafiz trouvait que Naga était quelqu’un qui pouvait se fermer très rapidement quand une situation lui échappait. Il n’avait aucun doute sur le fait que cette discussion ait cet effet sur son ami. Cependant, il n’essayait pas d’avoir le beau rôle. Hafiz savait pertinemment qu’il risquait de s’emporter si cela ne lui plaisait pas non plus. Il avait besoin de dire les choses, quel qu’en soit le prix. Il arriva enfin devant la chambre de l’inuit, toujours à la recherche des bons mots qui éviteraient une dispute.

« Naga, il faut que l’on discute de cette colocation, c’est important je pense. Enfin, c’est important pour moi et je n’ai pas l’intention de partir sans en avoir discuté.»

Hafiz avait adopté un ton plutôt calme bien que lourd de sens. Sans même en avoir vraiment eu conscience, il avait annoncé la couleur à son interlocuteur. D’une certaine façon, ce n’était pas plus mal. L’iranien n’aurait pas à se cacher derrière des mots pour exprimer ce qu’il ressentait.

« J’aimerai savoir Naga. Depuis plusieurs mois, nous ne nous parlons presque plus du tout et nous nous voyons à peine. J’ai bien compris que tu n’étais pas le genre de personne à…t’attacher facilement aux autres et que tu souhaites garder une certaine intimité. Mais j’ai tout de même l’impression que depuis notre dernière dispute, un mur a été dressé entre nous et que tu m’en veux pour ça… Ou alors que m’en veux pour quelque chose.   »

En même temps qu’il parlait, Hafiz cherchait une autre raison possible qui ait amené cette distance entre eux. Etait-ce le fait qu’il n’ait pas participé aux affrontements contre les gangs asiatiques qui ait poussé Naga à se détourner de lui ? Pire, était-il au courant que lui, Hafiz, avait aidé Tobias à se remettre, alors qu’il avait pris parti pour les asiatiques ? Cependant, l’iranien n’y croyait pas trop et il ne pensait pas que le jeune pêcheur lui en tiendrait rigueur. Depuis qu’ils vivaient tous deux ensembles, ils avaient compris que leur point divergeait sur bon nombre de sujet.

« Je ne sais pas si c’est une illusion que je me fais mais c’est ce que je ressens au plus profond de moi. J’aimerai donc savoir si j’ai raison ou tort. »

Pendant toute la journée, Hafiz avait redouté cette conversation, s’imaginant suppliant et au bord des larmes. Mais alors qu’il vivait la situation, il se sentait bien. Les mots coulaient naturellement et il ne se sentait pas triste. Il cherchait simplement à connaitre la vérité sur tout ça.
Dim 24 Sep 2017 - 22:26
L'intuition que Naga tendait à tout prix d'étouffer se révéla justifiée - cependant, le jeune homme eut la satisfaction d'avoir réussi à prendre son colocataire au dépourvu. Cet étonnement qui s'était brièvement peint sur son visage était particulièrement savoureux pour quelqu'un qui se complaisait dans l'auto-critique. Ainsi pouvait-il se dire ah, tu vois, lui non plus ne te comprend pas et écarter le fait que lui-même aurait eu bien du mal à expliquer sa réaction. Heureusement, Hafiz ne lui en demanda aucune, tentant maladroitement le sujet qu'il voulait aborder avec lui. Ah, cet "autre chose" qui veut tant dire et si peu à la fois. Il aurait été plus simplement de présenter directement le sujet plutôt que de tourner autour de pot, mais Naga savait ce qu'il en coûtait parfois de révéler le contenu de son cœur. Ce n'était pas pour autant qu'il allait aider Hafiz, l'inciter à se confier en lui promettant une oreille attentive qui risquait fort de devenir discrète si leur conversation ne parvenait pas à l'intéresser. Reprocher aux autres ce que l'on faisait soi-même était sans nul doute la caractéristique humaine la plus répandue, et Naga n'échappait pas à la règle.
L'Inuit prit peur lorsque Hafiz révéla qu'il désirait parler de leur colocation. Immédiatement, Naga imagina qu'Hafiz désirait partir ou, pire encore, le jeter dehors, avec des conséquences catastrophiques pour le jeune homme. En dépit de ses vingt-cinq ans, il n'était pas certain de pouvoir s'en sortir seul. Il savait à peine cuisiner. Le reste était davantage dans ses cordes, mais les boutons du four restaient, pour lui qui venait pourtant du futur, un mystère qu'il ignorait comment résoudre. Il lui faudrait absolument convaincre Hafiz de rester, d'autant plus que celui-ci avait utilisé le terme de "partir" qui avait induit le jeune homme en erreur. Crispé, Naga regardait Hafiz avec l'air de celui qu'il vaut mieux ne pas trop chercher - comme si espérer lui faire peur était son dernier et bien inutile recours.

« Je t'écoute. » dit-il d'une voix blanche.

Il avait réussi à ne pas balbutier, ce qui lui semblait être un exploit, car son monde risquait bien de s'écrouler et il ne savait pas comment il faisait pour rester aussi calme. Son cœur tambourinait dans sa poitrine à grands coups, mais Naga devait rester calme, il le fallait. Pas facile quand son sourire devenait acide et crispé.
Mais la terrible annonce que Naga redoutait ne vint pas, et il lui fallut quelques secondes pour comprendre que son colocataire se plaignait de la communication entre eux deux. Plusieurs clignements d'yeux eurent lieu avant que Naga comprît ce qui lui était reproché. Et sa réaction fut éloquente :

« C'est tout ? » demanda-t-il, visiblement rassuré.

Hafiz n'allait sans doute pas apprécier, mais Naga avait cru avoir perdu son colocataire pour de bon, alors, en comparaison, ce problème lui paraissait particulièrement mineur. Il se permit de laisser échapper une longue expiration, évacuant ainsi la tension qui s'était emparée de lui. Assurément, la question devait torturer l'Iranien pour qu'il vînt lui réclamer une conversation ainsi, mais l'Inuit avait du mal à voir où se trouvait le problème. Il n'avait pas forcément grand chose à dire à Hafiz, à la fois parce que leurs préoccupations étaient très différentes, mais aussi parce qu'il craignait d'être mal interprété. Il s'était fait à l'idée que la plupart de ses camarades altermondialistes désapprouveraient son comportement, et maintenant qu'Hafiz avait des responsabilités - Naga l'ayant rapidement félicité lors de la traversée rapide du couloir -, il était évident qu'il comprendrait d'autant moins ce qu'il ressentait. Oh, bien sûr, Naga était content pour lui, ce poste lui tenait à cœur, mais il n'avait pas forcément envie de lui obéir.
Puisqu'il s'était promis de faire des efforts, Naga jugea que partager ce sentiment n'était pas indiqué : il blesserait forcément l'Iranien qui ne comprendrait jamais le traitement que Naga lui réservait. Preuve en était que Naga se satisfaisait très bien de la situation jusque là, et qu'il ne lui serait jamais venu à l'esprit de la changer d'une façon ou d'une autre. Il devait cependant tendre la main à son colocataire, et puisqu'il ne savait pas comment s'y prendre, le plus simple était sans doute de faire ce qu'il attendait de lui.

« Eh bien, si tu as des choses à me raconter, je t'écoute, vas-y. »
Ven 29 Sep 2017 - 13:46
Hafiz fut exaspéré de la réponse de son ami. « C’est tout ? ». Rien que ça. Visiblement, Naga ne se sentait pas très impliqué par ce genre de questions qui étaient pourtant le fondement même de la colocation. Enfin, c’est ce qu’Hafiz pensait. L’iranien sentit la colère monter en lui. Il aurait pu exploser devant son ami. Tenter de le sermonner sur cette attitude déplacée. Il aurait aussi pu partir tout de suite et retourner à ses tâches ménagères comme il en avait l’habitude. D’ailleurs, il n’essaya pas de cacher ses sentiments. Son visage devait être un livre ouvert sur ce qu’il ressentait. Le soupir de Naga, que le cuisinier prit pour un soupir d’exaspération, faillit être la goutte d’eau de trop dans un vase bien trop rempli. Mais l’iranien finit tout de même par mettre ce sentiment de côté, essayant de se reconstruire un masque calme. Pourtant, il sentait un léger tremblement le parcourir. Pas de peur mais une tentative désespérée pour ne pas se laisser emporter par ses sentiments.

« Ce n’est pas cela que je demande, répondit Hafiz avec le plus grand calme dont il était possible dans une telle situation. Je ne veux pas que tu m’écoutes sur ce qui a pu arriver. C'est du passé maintenant. Je te demande si j’ai fait quelque chose que tu me reproches. Car si c’est le cas, je ne vois vraiment pas ce que c’est. Je n’ai pas besoin d’une oreille attentive…Plus maintenant devrais-je dire. J’ai juste besoin de réponses auxquels je ne peux pas répondre. Tu devrais savoir que quoi il arrive je m’inquiète pour toi quand les choses vont mal. »

Même depuis leur dispute, Hafiz n’avait pu s’empêcher d’avoir une pensée pour l’Inuit à chaque fois qu’un événement important avait lieu. Ce  n’était plus une figure que le cuisinier voulait impressionner. Il le considérait comme son égal maintenant. Hafiz ne se demander plus si telle ou telle chose pouvait déplaire à son colocataire. Il les faisait comme il l’entendait. Il avait appris à se détacher de l’avis des personnes qu’ils estimaient beaucoup. D’une certaine façon, il n’était plus dépendant des autres et ne recherchait pas  la reconnaissance. Cela ne l’empêchait cependant pas de se faire du souci pour ses amis.

