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Négociations - Ft. Seung Joo

Ven 3 Mar 2017 - 4:30
NÉGOCIATIONS

En tant que chirurgien au sein de la diaspora d'Iwasaki, Junji savait très bien qu'un moment comme celui-ci allait arriver. Seulement, il espérait que, par miracle, il n'arrive jamais, qu'on le laisserait tranquille dans cette vie-ci, loin des véritables affaires de gangs et de leur côté le plus sombres (comme si participer au trafic d'organe n'avait pas quelque chose de glauque en soit, mais notre cher médecine s'était forgé une carapace, une insensibilité, une amoralité plus au moins assumée qui lui permettait de se dire « peut-être que ça va sauver quelqu'un d'autre, quelque part... » quand il lui semblait qu'il assistait à une vague de décès « miraculeuse » pour faire des prélèvements). Mais pas de bol, ce qui devait arriver arriva.

Ça, c'était ce à quoi il participerait. On ne lui avait pas donné tous les détails (il n'avait jamais voulu les connaître, s'il pouvait s'empêcher d'être impliqué jusqu'au cou, il le faisait), mais il en savait assez pour comprendre où tout ça les mènerait lui, le groupe, les victimes.  Une histoire de mauvais payeurs, de dettes, de chantage. Quelque chose d'assez gros, étant donné qu'on l'avait mobilisé lui et qu'il devait, à son grand dam, jouer un rôle-clé dans cette histoire.

La menace, rien de moindre.

Oh, on ne lui demanderait pas de se servir de ses muscles ou de faire preuve d'agressivité pour intimider l'ennemi. Ça, c'était le travail d'un autre. Lui... et bien il exécutait la menace. Rien de moindre. Parait-il que, dans ce monde de fous, se pointer avec des barres de fer pour casser les jambes d'un importun n'était pas assez drastique. Non, non, si on veut vraiment faire payer l'ennemi, lui faire passer le message, il faut lui enlever quelque chose qu'il ne pourrait jamais récupérer. Un rein, par exemple. Ou pourquoi pas un œil. N'importe quoi sans lequel il pourrait se débrouiller, mais qui serait tout de même utile aux finances d'Iwasaki.

Oui, prélever des organes, c'était beaucoup plus payant que de péter des rotules. C'était presque noble. Presque.

Mais ça ne rendait pas Junji plus à l'aise. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il faisait ce genre de chose, non. Une fois, dans son ancienne vie, on a eu besoin de lui, pour quelque chose de semblable... Mais auparavant, on avait kidnappé la victime, on l'avait endormie. Junji avait son boulot, sans problème et le généreux donateur fut relâché, avec un organe en moins, à son insu. Il n'avait jamais croisé son regard. Et tout s'était fait proprement.

Il n'était pas certain d'avoir droit à ces conditions « idéales » cette fois-ci.

Ce n'est pas qu'il n'accordait pas sa confiance aux membres de son clan, cependant, il travaillait avec des membres des Aces et il savait, de réputation, ce dont sont capables ces gens-là...

D'accord, il était particulièrement inquiet. Mais ça ne l'empêcherait pas de faire son travail. Enfin, il ne pensait pas. Ses doigts gantés pianotaient nerveusement contre la sommaire table d'opération qu'on lui avait au moins fournie. Son matériel, sommaire, était à proximité. Respire Junji, tout va bien aller, qu'est-ce qui pourrait être catastro-

Il entendit un bruit qui lui déplut de l'autre côté de la porte. Il ferma les yeux, pinça les lèvres. C'était mauvais, c'était mauvais, très mauvais. Il ne voyait pas la scène, mais il imaginait bien ce qui pouvait se passer.

La tension montait. Visiblement, les négociations (ou peu importe ce que c'était en fait) se passaient mal. Le chirurgien soupira, passa sa main par-dessus le scalpel bien aligné avec le reste de ses instruments.

Il ne lui restait plus qu'à attendre, que cette porte s'ouvre dans un fracas et qu'on lui amène son patient.

Dans le meilleur état possible, il espérait.
Lun 6 Mar 2017 - 19:28
Il y a en Seung Joo des manques, des absences qui provoquent les drames et invoquent les catastrophes. Il y a en lui des tensions irrésolues, des sourires teintés de duplicité et des regards mêlés de déloyauté. Une silhouette obscure au chef immaculé, où l'innocence est en lutte contre le tourment. Il y a en Seung Joo un manque d'équilibre, qui le force à progresser en funambule à chaque pulsation du cœur, risquant sa vie à chaque battement de paupière. Ses épaules ne sont pas frêles, mais elles ne peuvent supporter le poids de sa propre aberration. Le Coréen en est conscient, mais garde les lèvres scellées. Avouer ses failles consiste à offrir sa tête sur un plateau d'argent.
Et comme souvent, il n'est guère au courant de l'opération qui a lieu. Il est une de ces petites mains dénuées d'esprit et d'âmes, exécutant de mécaniques gestes répétés à l'infini - en espérant que jamais la machine ne déraille. Avec lui, cependant, un grain de sable suffit à briser la cadence de son engrenage. Alors il exécute, Seung Joo. Dans les deux sens du terme. Parce qu'aujourd'hui un cœur cessera de battre, et l'idée ne parvient pas à l'émouvoir. Des ombres dansent devant ses yeux, le valide comme l'invalide, comme à chaque fois que ses poings s'élancent ; le goût du sang dans la bouche lui rappelle toutes les fois où il a tenté de se mordre la langue, Avant d'échouer, car le courage lui manquait. Dans ces moments-là, il jurerait qu'il transcende son être, pour s'approcher un peu plus des tourbillons qui remuent l'éther.
Les instructions flottent dans son intelligence avant de fuir tout entendement. Déjà les mots que le Coréen n'a cessé de se répéter ne tournent plus en boucle dans sa tête ; perdant toute consistance, ils résonnent comme les espaces vides. Le cœur battant, il ne peut s'empêcher d'apprécier son ouvrage ; on lui a bien tendu un couteau, mais il n'est guère friand de ces lames qui tranchent dans la chaleur comme un éclair déchire la nuit - il préfère y aller de ses poings. Car il sent le moindre craquement, et sa vision diminuée ne le gêne guère. Il se sent vivant, Seung Joo. Il préfère rire. C'est la preuve qu'on ne l'a pas encore tué.
Et les avalanches de coups pleuvent sur le visage et sur le torse, sans considération aucune pour le travail en aval - oh, mais c'est déjà oublié.
Et il sourit à travers ce masque qu'il retirera bientôt.
Mais l'homme s'affaisse telle une poupée de chiffon, et Seung Joo, en toute inhumanité, le laisse s'affaler au sol sans une considération particulière. Il jette un coup d'œil à ses mains perlées de rouge. Parfois, il se dégoûte lui-même. Il ne parvient pas à déterminer l'origine de ses violences, bien qu'il en connaisse le point de départ. Il ne peut pas dire qu'il apprécie tuer ou faire du mal. Juste, affirmer sa force. Prouver qu'il est capable de sublimer la souffrance. Rejetant le masque et la perruque, il glisse le regard vers la porte, et d'un air confus, attend. Quelque chose doit se produire. Il ne sait pas quoi.
Lun 27 Mar 2017 - 21:47
Le silence qui règne remplit Junji d'angoisse.

