Jeu 16 Juin 2016 - 16:34
« Je n'y suis pour rien si c'est ma langue maternelle, répondit Santiago en anglais d'un ton cinglant. Je suis chilien, tu vois... »
Il ne fallait pourtant pas avoir fait de grandes études pour comprendre que même dans un pays étranger, un homme pouvait avoir envie de parler sa langue maternelle avec un autre homme qui la connaissait également, tout particulièrement s'il s'agissait de son fils. Ce n'était pas seulement le fait de vouloir protéger à tout prix ses origines ou pour les afficher, simplement de ne pas trahir ce que l'on était. Oui, Santiago parlait anglais, comme tout le monde à Pallatine. Mais cela ne l'obligeait pas à parler anglais dans sa vie privée également. Il avait l'habitude de faire tout cela en espagnol. Mais Romeo ne comprendrait sans doute pas. En plus, il avait des origines italiennes, et son nom était italien - tout pour le contrarier. Santiago n'avait rien contre les Italiens, bien entendu, mais il n'aimait pas être confondu avec eux, ce que certaines personnes vraisemblablement peu éduquées faisaient parfois. Un peu comme ceux pour qui tous les Asiatiques étaient des chinois.
Cependant, Romeo n'avait pas envie d'entendre ce que Santiago avait à lui dire, et l'adolescent enchaîna immédiatement par une tirade provocatrice qui avait pour objectif de montrer à quel point Santiago était un mauvais père. Il était notamment persuadé de se faire taper pour avoir osé sortir de tels propos. Santiago aurait très bien pu être tenté de le faire, mais il se trouvait en public, et le public avait un effet étrange sur lui. Il voulait avoir une belle image, être respecté pour ce qu'il était, et en aucun cas il ne faisait preuve de violence à moins d'y être forcé. Et malgré tout, Romeo n'était pas encore parvenu au point de non-retour, celui où Santiago exploserait. C'est qu'il se contrôlait bien, le vieux. Le fait de ne pas donner beaucoup de poids aux paroles de Romeo en général l'aidait très certainement à conserver son calme.
Il n'y eut pas de gifle. Les paroles de Romeo avaient attiré les regards, qui ne savaient que trop penser de cette brusque intervention. Fallait-il y croire ? L'adolescent exagérait-il ? Quelle était la part de vérité dans cette histoire ? Santiago sentait que toutes ces questions risquaient de trouver une réponse dès le moment où il réagirait. Il ne dépendait que de lui de faire de cet ultimatum un piège mortel ou une simple bombe à eau.
Il n'y eut pas de geste de sa part tout court. Santiago resta immobile, l'air blasé, son regard inexpressif posé tranquillement sur Romeo. Tremble, gamin, en attendant que je décide du sort que je te réserve. Tremble en songeant à la terrible vengeance que je prépare pour ce coup bas. J'espère que tu ne t'en remettras jamais.
Puis, soudain, brisant le silence inhabituel à cette heure de la journée, Santiago consentit à répondre :
« C'est tout ce que tu as à me dire ? Je suis déçu. Je m'attendais à plus d'insultes de ta part. Peut-être ne me détestes-tu pas tant que ça, en fin de compte. »
Et parce qu'il savait qu'une partie de l'auditoire attendait des explications, ou du moins quelques lumières sur ce qui venait de se passer, Santiago ajouta :
« C'est normal d'être bouleversé parce que ton padre ne ressemble pas à ce que tu aurais voulu qu'il soit. Mais je n'ai jamais prétendu être un homme bon, pour commencer. » Il s'avança, comblant la distance qui le séparait de Romeo. « Pas même avec toi. »