Histoire

X Avril 2012.
« C'est hors de question. » C'était une voix ferme, froide. Sans appel. « Ariel n'est pas une pouliche que nous vendrons au plus offrant. » Monsieur Daniel prit une grande inspiration, regrettant déjà les paroles qu'il allait prononcer. «  »

X Mars 2014.
Le hurlement naquit au plus profond de ses entrailles. Il brûla ses poumons, remonta jusque dans sa gorge, força les barrières de ses lèvres et explosa au monde avec la force d'une bombe, la puissance de la douleur. C'était un mélange de souffrance physique et mental, de dégoût et de rage. Un cocktail explosif entre la géhenne et la haine. Un cri si suppliant, si déchirant ; comme un appel au secours, comme un pacte avec le Diable.

Puis le silence. Un calme pesant, anormal. Dérangeant. Une quiétude qui en disait long sur l'état de la pauvre chose qui se balançait au bout de ses chaines, les vêtements en lambeaux et le dos en sang. Ses jambes tremblèrent, flanchèrent, cédèrent. Elle se retrouva suspendu par les bras, incapable de bouger, incapable de penser. Fixant un point sombre dans l'obscurité. « Tu n'en peux déjà plus ? Je t'ai connu plus résistante que ça. » Un autre claquement sec retenti. Le corps se tordit, se cabra, avant de retomber mollement dans sa position. Sans un mot. Sans un cri. Sans un bruit. Le sang coulait le long de son dos, ruisselant jusqu'à ses jambes, l'habillant d'une cape macabre. Elle ferma les yeux. Serra les dents. Encaissa le nouveau coup. « Fait un effort, voyons. » Le fouet claqua. Encore. Encore. Léchant sa peau d'une langue brûlante, chaque sifflement laissait derrière lui une nouvelle marque écarlate. Elle hurla, rassemblant ses dernières forces dans un cri semblable à un rugissement, avant de finalement s'abandonner dans les limbes de l'inconscience.

Après quelques secondes d'immobilité, il poussa un long soupir ; le temps de jeu était visiblement terminé. Il se sentait cependant frustré, mécontent ; comme si la faim qui lui tordait les boyaux depuis plusieurs jours n'avait pas totalement été apaisée. Il jugea la silhouette qui pendait au milieu de la pièce, le dos presque nu et entièrement mutilé. Ses longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules, poisseux de sang et couvrant maladroitement cicatrices et nouvelles plaies. Elle avait la taille fine, des cuisses musclées et des formes discrètes mais joliment dessinées. C'était une belle femme ; sa femme.

Sans qu'il ne s'en rende compte, ses doigts resserrèrent leur étreinte sur le manche du fouet. Il en voulait plus.

X Décembre 2015.
La nuit s'était abattue tel un voile noir sur le monde. Elle avait happé le soleil, englouti la lumière et absorbé toutes traces de vie dans Palpatine. Les maisons étaient closes. Les ruelle, désertes. Seule la langue blafarde de la lune redonnait quelques lueurs au paysage. Les ombres dansaient sous sa lumière blanche, monstres difformes se détachant des ténèbres. L'air était doux, presque frais. Pas de vent puissant mais une légère brise venant du nord. C'était une nuit calme, silencieuse, sans histoire. Une nuit comme toutes les autres.

C'est alors qu’apparu une silhouette. Petite, svelte et gracieuse, elle se dissimulait sous une légère cape de lin sombre. Le regard rivé sur le sol, le visage caché dans l'ombre, elle arpentait le dédale de ruelles en direction du centre de la ville. Elle était attendue. Par qui, elle ne savait pas exactement, mais peu lui importait vraiment. On lui avait promis discrétion, rapidité et professionnalisme. Si elle y mettait le prix, elle savait que cela serait fait. Elle ferma les yeux un instant. Poussa un soupir. Déforma ses lèvres dans une grimace. Ce soir était un grand soir ; celui de son élévation parmi les grands ou de sa décente aux enfers. Elle bifurqua à nouveau dans une ruelle, fit quelques pas et s'arrête finalement. Devant elle, à une dizaine de mètres environ, se tenait son contact. Lui aussi portant une cape semblable à la sienne, elle ne pouvait discerner que les contours de son corps et la main qu'il levait dans sa direction. Elle avança à nouveau. Porta sa main à son spray au poivre. Ralenti sa respiration. Ariel avait depuis longtemps appris à rester méfiante devant les inconnus ; prudence est mère de sûreté. Surtout vu la réputation de ce dernier. Mais il était hors de question de faire demi-tour. Aussi, c'est avec une certaine lenteur qu'elle s'approcha de lui, détaillant du regard chaque élément susceptible de faire hurler une alarme dans sa tête. Un seul retint son attention. Son sourire. Mauvais. Malsain. Un rictus désagréable et qui lui fait presque froid dans le dos. Une certaine gêne s'empara d'Ariel. Elle connaissait ce sourire ; il était similaire en tout point au sien.

Elle finit par s'arrêter à quelques centimètres de l'homme et, comme il avait été convenu quelques jours plus tôt qu'elle le ferait, tira sa capuche en arrière pour montrer son identité. Ce qu'il vit paru lui convenir. Sans un mot, il l'attira contre lui et commença à palper ses courbes. La mâchoire serrée, elle le laissa faire ; ce n'était pas la première fois qu'un homme touchait son corps sans son accord. Cela serait cependant la dernière. « 170 000 ? » Elle hocha la tête et il recula, faisant disparaître dans sa poche l'enveloppe qu'il venait de dénicher. « L'heureux élu a un p'tit nom ? » Encore aujourd'hui elle se demande pourquoi, mais la réponse se fit d'une voix étranglée, incertaine. « Martin Euston. »

X Janvier 2016.
« Mes condoléances, Madame Euston. C'était un homme bien.  »
Elle voulut rire.
« Il nous manquera  »
Elle ne le fit pas.