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shooting stars | ft. Sungmin

Ven 5 Mai 2017 - 1:38
shooting stars
Tu as mangé une poignée de céréales ce matin. Une plus petite poignée que d'habitude, parce qu'il ne restait plus de tes céréales à toi - tu blâmes Hayden, tu te souviens très bien qu'il te restait le fond de la boîte mais quand tu as ouvert le placard, aucune trace - et tu as dû manger ses monstruosités sucrées à elle et tu as déjà l'impression que le sucre te colle à la peau. D'ailleurs, tu t'es pesée en te levant, et tu as pris un demi kilogramme. Tu as passé dix minutes devant le miroir à vérifier compulsivement que ça ne paraît pas, que tes joues n'ont pas gonflé, que ton ventre est resté plat, que personne ne pouvait possiblement s'en rendre compte. Tu t'es répété ça, que personne ne pourra le voir, le remarquer, au moins cinq mille fois depuis, et pourtant il y a quelque chose en toi qui n'est pas sûre. Tu sais bien que tu es la seule qui remarque ça, parce que tu sais que tu ne le remarque pas sur les autres, mais toi c'est différent. Tes standards sont plus hauts. On remarque facilement la différence entre la perfection (39 kg) et non (39,5 kg). Ah, tout du moins, toi tu le remarques (sur toi).

Tu as un peu envie d'annuler tous tes plans et de rester chez toi. De travailler sur quelques vidéos, de jouer à quelque chose et de devenir la toi de devant la caméra, qui ne se soucie de rien et qui fait face à ses problèmes le sourire au lèvres. Faire semblant que tes seuls problèmes sont nichés entre deux lignes de programmation, réglés d'un coup de joystick un peu plus précis. Tu n'as plus la précision que tu avais, avec tes doigts de squelette, mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas comme qui que ce soit s'en rendait compte. Ils pensent qu'ils te connaissent, qu'ils connaissent ta vie (tu les trimballes toujours dans ta poche, après tout), et pourtant ils ne savent que ce qui tu veux bien leur montrer. Mais c'est un peu ton métier, de leur faire croire qu'ils sont tes amis. C'est la différence entre ce qu'il y a à la télévision, et c'est ce qui fait(sait) de Youtube une plateforme si populaire: la familiarité que les gens célèbres ont bien vite appris à établir entre eux et leur audience. Les gens ne veulent pas de quelqu'un d'autre d’inaccessible dans leur vie; ils veulent se sentir comme s'ils n'étaient pas seuls.

Tu as appris à prendre avantage de cela, d'une certaine façon. Ce n'est pas comme si tu en tirais quelconque remords, de toute façon. Même à Pallatine, c'est la même chose. Et les douzaines d'histoires de gens qui t'ont rencontrés dans la vie et qui clament haut et fort que tu es, en réalité, une pétasse flamboyante ne font rien pour diminuer l'amour que ceux qui te suivent ont pour toi. Après tout, ils te connaissent: ils savent que tu ne peux pas être comme ça. Ceux qui se plaignent ne font qu'inventer des histoires. Leur naïveté te fait presque ricaner, alors que tu verrouilles la porte de ton appartement derrière toi. Tu as décidé de sortir, finalement. Rester enfermée ne peut pas être bon pour toi, et tu as promis à Sungmin de le rencontrer dans un petit café que vous fréquentez tous les deux, et il y a bien peu de choses qui pourraient t'empêcher de voir Sungmin.

Il est un peu ton pilier. C'est le seul à qui tu t'autorises de parler de tes problèmes (bien que tu n'en parle pas beaucoup. qu'y a-t-il à dire?), et le seul qui les connaît réellement. Explicitement. Tu n'as jamais dit le mot 'anorexie' (tu te refuses même à le penser), mais c'est tout comme. Tu lui fais totalement confiance, probablement aveuglement, et si jamais tu as un problème, si tu as besoin de parler, tu sais qu'il n'est qu'à deux clics sur ton téléphone. Et il sait aussi très bien que c'est la même chose pour toi. Honnêtement, si tu ne l'avais pas, tu ne sais pas trop ce que tu deviendrais. Oh, tu survivrais (tu as bien survécu à ton séjour à l'Institut, après tout), mais sans lui pour te supporter tu serais dans un bien pire état. C'est donc à ça, à lui, que tu penses alors que tu te diriges vers votre lieu de rendez-vous, la tête haute et les épaules fières, même si tout ce que tu as envie de faire c'est de t'arrêter et de t'amputer de ce demi-kilogramme qui te hante. Tu prendras un seul sucre dans ton café pour compenser, tu te dis.

Une clochette tinte alors que tu pousses la porte de l'établissement et t'y engouffres. Rapidement, tu fouilles l'endroit du regard, jusqu'à ce que tes pupilles se posent sur cette tête que tu connais, et que tu te dirige vers lui avec un sourire sincère reflété sur ton visage. ‟Hey, babe.” Quelque chose en toi se calme, maintenant qu'il est devant toi. Tu es contente de ne pas être restée chez toi. Tu déposes ton sac sur le banc à côté de lui, mais tu ne t’assois pas tout de suite. À ce que tu saches, vous commandez, puis vous partez. Tu as besoin de faire les magasins, de toute façon, avec le printemps qui grimpe à vos portes tu as besoin de renflouer ta garde-robe. ‟Ça va?” Tu veux savoir, même si tu n'as pas particulièrement envie qu'il te renvoie la question.
Lun 8 Mai 2017 - 1:25
Assis au fond du café, Sungmin perd son temps sur son téléphone en attendant la petite tête rose à qui il a donné rendez-vous. Il joue à un jeu quelconque, un « casse-tête » qui, honnêtement, ne lui demande pas trop d'effort mental. Soupirant, il termine le dix-septième niveau. C'est ennuyant... mais pas autant que la tonne de paperasse qui l'attend « à la maison ». À l'heure actuelle, son studio ressemble plutôt à un dépotoir de chiffres et de lettres qui le poursuivent jusqu'à son lit. In-te-na-ble. Une seconde de plus passée à l'intérieur de cet enfer et il allait devenir fou !

Cette sortie, avec Anja, est apparue comme une libération. Un ange descendu du ciel ! L'occasion de fuir ses responsabilités pendant (n'est-ce que) une journée complète. Qu'est-ce qu'il en a besoin ! Aujourd'hui, il profite, c'est le mot d'ordre qu'il s'est donné. Il se fera plaisir et exploitera sans retenue de l'argent à sa disposition (le seul avantage, dira-t-il, qu'il peut tirer de sa vie (mais évidemment, il est aveugle et ingrat ; il ne se rend pas compte que ses privilèges ne s'arrêtent pas seulement à l'argent)). Mais quoi d'autre peut-on s'attendre de Sungmin ? Oui, il connait le dicton « l'argent ne fait pas le bonheur » et, honnêtement, il trouve ça très mignon, comme « mantra » pour les « pauvres » (comprenez : c'est une pensée très exotique pour lui). L'argent est l'outil pour accéder au bonheur et rien ne le fera changer d'idée.

Son dix-huitième casse-tête s'interrompt alors que l'écran d'appel prend toute la place. Il lit « Answer U Dead » et décline immédiatement. Ah non, pas question de se faire déranger par le travail aujourd'hui ! Il ferme totalement son téléphone. Cette journée est à lui, et seulement à lui... et à Anja, évidemment.

Et enfin, il la voit arriver. Un sourire prend place sur son visage. Partis, les soucis. C'est l'effet qu'elle a sur lui.

