Marguerite (France) Fleury
Caractère
Histoire
Très cher Etienne ;
Les jours sont gris et se ressemblent. Le monde que nous aimions tant est laid, le monde est triste, si triste sans toi ou peut-être est-ce la guerre. Cela fait longtemps que je n’ai pas entendu quelqu’un rire comme nous le faisions dans les champs et les campagnes. Nous avons faim et les allemands hurlent des mots étranges et effrayants. Ils sont venus, ils ont tout pris.
Les rues sont vides et certaines portes restent grandes ouvertes, battantes, les fenêtres démolies mais, personne ne dit rien. Parfois, il y a un cri solitaire de femme qui s’échappe dans l’après-midi et des pleurs mais, personne ne dit rien. Des familles entières disparaissent et personne ne dit rien. Ce silence me ronge Etienne, il me dévore mais, je ne dis rien. Je suis comme eux, comme les allemands, je les ai tués – j’ai tué les Juifs- parce que je n’ai rien dit mais, je ne peux rien faire.
Je ne peux rien faire.
C’est terrible et je n’ai pas assez de larmes pour pleurer. Le sol s’éventre sous les bombes en des plaies béantes, les villes disparaissent dans les braises dans un vrombissement terrible mais, ne crois pas qu’aucune de ces douleurs n’égale celle de ton absence. Pas un jour ne passe sans que je ne pense à toi, pas une minute, pas un instant. Tu occupes chacune de mes pensées tendrement.
Et je trépasse dans ton silence, sans la douceur de tes baisers, sans la chaleur de ta chair tout contre moi, sans tes étreintes pour me consoler. Je me meurs lentement avec toi, dans l’attente, dans ces secondes qui deviennent une insoutenable éternité et l’existence une inductible agonie ; l’attente de savoir si demain je vivrai ou si demain je mourrai avec toi mon amour. Chaque fois un peu plus mon espoir se consume de voir cette guerre terrible prendre fin et de te revoir un jour. Je ne sais pas si je devrais encore espérer ou me laisser éteindre ; que mon cœur me tourmente, que je me languis de nos souvenirs heureux. Mais, je t’attends comme je te l’ai promis, à maintenant et à jamais, que je sois tienne jusqu’au dernier souffle des Hommes.
Alors, s’il-te-plait ne me dis pas que tu vas bien car je sais que cela est impossible mais, dis-moi que tu es en vie, apaise mon cœur en manque de toi, même d’un seul mot.
Ta tendre M.
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Très cher Etienne,
Maman est tombée malade. Nous avons dû quitter la ferme pour se rendre chez sa sœur, en ville. J’ai trouvé un emploi dans une usine. Il ne reste que des femmes, des enfants et des vieillards pour travailler. L’air est lourd de fumée, le ciel pleure toujours des larmes de feu et bientôt je me dis qu’il ne restera plus rien.
Parfois je me demande si c’est l’œuvre des Allemands ou celle de Dieu.
Alors je me souviens de quand nous étions enfants et que nous embrassions timidement, cachés sous le feuillage du bosquet, juste derrière l’Eglise après la messe dans nos beaux habits du dimanche. Nous courrions dans les forêts, nous nous baignions dans les rivières en été, nous comptions les étoiles et tu me racontais les plus belles histoires que je n’avais jamais lues. Je repense à nos mains moites jusqu’aux lueurs de l’aube ; à nos étreintes passionnées, à quand nous faisions l’amour entre les tiges de blé, à nos gémissements étouffés dans le silence nocturne et le contact de tes doigts sur ma peau, à mon cœur brûlant de désir ; à nos rêveries naïves et nos longues escapades. Je me demande si Dieu ne veut pas nous punir de toutes ces fois où nous avons pêché, si Dieu n’est pas en colère contre ses enfants qui lui ont désobéi en pensant échapper à son joug divin.
Mais, je ne regrette pas un seul instant, crois-le bien, que mon seul regret est que tu ne sois pas à mes côtés car une vie sans toi m’est plus intolérable que toutes les flammes de l’Enfer.
S’il-te-plait réponds-moi, je t’attends toujours.
M.
