Sam 3 Déc 2016 - 0:42
L'index de Tobias caressait la machine à écrire, ses boutons rutilants tandis que Wilhelm confiait sa propre techno-phobie qui arracha un sourire complaisant à l'Autrichien. Il ne pouvait pas se moquer de lui alors que lui-même éprouvait les mêmes sentiments à l'égard de ces créations du futur. Même une simple cafetière moderne lui apparaissait incongrue. Il lui avait fallu un long temps d'adaptation avant de pouvoir se permettre de boire un café sorti d'une telle machine. Ce qui ne l'empêchait pas de clamer que le café torréfié à l'ancienne demeurait bien meilleur.
Lorsque Wilhelm mentionna de reprendre leur collaboration artistique, Tobias se redressa avec la vivacité d'une mangouste. Son visage se tourna d'un bloc vers la bibliothèque, son regard détaillant les tranches des livres. L'homme se leva, laissant ses doigts courir sur les couvertures, attraper un livre au hasard. Les feuilles bruissèrent sous ses doigts ouvrant un champ de multiples possibilités. La scène se superposa à une autre, venue du passé. Lui et Wilhelm, coude à coude, seuls dans leur cercle privé, dans leur monde tandis que, autour d'eux, le café viennois menait sa propre danse.
Le livre se referma dans sa main dans un bruit sec. Le regard que Tobias leva était brillant – le regard d'un enfant découvrant que le Pays des merveilles se trouvait à deux pas de chez lui.
« Pourquoi dirais-je non ? » Dans sa voix palpitait une émotion sourde prête à éclater en larmes bienfaisantes. « Pourquoi attendre ? Maintenant Will. C'est maintenant qu'il faut commencer. Ne jamais remettre à demain ce qui peut être accompli en ce saint jour. Enfin... » Son regard se perdit vers la fenêtre tandis qu'un sourire plissait ses lèvres. « … Nuit serait plus approprié, au vu de l'heure tardive. »
Heure tardive qui aurait du le pousser, justement, à repousser au lendemain. Sauf que Tobias n'était jamais raisonnable lorsqu'il s'agissait de l'art. Il offrait tout à son nom – sa vie, son temps, son sommeil. Déjà ses mains agrippaient Wilhelm par les épaules, le secouait pour le pousser à se lever.
« Il nous faut du café. Beaucoup de café. Oh et tu aurais de la peinture, du fusain ? Je n'ai rien pris sur moi... Pour une fois tout est resté dans mon appartement. Oh, un crayon suffira si besoin. Tu te souviens quand je menais des esquisses aux coins des serviettes des cafés et des restaurants où on s'arrêtait ? »
Et des regards interloqués des serveurs et autres clients face à cet homme qui laissait courir son imagination même sur le support le plus incongru. Le bras de Tobias finit par étreindre son ami contre lui.
« C'est bon de te revoir. » glissa-t-il à son oreille, en confidence.
Même si cela ne durerait qu'une nuit, Tobias allait profiter de cette situation qui se présentait à lui pour étreindre, à pleines mains, le Wilhelm du passé qui ressurgissait au sein de cette carcasse. Il lui insufflerait vie. Petit à petit, il rallumerait la mèche jusqu'à muer la flamme en un incendie créateur, détruisant l'Opportuniste, ce simulacre de Wilhelm.