« Hey ! »

Il imite son ton et, dès qu'elle est assez près, l'enlace brièvement. Il est comme ça, Sungmin. Pour les quelques personnes qu'il apprécie, il n'a pas peur de montrer son affection - à l'exception peut-être lorsqu'il se trouve dans une soirée où il doit bien se tenir, devant des tant de gens avec qui il entretient une relation purement diplomatique, mais c'est une autre histoire. Le fait est qu'il est heureux de la voir. Vraiment.

Il ne la connait pas depuis très longtemps, c'est vrai. Mais dès la première rencontre, disons que ça a été un coup de foudre. Ils ne se connaissaient pas encore, et déjà, ils se comprenaient. Et aujourd'hui, cette compréhension mutuelle leur permet de capter tous les non-dits entre eux - même ceux qui devraient rester enterrer.

« J'ai absolument besoin de me changer les idées. » Il n'a pas perdu son sourire ou sa bonne humeur, mais ses paroles, appuyées par son visage légèrement grimaçant, vendent la mèche. Mais il n'en dira pas plus - pas question de gâcher la bonne humeur de cette journée en se vidant de ses problèmes. Il n'en a pas envie. Et comme pour appuyer ce pacte de silence, il lui relance la question dans la forme d'un « T'es avec moi ? ». C'est qu'il a appris, aussi, à ne pas poser de questions déplacées. Et il n'ose pas, par accident, provoquer une mauvaise réaction chez Anja (et il sait que, si vraiment ça ne va pas, elle le lui dira, tôt ou tard).

« Tu sais ce que tu veux commander ? » demande-t-il après en sortant son portefeuille. « Je te l'offre, indiscutable. »
Jeu 11 Mai 2017 - 23:09
shooting stars
Il sent bon, Sungmin, et tu apprécies le court instant que tu passes dans ses bras. Tu le serres même si tu sais que tes os saillent douloureusement dans sa chair, que tu es lancinante et tranchante. Parce qu'il n'esquisse même pas un mouvement de recul ni le plus petit souffle de souffrance alors que tu vas, brièvement, te nicher dans la courbe entre son épaule et son cou. Que tu oublies, un instant, les démons qui te dévorent les entrailles (pas assez vite) et vomissent leur gras pour aller se greffer le long des parois de ta chair. Tu oublies la douleur de la faim, la faiblesse dans tes membres, tes pensées floues et ta mémoire qui manque de clarté - les souvenirs de l'acidité amère dans le fond de ta gorge. Tu oublies la mort qui t'enlace lentement de vrilles visqueuses et noires, qui se niche dans la distance inexistante entre ta peau et tes os.

Vous vous séparez et bien que la réalité revienne se plaquer dans le fond de ton crâne, timidement, tu te sens mieux. Tu ressens la compassion qui vibre en toi quand Sungmin t'annonce qu'il a besoin de se changer les idées comme une libération, et tu lui offres un sourire doux, tiré du bout de tes lèvres d'une fausseté qui s'efface. Tu n'es jamais fausse avec lui (et la sincérité, parfois, te strie de griffures vermeil), mais tes sourires sont bien plus habitués au jeu qu'à l'alternative. ‟On va s'appliquer à faire ça, alors.” À lui changer les idées - tu lui feras oublier tous ses problèmes, si tu le peux. Tu apprécies, du plus profond de ton être, qu'il ne reflète pas ta question. Qu'il ne le fasse que de façon détournée, avec cette éloquence qui le caractérise, comme il a toujours le bon mot à te dire pour que tu te sentes mieux. Alors tu hoches la tête, et tu lui souris, encore. ‟Yep.” Tu es contente d'être venue. Même si quelque part, au fond de ta gorge, tu as honte de sortir comme ça. Avec un demi-kilogramme de trop qui étire ta peau.

Tu hoches la tête à sa question, et tu ne songes même pas à discuter son offre. Tu sais que ça ne sert à rien, et de toute manière, ça te fait absolument plaisir. Ce n'est pas comme si tu avais l'habitude de refuser qu'on te gâte, ou même le désir de le faire. Tu parcoures le menu des yeux, un instant, même si tu sais déjà ce que tu vas prendre - ce n'est certainement pas la chose la moins dispendieuse que cet établissement offre. Ton café, tu l'aimes bon, c'est pour ça que vous venez ici. Tu aimes prendre le mélange le plus intéressant (qui est souvent le plus cher), même si certains jugeraient que tu le gâche avec tes sucres. Ces gens-là peuvent bien garder leur opinion pour eux. Vous commandez, donc, avec ton café éthiopien (avec un seul sucre, même si tu hésites parce que tu sais que Sungmin sait que tu en prends deux d'habitude et qu'il remarquera peut-être ta divergence), puis, consommation en main, tu te tournes vers lui. ‟Bon, perso, j'avais besoin de faire les magasins. Du coup, ça te va comme plan?” Toi, tu te fous un peu de ce que vous faites, tant qu'il est là.
Lun 15 Mai 2017 - 22:37
Qui s'appliquera vraiment à changer les idées de l'autre ? Les deux semblent avoir beaucoup en tête et sur le cœur. Cependant, quelque chose dans l'air indique à Sungmin que son amie en aura plus besoin que lui  - c'est une intuition, une petite subtilité comme un sucre manquant à son café. Évidemment qu'il a remarqué ! Il la connait, peut-être trop, et il est plutôt doué pour remarquer ces petits détails. D'ailleurs, avec n'importe qui d'autre, il ferait une remarque du genre « enfin ton café va goûter quelque chose ! » (même s'il est lui-même coupable d'apprécier ses cafés au caramel avec de la crème fouettée dans des situations désespérées). Or, avec elle, il s'abstient. Les aliments ne sont pas à discuter avec Ana, surtout lorsqu'elle sort  de ses habitudes de la sorte. « Je ferai attention » se dit-il en payant la commande.

Après tout, ne pas soulever les problèmes qui les accablent est un peu la base de leur objectif : se changer les idées.

Plus facile à dire qu'à faire. Lorsqu'elle lui annonce qu'elle souhaite faire les magasins, il y a comme une cloche qui sonne dans sa tête. Est-ce vraiment une bonne idée ? Si, comme il s'en doute, Anja est dans une mauvaise passe, autant essayer des vêtements pourrait lui faire du bien, la faire sentir belle, ou, au contraire, la blesser encore plus et la plonger dans le mal-être dont il doute de la présence (mais il n'est sûr de rien - les intuitions, c'est sentimental, pas des faits. Si ça se trouve, Anja va très bien et le sucre en moins dans son café signifie tout bonnement que, ben, elle commence à apprécier l'amertume du cacao). Cependant, qui est-il pour l'en empêcher ? C'est ce qu'elle dit vouloir. Il ne va sûrement pas se prendre pour son père et lui dire non ! Il n'est que son ami - et son rôle, c'est d'être l'épaule contre laquelle elle pourra s'appuyer en cas de besoin.

Alors il reprend ce sourire qui le caractérise si bien.

« Ça me va ! Ah ! Ça me fait penser : l'autre jour, j'ai vue une jupe super mignonne - j'ai pensé à toi, j'ai même pris une photo. Laisse moi juste... »

Tenant son café d'une main, il reprend son téléphone de l'autre. En appuyant sur l'écran noir, il se ravise soudainement. Le rouvrir, c'est prendre le risque de répondre par accident à un appel « urgent » (pourquoi tout est toujours si pressant en affaires ? ce n'est pas comme s'il s'agissait de la vie ou de la mort de quelqu'un... Et si c'était le cas, qu'y pourrait-il, concrètement ? Non et en plus, il a prévu cette journée de congé, et se sait en avance dans presque tous ses dossiers, on peut lui foutre la paix quoi). Il ne veut pas risquer d'écourter cette rencontre. Tout, mais pas ça (car il vit son bonheur par procuration : s'il laisse Anja déçue, il le sera tout autant sinon plus). Il range donc son téléphone dans sa proche, se jurant de ne plus y penser jusqu'à la fin de la journée.