Que se passe-t-il de l'autre côté ? Non. Que s'est-il passé ?

La tentation de jeter un coup d'œil derrière la porte est tentante, mais il sait se retenir. Il sait qu'avec ces gens-là, une erreur peut être fatale. Non, vraiment, il vaut mieux pour lui qu'il ne se montre pas. Attendre, toujours attendre, c'est la position la plus inconfortable, mais la plus sécuritaire.

Enfin, on ouvre. On lui apporte un corps, mou. Floué par l'effet de contre-jour, le chirurgien ne peut pas encore le voir, mais il pressent le pire. « Allons Junji, ça ne peut pas être si mal que ça. Ils sont peut-être violents, mais ils connaissent les ordres. Ils ne chercheraient pas les ennuis... »

Quand le corps s'échoue sur la table d'opération, il doit admettre son erreur. Son instinct avait raison.

C'est un massacre.

Seulement en regardant le visage, il a un haut-le-cœur. C'est quoi, ça ? Est-ce encore un homme ? Il examine le reste du corps, passe une main sur le thorax. Côtes cassées. Poumons sans doute percés.

Vient l'évidence : probablement irrécupérable.

Un colère sourde monte alors en lui. Les ordres n'étaient pas assez clairs ? Comment osent-il lui apporter un corps aussi défiguré ? N'ont-ils pas conscience qu'une commande a été passée et qu'il avait besoin de ce corps ? Et s'il ne livre pas la marchandise, à qui la faute ? Lui, évidemment ! Il voit son avenir se ternir, il se voit mutilé, chassé, endetté et sans plus aucune ressource dans cette ville de fous sans le soutien d'Iwasaki. Il exagère, mais il ne rend pas compte. C'est plus facile de tomber dans une pente glissante plutôt que de prendre un pas distance.

Et il craque.

« C'est quoi, ça ? »

Il a besoin de mettre le blâme sur quelqu'un. Non. Il a besoin d'explications, c'est ça. Si on lui explique ce qui s'est produit, il n'y aurait plus de problème. Il n'aurait pas à prendre le blâme. Il doit bien y avoir un explication ! On ne mutile pas un corps ainsi sans raison !

« Qu'est-ce que je dois faire avec ça, moi ? Pensez-vous vraiment que je vais arriver à prélever un organe en état ? »

Il soupire. Il enlève ses gants de latex, les jette. À quoi bon ? C'est déjà perdu. Et par la faute à qui ? À eux, évidemment.

Son regard croise celui d'un borgne, au hasard. Sans autre raison, c'est lui qu'il apostrophe. Froidement.

« Toi. Donne moi des explications. Il va falloir que j'explique pourquoi je n'ai pas pu prélever des organes. Dire que le corps est arrivé dans un mauvais état ne suffira pas. Explique moi. »

Et ce n'est qu'à ce moment qu'il remarque ses poings tachés de sang.

Spoiler:
Jeu 30 Mar 2017 - 11:06
Immobile dans cette pièce où il est désormais le seul être vraiment vivant, au milieu de ces poupées qui le regardent d'un air vide, Seung Joo goûte à la saveur du silence. Sa vie est un tourbillon où ces instants de calme sont rares ; il apprécie cette absence de bruit qui lui caresse les tympans. Parfois il déteste ces instants ; lorsqu'il n'entend rien, il peut se sentir encore plus mutilé qu'il ne l'est. Ses sens se réduisent à une portion limitée de lumière heurtant son œil, à des odeurs presque effacées chatouillant ses narines, à la sensation du tissu sur son corps et contre sa bouche. Mais aujourd'hui, cette sérénité apaise les battements effrénés de son cœur. Seung Joo sent qu'il n'en a plus pour longtemps : il n'est pas très loin de s'accepter lui-même. Il désire presque ce fait ; il devine que cela constitue sa seule clé vers la bonheur. Et peut-être en deviendra-t-il plus fidèle à son adoré Knut, si celui-ci devient la seule cible de sa brutalité. Puis tout s'arrête, subitement - c'est plutôt que tout commence. la porte s'ouvre, et on vient chercher le corps. On, ce sont des inconnus au visage caché comme l'était le sien, engoncés dans des blouses, et leur regard est encore plus glacé que le sien. Seung Joo réprime un frisson. Ses emportements se font colériques, comme une flamme qui se propage pour tout ravager. Leurs yeux ont l'air vides. Déterminés. Et l'on affirme qu'il est le monstre, après.
Enfin, cela ne sont point ses affaires, et le Coréen ramasse perruque et masque qu'il a jetés à terre. A présent, il rêve du baiser tendre des poings de son renard, baiser passionné qu'il saura rendre sans craindre de se perdre. L'idée éveille une curieuse chaleur dans son cœur, cela en deviendrait presque douloureux. Il tourne les talons pour s'en aller, pour laisser derrière lui ce travail bâclé qu'il souhaite répudier de toutes ses forces. Son union avec Knut n'a rien à voir avec ces emballements incontrôlés. Il sait comment lui faire honneur. Mais un cri déchire l'air, et Seung Joo se retourne. Celui qui doit sans doute être le chirurgien explose, visiblement excédé par l'état du corps. L'œil unique du Coréen coule vers le corps ; il est vrai qu'il est salement amoché. Malgré tout, il y a probablement possibilité d'en faire quelque chose, il en est persuadé.
Oh, il ferait mieux de laisser tomber. Toutefois, l'aiguillon de la défaite a une senteur amère, à laquelle il ne désire plus goûter. Combien de fois s'est-il soumis à ces impératifs dont il n'avait cure, acceptant des ordres dont il exécrait la teneur, parce qu'il estimait qu'il n'avait guère le choix ? Ses traits doux se déforment sous l'effet d'une furieuse résolution. Et, lorsque le médecin se tourne vers lui, aboyant des exigences comme s'il en avait le droit, les lèvres de Seung Joo s'étirent en un rictus moqueur. En cet instant, il se satisfait de savoir que ses poings sont écarlates. Car ainsi, il ne peut prétendre qu'il n'y est pour rien.
Il comble la distance qui les sépare de quelques pas rapides, et toise le Japonais avec de la glace dans le regard. Il a beau être plus petit, sa rogne lui fait gagner les centimètres qui lui manquent. Sur son visage glabre, des marques de ténèbres impriment son faciès ; on lui trouverait volontiers un air mauvais, désarmant toute velléité de le trouver « mignon ».
« Qu'est-ce t'as, mec ? C'est moi qui l'ai tué, tu crois que c'est facile ? T'as qu'à faire ton boulot, et si t'es pas content, alors casse-toi. »
Il n'a même pas remarqué, à la fin, qu'il vient de s'exprimer dans sa propre langue, tant cela lui est venu naturellement. De toute façon, il n'est pas très doué pour les vulgarités en japonais, il n'a jamais eu vraiment l'occasion de pratiquer. Ce casse-toi, il le crache presque à la figure du chirurgien. Le mettant au défi de lui répondre, de prétendre qu'il a tort. La vérité, Seung Joo l'a bien compris, appartient au plus fort.
Autour d'eux, personne ne bouge. Comme si la scène qui se déroule pourtant sous leurs yeux ne les concernait pas.

