Dim 5 Juin 2016 - 12:06
Un peu à l'extérieur, un peu à l'intérieur. Est-ce là le secret de ton équilibre ? Est-ce la raison pour laquelle tu parviens encore à sourire malgré tous les maux dont tu souffres ? Parce que c'est là une différence fondamentale entre Laurent et toi. Même si tu ne l'as jamais vu sobre, tu sais. Tu sais qu'il se laisse toujours porter par cette mélancolie, alors qu'au quotidien tu tends l'effacer de tes considérations. Tu fais exprès, Zach. Tu refuses habituellement de songer à toi. Peut-être fais-tu partie de ces personnes qui, pour supporter le deuil, s'ensevelissent sous une avalanche de travail. Cela te ressemblerait bien. Lui, ça semble plutôt être l'alcool. Et tu peux le comprendre. C'est ça qui est amusant, car tu le comprends alors même que vous n'êtes pas les mêmes. Comme si vous en partagiez assez pour que vos différences ne soient plus un problème - que vous ayez les clés pour les comprendre. Ou du moins, toi, tu les as. Tu sais aussi que tu penses toujours aux autres, et que c'est là la raison de ton empathie, de ta gentillesse. Il joue avec un de tes points faibles, Laurent : tu es trop sensible à la douleur des autres. Et maintenant, tu ne peux plus le laisser tomber.
« C'est sans doute vrai, concèdes-tu. Tu portes la tristesse avec tant de dignité que le bonheur semble être un habit mal taillé sur toi. Mais quand je vois tes sourires, je me dis que ça te rendrait simplement différent. »
Est-ce un mal ou un bien ? Tu ne le sais pas. Mais tu ne penses pas qu'il soit bon pour lui d'être malheureux. Ou sans doute est-ce un élan d'amitié qui te pousse à désirer son bonheur, va savoir ? En tout cas, tu penses qu'il doit trouver son équilibre, comme toi. Tu trouves qu'il y a de la beauté à voir quelqu'un qui sait se rendre triste et joyeux à sa convenance.
Le mot « mort » s'impose à toi. Une fois que tu l'as entendu, tu te perds un instant dans les contemplations de tes souvenirs. Tu te demandes ce que lui y voit, sans doute pas la même chose que toi. Sans doute pas cela. L'absence totale de son parce qu'une explosion t'a privé temporairement de ton ouïe, et la fumée qui t'occulte le champ de vision, mais rentre dans ta gorge, ne masque pas l'odeur de terre et de sang mêlés qui assaillent tes narines, et le froid qui te paralyse - les os glacés, et les vêtements humides glacés qui te collent à la peau, et l'air glacé qui s'introduit dans tes poumons douloureux. Et puis, les corps allongés, maudits par l'existence qui les a rejetés, les reléguant au rang de simples masses abîmées.
Tu t'en extrais, de cette mémoire - mais avec difficulté ; tu sens qu'une larme roule sur ta joue.
Alors tu ris.
(Mieux vaut rire que pleurer.)
« Parce qu'on doit tous mourir un jour ? il paraît que c'est notre destin. »
Mourir ne te dérange plus. Tu attends, simplement. Si tu es en vie, alors tu l'exploiteras tant que tu le pourras. Sinon, tant pis. Tu aurais simplement aimé que eux ne meurent pas.