« Je suis sûr que je vais pouvoir la reconnaître en la voyant... » prononce-t-il, faisant comme si rien n'était, alors qu'il vient d'échapper à la « catastrophe ». « Je pense qu'elle était chez Luv. Tu veux commencer par là ? »
Sam 20 Mai 2017 - 6:33
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Tu es assez certaine qu'il a remarqué. C'est ce petit regard en coin - et, certainement, tout simplement ce savoir qu'il a tendance à remarquer ce genre de chose. Son oeil attentif, attention que tu adores même si tu devrais peut-être la détester, parce qu'elle perce ton rideau de normalité et vois directement la vérité. Mais c'est un peu pour ça que tu l'aimes, Sungmin, aussi; parce qu'il te connaît et il sait, sans que tu n'aies besoin de dire quoi que ce soit. Et dieu sait que parler t'es un effort incommensurable. Alors c'est mieux, qu'il te comprenne sans que tu n'aies à prononcer un seul mot - qu'il te comprenne tant qu'il ne dit pas un mot, qu'il se contente de t'observer et de te montrer qu'il se soucie de toi, sans jamais te faire te sentir coupable (tu le fais déjà assez toi-même). Il y a un picotement qui parcours ta colonne vertébrale, une chaleur confortable et inconfortable, comme un frisson; ta peur de mourir qui te chatouille l'arrière du crâne, inconsciemment, et le sentiment qu'il s'en voudrait - qu'il pleurerait, tout du moins - si tu en venais à t'éteindre parce que ton corps ne saurait plus fonctionner sous ta maltraitance. Il te donne du courage; même si ce n'est pas assez pour réparer tout ce que d'autres ont (ce que tu as) brisé.

‟Oh!” Tu sais déjà qu'il lui arrive de penser à toi, comme il t'arrive de penser à lui, mais ça te fais tout de même plaisir de l'entendre. Et s'il a vu cette jupe et qu'il a pensé à toi, c'est certainement qu'elle est absolument mignonne, et tu veux très certainement l'essayer - l'acheter, probablement. Peut-être que de la porter te feras oublier ce qui te hante (tu agrippes ton café pour t'empêcher de te triturer la peau, ce désir qui te démange les doigts depuis le moment où tu es montée sur la balance ce matin (parce que, peut-être, si tu le fais assez, tu perdras quelques grammes)). Peut-être que tu te sentiras belle, un seul instant, sous ses yeux. ‟Montre!” Et pourtant il range son téléphone - tu commentes et te plains presque, mais tu pinces les lèvres autour de ta déception. Il n'est pas le seul qui comprend comment tu te sens; tu réalises immédiatement qu'il ne veut pas qu'on l'appelle. Qu'il veut se tenir loin de quiconque - quiconque autre que toi. Ça te fais assez plaisir, n'empêche.

‟Oui, c'est pas grave.” Et tu lui offres un sourire pour appuyer ton propos. Tu prends une gorgée de café, ravalant avec le liquide l'amertume qui envahi tes papilles (il y a bien une raison pourquoi tu prends deux sucres, et tu t'en rappelle immédiatement). Mais il y a aussi, bien sûr, ce coin de ton crâne qui est satisfait de ton choix, fier, même, de ta force. Même si tu sais que tu ne devrais pas; tu peux bien l'oublier pour une seconde. ‟Si tu penses que c'était là, je te suis.” Tu n'avais pas vraiment d'idée d'où commencer, de toute façon - et tu le suivrais probablement jusqu'au bout du monde s'il te laissait faire. Alors tu te lèves, ton café en main, et tu lui souris. Ça te fais du bien.
Lun 22 Mai 2017 - 3:53
Comme Sungmin s'y attend, Anja accepte de le suivre. Ça semble même lui avoir fait plaisir, qu'il parle de cette jupe aperçue une ou deux semaines auparavant et, sur le coup, il se félicite. La voir sourire le rassure, il se dit que, par de petites actions comme ça (actions qui sont ou spontanée ou calculées), il parvient à lui faire oublier momentanément ses soucis. Il ne sait pas d'où viennent ses problèmes exactement (c'est le désavantage de cette complicité construite sur les non-dits) et il mentirait en disant qu'il ne tient pas à le savoir. Une curiosité, innocent mais indiscrète, lui donne envie de trouver la source de cette fragilité chez elle - mais il sait pertinemment que c'est le pas à ne pas franchir et que ce n'est pas à lui de le faire, au risque de rompre cet équilibre entre eux. Alors puisqu'il ne parvient pas à colmater la faille (ce n'est pas sa responsabilité), il célèbre ces petites victoires qui apparaissent sous la forme de sourires sur son visage creusée par la maigreur.

Et il a bien l'intention de poursuivre dans cette voie, tout particulièrement aujourd'hui. C'est qu'il doit la préparer pour qu'elle soit réceptive à une offre qu'il lui fera. Non, ses intentions ne sont pas aussi « innocentes » qu'elles ne le paraissent, mais il chercher tout de même son bonheur, alors quelle différence, vraiment ? Il lui suffira de sentir assez de confiance chez elle et il osera lui présenter son idée. D'ailleurs, il prépare peu à peu le terrain (la jupe devient soudainement un autre moyen d'atteindre son but - et ça, ce n'était pas prévu) avec sa bonne humeur (qu'il espère) contagieuse. Et pendant qu'ils marchent à travers la petite foule commune à Spencer, il glisse tout bonnement entre deux gorgées de café : « Rappelle-le moi, j'ai quelque chose à te dire plus tard. »

Il espère comme ça attiser sa curiosité. C'est qu'il est un brin machiavélique, Sungmin. Mais ayant depuis toujours vécu dans le monde des affaires, comment peut-être en être autrement ? Il agit selon les lois qu'il connait (disons que ses « leçons » de « diplomatie » lui auront servi à autre chose qu'éviter de causer un scandale avec son sale caractère).

Le secret de sa réussite dépend maintenant du silence qu'il gardera autour de ce qu'il « aura à lui dire plus tard », des regards complices et de ses sourires juste assez moqueurs trahissant sa résolution de se taire pour le moment. Et pour s'assurer de conserver le mystère, de garder toutes les chances de son côté, il décide de dévier la conversation.

« Tes vidéos, comment ça va ? Tu penses créer du nouveau contenu prochainement ? »

L'enseigne du magasin apparait enfin. C'est une de ces boutiques possédant des collections pour hommes et femmes et qui essaient de garder le tout assorti. C'est mignon, ça a un certain avantage lorsqu'on a une soirée où l'on se présente accompagnés - on parait mieux lorsque la paire est assortie. Un jour, il invitera sûrement Anja à un événement pareil. Mais en attendant, il a une jupe à retrouver seulement à l'aide de sa mémoire.
Dim 28 Mai 2017 - 2:41
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Une nouvelle gorgée de café envahi tes sens de son amertume, et tu sens un haut le cœur pointer son nez le long de ton œsophage - tu empêches tes jambes de flageoler en accélérant légèrement le pas, repoussant ta faiblesse d'un coup de force. C'est le sucre, tu en es certaine; ces céréales n'étaient peut-être pas une bonne idée. Tu aurais bien pu t'arranger sans, acheter, tu ne sais pas, une pomme en t'en venant ici, quelque chose comme ça, et en jeter la moitié. Ce n'est pas comme si le gaspillage de nourriture est quelque chose qui t'horripile. Ce serait assez ironique. Mais tu ne dis rien, et tu ravales ta nausée en silence. Où Sungmin peut ignorer, repousser ses problèmes en éteignant son téléphone et en faisant semblant que tout va bien, tes démons ne cessent jamais de te labourer l'estomac. Ils sont à l'intérieur de toi, sous tes ongles - juste derrière le point le plus profond où tu sais enfoncer tes doigts dans ta gorge. Assez loin que tu ne puisses jamais les toucher et pourtant toujours ils te hantent et chuchotent dans ton esprit que tu n'es pas assez belle. Un instant, une seconde, la façade que tu construis entre toi et eux pour survivre s'effondre sous les coups de ton demi-kilogramme de trop comme un bélier, ou les poings enragés de celui que tu as aimé contre la porte - qui te supplie de le laisser entrer.

