Alan Beckett
Caractère
Histoire
tric trac du ciel
La gitane au bec, le cul posé dans la chaise à bascule, le nez pété par une bagarre de l'année dernière. Il est pas glorieux le père, il a rien de bien beau ni même d'admirable. Il a rien pour plaire. Il joue de l'harmonica comme un manche, les doigts frottés sous les violences de l'effort provoqué par le travail. Il sourit, un peu, il fixe son môme qu'est posé sur le tapis à brailler à moitié. Il a fait une bêtise y'a une dizaine de minutes, il s'est pris une gifle. Il aurait pas dû casser la montre du vieux, il aurait pas dû répondre à des élans sauvages. Il a dix ans, il vaut pas mieux que cinq pommes alignées, pourtant il a la gueule bien ouverte et c'est peut-être ça qui lui déplaît. Il frotte sa joue rougie, Alan, il l'a mérité. Il aurait pas dû jouer dans la cour des grands alors qu'il sait à peine bien compter sur ses doigts. Il le dévisage un peu, assez pour attiser la pitié. C'est gagné, y'a l'élan pétillant dans ses iris charbons, il se baisse, passe sa main huileuse dans sa tignasse d'orange. « Allez, allez. J't'en veux plus, va. » Y'a quelque chose de rassurant dans le fait de montrer ses dents, même si c'est typique d'un carnivore qui va bouffer le rat. Il continue de jouer avec ses bouclettes, il veut voir son fils resplendir, il a pas le courage de s'excuser. Ce serait pas logique, ce serait pas assumer le rôle du parent, même maman approuve qu'il l'a pas volé pour une fois. Et elle est belle avec sa robe d'océan, elle claque une moue pour le pousser à s'apaiser. C'est pas assez. Une larme, une seconde, une autre. La douleur prend le pas sur le bon sens. Il lève un peu la tête, continue de le fixer, le géniteur à la morale tranchante. Oh il l'aime, oui qu'il l'aime, à vouloir faire le même boulot que lui, à se dire qu'un jour il tirera les cordes à l'arrière d'un plateau poisseux. Rien qu'à l'imaginer, ça lui fait du baume au fond du coeur d'enfant. Un autre coup de main qui se termine sur son épaule, une petite frappe virile à deux sous trois centimes. « Arrête de pleurer, t'as pas les épaules pour ça. »
le théâtre et son double
« Et toi ? Tu fais quoi ici ? » Elle a les yeux aussi jaunis qu'une pierre d'ambre, elle a les dents écartées, celles du bonheur et des taches rousses sur les montagnes de ses joues. Elle est sur scène, elle fait la grande depuis qu'elle a été acceptée les mains bien tendues. Elle connaît personne, alors elle se renseigne. Sourcils cramoisis froncés, elle passe ses quelques doigts squelettiques sur les sièges en velours. Alan, lui, il est posé sur le rebord de la scène, il laisse ses jambes se balader dans le vide, imaginant sûrement qu'en-dessous pourrait y'avoir de la lave en fusion. Il fait quoi, dans ce coin ? Bonne question, idiote à la fois. Il surplombe sa trogne d'un étirement de lippes rosées. « J'fais rêver les gens. » Pour pousser son argument, il se fout sur ses deux guiboles, fait de long en large et en travers le parquet grinçant. Il le dessine, il visualise dans son jardin secret la nouvelle lubie portée par des chimères. « J'peux leur faire croire que la lune est venue les saluer, qu'des flammes sortent de la gueule de Cerbère, qu'un ouragan s'est écrasé sur les rivages du bout du monde. » Un rire fait vrombir sa gorge, il s'éclate, s'éparpille jusque dans les briques. Elle gobe, elle prend ce qui est possible de garder entre les ongles, ça lui plaît bien l'idée. Assez pour qu'elle regrette pas de s'être engagée dans l'infâme maison du baron écarlate. « Donc, t'es ingénieur, en fait. » C'est que ça sonne vulgaire, ça perd de son précieux. Haussement d'épaules, il joue avec le rideau vieillot. Il était doué pour jouer aux cartes quand il était qu'un mouflet, seulement, à l'examen de passage il a loupé la colombe sortant du chapeau melon. Recalé. Alors il fait Houdini d'univers. « Ouais, pour faire simple et concis, ouais. Mais j'préfère l'autre définition si tu veux tout savoir. »