« Après les affrontements dans le parc contre les gangs, tu n’es pas revenu. Je me suis inquiété car j’avais peur que l’on vienne m’annoncer une mauvaise nouvelle. C’est notre voisin qui m’a dit que tu t’en étais sorti sans trop de dommage. Mais je n’ai pu me faire à cette idée que quand tu es rentré. Je me suis retenu de te poser des questions ou de te proposer mon aide car j’ai pensé que cela te gênerait ou que tu ne voulais pas en parler avec moi. »

La voix d’Hafiz ne tremblait pas tandis qu’il prononçait ses mots. Il n’y avait pas la moindre trace de tristesse ou de regrets. Encore moins de reproche vis-à-vis de son colocataire. Ce n’était que l’expression d’un constat réalisé avec un profond recul. Et le cuisinier pensait que Naga le prendrait comme cela aussi. Il était suffisamment intelligent pour ça.

« Et je ne te demande pas plus de me le dire maintenant. Cela n’a pas d’intérêt si cela ne vient pas directement de ton propre besoin d’en parler. J’ai compris que tu ne voulais pas forcément te confier à moi. Mais tout le monde est à cran en ce moment. Ça se sent dans l’air et je n’échappe à pas à cette règle. Toi comme moi, nous pouvons disparaitre du jour au lendemain. Cela a failli m’arriver deux fois. »

Hafiz s’arrêta là dans son discours. Il aurait pu aller bien plus loin mais il savait aussi que s’il continuait, il en viendrait à se plaindre et ce n’était pas le but. Il voulait qu’au moins une fois, leur discussion ne soit pas une succession de problème que lui avait et qu’il essayait de reporter sur son camarade. L’iranien ne cherchait qu’à mettre à plat leur relation et pouvoir passer rapidement à autre chose.
Dim 8 Oct 2017 - 15:43
Même en étant aussi distrait que Naga, impossible de ne pas remarquer la contrariété que son comportement spontané provoquait chez son colocataire. Une telle irritation de la part d'une autre personne aurait sans doute incité Naga à penser que son interlocuteur se prenait vraiment la tête pour des broutilles, mais de la part d'Hafiz, le si doux, le si calme Hafiz, cette réaction paraissait plutôt incompréhensible. Le jeune homme se demanda ce qui avait bien pu se passer pour qu'il commençât à réagir au quart de tour. Manifestement, les rôles étaient inversés, puisque c'est Naga qui, cette fois-ci, conservait son calme apathique. Le regard qu'il portait sur l'Iranien était teinté d'incompréhension - et d'un soupçon de curiosité qu'il cachait de son mieux.
Pourtant, Hafiz ne désirait pas lui parler de ce qui avait pu lui arriver, ce qui étonna l'Inuit. Il garda cette idée pour lui, bien sûr, mais ce dernier se disait qu'Hafiz ne pouvait tout de même pas compter que Naga se contentât de son silence alors qu'il était franchement perturbé. Il voulait des explications, rapides, et si possibles intéressantes, sous peine de s'éloigner sans rien ajouter de plus. Mais il sentait bien qu'il ne pouvait pas les lui demander car Hafiz - preuve que son ancien caractère n'avait pas totalement disparu - lui demandait si Naga avait quelque chose à lui reprocher. L'Inuit réussit à conserver son apparence neutre. Non, son monde ne tournait pas autour de son colocataire, s'il ne lui parlait pas, la raison ne venait pas forcément de celui-ci. Il se sentait un brin agacé par cette obstination, mais un peu plus, un peu moins, ça ne faisait plus vraiment de différence pour lui. Tout l'agaçait dans ce monde, la vie elle-même, et il se demandait si un jour, il aurait la possibilité de vivre sans ressentir ce frisson d'irritation qui venait plomber son cœur.
Le soupir eut du mal à ne pas sortir lorsque Hafiz revint sur la guerre des gangs. À ce souvenir, Naga ne restait jamais impassible. Il ne détestait pas Hwang. Il le craignait. L'en voulait pour ce qu'il lui avait fait. L'impression de n'être qu'un punching-ball entre les poings du petit Coréen ne correspondait pas à l'idée qu'il se faisait de lui-même. Il en voulait cette fois-ci à Hafiz d'avoir remis le sujet sur le tapis et, serrant les dents, lui répondit, venimeux :

« J'avais le bras cassé. C'est pas ce que j'appelle "sans trop de dommages", perso. »

Il retint difficilement un éclat de rire ironique. Il y avait pire comme blessure, Naga le savait, mais ce bras dans le plâtre l'avait gêné dans son travail pendant des mois. Même aujourd'hui, il ne pouvait s'en servir pleinement sans une certaine appréhension. Alors non, ce n'est pas peu. C'était un vrai inconvénient pour quelqu'un qui devait effectuer un travail manuel, mais un cuisinier pouvait vraiment le comprendre ? Il avait des commis.
Il laissa cependant Hafiz terminer, comprenant que celui-ci avait besoin de lui expliquer sa démarche pour l'inciter à parler. Ce temps lui fut bénéfique, car Naga eut le temps de se calmer.

« Je ne suis pas sur les nerfs, démentit-il avec vigueur. Je ne me sens pas concerné par tout ça. Désolé si ça te touche, vieux, mais moi, ce qui se passe à Pallatine, je m'en moque un peu. On est à Ocane, ici, c'est paumé, on est tranquille. »

Il est vrai que c'était souvent Pallatine elle-même qui se trouvait au cœur de toutes les rumeurs, et non les petits villages environnant. Il fallait bien qu'il y eût un avantage à habiter dans un lieu aussi reculé. Naga passait bien sûr sous silence le fait qu'il se rendait, dès qu'il disposait d'assez de temps libre, en ville pour la journée. Il était alors aussi exposé que les autres aux dangers qui rôdaient, et il avait le culot de penser qu'il s'en fichait. Il avait survécu aux poings de Hwang, plus rien ne pouvait le toucher.
L'accalmie durait, mais on aurait eu bien de le peine à trouver un peu de compassion chez Naga. Il semblait tout simplement très peu concerné par les souffrances des autres, étouffé par les siennes, mais aussi libéré de ces tourments qu'il avait vécus ces derniers mois. Rien ne semblait avoir vraiment d'importance pour lui, mis à part peut-être ces anciens engagements qui l'avaient fait venir ici et dont il ne parlait jamais. Mais ce à quoi il attachait son intérêt recevait une attention fiévreuse dont il cachait l'intensité à ceux qui l'entouraient. Il ne s'agissait pas de montrer ce qui comptait vraiment pour lui.
Il croisa les bras, et son ton était doux, dépourvu de toute agressivité ou de froideur, mais en même temps lointain, sans être vraiment distant.

« Je vais bien, mais c'est toi qui vas mal. C'est pour ça que je disais que je t'écoutais, parce que visiblement ça va pas et tu as envie que je sache pourquoi. »

Ce n'était pas ce qu'Hafiz voulait, mais si Naga parvenait à le faire croire que c'était le cas, il aurait bien fait. Mais en même temps, le jeune homme n'avait aucun espoir de le tromper - il sentait qu'il ne connaissait plus assez son colocataire pour affirmer pouvoir le comprendre, mais ce qu'il savait lui montrer que l'Iranien avait perdu en docilité. C'était sans doute une bonne chose pour le principal intéressé, mais Naga ne savait pas s'il s'agissait là d'un changement qu'il pouvait apprécier.
Lun 16 Oct 2017 - 14:56
La mention de l’affrontement entre les Iwasaki et les Altermondialistes ne laissa pas Naga de marbre. Hafiz put déceler dans son expression un sentiment qu’il ne put pas identifier. D’une certaine façon, cette réaction signait une forme de victoire pour l’iranien qui ne pensait pas pouvoir provoquer quelque chose à son colocataire. Mais cette victoire avait un goût amer dans sa bouche. Il aurait aimé ne jamais reparler de cet événement, encore moins au pêcheur. Le ton de la réponse du jeune altermondialiste fut bien la preuve que le cuisinier avait touché un point sensible. En temps normal, Hafiz se serrait répandu en excuse, aurait demandé pardon pour avoir autant minimisé les blessures de son ami. Aujourd’hui, il assumait chacune de ses paroles, tant pis s’il elle devait faire mal à quelqu’un. C’était la leçon qu’il tirait de son séjour à Pallatine et de toutes les rencontres faites ces derniers mois.

Le cuisinier écouta son ami poursuivre. Lui assurant qu’il n’en avait rien à faire des problèmes de la ville. Hafiz avait un peu de mal à avaler ça. S’il s’en moquait vraiment, il n’aurait pas participé aux affrontements. Ou alors, il y avait une autre raison expliquant sa participation à un tel événement. Cependant, l’iranien ne connaissait pas assez Naga pour deviner quoi. Il n’avait pas non plus envie d’une réponse claire. Cela le décevrait sûrement. Par contre, force était de constater que le jeune pêcheur avait raison sur un point. Comparé à la ville, Ocane était un lieu plutôt calme où il faisait bon vivre. Les problèmes des diasporas ne les avaient pas encore atteints ici. Hafiz avait donc bien de la chance d’avoir eu l’occasion de vivre ici. L’iranien n’acquiesça pas cependant. Les mots de Naga ne sonnaient pas comme une question mais comme un constat. Des mots qui e supporteraient aucune contradiction de par leur véracité. Une pensée tracassait toujours Hafiz. Ce dernier était persuadé que son colocataire lui cachait quelque chose de bien plus profond. Un sentiment qui le hantait mais qu’il ne voulait pas partager. Le cuisinier savait pertinemment qu’il ne pourrait jamais les arracher à Naga sans casse.