hrp:
Jeu 27 Avr 2017 - 2:02
La malchance. Il semble bien que son cas soit fichu. Non seulement c'est lui qui se retrouve avec ce problème sous les bras (il se demande, si Issei était à sa place, comment réagirait-il face à la situation ?), mais en plus, il interpelle la dernière personne à qui il devait adresser la parole. Junji le comprend trop tard en remarquant ses mains souillées de sang. Deux plus deux font quatre. Aucun doute, il vient de s'adresser à nul autre que l'auteur (ou du moins, l'un des participants) du massacre. Lui qui cherchait le responsable, le voilà servit !

Cependant, maintenant qu'il fait face à cet homme, il se dit qu'il aurait mieux fait de se taire.

Il a rencontré des gens louches dans sa vie, que ce soit dans son ancienne vie ou à Pallatine. Or, personne ne lui a laissé une impression aussi forte depuis longtemps. Il soutient ce regard borgne de peine et de misère. Il le sent bouillir. Il sait qu'il a commis une grave erreur. Quoi faire ? Que se passera-t-il par la suite ? Lui qui construit toujours les pires scénarios possibles pour des problèmes mineurs, il se retrouve sans pouvoir formuler une simple conjoncture de ce qui sera à venir dans les prochaines minutes. C'est le blanc complet. Cette fois, la crainte n'est pas qu'une prédiction, elle est réelle. La colère, aussi. Elle ne s'est pas tout à fait éteinte. Et son orgueil de médecin. C'est tout ce qui lui permet de rester encore debout, d'ignorer sa main qui s'est mise à trembler presque imperceptiblement.

Les derniers mots du Coréen lui échappent, mais la manière dont ils ont été crachés lui donnent une approximation de leur signification. Qu'il aille se faire foutre. Un muscle sur son front se contracte. Il expire. Le pouvoir est au plus fort ? Dans son monde, le plus est le dernier qui se laisse emporter, celui qui parait le plus détaché. Sa réaction de toute à l'heure le met en désavantage, mais il peut se rattraper... non ?  

« C'est bien parce que le premier travail a été bâclé que je ne peux pas faire le mien. » prononce-t-il avec un calme mesuré. Mais il y a quelque chose de dur qui roule sur sa langue, qui laisse entendre la critique. « Et pour ça... »

Les mots restent coincés dans sa gorge pendant une seconde. Pour ça, il lui faut une explication ? Est-ce ce qu'il va dire ? Mais veut-il vraiment comprendre ce qui s'est passé de l'autre côté de la porte ? Est-ce nécessaire ? Il ne peut pas prélever d'organes. Qu'est-ce que ça change, au fond, de savoir ? Ah, si. Il ne veut qu'assurer ses arrières, sauver sa peau. La peur, toujours la peur. Sa source de motivation. Car il sait que, en dehors de cette pièce, il y a un monde beaucoup plus effrayant que l'homme borgne (du moins, c'est ce qu'il veut imaginer).

« ... il faudra le justifier. »

C'est étonnant, comment il n'en démord pas. Mais ne soyons pas dupes : derrière ce ton faussement poli, il lutte en lui-même pour ne pas craquer. De peur. De colère. Impossible de dire ce qu'il ressent au juste - lui-même l'ignore. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il vaut mieux ne pas envenimer la chose. Car si ce type est bien celui qui causé toutes blessures à ce cadavre (blessures post mortem probablement), il ne souhaite absolument pas voir de quoi il est capable en fureur.

Et il espère sincèrement que tout ceci pourra se régler rapidement.