Tu ne peux pas le laisser entrer, mais tu as un peu envie de pleurer et de t'écrouler. Qu'est-ce qui s'est passé, si soudainement? Tu ne le sais pas. Oh, c'est peut-être cet état de ton mental brisé, tes émotions illogiques et tes décisions arbitraires causés par l'inanition que tu t'imposes toi-même. Peut-être. C'est peut-être, aussi, cette foule qui se referme désormais sur vous, qui te donne l'impression de ne plus savoir respirer (parce qu'ils te jugent, ils savent que tu as pris du poids, ils le remarquent et ils te jugent silencieusement), et ce même si Sungmin marche à tes côtés. Tu essaies de te concentrer sur sa présence, de calmer ton cœur qui s'emballe sans aucune raison, et tu te noies dans une dernière gorgée de café alors qu'il s'adresse de nouveau à toi. Sa voix brise ta transe, un instant, et bien que ta normalité soit un jeu aux premiers mots de ta réponse, elle se pose réellement en toi au fil de ta phrase. ‟Et pourquoi tu ne me le dirais pas maintenant? C'est méchant de jouer avec mes sentiments comme ça.” Tu détestes que l'on te dise ce genre de chose; forcément, tu veux le savoir immédiatement, et tu n'acceptes que difficilement que l'on te dise non. La seule raison pourquoi tu ne le harcèle pas, c'est parce que c'est Sungmin, et avec Sungmin tout est différent.

(Pour le coup, ce mystère a le don de te faire oublier l'angoisse qui t'avais pris aux tripes. Tu t'en rends presque compte, mais le reconnaître risquerait de briser l'illusion, et tu ne peux pas te le permettre.) À sa question, tu hausses vaguement les épaules. ‟Ça va, j'ai un peu atteins un plateau et je n'ai plus de poussée extraordinaire de vues ou d'abonnés, mais ça grimpe toujours tranquillement. Et puis, j'ai quelque chose qui sort tous les jours - c'est comme ça que je conserve mon audience. Mais je t'avoue que j'ai encore une semaine de vidéos pré-faits qui se mettront en ligne automatiquement. Je devrais peut-être vlogger aujourd'hui pour continuer mon avance, mais honnêtement, non. Aujourd'hui n'est qu'à nous, et à personne d'autre.” Et puis, tu ne peux quand même pas te présenter à ceux qui te regardent comme ça, avec ton demi-kilogramme qui te lacère le ventre. Tu continueras de filmer une fois que tu l'auras perdu. Au pire, si tu n'arrives pas à le perdre à temps, tu feras des vidéos de gameplay et tu diras que ta caméra est brisée. Tu trouveras bien un moyen - tu as toujours trouvé un moyen. Même enfermée dans un hôpital, on n'a réalisé ta disparition qu'une fois que ton audience Terrienne n'avait plus aucun intérêt pour toi - une fois que tu étais partie.

Tu lèves les yeux vers la boutique à laquelle vous êtes finalement arrivés, et un léger sourire en coin tire sur tes lèvres. ‟On pourrait acheter des trucs assortis. Ça serait cute, tu trouves pas?” Tu vous imagines, roi et reine de Pallatine. Toi, belle, qui règnerais sur le peuple de la ville à coup de sourires éblouissants, que l'on reconnaîtrais et idolâtrerais dans la rue.

(Ah, mais tu as encore bien du chemin à faire avant de devenir belle. Ça, ou mourir.)
Jeu 1 Juin 2017 - 5:32
Malgré toute sa bonne volonté, Sungmin n'est pas un devin. Il ne peut pas voir le mal-être qui hante Anja alors qu'il marche à côté d'elle (il se doute qu'il existe, toujours, un peu, comme un brouillard qui l'étouffe momentanément, mais il n'arrivera jamais à déterminer son intensité, quand la crise surviendra) alors il fait la seule chose qui lui semble sûre : la rendre joyeuse. Il connait la technique : croyez que vous êtes heureux, forcez-vous à sourire, et non seulement vous convaincrez le monde de votre bien-être, vous vous flouerez aussi ! Psycho-pop à deux balles. Non, bien sûr que ce n'est pas une solution. Les problèmes ne sont pas réglés (on ne touche pas la source, on l'évite même) et ils ressurgiront tôt ou tard, probablement alors qu'on est seul entre ses quatre murs, avec ou sans une bouteille de bière entre les mains, mais que peut-il de plus ? Il mène le bal, s'enfonce lui-même un peu plus dans la mascarade, cherchant à l'emporter avec lui dans un défilé de couleurs camouflant le gris de leur esprit.

« Bah, si tu veux, je pourrais apparaître dans ton vlog ! T'en dis quoi ? Après qu'on ait terminé nos achats, on se pose chez toi et on filme peinard. Tu fais d'une pierre deux coups ! Tu penses pas que ma tête paraîtrait bien dans un de tes vidéos ? »

S'en suit un de ses sourires les plus charmants qui soient. Toujours dans l'intention de la distraire - ne se doute pas qu'il enfonce un peu plus le couteau dans la plaie, ne peut pas savoir qu'elle ne veut pas se voir avec son demi-kilo de trop invisible. C'est bien ça le problème, l'invisibilité de ce trouble. Sungmin s'est toujours considéré comme quelqu'un de plutôt franc (c'est à voir...) qui a du mal à cacher toutes les petites choses qui le dérangent (parce qu'il est immature, pas transparent) et, même s'il est un être relativement sensible, qui fait attention à ses proches (et uniquement à eux), et bien il ne peut pas tout voir, à moins qu'on ne lui donne un signal très clair (peut-être n'est-il que trop centré sur lui-même aussi et que ça lui prend une claque à la figure pour comprendre... mais passons).

« Oh l'idée me plait ! dit-il en s'aventurant entre les rayons. Il suffit de te trouver quelque chose et je m'accorderai avec les couleurs - c'est toi qui choisis, princesse. Mais par pitié, évite le jaune, ça ne me va pas du tout... »

Pour accompagner ses dires, en passant près d'un chemiser canari, il tire légèrement sur la manche du vêtement en faisant une grimace. Mais que voit-il juste à côté ? La fameuse jupe ! Blanche, légère, arrivant sûrement un peu au-dessus du genou, elle appartiendrait à cette tendance « bohème » que Sungmin n'a jamais connu sur Terre. C'est quelque chose qui inspire la fraicheur, les étés au bord de l'eau et la limonade rose. Il n'y a pas à s'étonner qu'il ait pensé à Anja en la voyant ; c'est ce qu'elle-même lui rappelle. Il prend le vêtement de son cintre, le montre à son amie, la dernière juge.