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Tu me manques. Je compte les jours et puis les heures depuis que tu m’as été arraché par l’implacabilité du Destin. J’aurai dû te retenir quand je le pouvais encore, j’aurai dû te dire de ne pas me quitter.
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Est-ce que tu te rappelles la nuit la nuit où l’on s’est dit au revoir ? Je n’arrive pas à l’oublier, tu sais et je m’en veux. Tu m’avais dit « Maggie j’ai tellement peur » dans un souffle étranglé en relevant lentement les yeux vers moi, comme si tu avais honte.
Maggie j’ai tellement peur et je n’ai cessé de me répéter ces mots depuis. Oh tu m’avais regardé d’un air si grave, toi qui riais si fort et qui avait les épaules si droites, comme si tu ne savais plus. Tu n’étais qu’un enfant malgré tes mains d’homme et ta peau nue contre la mienne.
Nous n’avions que dix-sept ans et nous pensions tout savoir déjà, avoir tout saisi à la vie mieux que personne. Nous étions en colère, contre la vie, contre la Terre entière et nous voulions nous marier. C’était la faute aux allemands, aux Juifs, à l’ancien gouvernement. C’était la faute à quelqu’un et nous pensions sincèrement que nous pourrions changer le monde avec nos grandes idéaux. Mais, maintenant, je ne sais plus qui est coupable et qui est victime, nous pleurons tous pareils tu sais…
Maggie j’ai tellement peur et ta voix me hante encore, elle avait tremblé comme une détonation. Je ne savais pas quoi faire, je suis désolée, je ne savais pas quoi dire Etienne. Pardonne-moi de ne pas t’avoir gardé, de t’avoir seulement enlacé, ta tête entre mes seins. Tu avais résisté un instant avant de te joindre à mon étreinte. Mais, c’était différent. Je n’ai jamais pu oublier la façon dont tu m’as attrapé, dont tu t’es désespérément accroché à moi comme un noyé. Je me suis souvent demandé à quoi tu pensais alors que je te sentais sombrer au creux de mes bras, dans la lumière mélancolique de la lune.
Tu étouffais entre deux sanglots violents ;
Tu asphyxiais ;
Tu t’éteignais.
Je n’ai pas dormi cette nuit-là. J’ai veillé sur ton âme éplorée jusqu’à ce que tu te laisses tomber dans un demi-sommeil, épuisé parce que tu sais, depuis le début de la guerre tu n’avais pas pleuré, pas même pour ton frère. Nous sommes restés là en silence, blottis l’un contre l’autre jusqu’au petit matin. J’ai passé chaque moment à caresser tendrement tes boucles brunes, à mémoriser tes traits endormis, ton odeur, la douceur de ton corps adolescent, le goût de ta peau, de tes lèvres, le bleu de tes yeux, à les marquer dans ma propre chair et mon propre cœur. C’était mon dernier souvenir de toi.
Alors je l’écris, pour ne pas oublier.
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Très cher Etienne,
Cela fait deux ans que tu es parti à l’aube.
Cela fait deux ans que je t’attends.
Cela fait deux ans que je n’ai pas de nouvelles. Je n’ai pas cessé de t’aimer depuis ton départ et de t’attendre. Mais, je continue à t’écrire dans l’espoir que tu reçoives l’une de mes lettres et qu’elle te donne la force de me revenir. Le manque est une douleur lancinante, je n’ai plus goût en rien, la nourriture est fade et j’ai peur. J’ai peur mais, le souvenir de ton rire chasse tous mes cauchemars, toutes les angoisses qui viennent me chercher dans les profondeurs de la nuit et me tiennent cruellement en éveil. Alors, je m’accroche de toutes mes forces car, je sais que tu es là quelque part, malgré la distance vertigineuse qui nous sépare et je t’appartiens tout entière comme tu es tout à moi.
Affectueusement,
M.
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Très cher Etienne,
Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre de ta mère avec un télégramme. Il y avait écrit porté disparu.
Tu n’es pas vivant, mais, tu n’es pas mort non plus.
Tu as disparu, la Guerre t’a avalé dans ses ténèbres.
Aujourd’hui, Etienne, j’ai voulu mourir. J’ai voulu mourir de tout mon être, dans chaque partie de mon corps. Mais, il n’y eut pas un cri, pas gémissement, pas même un bruit.