Avec les mots seulement.
Lun 1 Mai 2017 - 17:47
Seung Joo n'a pas tort. Il ne peut pas se tromper, pas dans cette configuration : son interlocuteur n'est pas en position hiérarchiquement supérieure à la sienne, et nul besoin d'être un génie pour comprendre qu'il ne peut pas vraiment s'opposer à lui. Seung Joo est plus fort, plus brutal - et il est temps qu'il admette que cette férocité vient de lui seul, qu'elle n'appartient pas à un monstre tapi dans ses entrailles qui serait né au crépuscule de sa première existence. Les geôles de l'ennemi lui ont offert une puissance dont Seung Joo n'a jamais voulu : à choisir, il aurait préféré mener son existence tranquillement, bien qu'il sait qu'une telle utopie n'aurait jamais été possible. Qu'est-ce qu'il peut y comprendre, de toute façon, ce Japonais ? Seung Joo peut lire son histoire sur son visage : ce n'est qu'un privilégié, quelqu'un qui se donne le frisson en voyant un peu de sang, mais qui n'a jamais vraiment connu l'horreur. Il a probablement eu une formation de chirurgien normale, ne le prédestinant pas à voler des organes, mais plutôt à guérir ; et de cette vocation l'amenant à sauver des vies, il a pu tirer fierté. Ensuite, Seung Joo s'imagine qu'il a bien eu quelques difficultés, sinon il n'en serait pas là ; mais il est valide et non mutilé ; surtout, il est capable de se tenir droit dans ses bottes dans cette pièce, persuadé de son bon droit, persuadé d'avoir raison alors même que rien ne le prouve - il ne doit sans doute pas savoir ce que cela signifie que d'être torturé par les cauchemars. Dans le pire des cas, suppose le Coréen, il doit simplement être rattrapé par quelque remords dont le fondement est tout moral. Il est vrai que son visage n'a pas l'air particulièrement gentil : Seung Joo lui trouve un air moqueur, dur, une impression qui émane de ses traits plus que des expressions de sa figure. Il a l'air d'être très jeune encore, et empli de malice. Une tête de manipulateur, se dit Seung Joo - tout comme lui a la tête d'une victime, d'un garçon dont on sacrifie la vie avec autant d'aisance qu'en respirant.
Alors il espérait que le chirurgien déguerpirait la queue dans les jambes, acceptant de sauver quelque chose - mais non. Il ne cesse de parler de son travail, son travail bâclé par le Coréen, son travail qu'il doit justifier, son travail qui semble être toute son existence. Dans d'autres circonstances - eût-il encore été aussi trouble qu'autrefois -, sans doute Seung Joo s'en serait tiré d'un bon coup de poing dans la mâchoire. Avec dureté, il l'aurait toisé du haut de sa petite taille, lui ordonnant de faire son affaire comme il le peut au lieu de se plaindre bêtement. Mais quelque chose l'en retient ; c'est, comme d'habitude, ce petit changement qui lui pince le cœur et le rend plus humain. Comme si, alors même qu'il finit par accepter son traumatisme et sa violence, il parvient à s'en défaire. Quatre ans, songe-t-il, quatre ans que je suis coincé dans cette ville, et peut-être enfin mes blessures guérissent-elles.
« T'as pas de leçon à me faire, connard. Toi, tu restes là à attendre comme un lâche que le cadavre te tombe tout chaud dans les bras. Moi, on me dit de le buter. C'est pas un travail, pour moi. »
Non, le monstre, c'est peut-être ce chirurgien, qui refuse de se salir les mains, et qui ne fait qu'attendre. Seung Joo a la certitude qu'il n'aurait pas le cran de tuer quelqu'un - mais on ne lui en veut pas, non, parce que des gens qui peuvent prélever des organes d'un corps il n'y en a pas tant que cela, alors que des Seung Joo il y en a des milliers. Tuer c'est plus facile, en apparence. Dans les faits, ça vous rend malade, ça vous torture parce que les âmes des morts trouvent qu'il est drôle de vous visiter. Le fantôme que le Coréen voit le plus, c'est celui de son père - et pourtant il n'a aucune responsabilité dans son trépas. On peut même dire que c'est plutôt son père qui l'a mis en danger. Mais comme il a pleuré la première fois qu'il a vraiment tué quelqu'un... peut-être est-ce pour cela qu'il s'est dit, c'est Trauma, ce n'est pas moi. Parce qu'il est toujours plus simple de se décharger de ses responsabilités en les rejetant sur les autres. Merde, c'est pas parce qu'il arrive à apprécier l'acte sur le coup qu'il est perdu à jamais. Je suis une victime. Si on ne m'avait pas torturé, je ne serais jamais devenu comme ça. C'est ainsi que Seung Joo se justifie ; dans les faits, sa violence a toujours été la sienne. Et pourtant, ce qu'il pense est vrai : sans la prison, il n'aurait jamais tué personne. Le regard de son père l'en aurait empêché.
Sam 6 Mai 2017 - 21:38
Les mots ne peuvent rien pour Junji. Ils sont vides, des bulles de verre qui éclatent contre un mur. Tout au plus, leur poussière ne sert qu'à alimenter le feu qu'il a voulu taire. Mots, armes à double tranchant, il le retiendra - mais pas immédiatement. Lui-même ne peut pas rester indifférent aux éclats volant en sa direction. Il n'est qu'un homme parmi d'autres - ses longues années d'étude en médecine ne l'ont pas changé en stoïcien. Junji ressent, comme tout être humain. Parfois, il arrive que ses émotions prennent le dessus sur sa conscience.

Et en ce moment, la colère, il la ressent très bien, très fort.

C'est d'abord une frustration dirigée contre lui-même. Ne s'est-il pas exprimé assez clairement ? Ses mots sont-ils si difficile à comprendre ? Serait-ce lui qui en fait trop... ? Mais alors, il se souvient qu'il n'est pas responsable du cadavre massacré du chaos dans lequel il est plongé ; il n'a pas massacré un cadavre par sadisme, tout comme il n'a pas insulté l'homme devant lui - au contraire. Cela ne peut pas être de sa faute si, de toute évidence, il manque deux neurones à ce jeune ! Et surtout, (il se le répète encore) il est hors de question qu'il porte le blâme pour des organes irrécupérables (il n'en démord pas une seule seconde).

Mais soyons lucides, à l'opposé du chirurgien. De toute évidence, il est au pied du mur. Peu importe ce que Seung Joo fera, même s'il se prosternait à genou pour reconnaître ses torts, il n'aura toujours aucun organe à offrir au clan et des explications seront nécessaires. La justification finale, toujours ce qui lui revient en tête, ce qui motive sa colère - ne pourrait-il pas utiliser les mots qu'il valorise tant pour se tirer de cette future épreuve ? Il y a une faille majeure dans la logique du médecin et elle s'explique par un mot, un seul : la peur.

Il y a d'abord eu la peur des conséquences à venir (qui, honnêtement, ne seront probablement pas aussi graves qu'il l'imagine), mais en ce moment, c'est la peur de cet homme devant lui qui surplombe tout. Est-il le moindrement humain songe-t-il en fixant son œil unique. Cette peur, il la refoule - il n'a même pas conscience qu'elle existe. Il ne réalise pas que, effectivement, il a toutes les bonnes raisons du monde de craindre le jeune homme (sa violence ne connait pas de limite). C'est qu'il ne peut pas accepter de la ressentir pleinement. Il ne peut pas se laisser aller dans la sur-émotivité (même s'il a déjà échoué).

C'est une question de principe.

Et le mépris donne une bien meilleure impression.

« Et tu crois que tout ça est un jeu, peut-être ? » réplique-t-il plus sèchement. Pendant un instant, il est tentant de tomber dans la morale, d'enchaîner cette question rhétorique par un beau discours rappelant qu'il y a des vies au bout de la ligne. Mais il s'abstient (il en a la présence d'esprit ou la chance). De toute façon, ce fou ne pourra pas comprendre.

Glissant de la colère, c'est dans le mépris qu'il plonge.