Il sembla se radoucir tout à coup, provoquant à nouveau une certaine surprise chez le cuisinier. Hafiz avait l’habitude de voir Naga longtemps énervé après des discussions de ce genre. Peut-être était-ce une simple façade ou une forme d’abandon face à sa façon d’insister. Mais les propos semblaient n’être qu’un simple retour en arrière sur la conversation. Pourquoi Naga voulait-il tellement que l’iranien aille mal ? Hafiz ne comprenait pas et cela l’énervait au plus haut point. Pendant un instant, il eut envie de répondre à son vis-à-vis que le problème n’était autre que lui, son colocataire. Cette seule idée l’étonnait venant de lui. Comment pouvait-il avoir une telle pensée à l’encontre de Naga ? Malgré toute leur discussion, il était impossible pour l’altermondialiste de lancer des mots aussi durs au visage de son ami et ce, quel que soit leur relation. Autant dire tout de suite que leur colocation était vouée, dès le début, à mal finir et qu’aucun des deux n’avait apporté quelque chose à l’autre.

Hafiz se rendit compte qu’il avait laissé un blanc s’installer suite à la remarque de Naga. Ce dernier devait avoir remarqué ce flottement gênant. Le cuisinier répondit donc un peu précipitamment :

« Non, ce n’est pas une question d’aller mal ou bien. Tu dis que tu m’écoutes mais ce n’est pas vrai sinon tu ne me dirais pas la même chose qu’il y a un instant. On ne fait que tourner en rond. Cette discussion ne nous mène à rien et puis… »

Hafiz s’interrompit in extremis avant d’aller trop loin. Il avait remarqué que sa voix était devenue de plus en plus forte à mesure que les mots sortaient. Tout ce qu’il avait voulu éviter faire était arrivé. Le cuisinier se passa les mains sur le visage tout en soupirant, cherchant ses mots un truc à faire. Encore une fois, il envisagea de s’excuser mais ce n’était pas une solution. Cela ne ferait que donner l’impression qu’il n’assumait pas ses propres paroles.

« Laisses tomber. Je n’ai rien à répondre à ça. Je ne vois même pas où je veux en venir moi-même. C’était une mauvaise idée. »

Normalement, suite à une telle remarque, une personne sensée serait partie. Mais le corps de l’iranien refusait de bouger de l’entrée de la chambre de l’inuit. Comme s’il attendait de son colocataire une réaction ou un simple congédiement. Sauf que contrairement à la dernière fois, il n’avait pas le sentiment d’être responsable de son échec, enfin pas le seul. Il avait essayé de prendre le taureau par les cornes. De se prendre en main. Il avait eu le sentiment de plutôt bien partir. Mais il restait toujours cette part de lui-même qui avait parfois du mal à se montrer virulente avec les gens dont il se sentait très proche. Il n’y avait pas trente-six solutions  ce problème.
Dim 22 Oct 2017 - 14:05
Patience est mère de toutes les vertus, raison pour laquelle, sans doute, Naga ne pouvait être considéré comme une personne vertueuse. L'impatience pouvait prendre beaucoup de formes, mais chez Naga, elle n'était ni coléreuse ni nerveuse, simplement lassée. Sa colère flamboyait aussi rapidement qu'elle s'éteignait, et il n'élevait jamais la voix bien longtemps - en revanche, il battait froid pour une durée inquiétante, et il était bien difficile de le détourner de son silence obstiné. Il était probable que son colocataire eût remarqué ce trait de caractère prédominant chez l'Inuit et en conclût qu'il en avait une fois de plus affaire à cette impatience placide que Naga semblait constamment jeter en pâture aux autres, mais fallait-il pour autant qu'il repoussât l'entière responsabilité à plus jeune que lui ? Assurément, Hafiz refusait de voir en face l'évidence qui ne faisait pourtant aucun doute : c'était lui qui faisait tourner la conversation en rond. Naga n'avait rien de particulier à raconter : c'est vrai, le souvenir du combat contre Hwang était toujours douloureux, mais il ne s'agissait que d'une morsure dans son amour-propre, pas de quoi s'inquiéter. Il se sentait même mieux à présent que quelques mois auparavant, avant que son intégrité physique ne fût été atteinte : alors, Naga doutait, alors que désormais, il s'acceptait de mieux en mieux. Probablement devait-il taire la part de sentiments qui le poussait à exprimer ses envies les plus égoïstes, mais devenir adulte, c'était apprendre à se taire pour ne pas blesser les autres - sans s'écorcher soi-même.
Qu'aurait-il pu dire d'autre, que de demander à Hafiz de se confier sur son changement de personnalité ?
Et l'autre qui lui disait qu'il ne prenait pas la peine d'écouter, il en avait de bonnes, Naga ne faisait que cela. Cela faisait quelques minutes déjà qu'il lui accordait son entière attention, sans vagabonder en pensée vers d'autres cieux plus cléments, sans ramener la situation à sa petite personne, non, il l'écoutait attentivement, du mieux qu'il le pouvait, et cela ne suffisait pas. Sans doute Hafiz voulait-il être couvé. Il attendait probablement de son colocataire qu'il se montrât enthousiaste à l'idée de l'écouter, mais le jeune homme ne pouvait pas feindre cela sans trahir la confiance qu'ils étaient censés entretenir tous les deux. Il aurait pu le tromper sur sa personnalité, comme il le faisait souvent, mais Naga avait compris qu'il ne pourrait pas tenir sur la durée. De toute façon, il faisait confiance à l'Iranien pour ne pas le trahir. Il avait fait le choix de se montrer honnête, et il n'allait pas changer pour faire plaisir. Surtout pas pour cette raison, en fait.
Hafiz abandonnait déjà, mais son corps le trahissait et montrait à Naga qu'il ne voulait pas partir. Il n'était pas assez ferme dans sa résolution pour aller jusqu'au bout. Si Hafiz ne suppliait plus avec les mots, ses gestes conservaient cette empreinte révérencieuse que le service du shâh avait imprimée en lui. Il attendait, depuis tout à l'heure, que Naga prît les devants, alors qu'il était évident que l'autre n'en avait pas envie.
Ravalant l'envie de le prendre par la main comme un enfant pour le tirer derrière lui, en même temps qu'un soupir, Naga décida de répondre à son invitation, histoire de lui montrer qu'il savait faire autre chose que fuir. Il jeta à peine un regard à Hafiz, son regard fuyant se refusant toujours à rencontrer d'autres yeux que ceux que son miroir lui renvoyait.

« Viens. » prononça-t-il d'un ton neutre mais décidé.

Il n'était pas dans les habitudes de Naga d'être autoritaire, il n'aimait pas beaucoup donner les ordres (en recevoir non plus), mais Hafiz lui donnait l'impression d'un enfant qu'il fallait guider parce qu'il se sentait perdu. Pour le bien de le colocation, et aussi pour avoir la paix en fin de compte, Naga dirigea Hafiz vers le salon de leur maison commune. L'Inuit s'y rendait assez peu, son amour à sens unique pour son ordinateur l'isolant de ce lieu de sociabilité que quelqu'un de plus traditionnel que lui fréquentait probablement. Les fauteuils et canapés lui semblaient un peu étranges, étrangers même parce qu'il ne se souvenait plus la dernière fois où il s'était assis dessus. Mais bien sûr, la pièce était rangée et propre comme il fallait, car Hafiz n'aurait jamais permis au désordre de s'installer chez lui - et d'une certaine manière, c'était Naga qui squattait chez lui. Naga s'y glissa avec élégance, s'enfonçant dans un fauteuil moelleux comme un prince, et croisa les doigts comme s'il allait mener un interrogatoire au lieu d'engager une conversation amicale avec Hafiz. Il attendit patiemment que son colocataire fît de même, quoi qu'il s'en fichait un peu s'il voulait s'asseoir ou non, c'était son problème, pas celui de Naga.

« Bon, eh bien, je t'écoute. Il s'est passé quoi, ces derniers mois ? Parce que ça fait plusieurs fois que je te demande et que tu refuses de me répondre. »

Ce qui était vrai, ça faisait plusieurs fois que Naga exprimait son envie de savoir ce qui avait bien pu arriver à son colocataire et que ce dernier esquivait la question. Peut-être la formulation seule était-elle en cause, et en changeant un peu le contexte d'énonciation, il pouvait amener Hafiz à se confier. Mais si ce n'était pas le cas et que le fait de devoir parler posait problème, alors Naga n'aurait plus qu'à se lever et à répondre qu'il n'avait rien à dire à quelqu'un qui avait des secrets pour lui.
Mar 31 Oct 2017 - 10:49
Sans un regard pour lui, Naga intima à Hafiz de le suivre. Non. Il ne l’intimait pas. Ce seul mot sonnait plutôt comme un ordre aux oreilles de l’iranien  et cela ne lui plaisait pas. Il tenta de contenir la colère qui montait en lui. Il y avait une époque où on lui parlait comme ça. Une époque où les gens passaient à côté de lui sans lui accorder plus qu’un regard de pitié. Comme un chien famélique croisé dans la rue. Comme une pauvre merde humaine abandonné là et qui n’a pas son mot à dire sur sa situation. A quel moment l’Inuit avait-il adopté cette attitude envers lui ? A quel moment avait-il perdu toute forme de respect pour lui. Car oui, pour le cuisinier, en tout cas pour celui qu’il était aujourd’hui, cette absence de contact visuel était perçue comme une absence de respect. Encore plus quand cela venait de Naga. Il était dur pour Hafiz qu’une personne qu’il estimait être son égal ait ce genre d’attitude. La douleur et la colère emplissait le cœur de l’iranien et menaçait d’exploser pour tout détruire sur son passage. Malgré tout, le cuisinier suivit son colocataire. Moins pour obéir que par l’envie de savoir ce que l’Inuit allait lui dire.