« Alors ? T'en dis quoi ? Je suis sûr qu'on trouvera un super chemiser pour aller avec ça. Peut-être couleur pastel... À moins que tu veuilles lui donner un look plus formel ? »
Mer 7 Juin 2017 - 3:15
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Tu secoues la tête quand il te propose de filmer, alors que tu tends instinctivement ta main vers ton ventre (comme pour te cacher), mais que tu retiens le mouvement juste à temps. L'idée même envoie une vague d'angoisse se fracasser contre les parois de ton estomac, fais remonter rapidement la nausée le long de ton œsophage, et, pendant une fraction de seconde, tu paniques totalement. Tu reprends ton calme d'une main rapide et ferme, comme tu rattraperais un ballon qui a failli s'envoler, avec l'adrénaline qui t'électrise, le cœur qui se déchaîne un instant. Malgré toi, un sourire éclate sur ton visage à sa blague, plus un souffle qu'un rire - mais c'est déjà ça. Et sans que tu ne puisses réellement le formuler en pensée, tu l'apprécies plus que tu ne pourrais jamais le dire. ‟Loin de moi l'idée d'insinuer que ton magnifique visage n'illuminerait pas un de mes vidéos comme un soleil, mais... J'ai juste - j'ai pas envie de filmer présentement.” Tu te mords la lèvre, parce que tu ne sais pas ce que tu veux dire. Tu n'as pas envie d'expliquer plus, et tu sais qu'il ne te demandera pas d'explications, mais tu n'as pas non plus envie de le laisser totalement dans le noir. Et tu as l'impression que tu vas l'inquiéter, comme ça, et même si l'idée que l'on se soucie de toi te fais toujours plaisir (enfin, surtout si ça vient de quelqu'un que tu aimes), tu n'as pas envie que Sungmin se fasse du mauvais sang. Alors tu lui offres un regard un peu désolé, et un sourire qui l'est un peu plus. ‟C'est mon jour de congé, après tout.” Tu prends bien tous les jours de congé que tu veux, tu fais ton propre horaire, et tu sais qu'il le sait; mais c'est ta façon de lui dire que ça ne va pas, mais que tu veux juste l'oublier. Tu veux l'oublier, cette lourdeur qui te tire sur la peau, qui te tire vers le bas. Alors tu n'en parlera pas; et puis tu en as honte, aussi. Tu ne veux pas qu'il le voit en toi, ce demi-kilogramme. Tu as cette impression qu'il en penserait moins de toi, même si tu sais pertinemment que ce n'est pas le cas.

Tu le suis, des pas et des yeux, alors que vous vous aventurez dans les rayons, alors qu'il t'appelle princesse (et ça te fais très plaisir), et qu'il te donne cet honneur immense de choisir les couleurs de votre futur habit assorti. Tu es contente, tu choisiras quelque chose de mignon, quelque chose de pastel, parce que tu es certaine que les couleurs lui iraient bien. Tu ris quand il tire la chemise canari vers lui et qu'il grimace, de ce petit ricanement qui déploie tout de même ta gorge et fend ton visage en un sourire; tu souris naturellement largement, et ça fait briller tes yeux. ‟C'est noté.” Tu te retournes, un instant, observe vos alentours, comme à la recherche de quelconque vêtement qui te feras oublier que tu es laide. Puis ton attention reviens sur lui lorsqu'il te montre une jupe - la fameuse jupe, tu assumes - et tu aimes immédiatement. Un sourire envahit de nouveau tes traits, et tu ramènes tes mains ensemble dans ton enthousiasme. ‟Elle est trop mignonne, vendu!” Tu ne tends pas la main pour la prendre, il peut bien la transporter. Tu te retournes rapidement, et tu te mets à mener la marche. ‟Oui, je pensais à quelque chose de pastel.” Tu lèves la main et trois doigts dans la direction de Sungmin tout en continuant, ‟Donne moi trois minutes, je te trouve ça.”

Alors que tu cherches le vêtement de ta destinée, les mots de Sungmin te reviennent en tête. Tu prends un moment pour te demander ce qu'il peut bien vouloir te dire, avec un coin d'angoisse qui s'installe dans ta poitrine. Tu essaies de l'écraser en te disant qu'il ne serait pas si joyeux si c'était une mauvaise nouvelle, mais ton angoisse te chuchote à la fois qu'il peut n'être qu'en train d'essayer d'adoucir le choc. Mais il te l'a dit en souriant, ça ne peut pas possiblement être quelque chose de dramatique. Il te l'aurait dit, si c'était dramatique. Il ne te ferait pas attendre. Oh, et puis de toute manière, ça ne te sers à rien d'y penser; ton regard se pose sur le chemisier parfait, un bleu pastel avec un peu de dentelle cousue sur le col qui te charme immédiatement. Tu agrippes le cintre et te retournes vers Sungmin pour lui montrer le vêtement. ‟Alors?” Tu ne t'imagines pas qu'il te refusera, et puis de toute manière, comment pourrait-il possiblement trouver que ça ne va pas? Tu n'es pas amie avec lui parce qu'il a mauvais goût.
Sam 10 Juin 2017 - 20:50
Le silence est parfois plus porteur de sens que les mots. Sungmin essaie d'y faire attention, mais ce n'est pas toujours évident. Il est de cette école qui dit que, si quelque chose ne va pas, il faut l'énoncer. Ne rien dire, c'est accepter son sort, c'est assumer son rôle d'éternelle victime - c'est une faiblesse sans nom. Mais depuis qu'il côtoie Anja, il est confronté à une nouvelle réalité. Son silence n'a rien de lâche - c'est un bouclier, une nécessité. C'est sa manière de communiquer, en prudence, ses soucis. Mais c'est un langage qui lui est encore étranger, qu'il a de la difficulté à saisir. Plus le temps passe, plus il lui semble qu'il a la puce à l'oreille facilement ; remarque comment elle dévie ses questions, les terrains glissants qu'il croit pourtant innocents. Il ne les remarque rarement du premier coup. C'est une accumulation de nuances dans sa voix et sa manière de se tenir qui, au bout du compte, finit par lui indiquer qu'aujourd'hui n'est pas du tout une bonne journée. Confirme ses doutes : il devra se forcer d'être plus heureux pour eux deux, leur faire oublier leurs soucis respectifs. Mais voilà qu'il doute un peu plus de l'activité à laquelle ils s'adonnent. Connaissant la nature de son mal, il ignore si la confronter à son reflet est la meilleure idée qu'ils aient eue. Mais il garde le silence. Se contente de sourire et de hocher la tête lorsqu'elle lui explique que c'est son jour de congé et qu'elle ne veut pas filmer. « Une prochaine fois alors ! »

Retour aux vêtements.  Évidemment, ça lui fait plaisir de voir que la jupe lui plait - énormément même. Il aime deviner les goûts des gens, surtout lorsqu'il s'agit d'Anja. La voir sourire est comme un soleil qui perce entre les nuages - mais plus il pense au silence qui les entoure, plus il lui semble que les nuages sont gris... Allons, allons, il ne doit pas y penser. Ne pas laisser paraître son inquiétude, c'est sans doute la meilleur chose qu'il peut faire. Il reste un peu en retrait alors qu'elle se lance à la recherche du haut parfait pour aller avec le morceau de vêtement blanc. La suit, les mains dans les poches, zieutant avec un intérêt modéré les morceaux exposés autour d'eux. Commence à penser comment il pourrait se trouver un ensemble assorti pastel et blanc - question de se changer les idées, d'oublier le malheur qui semble planer au-dessus de leur tête. Quand elle s'arrête son choix sur le chemisier bleu pastel, il lève son pousse en l'air.

« Parfait. J'adore. Mais il va falloir que je trouve le même bleu maintenant... »

Une légère moue se dessine sur ses lèvres alors qu'il étire la tête pour regarder vers la section des vêtements masculins. Pourquoi a-t-il proposé le pastel déjà ? Ce ne sont pas les teintes les plus populaires de ce côté... Oh, mais on peut trouver de tout dans ce type de magasin, c'est bien vrai - et tant qu'il ne ressemble pas à un flamand rose, ça devrait aller. Reprenant son ton et son maniérisme, il se tourne vers elle et imite son « Donne moi trois minutes ».