(haïr le monstre pour vaincre la peur)

« Laisse tomber. Je n'ai plus rien à faire ici. Termine ce que tu as commencé si ça te chante. »

D'un coup de tête, il indique le corps mutilé qui git encore sur la table d'opération. Le confronter au cadavre, c'est peut-être la seule façon de le rendre complètement responsable de ses actes (une vengeance sournoise). Junji n'en a plus rien à foutre de toute façon (c'est ce qu'il se dit) et il se met à ramasser son matériel (préparer sa fuite).

« Et débarrasse toi-en après. Je ne veux plus jamais en entendre parler. »

Ce ne sera pas aussi simple.

Spoiler:
Mer 24 Mai 2017 - 19:00
Se calmer - il devrait apaiser ses émotions, Seung Joo, oublier la raison de son irritation pour essayer de s'expliquer avec Junji. Le croupier n'a jamais été un homme maniant la parole avec brio, en particulier lorsqu'il s'exprime dans une langue qu'il honnit et dont la maîtrise n'est pas totale. Du japonais, Seung Joo connaît les locutions courantes, les mots les plus utiles dans une conversation habituelle ; il connaît les tournures plus littéraires, les marques de respect et les figures de style qui font bon genre ; il connaît aussi les insultes, les paroles à même de rabaisser un vaurien comme lui plus bas que t'erre, les jurons qui blessent l'interlocuteur. C'est amplement suffisant pour la situation - et dans le fond, il ne déteste pas vraiment le fait qu'il s'exprime presque mieux en japonais qu'en anglais, car il est bien forcé d'admettre que l'ennemi que l'on comprend est plus facile à abattre. Eh bien, du moins peut-il lutter à parts égales avec Junji ; sans l'avoir vraiment fréquenté, il peut deviner que le chirurgien n'est pas un homme de lettres et que les joutes verbales ne l'intéressent probablement pas.
Et Seung Joo n'a guère envie d'un compromis : il est dégoûté de la position dans laquelle il se trouve, dégoûté de ne pas valoir mieux que les meurtriers qui lui ont pris sa vie ; et il ne voit pas pourquoi il s'attristerait du sort d'un minable chirurgien qui, certes, aura à souffrir des conséquences des actions du Coréen (Seung Joo peut l'admettre), mais qui mène une vie tellement plus confortable que la sienne. Seung Joo aurait envie de l'entraîner dans son monde, là où toutes les valeurs de son enfance ont explosé en mille morceaux qu'il ne pourra plus jamais recoller. Là où l'horreur n'attend que l'opportunité de frapper à sa porte, de peupler ses nuits de cauchemars pour le tenir éveillé jusqu'au matin. Il se demande ce que Junji en dirait. Il se figure très bien l'univers dans lequel le chirurgien évolue : froid et désenchanté, incontestablement, car nul ne peut survivre au sein de l'Iwasaki sans perdre une partie de son âme - sauf lui-même, parce qu'il l'avait déjà égarée avant. Un univers aseptisé, où tout est à sa place ; et peut-être y a-t-il un danger qui rôde autour de lui, mais il est bien loin de poser ses griffes sèches sur son épaule offerte. Comme le monde doit être sûr, quand on s'appelle Junji.
Seung Joo pourrait en vomir.
Bien sûr que non, pour lui, ce n'est pas un jeu. C'est une question de survie. Le jeune homme ne sait même pas pourquoi il se raccroche désespérément à la vie ; parfois il lui serait plus simple de simplement attendre et de se laisser mourir. Une erreur, et on l'éliminerait bien vite, comme s'il n'avait jamais existé. Il ne sait pas quelle est cette force qui le meut, mais elle le pousse à ne jamais baisser les bras. Et s'il est satisfait de voir que le chirurgien renonce à débattre contre lui, il l'est beaucoup moins de le voir abandonner le cadavre. Seung Joo réagit au quart de tour, agrippant le chirurgien par sa foutue blouse et en approchant son visage du sien. Sous les couches de fureur qui déforment ses traits d'ange, se cache un relent de peur qu'il n'arrive peut-être pas à bien cacher.
« Tu plaisantes ? Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? »
Seung Joo l'entend, la dissonance qui trahit ses émois. Sa voix est un peu plus aiguë que d'habitude, et pour quelqu'un qui a l'habitude de l'entendre, c'est très perceptible. Seung Joo ne veut pas qu'on lui reproche cette boucherie - il le fait déjà très bien lui-même - mais il ne veut pas être le seul à en assumer la responsabilité. Que va-t-il faire du corps ? Il ne tue jamais par lui-même, il se contente de défoncer sa victime jusqu'à ce qu'un petit séjour en salle de soins lui soit nécessaire. Quand il tue, il le fait parce qu'on le lui demande, et il ne s'occupe pas des corps. C'est la règle. Seung Joo n'ose pas le dire, mais les cadavres l'écœurent ; les odeurs de sang et de décomposition lui rappellent les ténèbres qui ont failli le priver de son humanité. Ce secret-là est si profondément enfoui qu'il ne veut pas le révéler à Junji.
Un tueur qui a peur de la mort des autres. C'est risible.
« De toute façon, tu aurais bien fini par t'en débarrasser, non ? Fais-le, ça change rien pour toi. »
Son ton est claquant, menaçant - et pourtant fragile. Seung Joo sait qu'il ferait mieux de claquer la porte à son tour, d'imiter Junji, et tant pis pour les autres hommes qui observent la scène : ils se retrouveront avec un cadavre dans les bras.
Mais Seung Joo n'est pas dupe. En vérité, les deux se retrouvent dans une impasse : quoiqu'il se passe maintenant, on leur demandera des comptes. Seung Joo devra répondre de son excès de violence, il n'en a pas envie mais qu'importe, il s'efforcera de trouver la protection du patron des Aces - ça devrait limiter la casse. Son boss est effrayant, mais il ne s'est pas hissé à la place de chef pour rien : il sait diriger des hommes et leur inspirer de la confiance. C'est pour ça que Seung Joo le suit. Malgré tout, même lui ne peut rien faire si Seung Joo abandonne son poste. Quant à Junji, il doit probablement se retrouver dans la même situation. Même s'il part maintenant, il devra tout de même expliquer son geste.
Bref, c'est un peu la merde pour eux deux, là.
Dim 28 Mai 2017 - 3:47
Junji tremble de rage, littéralement. Il ne parvient pas à contrôler ses mouvements comme il le voudrait, tout particulièrement ses mains. Un scalpel glisse entre ses doigts et il ne retient pas le juron qui passe entre ses lèvres. Surveiller son langage est bien le dernier de ses soucis (et parmi tous ces criminels et voyous, ce n'est pas comme s'il devait réellement faire attention - non, chez ces brutes, les mots ne servent qu'à aboyer des ordres ou des insultes, il en a eu la preuve avec ce jeune insolent il n'y a même pas cinq minutes). Partit est la meilleure chose à faire. Qu'importe s'il passe pour un lâche ou s'il a failli à sa tâche ! Il est hors de question qu'il reste une minute de plus en ce lieu sordide avec ces fous. C'est qu'il se craint lui-même, a peur de faire un geste de trop qu'il regretterait plus tard, qui lui causerait encore plus d'ennuis qu'il en a. Sa fuite n'est pas réellement une fuite. C'est une retraite diplomatique (c'est mieux que de dire qu'il a la chienne).