Son interlocuteur s’installa à son aise dans l’un des fauteuils du salon. Chose suffisamment rare pour que l’esprit de l’iranien le remarque sans toutefois vraiment en prendre conscience. Lui par contre refusa de s’asseoir. Il voulait juste entendre ce que son colocataire voulait lui dire. Mais malheureusement, il eut encore l’impression que son vis-à-vis le prenait pour un idiot. Pourquoi reposait-il cette question ? N’était-ce pas clair que l’iranien n’avait aucune envie de lui répondre mais aussi de se souvenir de tous les coups durs qu’il avait affrontés ces derniers mois. Sa remise en question avait été un véritable travail sur soi-même éprouvant pour le cuisinier qui devait, normalement, trouvait son point d’orgue dans la discussion d’aujourd’hui. Et voilà que Naga ne comprenait pas ce simple fait.

« Je n’ai pas forcément l’envie de te répondre. Tu me demandes de me confier, sans te demander si c’est vraiment cela que je veux tandis que toi tu choisis de garder tout ce qui te concerne pour toi. Ca a toujours été comme ça depuis que l’on se connait. Tu veux que je te dise. Je pense sincèrement que tu te moques finalement de ce que je pourrais te raconter. Tu veux seulement avoir la paix. Très bien, c’est clairement ton droit et je l’accepte, mais dit le d’emblée, on gagnera du temps. »

Hafiz avait bien conscience qu’il se laissait aller à la colère. Mais il n’avait plus que ça à quoi se raccrocher. Il n’avait pas envie de parler de ce qu’il avait vécu à Naga. Il en avait eu envie par le passé. Quand ces fameux changements avaient eu lieu mais la situation ne lui avait jamais semblé propice, pensant que Naga ne voudrait rien entendre. Il avait trouvé une autre oreille attentive. Une personne qu’il avait aussi connue peu après son intégration dans la diaspora. Anyse. C’est elle qui l’avait aidé à sauter le pas. Qui l’avait encouragé quand il avait eu besoin. Et c’était en grande partie pour elle qu’il avait eu envie de changer. De se surpasser pour enfin se libérer de la vie qu’il avait eue avant Pallatine. Pensait à l’hellène le calma légèrement. Il soupira, évacuant une partit de la tension pour reprendre d’un ton plus posé.

« Je crois m’être un peu emporté. J’admets que je ne dois pas te faire des reproches sur ce point. C’est juste que tu me donnes de plus en plus l’impression d’être en mode « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Tu attends des autres ce que tu ne veux pas qu’ils attendent de toi. Je ne suis pas venu te demander de m’écouter aujourd’hui. Je voulais simplement savoir si nous étions en froid. Tu ne parles presque jamais. Comme fait-on pour vivre comme cela sans savoir ce que l’autre ressent ? Pour toi c’est peut-être normal mais la communication c’est important, surtout quand nous ne nous connaissons pas si bien. »

Hafiz comprenait bien qu’il avait rejeté une grande partie de ses fautes sur Naga sous le coup de la colère. Il ne l’aurait pas dû. Il le reconnaissait. Mais il ne pensait pas non plus avoir tort en disant que des colocataires devaient apprendre à se connaitre pour mieux vivre ensemble. Dans le cas contraire, le gouffre entre eux ne cesserait de se creuser jusqu’à la rupture définitive qui se ferait sans doute avec violence. L’iranien s’était fait depuis peu à l’idée que la colocation ne serait pas éternelle. Il s’était même demandé s’il ne devait pas prendre les devants et l’annoncer dès aujourd’hui, libérant ainsi Naga d’un poids qu’il ne voulait sans doute pas à la base. Mais si cette séparation devait avoir lieu, autant qu’elle ait lieu dans la douceur. Ou peut-être était-ce ça la solution à leur problème de colocation.

« Naga ? Peut-être devrions-nous mettre fin à notre colocation pendant un temps. Cela nous permettrait de voir ce qui ne va pas et de pouvoir se dire les choses en face plus facilement. De voir si le problème vient de là et d’agir en conséquence par la suite. Qu’en dis-tu ? »
Sam 11 Nov 2017 - 20:38
L'impression de tourner en rond ne quittait pas Naga, qui regardait Hafiz toujours debout d'un air très clairement interrogatif. Le jeune homme avait du mal à comprendre ce qui rendait l'Iranien si réticent à s'exprimer et à participer à cette conversation. Son aîné se tenait toujours debout, marquant ainsi son refus de participer à un jeu qui, en fait, n'en était pas un, et le regard qu'il lui lançait, clairement désapprobateur, indiquant à Naga que ce dernier ne se conduisait pas comme Hafiz aurait souhaité qu'il le fasse. C'était plutôt énervant, car Naga faisait tout de même de gros efforts pour essayer de l'écouter, de le comprendre, mais ce n'était pas assez. Ces derniers mois avaient haussé les exigences de Hafiz à son égard à un niveau que l'Inuit ne pouvait pas atteindre. Au lieu de voir ce que Naga faisait pour réparer les choses, il ne faisait que l'accuser continuellement. Pourquoi était-il persuadé que le problème venait forcément de Naga ? Ce dernier se le demandait de plus en plus. Cela ne ressemblait pas à Hafiz de ne pas vouloir se confier et d'accuser Naga de ne pas le faire non plus.
Mais qu'aurait-il pu dire de plus ? Hafiz savait déjà ce qui lui était arrivé. S'il avait besoin qu'on lui explique que c'était difficile, un tel coup dans son ego, alors Naga ne pouvait rien pour lui. Il avait envie de lever les yeux pour les poser sur le plafond, là où Hafiz ne serait jamais assez grand pour se trouver. Il était déjà partout, sur les meubles, sur ce sol immaculé, dans les moindres détails que Naga pouvait regarder. Pour la première fois, l'Inuit trouva cela plutôt agaçant.

« Oui, vraiment, j'ai une drôle de façon de chercher à avoir la paix... » répliqua-t-il dans un murmure à la dernière accusation qu'Hafiz lui faisait.

Parce que cette accusation était une nouvelle fois injuste et ne rendait pas honneur aux efforts que Naga faisait pour lui parler. Il aurait très bien se cacher dans sa chambre et refuser de l'affronter. Il pourrait partir à l'heure actuelle, mais il restait là, et il était prêt à en remettre une couche.
Hafiz, finalement, sembla s'en rendre compte, car il changea de sujet, tout en restant bien entendu dans le registre accusateur. Mais le fond de sa pensée restait toujours le même : il reprochait toujours à Naga de ne pas lui confier ce qu'il pensait. À ces mots, un léger sourire se dessina sur le visage du jeune homme : il comprenait, désormais. C'était son caractère que Hafiz ne supportait plus. Il aurait voulu avoir un colocataire extraverti et heureux - mais Naga n'était ni l'un ni l'autre. Il avait besoin de son intimité, il n'avait pas forcément besoin des autres pour résoudre ses propres problèmes. C'était en aidant Cameron qu'il s'était aidé. Il savait que c'était de cela dont il avait besoin, pas de devenir transparent aux yeux des autres.

« Tu as vraiment changé, soupira Naga, légèrement déçu. Je ne sais pas ce qui t'es arrivé, mais avant, tu acceptais très bien mon caractère. Maintenant, il t'est odieux. »

Il est vrai que Naga n'était plus tout à fait le même que l'année précédente, mais il n'avait pas autant changé. Il était peut-être un peu plus renfermé, mais aussi plus honnête, moins prompt à jeter de la poudre aux yeux. Naga ne jugeait pas cela mauvais en soi. Il se pensait meilleur qu'avant. Mais il n'était plus assez bien aux yeux du nouveau Hafiz.
La proposition de mettre fin à la colocation fut comme un coup de poignard que Naga encaissa du mieux qu'il le put. Il détourna le regard pour ne pas montrer qu'il était blessé. Peut-être était-ce que Hafiz avait en tête depuis le début : se séparer de lui. Naga ne servait à rien dans la maisonnée, il ne faisait pas grand chose, en dehors de consommer. Si la colocation devait prendre fin, ce serait à lui de partir. Hafiz restait encore trop gentil pour directement le rejeter. Mais le résultat était le même, en fin de compte.

« Si c'est ça que tu as en tête, pourquoi tous ces détours ? T'aurais dû le dire plus tôt. »

Difficile de ne pas laisser ses sentiments teinter sa voix d'amertume : Naga avait bien du mal à digérer. Hafiz n'avait jamais vraiment voulu renouer le dialogue avec lui, finalement. Il voulait simplement savoir s'il devait l'expulser ou pas. Sauf que Naga n'en avait pas envie.