Au final, c'est un pantalon bleu qu'il trouve. Découverte un peu étonnante ; il ne s'attendait pas à trouver quelque chose d'aussi extravagant. Mais ce n'est pas ça qui lui fait peur. Avec une chemise blanche (ce qui ne manque définitivement pas ici), il a confiance qu'il saura assumer le look. Mais pour la forme, il lève quand même les yeux vers Anja et montre sa trouvaille.

« Sois honnête. Qu'est-ce que tu en dis ? On devrait essayer ou attendre... ?  »

Il pose cette dernière question un peu plus prudemment, presque hésitant. Veut lui épargner une épreuve qu'il se doute difficile, mais ne veut pas sembler être au courant des troubles qui l'alimentent. Ne pas la rendre inconfortable. Le bonheur, artificiel, est toujours mieux que le malheur.
Dim 18 Juin 2017 - 5:03
shooting stars
Tu souris quand Sungmin approuve ton choix de chemisier, satisfaite. Une partie de toi a hâte de l'essayer; l'autre, tu t'efforces de ne pas y penser. Tu conserves encore l'espoir que ce morceau et la jupe, choisie par Sungmin, te verrons te regarder dans le miroir avec satisfaction. Cet espoir fou que ces simples choses te rendront belle, que c'est en achetant ces vêtements que tu règleras tes problèmes, qu'il ne te suffit que de trouver les bons pour finalement atteindre ton idéal. Comme si quelques bouts de tissus pouvaient te permettre de refouler et détruire deux ans d'injures et d'abus - et toute une vie d'exigence bien trop pointue. Tu t'efforces d'y croire. Même si tu sais que ce n'est pas le cas, même si tu sais qu'encore et toujours tu vas être déçue, que tu n'atteindras jamais ce que tu cherches à atteindre. Pendant ces quelques minutes, celles où tu serre le tissu bleu de ce chemisier, tu y crois, et ça te donne l'impression qu'il y a de l'espoir. Que tout n'est pas perdu. ‟Génial.”

Alors tu suis Sungmin, sagement, silencieusement. Tu jettes un coup d’œil à ton téléphone, juste pour regarder l'heure, pour pouvoir voir s'il le fait vraiment en trois minutes. Tu remarques quelques notifications, mais tu ne t'en soucies pas. Quand tu as dis que cette journée était à vous, tu n'as pas menti; tu es déterminée. Vous ne vous soucierez de rien d'autre aujourd'hui, vous contentant d'être là l'un pour l'autre (surtout lui pour toi) et de faire comme si tout allait bien. Puis, si vous marchez assez longtemps, et que tu ne manges rien ce soir... Tu perdras peut-être ce qui te hante. Tout ira bien. Avec Sungmin à tes côtés, tout ira bien. D'ailleurs, il trouve rapidement (tenant sa promesse) un pantalon bleu pastel, puis une chemise blanche; il se retourne vers toi. Ton regard le parcoure de haut en bas, tes bras croisés sur ta poitrine, puis tu hoches la tête. ‟J'aime. C'est pas tout le monde qui saurait assumer, mais toi, oui.” Tu décroises les bras, tends la main pour qu'il te tende la jupe: ‟On devrait aller essayer ça.” Tu n'attends pas qu'il propose autre chose; tu te diriges immédiatement vers les salles d'essayage. Tu as remarqué, et tu te doutes fortement du pourquoi il a hésité à poser la question. Il veut sans doute te protéger. Mais vous êtes venus ici pour acheter ces vêtements, non? Et vous ne pouvez certainement pas les acheter sans les avoir essayés.

(Puis, il y a toujours cette partie de toi - tu lui donnes beaucoup trop de droits, beaucoup trop d'importance - qui croit que, tout ça, ça te rendra peut-être belle. Que le secret de la beauté, que le secret contre ta maladie est niché entre deux plis, deux fils de ces vêtements. Cette partie de toi que tu refuses de réprimer; dans laquelle tu baignes, si seulement pour avoir ces quelques instants précieux où tu as l'impression qu'il est possible que tu t'en sortes.) Alors tu t'engouffres dans une cabine, armée de blanc et de bleu pastel, et tu tournes le dos au miroir pour te lancer dans la guerre contre ton anorexie - oh, tu sais que tu vas la perdre. Tu fermes les yeux alors que tu enfiles tes potentiels achats, tu sens la boule d'angoisse qui grimpe dans ta gorge, l'appréhension, et pendant un bon trente secondes, tu n'arrives pas à invoquer le courage de te retourner. Tu la sens déjà, ta réflexion, qui te fixe, avec son regard qui brûle un trou dans ta nuque. Sungmin avait raison. Tu n'aurais jamais dû te laisser aller à l'espoir. Alors tu te retournes - par orgueil, pas par désir - et tu ouvres les yeux. La déception t'engouffres et t'englobe, comme une vague, et tu as l'impression que tu vas te noyer; tu es toujours laide. Bien sûr que ça n'allait pas s'arranger. Bien sûr, que la solution n'est pas cachée dans quelques vêtements. Il n'y a rien qui peut réparer ça.

Tu as envie de pleurer, et l'angoisse s'écrase en énormes vague contre tes côtes; tes jambes flageolent. Tu sens ton regard se brouiller, et tu as au moins la décence de jurer contre toi-même alors que tu t'écroules contre le mur de la cabine d'essayage dans un bruit sourd.


Spoiler:
Mer 21 Juin 2017 - 8:06
Une seconde, il hésite. Devrait-il l'arrêter, lui dire « oh je paie tout de suite je suis sûr que ça va aller et si ça ne fait pas on reviendra allons dans une animalerie maintenant » ? Non, il ne le fait pas, s'en défend. Il n'est pas là pour lui dire quoi faire, comment régler ses problèmes, les éviter... Ce serait complètement déplacé. Et probablement que ses conseils seraient fautifs (après tout, qu'en sait-il, concrètement, de ses problèmes ? comment peut-il s'imposer comme la personne appropriée pour lui tendre la main ? ) mais pour une fois, il le sent avec certitude qu'il devrait agir, éviter le danger, la protéger, l'empêcher de se rendre dans cette cabine affronter ses démons. C'est intuitif, c'est fort, et ça le met dans une position inconfortable. Osera-t-il parler... ? Sungmin ne le sera jamais. Elle prend les vêtements sans lui laisser la chance de dire « d'accord » ou « attends ». Dans des circonstances pareilles, on peut dire qu'il s'est retrouvé impuissant face au « destin » ou peu importe ce que c'est. Ça devrait le rassurer, le déculpabiliser un peu, si jamais quelque chose arrive (allons Sungmni tu fais preuve de mauvaise foi pourquoi est-ce quelque chose devrait arriver ?). Or, alors qu'il lance un dernier regard à la porte de la cabine dans laquelle elle s'est enfermée,  il sent un boule d'angoisse se former dans sa gorge.

En une petite minute, il s'est changé et il est déjà hors de sa cabine. Généralement, il serait resté plus longtemps, aurait pris le temps d'admirer son reflet et s'assurer que les vêtements siéent bien à sa taille trop fine pour un homme. Non, malgré sa bonne humeur fictive, il n'arrive pas à pousser la farce aussi loin. Ça le tracasse, ce qu'Anja peut éprouver en ce moment. Pas qu'il ne lui fait pas confiance, pas qu'il la croit faible ou quoi que ce soit... mais il n'arrive pas à se départir de ce mauvais sentiment qui le hante depuis leur rencontre au café - et celui-ci ne fait qu'amplifier alors que les minutes passent et qu'elle ne sort toujours pas.