La Guerre t’a avalé et elle m’a tué.
Gisent à mes pieds nos promesses éventrées, nos rêves massacrés et notre amour piétiné alors que je contemple avec mélancolie notre avenir arraché. Il n’y a pas de mot pour décrire la douleur que je ressens. Je ne peux que supplier la Mort de m’accorder enfin le répit de cette existence cruelle, de me libérer de ce Destin odieux qu’est le mien.
Pourtant, tu sais Etienne, maintenant que tu n’es plus là, je ne sais pas quoi faire que t’attendre encore.
M.
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Mon bien-aimé Etienne,
Je suis arrivée en un endroit bien étrange, un pays où il n’y a pas la Guerre. Pallatine.
C’est un endroit merveilleux, magique qui dépasse toutes nos espérances les plus folles. Il y existe des maladies mystérieuses que nous ne connaissions pas aux noms étranges comme cancer ou sida. Il y a des bâtiments en verre et en bitume. Jamais les voitures n’ont roulé aussi vite et les avions aussi haut. Les usines sont immenses et les immeubles crèvent le ciel. On y trouve toute sorte d’appareils révolutionnaires : des fours multifonction électriques, des aspirateurs – ce sont des petites boites qui avalent la poussière- ou des ordinateurs. Je ne cesse de m’émerveiller devant la puissance de cette époque qui a remplacé tout ce que nous connaissions. Je sais que tout cela t’aurait ravi, que tu te serais passionné à explorer tous les trésors dont regorgent ce lieu.
Je ne l’aurai pas cru moi-même si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. Ici, les femmes dévoilent leurs jambes ou portent le pantalon, elles ont même le droit de vote. Ici, les femmes font le même travail que les hommes : elles ne sont pas que des épouses ou des mères. Elles ont tellement d’idées que parfois j’ai mal à la tête. C’est un peu dur de s’habituer à la vie ici et de temps à autre, notre campagne me manque.
Tu me manques.
Et je prie tous les instants que Dieu fait qu’un jour tu puisses me pardonner. J’ai menti et l’éternité ne saurait seule m’expier de mes fautes.
J’ai cessé de t’attendre Etienne.
Je sais que la Guerre a fini, il y a soixante-dix ans, pourtant je suis encore une toute jeune fille et tu es probablement un vieillard. Je ne le saurai jamais et je vivrais en portant le fardeau infini de ma culpabilité. Je ne saurai jamais si tu étais vivant ou mort. Est-ce que tu as fini par rentrer ? Je suis désolée, n’étais pas là pour t’attendre. Est-ce que tu as pleuré ? Est-ce que tu m’en as voulu ? Je regretterai toujours de ne pas t’avoir retenu, peut-être serais-tu ici avec moi.
Peut-être que tu as fini par m’oublier, peut-être que tu en as aimé une autre. Mon cœur se serre de douleur à cette pensée.
Moi, je n’ai pas pu t’oublier mais, je sais et je souffre que mes mots ne t’atteindront jamais. Nos destins sont à jamais séparés par le temps et l’espace. Ton souvenir demeure auprès de mon cœur et pas même le temps ne saurait l’en déloger. Mais, excuse-moi, je me sentais si seule sans toi, si seule ici.
Alors j’ai voulu aimer comme tu m’avais aimé. J’ai voulu aimer et je ne te laisse plus toute la place de mes pensées, de mon futur ou de mon cœur. Pour avoir un peu moins mal.
Et puis, parfois, je m’allonge dans les champs de blé en été et je me souviens quand nous avions quinze ans et que nous nous aimions comme jamais on ne m’avait dit que l’on pouvait s'aimer…
Marguerite.
Coucouu, hm j'ai pas vraiment de pseudo alors Marguerite (maggie) suffira ♥ c'est mon premier compte ici ! Je suis une étudiante fauchée qui aime les jeux vidéos et la bouffe et es livres et le volley et j'aime bien écrire aussi, accessoirement :3 J'espère que Maggie vous plaira ♥ (c'est totalement une wiifey haha) (et nous sommes très ouvertes aux donations généreuses des graphistes *wink wink*) (#zeroskill)