Mais il est trop tard et voilà qu'il a toutes les bonnes raisons d'avoir peur.

Pendant une seconde, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il lâche son matériel sous le choc. Ne peut que voir la figure haineuse du Coréen. Le chirurgien tente en vain de se défaire de sa prise. Évidemment, le croupier est plus fort que lui, et surtout plus violent. Son imagination se déchaîne. Et s'il lui faisait subir le même sort qu'à ce pauvre cadavre qui gît non loin d'eux ? Il ne peut pas être fous à ce point là quand même... ? Son cœur bat à toute allure. Il doit absolument se sortir de ce mauvais pas. Mais tout ce qu'il peut faire, c'est serrer les poignets de son agresseur, avec le mince espoir qu'il pourra ainsi l'empêcher de l'attaquer. Il se met même à anticiper cet éclat de hargne qui se prépare, sûrement, Junji tu dois rester attentif sinon...

Pourtant, rien de ce qu'il imagine ne se produit.

Seung Joo parle. Et même si son ton traduit toute sa rage, le chirurgien est étonné de ne pas entendre les menaces de mort que maîtrisent si bien les types comme lui. Non en fait, il y a quelque chose qui ne va pas, mais alors pas du tout. Il ne s'agit plus d'une guerre d'orgueil qui prend comme prétexte la responsabilité du cadavre, non. Le Coréen n'entre pas dans ce jeu-là - enfin si, c'est toujours le sujet principal, mais voilà que l'enjeu est détourné, ou abordé différemment : il est en train d'argumenter. Il tente de le convaincre Junji de revenir sur sa décision en relatant des faits. C'est plutôt bouleversant. Inattendu. Au fond, les deux ne sont que des bêtes effrayées par l'organisation qui les englobe (oh si ce n'était que ça...), le chirurgien commence à le réaliser.

Mais il ne peut pas le prendre en pitié.

Il ne peut pas le prendre en pitié (être le plus faible) alors qu'il trouve enfin une porte de sortie. Certes, ils sont dans une impasse et, logiquement, il n'y a « rien à faire ». Mais c'est l'instinct de survie qui lui demande de garder cette position (combien d'autres a-t-il trahi de la sorte ? combien sont-ils tombés dans la fausse aux lions parce qu'il a refusé de se sacrifier ?) et de se laisser aller encore un peu plus à cette colère qui l'habite.

« Comment ça, ça ne change rien ? »

Ce dernier commentaire l'insulte réellement. Non, mis à part enlever les organes, il n'a jamais profané un cadavre. Son boulot s'arrête lorsqu'il remet le corps, vide, à des assistants ou des membres du clan. Le brûlent-ils ? L'enterrent-ils ? Le jettent-ils aux chiens ? Il n'en a aucun idée et il s'en fout. La vérité, c'est qu'il préfère oublier cette réalité de son travail. Sa conscience restera tranquille tant et aussi longtemps qu'il ne se mêlera pas de ce qui « ne le regarde pas ». C'est ce qui lui permet de tenir le coup, de ne pas savoir comme un être complètement immoral. La limite à ne pas franchir entre son humanité ternie et la pure monstruosité (mais combien de temps cela durera-t-il encore ?). Il est médecin, c'est ce qu'il n'arrête pas de se répéter (beau mensonge). Son serment d'Hippocrate lui ordonne de sauver des vies - pas de leur porter injure. Il fait déjà une entorse à cette règle (dès ses débuts dans le marché noir, sur Terre), mais il est hors de question qu'il aggrave son cas. Une ligne qu'il s'est créée seulement pour sa bonne conscience.

« Tu crois que je suis payé pour me salir les mains ? Je suis un médecin pas un assassin. Je m'occupe seulement des corps que je peux utiliser - les carcasses, c'est pas mon registre. Alors appelle un boucher si ça ne te convient pas, mais moi, ça ne me regarde pas. »

Et avec ce même élan de fureur qui l'anime, il tente de se dégager de la prise du Coréen.