« Parce que toi, ça te dérange pas, tu gardes la maison et tout ce qu'il y a dedans. Mais moi, tu me mets à la rue. Tu te demandes même pas si j'ai quelqu'un pour m'accueillir ou pas. Parce qu'on sait très bien que si un de nous deux doit partir, ce sera moi. Je ne m'attendais pas à ça de ta part. Avant, tu faisais attention aux gens. Maintenant, j'ai l'impression que tout t'énerve, et que si les autres n'agissent pas comme tu le souhaites, tu les rejettes. Tu ne crois pas que c'est beaucoup plus grave que d'être introverti ? »

Il ne savait pas comment il avait fait pour ne pas se mettre en colère ou élever la voix, mais ça devait se sentir, qu'il avait envie d'y céder. Mais qu'importe.
Parce que la solution d'Hafiz n'en était pas une. Elle causait plus de problèmes qu'elle ne résolvait. Comment l'Iranien pouvait-il y être insensible ? Pourquoi ne pouvait-il pas réfléchir aux conséquences concrètes, plutôt que de s'attacher à ce que cela pourrait lui faire gagner ?
Dim 12 Nov 2017 - 16:44
C’était une chose de se dire que l’on voulait changer. Mais l’entendre dire par quelqu’un que l’on estimait était une toute autre épreuve. Cette simple remarque de Naga gravait ce changement dans le marbre. Comme si le Hafiz que l’iranien avait laissé derrière lui était définitivement mort. Ce n’était probablement pas faux. Tout ce qu’il avait vécu avait modifié sa manière d’être et sa façon de penser. Il ne voulait plus et ne serait plus dans le rôle du plouc. De l’idiot du village qui apprécie tout le monde et que tout le monde regarde avec pitié.

« Oui j’ai peut-être changé…Non. J’ai changé c’est vrai. Mais ton caractère ne m’est pas odieux comme tu dis. Disons plutôt que je suis résigné plus qu’autre chose. J’ai essayé d’en apprendre plus sur toi. Pour essayer de te rendre la vie plus agréable. Le problème, c’est que j’ai voulu faire en sorte de jamais blessé personne. Et devant moi je n’ai trouvé que des murs. Je croyais que ce monde était différent du mien mais je me suis fait beaucoup trop d’illusions. J’étais niais. C’est une évidence. C’est ce qui m’a poussé à changer mais tu n’en es pas responsable. »

Personne n’en était responsable à part lui-même. Cette décision, il l’avait prise librement sans que quelqu’un ne lui chuchote à l’oreille. Sans qu’il ne soit influencé. Et bien sûr, cela choquait les personnes qu’ils fréquentaient souvent. La question était alors : est-ce que les autres pourraient supporter ce changement ? Hafiz, au vue de la réaction de Naga, aurait pu répondre que non. Mais il aurait été beaucoup trop facile de qualifier Naga d’intolérant vis-à-vis de ce changement. Le cuisinier surprenait d’une certaine façon son colocataire par ce changement brusque. Il l’avait mis devant le fait accompli, sans le moindre signe avant-coureur. Pour que les gens acceptent ce changement, il fallait leur laisser du temps. Comme une seconde rencontre. Et c’est pour cette raison que l’Iranien proposa à Naga de mettre fin temporairement à leur colocation. Essayer de recommencer sur des bases saines après que chacun ait fait le point sur sa propre vie.

Cependant, Hafiz n’aurait pu manquer ce sentiment qui traversa le visage de Naga. Un aveugle n’aurait pas pu le manquer. Il l’avait blessé. Tout ce qu’il avait voulu éviter était arrivé. Sur le coup, Hafiz fut envahi d’un sentiment de honte. Il avait l’impression d’être une horrible personne. Mais il se rassura vite. Son but n’était pas de faire du mal à son interlocuteur. Il voulait le préserver. Cette proposition avait pour but, dans l’esprit du cuisinier, de les aider à aller de l’avant. Il avait souvent pensé être un poids pour Naga. De par son caractère très servile. Par son incapacité à prendre de vraies initiatives. Pour l’Iranien, le pêcheur avait toujours eu ce rôle de chef au sein de leur colocation. De prendre toutes les décisions majeures qui concernaient leur foyer. Lui n’avait fait que mettre en ordre leur logement et préparer les repas. Rien d’extraordinaire.

La réponse de Naga fut assez cinglante. Mais Hafiz l’accepta. Encore une fois, il ne pouvait pas lui en vouloir de réagir de cette façon. Et il ne le contredit pas quand son vis-à-vis crut qu’il avait tenté d’amener la conversation sur ce sujet très sensible depuis le début. Peut-être que l’Inuit n’avait pas tout à fait tort sur ce point. Inconsciemment, le cuisinier avait peut-être pris cette décision. Mais pour lui, cette proposition n’était que le résultat de leur conversation. Ou une façon de fuir. Un choix rapide et lourd de conséquences. Malgré tout, Hafiz fut choqué par ce que Naga ajouta. Il le laissa finir avant de prendre à son tour la parole.

« Alors là non ! Je ne peux pas te laisser dire cela. Tes accusations sont sans fondements. Tu dis des choses que je n’ai jamais dites. Que je n’ai même pas laissé sous-entendre. »

Hafiz monta brusquement le ton, à la fois par colère et par tristesse.

« Tu crois que moi, j’ai suffisamment de tripes pour mettre quelqu’un à la rue. Tu crois que, même si j’ai changé, je suis capable d’une telle chose. C’est justement ça dont je parlais. Tu ne me connais pas. Sinon tu saurais que jamais je ne te demanderai de quitter cet endroit. C’est ton foyer ici. Je n’ai, de plus, aucun pouvoir pour te renvoyer de cet appartement. Seule la diaspora en a le pouvoir. »

Dans tout ce qu’il avait pu dire jusque-là, Hafiz ne voyait pas à quel moment son colocataire avait pu croire qu’il voulait le chasser. Et puis, cette colocation était un contrat avec leur diaspora. Comment pouvait-il croire que lui, Hafiz, pouvait faire en sorte de mettre fin à son contrat ? Sa charge lui donnait des prérogatives mais seulement dans le groupe des Techniciens. Il ne lui revenait pas la charge de gérer les logements.

« Si tu m’avais bien compris, je t’offrais la possibilité de vivre ici. Sans m’avoir sur le dos. Dans cette proposition, c’était MOI qui partais. MOI et MOI seul. »

A mesure qu’il parlait, sa gorge se serrait. Ses mains tremblaient. Qu’on puisse le prendre pour un monstre de ce gabarit le répugnait au plus haut point. Il voulait faire prendre conscience à Naga d’une chose très importante et que son colocataire ne semblait pas avoir remarqué.

« Et, pour ta gouverne, je ne rejette personne. J’essaye d’arranger les choses. Car c’est de ça que tu as besoin non ? D’espace. Pas d’un type qui est sur ton dos à chaque fois que tu rentres du boulot. Tu n’as pas besoin de moi. Tu n’as jamais eu besoin de moi. Tu as toujours su te débrouiller. De nous deux, tu es le plus mature. Celui qui se sortira de toutes les situations comme un adulte devrait le faire. Tu es totalement autonome. »

La voix d’Hafiz diminua alors en intensité, reprenant un ton plus las.

« Je n’ai pas été à la hauteur et ne le suis toujours pas. Depuis que je suis ici, je n’ai fait que te tirer vers le bas. J’assume mes erreurs. Et si je veux continuer à vivre ici, avec toi, il va falloir que je m’améliore. Que j’apprenne. Et je ne pense pas pouvoir m’en rendre compte maintenant. Je vais aller vivre un temps ailleurs. Ça me permettra de voir ce qui me manque. Quand je serai prêt, et si tu es toujours pour une colocation, alors je reviendrais. Mais il me faut du temps et beaucoup d’apprentissage. »

Ces mots lui arrachaient la gorge mais c’était pour lui la seule façon d’exprimer son ressentit sur ce qu’avait été pour lui leur colocation. L’image qu’il en avait. Ce qu’il avait l’impression de vivre au jour le jour depuis leur rencontre. Hafiz ne voyait pas comment faire autrement et doutait sincèrement qu’il existe une vraie alternative durable à ce qu’il prenait pour un problème. Peut-être Naga en avait-il une.