les fleurs de papier
Entrer en piste, laisser les lumières posséder son essence, sa silhouette finement dessinée en une ombre chinoise. Certains y verront un oiseau majestueux, d'autres un monstre à la carcasse décharnée. Il incarne ce qu'il veut, qui il veut, le baron, le duc, le maître au gloussement des pies voleuses. Ils sont de la même essence, ils veulent croquer la terre comme on arracherait la peau d'un fruit du bout des dents. Il l'aide, parfois, à serrer le corsage de dentelles papillons, à tapoter ses joues d'un blanc de neige pour terminer sa transformation. Ils sont tassés dans le tissu des idéaux, des envies pittoresques aux pays des merveilles. Et la porte grince quand il ose ouvrir la poignée pour admirer, ce soir, sa nouvelle création aux gants soyeux. Pourtant c'est que le reflet d'un bonheur qu'il retrouve, avachi sur sa chaise, devant son miroir aux reflets déformés, la main calée entre son visage. Mi-homme, mi-femme, ni vraiment l'un, ni totalement l'autre, roi Zadig à l'empire de cartons empilés, juste pour pouvoir choper la lune, juste pour pouvoir s'y endormir un soir, dans son creux crevant la route aux étoiles. « Chialer, ça te va pas au teint, tu l'sais non ? » Il se rapproche en catimini, fait danser ses pompes vieillottes avant de se retrouver à côté de lui. Ni une ni deux, il se prend en rôle d'adulte devant rassurer un plus jeune. Il se pose, se case accroupi en essayant de trouver son visage sous toute cette tignasse de rose. « C'est toujours plus saillant que les traces du temps. » Saccadé et sec, débridé et aride. Au fond, dans sa gorge, y doit rester que des piques d'amertume qui se frottent à sa salive d'or et d'argent. Il est pas fait pour la réalité, Zadig. Il est pas fait pour cette brutalité dans l'instant, pour les vieillards qui lancent des miches de pain dans un étang vides, pour les grands-mères qui portent avec fierté le petit fils tout juste sorti de neuf mois interminables. Il est fait pour l'éternité, pour les mythes romanesques aux parfums enjolivés. « Le temps ça peut pas s'fuir, mais ça peut s'cacher, ça peut s'illusionner, s'bidouiller. Tu peux faire croire n'importe qui que t'es la Duchesse des mondes engloutis, que chaque matin tu t'baignes dans une eau à la con aux vertus curatives. Que toi, t'as connu la naissance de l'univers et qu't'admires tes sujets dépérir et rev'nir à chaque fois. » Vision de peinture passée sous une pluie torrentielle, le mascara a coulé le long de ses joues creuses, le rouge de ses lèvres s'est mué en une tache sur son menton. Et ça lui arrache une énième mine de bienheureux, il joint ses mains, le lâche pas une seule seconde. Laisser le regarder partir, c'est le perdre définitivement. Il doit lui dire tout ça. Il est le seul à le faire, à dégager de ses oreilles les portails claqués. « T'es magnifique. » Temps dramatique réservé aux plus grands comédiens. « Alors Monsieur, arrête de brailler. T'es pas taillé pour ça. »
Yo bitches. Moi c'est sans, ou Laura si vous voulez. Je viens de l'Alsace profonde et j'attends encore de savoir si je vais entrer en master. J'ai découvert ce petit bijou à cause de l'autre énergumène qui m'accompagne. Encore une fois, c'est une tuerie ce petit coin, j'espère que le gugus vous plaira et qu'ensemble, on formera une boule d'amour. En soi, je passe au moins une fois dans la journée, mais avec les aléas de la vie je peux être des fois très irrégulière. Allez, tendresse et chocolat.