Il croit entendre un bruit. Non ; il a entendu un bruit. Son cœur se met à battre plus rapidement. Que se passe-t-il ? A-t-elle perdu connaissance ? Si elle n'a rien mangé ce matin ce ne serait pas étonnant (il ne connait pas ses habitudes alimentaires, mais il sait qu'elle n'a certainement pas mangé deux œufs et une tranche de pain grillé comme lui avant de venir ici... ). Mais s'il se trompait ? Il ne faut pas attirer l'attention sur eux sans raison - deux figures connues du public, une histoire pas très belle d'anorexie... non, vaut mieux que cela reste loin des oreilles des petites gens. Il vérifie rapidement qu'aucun vendeur n'est à proximité et s'approche enfin de la cabine. Il cogne, deux petits coups.

« Anja... Tu m'entends ? Tu vas bien ? »

L'angoisse est perceptible dans sa voix ; une modulation qu'il laisse rarement entendre, pour ne pas dire jamais. Mais il s'agit ici de sa meilleure amie qui pourrait avoir de sérieux problèmes - alors il laisse complètement tomber le masque de l'homme d'affaires inébranlable. Ne cache en rien ce qu'il ressent.

Il a peur.
Ven 30 Juin 2017 - 5:45
shooting stars
Tu as mal. C'est la première chose que tu reconnais quand tu reprends tes sens, quelques secondes plus tard; le côté de ta tête te lance affreusement, d'une douleur qui pulse dans tout ton crâne, comme si elle enserrait ton cerveau. Tu t'es cognée contre le mur de la salle d'essayage, ça tu le sais, mais tu ne t'es pas attendue à ce que ça fasse aussi mal que ça. Faiblement, tu tends ta main vers le point central de la douleur, et tu rencontre la texture dégoûtante du sang dans tes cheveux. Tu la connais, il n'y a pas de moyen de se tromper. Et pourtant, toujours étalée au sol, tu porte tes doigts devant ton regard pour voir le rouge qui les tache. Comme si tu avais besoin de te le prouver. Tu lèves les yeux et remarque le coin acéré du banc installé dans la petite salle, celui où tu crois voir une petite tache rouge. Voilà qui explique le tout. C'est à ce moment que tu entends les phalanges de Sungmin contre la porte de ton enfer, qui te demande d'une voix tremblante si tu vas bien. Lentement, tu rassembles tes membres sous toi, et tu pousses de toutes tes maigres forces pour te remettre sur tes pieds. Tu poses une main sur le mur pour te stabiliser, et une autre sur la porte pour l'ouvrir.

Tu te révèles à Sungmin sans les fanfares que tu aurais voulu, quand tu espérais encore. Tu te révèles à lui avec tes jambes toujours un peu tremblantes, tes yeux pleins d'eau, le côté de ta tête où se mêle toujours le sang au rose de tes cheveux. Tu y repenses, d'ailleurs, et y plaque ta main pour empêcher le sang de s'étaler partout. ‟Je suis tombée.” Comme tu n'as jamais la force de dire les vrais mots. Comme tu sais qu'il comprendra, parce qu'il sait, même si tu n'as jamais le courage de dire les choses. Et tu te tiens devant lui, avec son regard inquiet, et tu as très envie de pleurer. Tu ne voulais pas qu'il te voie comme ça. Tu ne voulais pas gâcher cette journée qui devait vous servir à se changer les idées. Mais tu as été stupide, toi et tes émotions en bordel, et vous voilà. Tu te détestes d'être comme ça. Tu te détestes de ne jamais écouter la raison, de ne pas te nourrir, de vouloir mourir parce que tu as pris un demi-kilogramme. Un demi-kilogramme, bordel! Ce n'est rien! Et puis, de toute manière, tu devrais vouloir prendre tu poids, tu t'es vue? Avec tous tes os qui s'affichent parce que tu ne sais pas les recouvrir de chair. Mais ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Tu es prise dans ce trou sans la capacité de t'en sortir, sans la capacité de construire quoi que ce soit te permettant de t'échapper. Et tu te détestes de manquer de force, autant que tu te sens forte quand tu réussis à renier le besoin le plus primal des hommes.

Tu lèves tes yeux larmoyants vers Sungmin. Tu as très envie de fuir, et de t'étaler dans ses bras, et de pleurer. Mais tu ne fais rien de tout ça. Plutôt, tu lui offres un sourire navré. ‟Désolée.” Que tu lances, parce que tu l'es. Tu es désolée d'être comme ça. De savoir qu'il aurait pu avoir une sortie normale, acheter des vêtements, puis repartir tranquillement, si tu étais quiconque d'autre. Si tu n'avais pas cette bête (toi-même) qui te dévorais les entrailles comme la faim. Et tu te rétractes à l'intérieur de toi-même; tu aimerais te dire que c'est pour le protéger, lui, mais tu sais que c'est ton mécanisme de défense. Tu ne sais pas être sincère dans ces instants, c'est trop douloureux, et puis, vous êtes en public. Tu n'as pas le loisir de faire n'importe quoi. Alors tu te contentes de tenir la lésion sur ta tête du bout des doigts, et de sourire. ‟Ça va, t'inquiètes pas. Je suis habituée.” Ça n'est absolument pas un mensonge. T'évanouir, ça fait pratiquement partie de ton quotidien. Tu ne te souviens pas quand ça a commencé, sûrement dans les débuts de ta maladie. Mais même ça, tu as de la difficulté à le définir. Tu ne cherches pas vraiment à le faire. Le problème, présentement, c'est que tu saignes, et que ta tête te fais toujours affreusement mal. ‟Je vais juste me changer, puis on pourra aller payer.” Et tu lui tournes le dos pour retourner dans la cabine d'essayage, sans jamais poser un seul regard sur le miroir.
Mer 5 Juil 2017 - 22:57
Ça lui fait mal. Pourtant, c'est pas le genre de douleur dont il a l'habitude ; gamin, il s'est déjà coupé par accident avec un objet tranchant (ne se rappelle même plus l'histoire, n'a que la cicatrice à l'intérieur de la paume de sa main) puis s'est même cassé un bras en faisant une mauvaise chute adolescent. Mais ça, c'est plus sournois. C'est présent, Sungmin le sent bien : ce mal vit et se débat en lui - mais il ne s'agit pas du genre de blessure qu'on peut pointer du doigt en pleurant sa mère et calmer avec une dose de morphine. Ça le prend aux trippes et ça lui donne l'impression de ne plus rien contrôler. Les deux qui se balancent au-dessus du vide. Quoi faire ? Il l'ignore, il est paralysé par cette douleur qui se propage à partir des yeux larmoyants d'Anja. Et là voilà, la source de ses maux, elle est là, juste en face de lui avec ses cheveux roses rougis par le sang - mais pour rien au monde il s'en amputerait.

Si elle souffre, il souffre, c'est aussi simple que cela. Jamais il n'a demandé cette symbiose (s'en serait bien passé, honnêtement, être profondément égoïste qu'il est), mais le voilà devant le fait accompli. Depuis quand leur lien est devenu si profond ? La question n'est plus d'actualité. La seule qui s'impose, c'est « que faire alors ? ». Ça ne peut plus durer, cette douleur, il a l'impression d'imploser. Mais se séparer d'elle n'est pas une option ; il la refuse, n'y songe même pas (ses pires cauchemars ne sauraient concevoir sa vie sans Anja). Et c'est alors que la réalité le frappe. Il n'a plus le choix (ne l'a jamais eu) : il doit être le plus fort. Pour elle, pour lui, pour eux deux.

Alors il ferme brièvement les yeux et détourne le visage en inspirant longuement. Ravale cette boule d'émotion qui l'étouffe et sert les dents. « D'accord » dit-il à contrecœur. Et ses yeux autrefois mouillés ne traduisent plus qu'une gravité étrangère chez lui.