HRP:
Sam 18 Nov 2017 - 14:30
La conversation se déroulait au fur et à mesure telle le fil décousu pendant d'un vêtement depuis trop longtemps déjà utilisé mais que la valeur sentimentale qu'on y attachait empêchait de mettre au rebut - il en aurait fallu bien peu pour détricoter le pull de leur amitié respective qui semblait bien, à cet instant précis, n'avoir jamais existé. Naga aurait été bien en peine de dire à quel moment l'accroc s'était effectué, mais il était sûr d'une chose : une fois dépouillés de cette tenue, ils se sentiraient probablement bien nus, tous les deux. Pour Naga, c'était même indéniable, car être privé d'Hafiz signifiait perdre tous les services que celui-ci effectuait pour lui. Cela allait plus loin qu'une simple question de communication : c'était son mode de vie tout entier qui risquait d'être perturbé, mais il n'avait pas le droit d'émettre la moindre plainte à ce sujet, considérant que jusque là il avait été particulièrement privilégié. Mais la chute n'en était que plus dure. L'Inuit pensait qu'il manquerait très certainement à Hafiz, mais il devait se rendre à l'évidence : c'était bien moins le cas que ce qu'il pensait. Hafiz ne dépendait aucunement de lui et pouvait très bien se débrouiller tout seul, il s'en porterait même sans doute sans un boulet dont il fallait s'occuper en permanence. C'était probablement ça que son colocataire avait en tête, et comme il n'avait pas le courage de le lui dire en face - car l'ancien Hafiz n'avait peut-être pas entièrement disparu - il préférait des biais détournés pour lui faire affronter la réalité. Car au bout d'un moment, il fallait bien comprendre que rien de ce que Naga pouvait dire n'atteindrait Hafiz, que celui-ci avait des réponses toutes prêtes à lui fournir, comme s'il avait bien ourdi son projet - et cela semblait logique, car on ne se barrait pas comme ça sur un coup de tête, à moins d'être particulièrement remonté, et Naga doutait que ce fût le cas ici.
Peu importe, au fond, que Naga n'était pour rien dans le changement d'Hafiz - cela, le principal intéressé avait largement eu le temps de le comprendre et de l'accepter. Ce qui comptait, c'était le mal-être d'Hafiz et les conséquences pour tous les deux. Naga se savait très mauvais pour gérer ce genre de crises, mais après avoir réussi à calmer Cameron, il s'était dit qu'il pouvait en quelque sorte s'en sortir, si une telle situation se reproduisait. En définitive, il s'était surestimé, mais il l'acceptait plutôt bien, parce qu'il était préparé à cette éventualité. À force, il pouvait dire qu'il y était habitué. Il pouvait simplement s'estimer heureux d'avoir eu de la chance avec le petit rouquin, voilà tout.
Néanmoins, Naga avait du mal à estimer sa propre part de responsabilité dans ce qui se passait. Il donnait très souvent l'impression de ne pas être concerné par ce genre de questions alors qu'il était toujours le premier à se noyer sous le poids de sa propre culpabilité. Il se disait qu'il n'avait pas aidé Hafiz, et que c'était peut-être là son véritable souci. Il avait beau se dire qu'il avait d'excellentes raisons de ne pas l'avoir fait - que ce soit physiquement, avec un bras plâtré qui l'empêchait logiquement de travailler, ou mentalement, à cause de la blessure de son amour-propre que Hwang lui avait infligée - ça n'était probablement pas suffisant. Ah, mais de toute façon, quand avait-il fait un jour quelque chose de suffisant ? Ça le gonflait beaucoup.
Emporté dans sa vague de culpabilité destructrice, qu'il avait jusque là réussi à tenir à l'écart pendant quelques semaines, Naga eut la surprise de constater que Hafiz parlait de partir, lui. L'éclat de colère de l'Iranien était plutôt surprenant, mais pas tellement dans le fond - c'était logique, qu'Hafiz n'ait pas le cran de l'expulser, il préférerait partir plutôt que d'oser cela, et pourtant, Naga en avait douté, preuve qu'il ne savait plus quelle part de l'ancien Hafiz existait encore en cet homme perturbé. Naga aurait voulu corriger ce que son colocataire lui disait : ce n'était pas qu'il ne le connaissait pas, mais qu'il ne le connaissait plus, et ne savait plus sur quel pied danser avec lui. Avant, les choses auraient été très claires, mais maintenant, Hafiz était devenu inconstant, presque incohérent à ses yeux, Naga ne s'expliquait plus ses réactions. Et honnêtement, il n'était plus certain de le vouloir, parce qu'il ignorait s'il allait se brûler les ailes ou non. Or évidemment, Naga souhaitait se protéger du mieux qu'il le pouvait des coups que les autres lui donneraient.
Dans son étonnement, Naga ne réussit pas à répondre, et la suite des propos d'Hafiz atteignit un tel niveau d'absurdité qu'il en resta bouche bée. Hafiz, le boulet ? Naga, le type responsable ? Temps mort, c'était bien la chose la plus ridicule que Naga eût jamais dit. Vraiment, s'il n'avait pas été aussi choqué par la situation, Naga se serait laissé submerger par le fou rire. Non, vraiment, très drôle, Hafiz, tu appelles mature quelqu'un qui est incapable de s'occuper de lui au quotidien, qui boude quand on lui fait une remarque et qui refuse d'affronter les responsabilités. C'était à peine si Naga savait réchauffer quelque chose au micro-ondes - et encore, parce qu'il était technophile, mais cette histoire de watt et de mode de décongélation lui semblait tout de même obscur, à lui pour qui la cuisine était un monde inconnu. Il ne savait même pas à quoi ressemblait le lave-linge. Et il était censé être autonome ?? Pas étonnant que Naga trouva cette réponse particulièrement risible - et fausse, par la même occasion, car n'importe qui aurait pu constater que ce n'était pas le cas. Bon sang, mais quelle opinion de lui pouvait bien avoir Hafiz pour entretenir de pareilles pensées ?
Naga resta muet pendant quelques secondes encore, toujours un peu choqué par la tournure surréaliste que prenait leur conversation. Il se demandait encore s'il s'agissait d'une plaisanterie, mais l'Iranien n'avait pas l'air de rire, et les secondes qui s'égrenaient semblaient confirmer que tout cela était bien sérieux. Putain, quel retournement de situation.

« T'es... t'es sérieux, là ? » demanda Naga prudemment.

Il voulait cacher du mieux qu'il pouvait son air choqué, mais il n'y arrivait pas. Il ne parvenait pas non plus à trouver quelque chose à dire pour essayer de rétablir la vérité sur son compte : parce qu'à ce stade de déni, rien de ce que Naga pourrait dire ne pourrait avoir de l'effet.

« Autonome ? »

Naga répéta le mot comme s'il était étranger. Mais c'était lui, le locuteur natif anglophone, il ne pouvait donc se tromper sur son sens. Hafiz aussi parlait très bien anglais, il semblait difficile de croire qu'il pouvait se tromper aussi lourdement sur un mot aussi simple. Pourtant, quelque part dans le processus, le mot avait cessé de désigner la réalité pour se charger des représentations que l'Iranien avait sur son camarade américain. À moins que le mot autonomie n'eût un mot différent dans la culture perse de son colocataire, mais Naga n'avait que très peu ressenti ce choc des civilisations depuis qu'ils vivaient sous le même toit - et c'était peut-être là la preuve qu'ils ne s'étaient pas beaucoup parlés.
Naga finit tout de même par comprendre qu'Hafiz l'avait mal interprété, qu'il assimilait la réserve du jeune homme à une envie de prendre le large. Naga ne pouvait nier cette envie de partir, ou plus exactement, de repartir chez les siens, mais sachant que c'était impossible, il ne faisait aucun effort pour trouver une voie de sortie. Parfois, ça lui plaisait bien, Pallatine. Il était simplement le type de personne à ne pas se mettre en avant sans une bonne raison et sans l'assurance que la lumière portée sur lui ne lui serait pas néfaste à plus long terme. Il ne voyait pas comment l'expliquer à Hafiz, et en admettant qu'il réussît, celui-là se convaincrait qu'ils n'avaient définitivement plus rien à se dire. C'était un piège sournois, aux yeux de Naga, parce qu'il ne voyait pas comment il pouvait s'en sortir. Heureux les spontanés qui ne prennent pas le temps de réfléchir à leurs propos avant de les sortir, car ils ne voyaient pas la gueule béante qui allait les engloutir. Naga, lui, l'apercevait dans toute sa crudité, et se demandait bien comme y échapper.

« Si tu penses que je suis autonome... eh bah, peut-être que c'est toi qui te fais des films sur moi, parce que non, je suis pas capable de tenir vingt-quatre heures à gérer une maison seule et tu le sais parfaitement. »

La voix était acide, accusatrice peut-être, mais elle collait parfaitement avec tout ce que Naga pouvait ressentir à cet instant précis. Il n'avait pas prévu de retenir Hafiz en avouant sa faiblesse, chose qui aurait été particulièrement honteuse et qu'il préférait éviter. Personne n'aimait exposer les aspects les moins reluisants à autrui, en particulier une personne qui vous connaissait un peu. Il n'avait pas non plus envie de se prendre une salve de reproches lui demandant à se prendre en main, qui aurait été certes contradictoires après ces compliments peu mérités, mais qui auraient été parfaitement adaptés. Pas aujourd'hui, en tout cas, et pas de la part d'Hafiz.

« Tu n'as pas complètement changé, nota Naga d'un ton plus neutre. Tu es toujours aussi faible et soumis, au fond. Mais tu as l'air... dérangé. Sauf que ça ne m'explique toujours pas pourquoi tu voudrais partir... »

Départ auquel Naga ne croyait toujours pas, c'était évident. Le visage de l'Inuit avait pris un air concentré, comme à chaque fois qu'il devait affronter un problème épineux face auquel il n'était pas armé. Ce même air qui lui donnait parfois l'apparence d'arrogance que les autres détestaient généralement chez lui. Naga était cependant trop déstabilisé pour conserver un masque impassible, comme il s'efforçait parfois de le faire. Tout cela était bien trop précipité.
Il devait se rendre à l'évidence : le mystère Hafiz n'allait pas être résolu aujourd'hui et ce n'était pas son colocataire qui lui fournirait la clé de celui-ci. Naga laissa échapper un soupir censé chasser la tension intellectuelle de son esprit - mais en fait, il restait toujours trop préoccupé par cette question inédite. Il se redressa également dans son fauteuil, fatigué d'occuper toujours la même position. Par la même occasion, il cherchait à reprendre le contrôle de son existence malmenée par des aléas imprévisibles.