Spoiler:
Jeu 1 Juin 2017 - 22:34
Au fond, Seung Joo s'étonne de se trouver plus maîtrisé qu'il ne le croyait possible. Quelque chose l'empêche de dérailler complètement, lui offre la mesure dont il a besoin pour ne pas perdre la face. Bien sûr, il n'est pas totalement conscient du fait que sa retenue peut avoir un effet sur le chirurgien. Il agit à l'instinct, comme il le fait d'habitude. Aussi, si cet instinct le pousse à la prudence, cela ne peut vouloir dire qu'une seule chose : qu'il a peur. Cette émotion, Seung Joo a tenté de la chasser de sa vie ; et pour sûr, bon nombre de choses à Pallatine ne parviennent plus à l'émouvoir. Même la perspective de sa propre mort ne lui bouleverse pas. Pourtant, Seung Joo découvre progressivement que la peur ne l'a jamais quittée. Il a peur de ne pas être celui qu'il devrait, ayant jeté aux oubliettes les principes inculqués pendant son enfance pour coller aux idéaux qui lui paraissaient plus utiles. Il a peur de lui-même, peur d'être un monstre dépourvu de moralité - et d'une certaine façon, il l'est. Il a aussi peur de ne pas s'adapter assez, d'être rejeté par ceux qu'il voudrait considérer comme ses pairs. S'il craint des représailles, ce n'est pas tant pour la douleur qu'elles apporteraient avec elles que la perspective de ne pas être assez bien. D'être déviant.
Mais ça, Junji ne le comprend probablement pas.
Il n'a probablement pas de ce genre de préoccupations.
Il est probablement juste inquiet pour son pognon.
(Se dit Seung Joo, peut-être pour s'assurer qu'il n'est pas transparent.)
Et bien sûr, Junji s'effondre ; sa colère est palpable. Il s'énerve pour des broutilles, se dit Seung Joo - en fait, pour les mêmes raisons que lui. Dans le fond, ils sont les mêmes : ils sont aussi coupables l'un que l'autre, mais ils cherchent à s'en laver les mains. Le responsable, c'est les autres, plus particulièrement l'autorité sans visage qui orchestre ce trafic. Il a bon dos, l'anonyme contre lequel on ne portera jamais plainte. Personne ne lui dira jamais rien en face, mais chacun en fait, en son for intérieur, une commode figure sur laquelle cracher. Ils sont hypocrites, mais Seung Joo ne veut pas s'en rendre compte. Ce serait briser le peu d'estime qui lui reste de lui. Et dans le fond, c'est lui le tueur, à la base.
Seung Joo finit par le lâcher - et s'il le fait, c'est parce qu'il a l'impression d'avoir été traité d'assassin. Ça le blesse. Ça le blesse tellement qu'il ressent le besoin de se recroqueviller sur lui-même, de laisser ses pensées dériver jusqu'à n'être plus qu'une demi-conscience tout juste capable de savoir qu'elle respire.
« Ce sont des gens comme toi qui font des gens comme moi des assassins. » : lance-t-il d'un ton dur.
Hors de question de ménager la petite conscience de ce médecin ; le Coréen sait que de toute façon, le Japonais se fiche bien de ses sentiments et n'hésitera pas à les piétiner pour se prouver qu'il a raison. Il le voit comme un monstre parce qu'il est capable de tuer avec violence. Il ne comprend pas que pour prendre une vie, il vaut mieux ne plus réfléchir et abandonner le contrôle son corps. Quitte à provoquer des accidents comme aujourd'hui.
« Alors s'il te plaît. Vous faîtes bien quelque chose du corps une fois que tu as fini, on ne peut pas juste zapper ton étape ? Je ferai mieux la prochaine fois. »
La nausée le prend alors qu'il prononce la dernière fois, et seul son teint pâli le trahit. En dehors de cela, Seung Joo a l'air calme - comme si le fait de recommencer ne le dérangeait pas du tout. Il a appris quelque chose. Montrer à quelqu'un qui a du pouvoir sur vous que vous n'aimez pas quelque chose, c'est lui tendre le bâton pour vous faire battre. Le croupier sait qu'on ne prendra pas en compte ses états d'âme, alors il ne veut pas les dévoiler.
Il a déjà laissé sous-entendre qu'il endosserait la responsabilité de ce fiasco ; c'est déjà bien suffisant, comme concession.
Dim 4 Juin 2017 - 21:27
Ce qu'il est bête, Junji, de s'être laissé emporté par ses émotions ainsi. Maintenant que le Coréen l'a lâché (maintenant qu'il peut respirer, maintenant qu'il ne se sent plus en danger), il commence à réaliser l'ampleur de ses actions - complètement démesurées. Qu'est-ce qui lui a pris de se fâcher ainsi ? Où cela l'a-t-il mené ? Nulle part : il fait toujours face au problème du cadavre irrécupérable. Et même si Seung Joo est prêt à prendre la responsabilité du fiasco, c'est une victoire qui a un goût amer dans le bouche du chirurgien. C'est déjà une chose, d'admettre ses erreurs ; mais dans son monde idéal, des erreurs (de cette gravité), il n'y en a pas. Elles ne doivent pas exister. C'est ce qui différencie un bon médecin d'un charlatan.

Mais il est temps de se réveiller ; il ne peut plus utiliser les mêmes repères qu'autrefois. Sa bonne morale, son code éthique, ses standards, tout cela il aurait du s'en débarrasser il y a bien longtemps, avant même son arrivée à Pallatine. Pourquoi s'y accroche-t-il encore autant ? C'est de l'acharnement ; son cas est une cause perdue. Ses espoirs de retrouver une vie « normale » sont morts et enterrés depuis longtemps. Tous ses efforts pour les réanimer sont vains. Il ne fait que se torturer et éterniser son agonie. Laisser-aller, voilà ce qu'il doit faire - mais il n'en a pas le courage. Il préfère encore vivre des épisodes comme ceux-ci.

Cette fois-ci, cependant, il ne peut nier l'épuisement dans lequel il se trouve. Rien à voir avec les bêtabloquants ou ses mauvaises nuits. Junji n'est pas un combattant. Affirmer ses positions avec hargne, laisser place à sa colère, il n'en a pas l'habitude. Ça le vide de toute énergie. Comme après un mauvais rêve. Il sait où il est, évidemment, mais c'est comme s'il était perdu entre ces quatre murs, qu'il ne reconnaissait plus sa place ni le rôle qu'il a à jouer ici. Il entend ce que dit Seung Joo, mais n'y porte pas attention. « À quoi bon » ces trois mots rebondissent dans sa tête et l'étourdissent. Qu'est-ce qu'il en a à foutre que des gens comme lui créent des assassins ? Il n'a jamais demandé ce rôle ! Ça ne peut pas être directement de sa faute, non, il n'est qu'un outil, une énième pièce dans un engrenage beaucoup plus grand que lui - une machine qu'il ne parviendra jamais à arrêter. Pourquoi jouer les justiciers ? Tout est perdu d'avance anyway. Il n'a pas besoin de tomber de plus haut, de se créer de nouveaux idéaux pour mieux se torturer - sa « bonne volonté » s'en chargé déjà assez bien.

Alors que faire ? Lâcher le morceau ? Oh, il n'a pas envie de se retrouver avec ça sur le dos... mais il n'est plus intéresser à mener le combat. Et puis, ce Coréen (jeune, il le remarque enfin) a déjà assez courbé l'échine comme ça. Le chirurgien n'est pas un sadique - il sent que, s'il s'obstine, quelque chose risque de se briser - et non, non, il ne pourra certainement pas gérer ça, il est déjà à bout de souffle.

« C'est bon. »

Là voilà enfin, la déclaration de paix. Elle est lourde, prononcée en même temps qu'un soupir. Elle n'est pas tout à fait de bonne foi non plus, vu la manière dont Junji s'empresse de retourner auprès de son matériel. Il ne regarde même plus le croupier, comme embarrassé par sa propre décision. Mais n'est-ce pas la meilleure chose à faire ? Non, rester camper sur sa position ne peut rien donner de bon. Un compromis. Il peut en faire un aussi - doit le faire.