Et déterminé, il retourne dans sa propre cabine d'essayage, réenfile ses vêtements en vitesse et ressort dans le temps de le dire. Ses nouveaux habits (dont il n'a même pas eu le temps d'apprécier ou de déprécier) sous le bras, il se met à scanner rapidement l'intérieur du magasin. C'est alors qu'il tombe sur ce qu'il cherche : un chapeau noir à rebords larges. Il jette un dernier regard vers la cabine d'Anja, s'assure qu'elle n'est pas encore sortie, et s'empresse de passer à la caisse. En quelques mots, il dit à la vendeuse qu'il va également payer pour le chemisier et la jupe d'Anja (cadeau ou cadeau empoisonné, il l'ignore, il veut seulement sortir d'ici au plus vite). La facture réglée, il retourne en direction des salles d'essayage et attend patiemment qu'elle sorte, le chapeau à la main.

Dommage pour leur sortie en toute légèreté, mais il n'a plus le coeur à faire semblant - du moins, dans l'immédiat. Probablement que cela changera, quand il s'assurera qu'Anja bien (aussi bien que possible en fait). Après, ils recommenceront à rire et à contempler le monde de haut. Mais pour l'instant, ils doivent s'ancrer à la réalité et se débrouiller avec elle, aussi moche soit-elle - car les étoiles filantes ne brillent qu'une seconde avant de se désintégrer dans l'atmosphère : il entretient le rêve le conserver cette lumière aussi longtemps qu'il le pourra, l'enfermera dans un pot de verre comme les lucioles qui apparaissent aux premières heures d'obscurité.

Lorsqu'elle sort, il lui tend mécaniquement quelques mouchoirs. « Pour ta tête » fait-il en la pointant du menton. « On va s'arrêter dans une pharmacie acheter un bandage et du désinfectant, d'accord ? Après on verra ce qu'on va faire. »


Spoiler:
Mer 23 Aoû 2017 - 4:31
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Tu te changes les yeux fermés, comme si ce que tu ne vois pas n'existais pas. Tu trébuches et manque de t'écrouler de nouveau parce que tu as la tête qui tourne et tu n'as pas l'équilibre nécessaire pour t'orienter sans voir. Mais tu te retiens contre le mur, et tu refuses d'ouvrir les yeux - parce que tu sais que dans ta périphérie, aussi floue soit-elle, tu sauras voir l'ombre de ton échec (là où tu aurais dû devenir belle, à un moment ou à un autre) et que tu ne peux pas accepter ça. Le miroir sur le mur de la cabine comme un démon, près à te dévorer dès l'instant où tu dévoileras ton regard. Alors par peur, par orgueil, tu ne le fais pas. Et quand tu finis finalement de te changer, tu agrippes le chemisier et la jupe qui ont échoués à te rendre belle, et tu pousses la porte de la cabine pour enfermer les crocs de ton espoir derrière toi. Tu t'adosses au mur, les bras serrés autour de toi-même, et tu attends.
Et Sungmin revient, armé de sacs et d'un chapeau, comme ton chevalier en armure. Tu attrapes les mouchoirs qu'il te tend, t'en servant pour nettoyer un peu du sang tachant toujours tes cheveux (pas pour les larmes au coin de tes yeux, puisque les essuyer reviendrait à t'avouer qu'elles existent). Tu t'accroches à l'habitude, à ces actions systématiques que tu sais prendre lorsque tu t'écroules ainsi, tout autant que tu t'accroches à Sungmin pour garder la tête hors de l'eau. Une fois que tu juges avoir fait ce que tu pouvais pour le sang dans tes cheveux, tu visses le chapeau sur ta tête pour te donner l'impression de garder un peu de dignité. ‟Pas besoin de tout ça. Je vais juste aller me nettoyer à la salle de bain, ça ne sert à rien de mettre un bandage, ça va arrêter de saigner bientôt.” Acheter de quoi s'occuper de ta blessure, c'est admettre qu'elle y est. C'est abandonner l'idée de l'ignorer, comme tu ignores toutes les autres choses qui te tordent de douleur. ‟Le chapeau suffira.”
À défaut d'avoir quoi que ce soit pour colmater ton désespoir, tu parviendras bien à cacher ton incompétence.

Sans attendre, tu te diriges vers la salle de bain la plus proche. Tu t'y engouffres et prends place devant un des lavabos, retirant le chapeau et observant l'étendue des dégâts.
Ça pisse le sang, une blessure à la tête, et ça tu le sais. Et pourtant tu serres les dents quand tu vois ton état, et quand tu sens tes jambes trembler. Tu n'as pas perdu une quantité phénoménale de sang, mais anémie rime avec anorexie, et avec ta santé quelconque perte de sang est potentiellement une situation de crise. Sauf que ça, tu t'acharnes à l'ignorer (parce que si tu reconnaissais tous les problèmes que ta maladie t'apporte, tu ne sortirais jamais de chez toi). Et tu t'acharnes toujours à tout faire toi-même. Parce que si tu vas mieux, tu pourras donner à Sungmin cette journée qu'il mérite.

Sauf qu'avant même que tu t'appliques à nettoyer tes cheveux, ta vision se brouille et tes jambes flanchent. Tu n'es pas inconsciente longtemps - quelques secondes, tout au plus. Alors tu essaies de te lever à nouveau, avec ton cerveau qui pulse dans le fond de ton crâne de s'être de nouveau fracassé contre ses parois, et de rassembler toutes tes maigres forces. Il faudrait que tu aies quelque chose à quoi t'accrocher, te hisser jusque sur tes pieds de nouveau - alors tu rampes jusqu'au comptoir et tu te tires vers le haut. Tu n'arrives pas à te tenir totalement debout, alors tu es à moitié écroulée sur le comptoir, et tu tends la main pour tourner la poignée du lavabo et faire ce pour quoi tu es venue ici. Tu vas nettoyer ta blessure, tu vas remettre le chapeau et tu vas ressortir d'ici la tête haute, et tu vas donner à Sungmin ce qu'il mérite. Une toi qui sait s'occuper d'elle même, et qui ne ruinera pas votre journée.
Ça saigne à mesure que tu t'appliques à nettoyer tes cheveux - tu n'avances pas vraiment. Et tu fais des taches sur le comptoir, sur le miroir, et tu mets de l'eau partout avec tes gestes tremblants parce que tu continues de perdre du sang, petite idiote, et que tu te refuses toujours de demander de l'aide - parce que ce serait avouer que ta normalité n'est pas atteignable. Est-ce ton orgueil, Anja, qui te tueras? Parce qu'il ne te sauveras certainement pas.

Tu essaies de stabiliser ta posture, tu mets un pied dans l'eau, et tu glisses sans avoir la force de te retenir. À nouveau, tu es à terre. Et, cette fois, tu n'arrives pas à te relever.
Pourquoi tu ruines toujours tout? Pourquoi tu n'as pas simplement accepté son aide, comme une personne normale? Sungmin est ton ami, et c'est à ça que ça sert, des amis. Mais te voilà, à essayer de vaincre tes démons sur le dos d'un orgueil qui les a créé dès le départ. Et maintenant tu en paies le prix. Et tu pleures, Anja, comme la petite fille faible et pathétique que tu es. Et tu as peur, comme la première fois que tu n'as pas réussi à te relever, quand tu as réalisé que tu allais mourir. Parce que tu te rappelles que tu vas mourir. Et, comme la première fois, tu appelles à l'aide. Tu t'essaies à ce que ta voix ne soit ni brisée, ni paniquée, mais ça ne fonctionne pas vraiment. ‟Sungmin!” Comme tu aurais dû le faire dès le départ.
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