« Bah, qu'importe. Si tu crois à cette version des faits, je ne peux rien pour toi. Peut-être que c'est une façon pour toi de masquer les reproches réels que tu voudrais me faire, qui sait... Tu sais quoi, fais comme tu veux. » reprit brusquement Naga après une pause. « Ce n'est pas comme si j'allais pouvoir te faire changer d'avis, vu que tu ne m'écoutes pas. Je crois pas que partir te fera du bien, parce que je crois que ton problème est ailleurs. »

Écoute un peu les autres, l'enjoignait silencieusement Naga. C'était un problème qu'il avait déjà constaté chez son aîné, et qui était parfois à l'origine de drames - pour lui-même, et non les personnes qu'il écoutait à moitié, parce que, comme Naga le lui avait signalé, il se faisait vraiment des films lorsqu'il s'y mettait. Ce n'était pas en partant qu'il allait résoudre ce problème-là. Le problème, songea Naga, c'est qu'il est tellement gentil en règle générale qu'il ne songe même pas qu'il peut blesser les autres - et quand il le fait, c'est déjà trop tard. Mais parler était inutile, Naga le savait. Il n'expliquerait pas son point de vue, à moins qu'Hafiz ne daignât s'y intéresser, mais il en doutait fortement, car l'Iranien était borné et avait déjà pris sa décision.
Et puis, j'ai mes propres problèmes à gérer... ajouta silencieusement Naga qui allait devoir se taper des problèmes de logistique en plus de sa quête perpétuelle pour trouver l'équilibre intérieur - qui allait plutôt bien, vraiment, avant que cette histoire ne vienne tout gâcher.
Lun 4 Déc 2017 - 12:17
Le silence qui fit suite à sa dernière déclaration mit un peu plus mal à l’aise l’iranien qui ne savait plus où se mettre. L’absence de la part de son colocataire était à la limite de l’oppression, comme si l’Inuit voulait torturer un peu plus le cuisinier dans ce moment de détresse. Et pourtant, Hafiz ne pouvait pas s’imaginer Naga faire cela. Encore plus à l’expression de son visage. Ou alors il était devenu comédien à ses heures perdues. Ce qui paraissait totalement impossible au vue de son emploi du temps. Alors pourquoi ne répondait-il pas ? Pourquoi se murait-il dans ce silence qui semblait durer une éternité ?  Il voulait sortir de cette pièce qui semblait devenir une prison. Partir sans rien et allait trouver une personne qui pourrait lui dire, peut-être en partie, s’il avait eu tort ou raison. L’iranien voulait tout simplement fuir cette situation et ne plus en entendre parler. Mais c’était lui l’instigateur de tout cela. Il ne pouvait plus faire marche arrière.

La question de Naga fit échos à ce qu’il avait dit précédemment. Mais le ton sur lequel elle était dite sonnait bizarrement. Son interlocuteur ne semblait pas comprendre. Que pouvait-il ne pas comprendre ? Hafiz n’avait pourtant que faire le constat de la situation de leur vie commune dans l’appartement. Et pourtant, l’expression choquée, bien perceptible, sur le visage de son vis-à-vis plongeait le cuisinier dans la plus grande perplexité. L’iranien ne comprenait pas bien la situation. Mais sans doute était-ce cela le vrai problème dans toute cette histoire. Tous deux n’arrivait pas à communiquer car il ne se comprenait pas le moins du monde. Quand l’un exprimait une idée, l’autre l’interprétait sans doute mal par rapport à sa vraie signification. Hafiz en était le premier responsable car, pendant longtemps, il cherchait les critiques qui lui étaient faites dans ce que les autres lui disaient. C’était en partie pour cette raison qu’ils s’étaient tous deux séparé dans de mauvais termes il y a quelques mois. Ou alors le problème ne venait que de lui. Il avait toujours eu du mal à cerner le jeune Inuit. L’âge était peut-être un facteur mais il n’expliquait sans doute pas tout. L’éducation était sûrement la cause essentielle de tout cela. Hafiz savait qu’on lui avait enseigné les principes de l’inégalité très tôt. Qu’il serait toujours en dessous des autres. Et bien évidemment, cette idée l’avait accompagné et elle rodait toujours dans un coin de son esprit après son arrivée à Pallatine. Puis il avait légèrement modifié ce concept qui ne correspondait plus aux standards de la vie à Pallatine. Au lieu de se sentir inférieur sur le plan social, il s’était senti inférieur sur les connaissances et sur le vécu. Pour cette seule raison, il avait toujours placé Naga « au-dessus » de lui  car il savait se débrouiller. Lui, en tant que serviteur, n’avait pas eu d’autonomie. Lorsqu’il avait trouvé son emploi dans cette ville, c’est sa diaspora qui avait fait l’essentiel des papiers administratifs. Il n’avait jamais vraiment eu de réelles responsabilités. Contrairement à ce qu’il imaginait de Naga. Alors il ne pouvait pas bien le comprendre.

C’est pourquoi les paroles de Naga furent cinglantes. L’inuit aurait pu le frapper de toutes ses forces que le résultat n’aurait pas pu être différent. La déclaration du pêcheur ne collait en rien à l’image que s’en faisait Hafiz. En effet, depuis leur emménagement, l’iranien avait cru que Naga lui laissait faire les tâches ménagères uniquement parce qu’il aimait faire ça. Un peu comme quand tu amènes ton enfant au travail et que tu le laisses faire semblant d’être aux commandes sous un regard bienveillant et protecteur. Ou alors qu’il l’avait laissé faire simplement parce qu’il le trouvait plus performant que lui. Mais sa déclaration brisa quelque chose à l’intérieur du cuisinier. Un peu comme quand on met quelqu’un devant une évidence. Sauf que c’était lui dans ce rôle et que ce n’était pas agréable. Il repensa à leur vie commune depuis l’année écoulée. Et, à part quelques exceptions, Hafiz n’avait jamais vu son colocataire prendre les devants pour effectuer une tâche ménagère dans leur appartement. Il ne l’avait jamais non plus mentionné lors de leur discussion. Depuis son arrivée, il avait pris le rôle de l’homme à tout faire sans rien demander. Comme si cela allait de soi. Il ne s’était pas intéressé aux capacités de Naga dans ce domaine puisqu’il était prête à les faire seule.

Il n’entendit pas vraiment ce que Naga dit ensuite. Des paroles qui l’auraient encore plus blessé que les précédentes. Il était plongé dans son esprit cherchant à quel moment il avait fait l’erreur de ne pas s’intéresser à son colocataire. Car, suite aux paroles de l’Inuit, c’était cela le vrai problème. Un problème qu’il avait occulté. Il l’avait mis à l’écart de leur foyer en prenant une place prépondérante dans les tâches ménagères. En vivant seul, naga aurait sûrement appris par lui-même à s’occuper de son chez lui. Sauf qu’il était tombé sur lui. Un maniaque de rangement et de la propreté. D’une certaine façon, il l’avait enfermé dans une sorte d’assistanat. Peut-être que Naga n’était pas dérangé par cette situation, ou bien avait-il choisi de se taire plutôt que de s’opposer à la situation.

Hafiz osa un regard sur son colocataire. Il le détailla des pieds à la tête, comme s’il le rencontrait pour la première fois. S’il s’était trompé sur ça, il avait sûrement loupé bien d’autres choses sur son colocataire. Il fut soudain saisi d’un sentiment de dégoût à son encontre. Il ne put empêcher son visage de laissé transparaitre cette évidence. Ses yeux devinrent plus ronds, comme s’il constatait quelque chose de nouveau. Dans la situation actuelle, Hafiz observait Naga sous un regard nouveau et décela une forme de fragilité. Pas une fragilité d’esprit ou physique. Une fragilité qu’il était sur le point de mettre en exergue. Naga lui montrait une part de lui-même que le cuisinier avait ignoré. S’il partait, comme il l’avait annoncé plus tôt, il laisserait un jeune homme être surpassé par sa propre vie. C’est comme si l’iranien portait un paquet sur le dos et qu’il s’en déchargeait sans ménagement sur celui de son voisin, qui en l’occurrence était Naga. Sauf qu’il n’avait jamais vraiment considéré la vie de Naga. Même si ce dernier ne lui en avait jamais trop parlé, Hafiz n’avait pas cherché à comprendre les non-dits. Il ne fallait pas considérer Naga comme trop jeune pour être seul. Il n’était simplement pas prêt à vivre seul.

« Je crois que j’ai fait une erreur. » chuchota d’un ton grave Hafiz tout en continuant de fixer Naga.

Oui, une très grave erreur. Un acte d’une cruauté sans nom. Sans vraiment s’en rendre compte, il se leva et commença à faire les cents pas dans la pièce. Il était allé très loin dans ses propos. Un point qui avait sûrement mis Naga à rude épreuve. Il lui avait fait du mal alors que ce n’était pas son intention. Il aurait aimé faire machine arrière mais il était bien trop tard pour cela. Naga l’avait fait réfléchir plus loin que le bout de son nez. Mais comment pouvait-il rectifier le tir sans passer pour une girouette ? Il s’était enfoui dans un bourbier dont il était difficile de se dépêtrer. L‘honnêteté serait sans doute la meilleure attitude à adopter. Il reprit, le ton légèrement teinté de tristesse mais aussi de gravité tout en fixant à nouveau son colocataire :

« Oui. J’ai fait une erreur. Je ne sais pas comment je n’ai pas vu l’évidence. Je ne peux pas retirer ce que j’ai dit mais tu n’as pas tort. Je te présente mes excuses pour mes propos. Je croyais que partir te permettrait de mieux t’épanouir. Cependant, il devient clair que les choses doivent changer. Je suis prêt à faire des efforts mais tu vas aussi devoir en faire. »

Ces mots sonnèrent plus durement qu’il ne l’aurait cru, malgré le ton qu’il avait employé. Il ne voulait donner aucune impression d’autorité. Il laissait simplement un choix à son colocataire.

« Au diable de savoir qui est responsables ou non de la situation actuelle car je pense que tu as mis le doigt sur une problème que je ne voyais pas. Il va falloir que tu t’investisses un peu plus dans la vie de l’appartement et les tâches ménagères. Moi, de mon côté, je vais faire  de mon mieux pour être plus disponible pour t’apprendre un peu à tout utiliser... »

Il s’arrêta un instant, réfléchissant à la nécessité de donner une justification à ce changement qu’il était prêt à donner à leur vie commune. Mais, s’il voulait être totalement honnête, il fallait au moins qu’il se dévoile un peu plus.