« Tu n'auras pas à t'occuper du corps. Tant que tu prends ta part de responsabilité... ça va aller. »
Ven 9 Juin 2017 - 21:18
Cette concession laisse à Seung Joo un goût amer. Cela lui rappelle à quel point, malgré sa force physique et ses compétences indéniables, il demeure faible. La puissance se mesure aussi vis-à-vis de l'influence que l'on a sur les autres, et étant au bas de l'échelle, la sienne est quasi nulle. Tout au plus peut-il impressionner ceux qui, comme lui, ne sont pas très haut dans la hiérarchie. La situation est désagréable. Et malheureusement pour lui, ce petit chirurgien, bien qu'effrayé, n'est pas du genre à se laisser démonter pour si peu : il sait comment dominer ses émotions, tout à fait le genre de personnes avec lesquelles Seung Joo n'aime pas traiter. Sa formation d'intellectuel (vite passée aux oubliettes, mais toujours présente quelque part au fond de lui) lui permet de comprendre pourquoi : les sentiments sont trompeurs, il faut agir avec rationalité. Et puis, quelqu'un qui découpe des cadavres à longueur de journée est plus ou moins immunisé contre la peur de la mort. Un peu comme lui, d'ailleurs. Il craint bien plus les ennuis qui peuvent lui tomber dessus, les coups que prendront sa réputation. Il ne sait pas pourquoi, mais en tout cas il trouve cela stupide. Et Junji est comme lui. Évidemment qu'ils ne pouvaient pas s'entendre.
Heureusement, cependant, il a enfin réussi à calmer le jeu. Seung Joo s'étonne même d'avoir été le premier à tenter une réconciliation : ce n'est pas vraiment son genre. Peut-être, quelque part, il en veut à Junji de l'avoir réduit à une telle extrémité. Jamais il n'oubliera. Il ne pardonnera sans doute pas, ce qui ne veut pas dire qu'il en tiendra rancune. Juste que la pensée qu'il a dû céder le forcer à être plus agressif, plus tenace la prochaine fois. C'est probablement le cadet des soucis du Japonais, à ce stade, cela dit.
Qu'importe : il a obtenu gain de cause.
« Merci. » Le mot lui arrache la gorge, et est prononcé sur un ton qui manque clairement de politesse, mais il a le mérite d'être sincère. Plus que Seung Joo n'en aurait cru capable. Il s'étonne d'être parvenu à conserver son calme, et il sait qu'un an auparavant, il n'en aurait pas été capable. Mais les choses changent. Et lui en particulier.
« Si tu n'as plus besoin de moi... »
Seung Joo s'éloigne de Junji, assez pour lui faire comprendre son intention de partir, mais restant suffisamment proche pour être rattrapé en cas de nécessité. Il attend juste un non, le signe qu'il peut partir et laisser derrière lui cette désastreuse histoire.
Sam 10 Juin 2017 - 21:32
Tranquillement, le retour à la réalité se poursuit dans la tête de Junji. La colère descend, la culpabilité monte. Est-ce vraiment de la culpabilité ? Non, non, le chirurgien ne veut pas l'appeler comme ça. Mettre ce mot sur cette sensation qui lui noue la gorge, ce serait dire qu'il a des remords, qu'il se sent responsable, qu'il estime qu'il a dépassé les bornes, qu'il devrait s'excuser, qu'il est en redevance auprès du Coréen, qu'il a besoin de se faire pardonner. Son égo ne peut pas le permettre. Mais il est déjà au bord de l'épuisement - impossible qu'il puisse lutter avec lui-même. Il se sent mal. Comme s'il a laissé quelqu'un d'autre parler à sa place pour le défendre, comme s'il s'est caché lâchement derrière il-ne-sait-trop quel principe ou conception pour éviter d'affronter le problème directement. Réflexe de survie, voilà sûrement de quoi il s'agit. Dommage que porter le bouclier est plus lourd que l'épée.  

Mais c'est terminé maintenant, Junji, tu n'as plus à t'en faire. Il a pris la meilleure décision, oui, sûrement. Il fera le nécessaire puis rentrera chez lui, prendra des somnifères et il dormira. Tout cela sera alors derrière lui (mais non - comme une ombre qui ne se détache pas de son propriétaire, cet incident le suivra éternellement, hantant les recoins de sa pensée lorsque le silence sera trop pesant - il reverra le visage hargneux de Seung Joo et il aura peur, peur pour la suite, peur pour sa vie). Et comme résolu à ne plus voir le problème qui le tourmente, il reste obstinément dos au jeune homme lorsqu'il lui adresse un remerciement - ne réagit pas, comme s'il ne l'a pas entendu - et laisse passer un long moment de silence avant de finalement faire une signe de la main quelconque lui indiquant qu'il peut filer (éloigne toi pour moi, puisque moi je n'ai plus la force de fuir).

La porte se referme derrière lui et ses démons  rugissent  plus fort encore, enserrant son cœur et son crâne.
Ven 16 Juin 2017 - 23:38
Seung Joo ne reçoit pas d'indications contraires, alors il peut partir. Il referme la porte doucement derrière, mais son œil est noir alors qu'il arpente le couloir d'un pas furieux pour sortir du bâtiment. Il espère bien ne plus jamais y retourner, mais il sait ce souhait impossible ; bientôt, il sera de nouveau là, à devoir faire il ne savait quoi pour des raisons aussi stupides que le manque de personnel ou la nécessité de créer des liens entre les groupes. A force, il n'y croit plus : pourquoi donc fait-il tout cela ? Il pourrait se satisfaire de n'être qu'un croupier à ce stade, car c'est un métier surprenant mais agréable ; et si on lui demande quelque chose d'autre, il préfèrerait que ce soit plus net, plus officiel. Mais il ne voit pas comment présenter sa requête : avec son ancienneté, il n'a pas fini son apprentissage il y a si longtemps que cela, ce temps où sa tenue sobre et uniforme évoquait le survêtement blanc des futurs yakuzas et le désignait comme un élève à la criminalité non illégale. Peut-il vraiment se caser sans toucher à la drogue ? Toutes ces questions commencent à le tarauder sérieusement, et il n'a plus envie d'y penser. Peut-être devrait-il en parler à Etsuko la prochaine fois : elle comprendrait sans doute.
En attendant, il sait qu'il devra encore avoir à faire à Junji, et il ne sait pas si cette pensée lui donne envie de rire ou de pleurer. Il n'aime guère le chirurgien, sans pour autant dire qu'il le déteste vraiment : il est buté et faible, mais c'est parce qu'il n'a jamais connu de vraies difficultés dans la vie - le stress de ses études, de les financer, d'avoir des mauvaises notes ? des problèmes familiaux, peut-être ? oh, que Seung Joo aurait aimé n'avoir à gérer que cela. Il peut donc gérer le cas Junji, estime-t-il. Il saura lui faire peur, la prochaine fois.

hrp:
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