Arthur Rimbaud
Caractère
Histoire
Il le regardait mais ne le voyait pas. Cela faisait longtemps qu’il était aveugle. Les yeux servent soit à accuser soit à aimer, mais se changent en trous noirs s’ils oublient comment faire l’un ou l’autre.
Le soleil était atroce à travers le vitrail. il piquait son visage de lumières bleues, jaunes, terribles. Elles lui donnaient l’air des lépreux et sur le bord de ses cheveux commençait à perler le gris. En cet instant, alors qu’il le contemplait à travers ses paupières qui étaient des meurtières, Rimbaud compris que Verlaine n'était pas devenu laid mais qu'il l'avait toujours été. Cela n’avait plus d'importance.
Auparavant il se serait jeté à son cou et y aurait planté les dents. Il aurait fondu sur lui comme un oiseau de proie. Mais il n’y avait plus ni oiseau ni proie - il n’y avait guère plus que cet arbre au bois gourd et aux vermoulures profondes. Quel ver avait rongé le fruit ? Quel termite avait mangé la peau précieuse, la peau aimée, l’écorce qui sous ses doigts d’hier s’animait encore ? Il n’y avait plus de sève et il n’y avait plus de bruit. Les doigts d’aujourd’hui se serraient sur son coeur qui battait calmement. Et il pouvait sentir que celui de l’autre, à trois mètres exactement, s’était arrêté.
Maintenant il s’était décidé à ramper sur le corps du monde. A percer son pelage et à s'y dissoudre. Ce n’était pas un coup de sang ou un enfantillage. S’il devait vivre, alors il deviendrait lui aussi cette viande, cette chair empoisonnée dans laquelle on taille des continents auxquels se raccrocher pour ne pas disparaître. Disparaître pour ne pas survivre, vivre pour paraître important. Marcher sur des songes avec des ombres au coeur.
Rimbaud ne voulait pas de ces continents. Il ne se voyait vivre sous aucune latitude. Il voulait des exoplanètes, des astres neufs. Des univers en branle capable d’accueillir son pas d’ouragan. Mais la mesure humaine était incapable d’attribuer des dimensions à son désir et Verlaine était incapable de supporter la sauvagerie de son amour. D’ailleurs en cet instant, il n’y avait pas d’amour. Il n’y avait que la tristesse. Qu’y a t-il de plus lourd que la tristesse que chacun porte en soi ?
Verlaine forçait Rimbaud à mettre plus d’espace entre sa vie et ses rêves qu’entre ses mains et son cou. Il avait cette manie de tout soupeser, de tout passer à la lunette et au crible. S’il l’avait un peu déraciné, il n’avait rien pu faire pour sa nature. Tout ne répondait pas de la raison, il fallait l’accepter, surtout avec l’absinthe au fond du sang. Mais en vérité il était clair que Verlaine n’avait jamais rien compris. Le seul langage qu’il parlait était aussi maudit que son trois pièces guindé ou sa calvitie, qui jusque là n’avait jamais gêné personne. Idoine, se disait Rimbaud en laissant mourir les ourlets de ses cils. Il ferma les yeux en sachant qu'ils ne se rouvriraient pas. C’est sa bouche qui le fit.
- Je ne suis plus ton amant.
Verlaine s’approcha avec peine.
- Il y a longtemps que j’ai perdu ce titre.
Verlaine manqua de tomber et Rimbaud aurait du prendre peur, car avec la démarche du désastre et la violence du monde, qui battait à nu dans sa main mue d'alcool, il éleva sur lui la bouche du canon court.
Entre Rimbaud et Verlaine, un revolver.
C’était là son dernier baiser.
- Arthur ! Je t’ai appelé. Beaucoup. J’ai crié ton nom, mais sais-tu ce qu’il y avait au bout de ton nom ? Personne.
Sa voix était tremblée. Brisée, pas encore. Il devenait risible, presque navrant, petit, fondu dans son costume très noir qui blessait la lumière. Il devait être quatre ou cinq heures du matin à Bruxelles, mais il était tout aussi bien quatorze heures sur Neptune. Quelle importance.
- Je t’ai appelé bien avant de te rencontrer, bien avant de te connaître, peut-être avant de venir au monde. Tu n’as jamais répondu. Tu n’es jamais venu. Et maintenant que tu es là, tu es là pour mourir.
L’un n’avait jamais été que la déroute de l’autre, le gâchis tentaculaire, les multiples désastres qui renversent la vie comme se renverse le vin. Il s’étaient répandus sous toutes sortes de ciels et aucun d’entre eux n’avait assez d’étoiles pour éclairer leurs visages. L’enfer se construisait dans l’ombre, abreuvé de drames trop dolents pour se terminer. Qu’il s’était donné pour ces drames ! Comme il s’était évertué à les bâtir. Depuis qu’ils étaient ensemble la nuit pleurait à chaque coucher de soleil, comme si elle avait peur qu’il ne revienne jamais.
Mais le soleil se lèverait encore. Au moins demain matin. Rimbaud en avait la conviction. Après ça il pouvait bien partir et ne jamais revenir. Il n’en avait rien à foutre.
Il dédaigna l’arme et tira la langue. Sa blondeur interdite aveuglait tout le jour.
- Tire ! Allez, tire donc, vieux hère, décrépi au nez plat, pauvre géronte, mal baisé. Tire un bon coup, tu te sentiras mieux.
- Je pensais que tu m’aiderais. Je pensais que tu avais compris, que tu avais trouvé, que tu étais la réponse.
- Tire, ce n’est pas le moment d’être un poète. Maintenant il faut être un homme.
À présent Verlaine sanglotait et ses pleurs étaient lourds comme des marteaux. Ils tombaient au sol sans ardeur et Verlaine perdait sa substance. Il était désormais liquide, transparent sous la lueur du gemmail. Même son ombre semblait moins pâle que lui.
Rimbaud détourna un instant la tête. Il regarda les murs de l’église. Les châssis s’effondraient et le verre éclatait en proférant le cri de celui qui se coupe. Il ne savait en cet instant si l'homme qui lui faisait face était capable de le tuer. Puisqu'il n'était plus capable de l'aimer, la réponse était vraisemblablement oui.
Verlaine peinait à parler à présent. Si arrivait bien ce moment où tout dans l’autre vous paraît insoutenable, c’était maintenant, sur ce parvis, sous ce soleil gourmé qui ne voulait plus donner sa pitié. Soleil froid. Rimbaud froid. Annihilées toutes potentialités de chaleur.
- Je pensais que tu me ressemblais et que je ne serai plus seul, plus jamais.
Rimbaud ne lui rendit pas son regard. Il observait le sol avec une certaine colère, une colère misérable.
- Tu as toujours été seul.
Lorsqu’il tira, Verlaine visa le coeur.
Bonjour vous moi c'est Servais, c'est joli ici 10/10. Merci grâce à vous j'ai composé sur rimbaud que j'adore détester. Tout est d'ailleurs en gestation mais je finirais bien assez tôt. Perso au jour d'aujourd'hui ma vie est un crash mais je vais tenter d'écrire avant le dépôt de bilan. Je te fais la bise à tous mais surtout à toi