« …car je vais sûrement passer moins de temps à la maison car certaines choses ont changé. Donc tu seras parfois à te faire à manger seul par exemple. Est-ce que cela te conviendrait-il ? »

Malgré ses mots, Hafiz n’arrivait pas à être sûr de lui. Il avait trop le sentiment de s’être comporté comme le dernier des imbéciles et des rustres avec son jeune ami. Il essayait donc tant bien que mal de sauvegarder ce qui pouvait encore l’être.

HRP:
Jeu 7 Déc 2017 - 22:16
Naga était curieux de savoir ce qu'Hafiz avait à répondre à tout ce qu'il avait dit. Il avait eu du mal à comprendre dans quelle mesure l'Iranien avait changé, mais à présent, il était à peu près certain de savoir où celui-là se trouvait rendu. Naga savait donc qu'Hafiz n'exploserait pas, comme il l'avait craint plus tôt : il se dégonflerait probablement. Une part de faiblesse l'habitait toujours, moins régnante qu'auparavant, mais toujours bien réelle - sans que l'Inuit se dît qu'elle était peut-être arrivée au point où elle pouvait devenir une véritable qualité. Il se sentirait probablement blessé par ce que son cadet lui avait dit, et il y avait de quoi. À sa place, Naga aurait pris la mouche. Il est vrai qu'il était du genre à se froisser pour bien peu, mais il estimait que dans ce cas-ci, c'était plutôt légitime. Et une partie de son cerveau regrettait de ne pas avoir face à lui quelqu'un qui serait capable de le recadrer et de lui montrer ses erreurs. À force de vouloir le préserver, les autres l'encourageaient indirectement dans la voie de la déviance.
Naga ne fut donc pas surpris d'entendre Hafiz en venir aux excuses - pas tout de suite, il lui avait d'abord fallu admettre qu'il s'était trompé, et Naga ne comprenait pas comment ce type pouvait l'avouer aussi facilement, comme si ce n'était rien. Il ne savait pas non plus ce que Hafiz désignait exactement par l'erreur qu'il pointait du doigt, car cela semblait être plus que la décision de s'en aller, mais au fond, cela n'avait pas d'importance : Hafiz s'était une fois de plus excusé, le gentil Hafiz qui ne voulait surtout pas s'imposer et qui avait peur de déranger. Apparemment, l'Iranien n'avait pas totalement perdu ses anciennes habitudes, mais il fallait creuser pour pouvoir les déterrer. Peut-être l'évolution de sa personnalité était-elle fortuite, peut-être cherchait-il à y résister ? C'était là un sacré casse-tête que Naga ne se sentait pas capable d'affronter. C'était déjà un vrai miracle que d'avoir réussi à récupérer Cameron, il ne croyait pas assez en sa chance pour espérer réussir à nouveau.
En contrepartie, Hafiz lui demandait de faire des efforts, et Naga se demanda si ce premier pensait que ce dernier était rétif à l'idée de s'améliorer. Comme s'il n'était pas déjà en train d'en faire. La preuve, il ne fit aucune remarque à ce sujet, comme si ce n'était pas agaçant de se faire demander quelque chose que l'on faisait déjà. Sauf que la communication n'était pas ce qu'Hafiz avait en tête, et les tâches ménagères étaient au cœur du sujet. Naga eut du mal à s'empêcher de lever les yeux au ciel. Peut-être qu'Hafiz finirait bien par se barrer quand Naga n'aurait plus besoin de lui...

« Ouais ouais, okay, ça marche. » fit Naga en feignant l'enthousiasme.

Mais comme tout jeune homme vivant aux dépens d'une personne plus âgée, cette perspective ne pouvait être très réjouissante. Cela signifiait qu'il allait devoir apprendre à... cuisiner et faire la vaisselle, faire du ménage, la lessive et... hum... quand même pas réparer les chaussettes, aussi ? Les aiguilles et Naga, ça ne faisait pas toujours très bon ménage. En tout cas, tout cela s'annonçait très fatiguant et l'amènerait à sacrifier de son très précieux temps de loisirs qu'il passait à des activités autrement plus intéressantes... Sans compter que son travail de pêcheur était exténuant et qu'il se sentait dépourvu de toute volonté lorsqu'il rentrait enfin chez lui.
Mais bon, c'était ça ou la porte, alors comme la porte ne lui faisait pas vraiment envie et qu'il n'avait pas envie de se faire traiter de gamin par un domestique mal émancipé, il acceptait par principe.
Ceci dit, à présent qu'Hafiz lui avait demandé de faire des efforts, est-ce qu'il ne pouvait pas, lui aussi, demander quelque chose en retour ? Naga ramena ses genoux sur le fauteuil pour y réfléchir - position détendue dans laquelle on n'avait que très rarement l'occasion de le voir, car il ne la trouvait pas assez distinguée pour son image de pêcheur raffiné. Il pousserait peut-être le bouchon un peu loin. Et puis, Hafiz avait reconnu son erreur - une erreur qui n'était pas bien identifiée, mais on ne chipotait pas pour si peu. Mais d'un autre côté, il en avait sacrément envie, parce qu'il avait eu beaucoup de mal à se faire comprendre d'Hafiz et que ça l'énervait de passer pour une bourrique. En fin de compte, Naga ressentait peut-être un relent de colère qu'il avait besoin de faire passer d'une façon ou d'une autre. Ne restait qu'à savoir comment exprimer correctement l'idée qu'il avait en tête.
Il opta finalement pour la formule suivante :

« L'essentiel, c'est que tu as compris ton erreur, et que tu t'en es rendu compte. Mais la prochaine fois, essaie de prêter plus attention aux autres, s'il te plaît. »

La formule de politesse n'était pas franchement naturelle, chez Naga, mais les formules de politesse étaient généralement si creuses que les autres ne le remarquaient pas. Il était tout de même bien curieux qu'un homme habitué à servir soit aussi nombriliste - au moins autant que Naga, ce qui n'était pas peu dire.
Mer 20 Déc 2017 - 15:37
Hafiz ne fut pas vraiment convaincu par l’enthousiasme apparent de Naga. L’iranien n’était pas un expert en sociologie, mais il avait bien compris que les tâches ménagères rebutaient la plupart des personnes. Et l’inuit n’avait jamais vraiment fait le premier pas pour se lancer dans ce genre d’aventure. Mais cela devait changer car, d’une certaine façon, le jeune pêcheur avait appuyé sur le point faible de leur séparation, ce qui avait amené Hafiz à culpabiliser. Il avait toujours du mal à résister à ce sentiment, surtout avec ses amis. Il se demandait si Naga avait volontairement eu recours à cela pour lui faire changer d’avis. Cependant, le cuisinier n’arrivait pas à voir son colocataire comme quelqu’un d’aussi calculateur que cela. Malgré tout, sans ça, il n’aurait pas fait machine arrière. Il serait parti sans demander son reste.

Rien n’était gagné pourtant et Hafiz saurait se montrer intraitable si son interlocuteur n’y m’était pas du sien. Il était prêt à sacrifier une partie de son temps pour transmettre aide et conseille à son cadet. Mais, si celui-ci ne saisissait pas cette chance alors lui n’aurait aucun scrupule à partir. Après tout, il avait bien compris que par le passé, il laissait passer trop de choses et ce avec tout le monde. Il aurait été prêt à donner le bon dieu sans confession à quiconque. Mais il n’avait plus vraiment foi en cette nouvelle vie « meilleure » qu’on lui avait agitée devant les yeux à son arrivée. Il était certes mieux loti qu’en Iran mais pas plus respecté. C’était en partie de sa faute d’ailleurs. Il donnait une seconde chance à Naga d’une certaine façon. On ne pourrait donc pas l’accuser d’être une personne sans cœur.
Au fond de son esprit, une petite voix lui murmurait qu’il avait fait une erreur en ne mettant pas à exécution sa décision. Qu’il perdait le peu de crédibilité qu’il possédait auprès du jeune altermondialiste. Peut-être avait-elle raison. Sans doute faisait-il le mauvais choix. Mais c’était comme choisir entre les regrets et les remords. Il n’y avait pas de bon choix.

Il ne fit pas de remarque suite à la déclaration de l’Inuit, se contentant d’un simple acquiescement de la tête. Par contre, il l’a trouvé légèrement fausse, en particulier dans sa seconde partie. En effet, le cuisinier n’arrivait pas à comprendre ce qu’on lui reprochait car il pensait être à l’écoute des personnes qu’il rencontrait. C’était d’ailleurs cela qui l’avait mené dans des histoires assez peu enviables et donc qui l’avait mené vers un changement nécessaire de sa personnalité. De plus, il avait écouté ce que son colocataire lui reprochait puisqu’il avait fini par changer d’avis. Que pouvait-il lui demander de plus ?  Mais Hafiz ne s’étendit pas sur la question. Inutile de relancer un débat qui ne mènerait nulle part.

« Bon, je crois qu’il va être temps de s’y mettre pour le repas de ce soir. Ce serait sûrement le bon moment pour commencer à apprendre à cuisiner quelque chose de simple, tu ne crois pas ? »

Hafiz avait lancé cette proposition sans vraiment être sûr qu’il recevrait une réponse positive. Mais c’était une façon pour lui de tâter le terrain. De voir quel serait l’ampleur de la tâche à réaliser avec son colocataire pour essayer d’avancer ensemble. Cette demande pourrait paraitre folle après la discussion qu’ils venaient tout deux d’avoir mais, selon l’iranien, cela devait servir de première leçon. A savoir : quel que soit  les difficultés que l’on a rencontrées dans la journée, il faut subvenir à ses besoins.

« Je serais de toute façon derrière toi pour t’expliquer si tu as besoin d’un coup de main. »
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