Sam 26 Aoû 2017 - 20:53
Ces mots frappent contre les parois de sa tête. Mais il reste muet, Sungmin, muet comme une tombe et tout aussi immobile. Tout son sang s'étant comme retiré de son corps. Plus mort que vif, blanc comme un drap. Et il voudrait bien faire quelque chose, en la voyant au sol, dans la salle de bain. L'eau partout, souillée. Et Anja au milieu. Anja pleurant. Anja tremblant.
Il n'aurait jamais du la laisser aller.
Quand elle est partie, son chapeau sur la tête, pourquoi ne l'a-t-il pas retenue ? Dieu sait à quel point il a eu envie, une seconde, de saisir son bras et l'empêcher de faire un pas de plus. La faire reculer aussi, peut-être, et tenter, enfin, de la ramener sur terre (tu ne vas pas bien Anja, il faut te soigner et pas que ta blessure à la tête, j't'en prie, écoute moi pour une fois que ce que j'ai à te dire est important, j'essaie de t'aider mais tout ça c'est au-dessus de mes moyens, alors fais un effort pour moi si ce n'est pas pour toi). Il aurait du, oui, la secouer un peu, forcer sa tête à sortir du sable. Mais il n'a rien fait, évidemment, parce que Sungmin n'ose pas, parce que lui-même préfère faire l'autruche, voiler ses yeux plutôt que de voir la réalité en face. C'est tellement plus facile rêver que leur journée se poursuivra sans soucis, qu'il recommencerons à rire et à sourire, comme des gamins qui se seraient écorché les genoux avant de reprendre leur jeu. C'est tellement plus facile que de se dire « Sungmin, sois un homme ; occupe toi d'elle ; tu es responsable d'elle » .
Et c'est probablement faux (ou en tout cas, pas vrai dans l'absolu) ; ce n'Est pas à lui que revient la tâche de veiller sur elle, de s'assurer qu'elle s'occupe bien d'elle-même - mais merde, dans la situation, il semble évident qu'il est le seul à pouvoir agir ; le seul assez fort pour porter un poids supplémentaire sur ses épaules. Ça lui déplait, ça lui fait serrer les dents et les poings - et il est tenté, une seconde, de fuir, d'abandonner Anja et ses foutus problèmes, Anja et la mort qui la ronge ; il ferait son deuil plus tôt et au diable cette pauvre fille ! la prochaine fois qu'il la verrait, ce serait dans la rubrique nécrologie et il ne pleurerait pas, se l'interdirait.
Mais il ne peut pas faire ça. Il ne peut pas la laisser. Il a peur. Peur de se retrouver seul, peur de la perdre, peur du vide qu'elle laisserait derrière elle - et tout ça, il le réalise lorsqu'il entend son nom, une plainte, derrière la porte.
(depuis quand tient-il autant à elle ? )
Un pas à la fois, Sungmin entre dans la pièce, prudent pour ne pas glisser et tomber à son tour. Il a l'air calme, mais il tremble au fond de lui-même (a décidé, encore une fois, de ne rien montrer, pour le bien d'Anja, toujours pour la protéger, elle ; qu'il ne se mente pas, c'est ce qu'il a toujours fait, que ce soit ces journées passées chez elle ou chez lui, ou tous les cadeaux qu'il lui a offert sans compter ; croyant se bercer dans les mêmes illusions qu'elle, en jouant à son propre jeu). Mais peut-être que c'es l'eau qui se mélange au sang, peut-être que c'est voir cette petite créature frêle, trempée, un oisillon blessé, mais son masque ne tient pas.
« Merde, Anja… »
N'a pas pu retenir cette pointe de déception dans sa voix, tournée vers elle, vers lui, ça n'importe plus. Il est là, devant le fait accompli, et il y a tellement de choses qui auraient pu se passer différemment - regrette tellement - mais ça aurait pu être pire, tellement pire, elle aurait pu s'évanouir encore, ne pas l'appeler, et il aurait attendu, comme un con, pendant qu'elle serait en train de crever sur le plancher froid d'une toilette publique et putain « pourquoi tu m'as pas écouté ? » Pourquoi, oui, pourquoi a-t-il fallu qu'elle en fasse à sa tête, qu'elle lui assure que tout allait bien aller, qu'elle pouvait se débrouiller, alors qu'il connaissait la vérité et qu'il savait, pertinemment, qu'elle ne pourrait pas, non, elle n'a jamais pu s'occuper d'elle-même. Et pourquoi ça lui retombe dessus ?
Allons, Sungmin, ce n'est pas le moment de se fâcher - les tremblements dans son cœur se sont changé en secousses violentes et il voudrait les étouffer comme un étouffe un feu, mais cette fois-ci, les mots s'échappent de sa bouche : « Imbécile. À quoi t'as pensé ? Tu pourrais crever ! »
Et il tombe sur ses genoux, tout près d'elle. Cet éclat, il le regrettera sûrement plus tard, mais pour le moment, il a eu l'avantage de le calmer, juste assez pour retrouver la raison ; ce n'est pas le moment de se laisser aller à l'émotion - il faut s'occuper d'elle (encore). Il sort d'autres mouchoirs pour éponger la blessure - non, les blessures. Mais il doit rapidement se rendre compte qu'il ne peut rien faire pour elle ; il est pas médecin, il sait pas comment arrêter de faire saigner une tête, ne sait pas si c'est aussi dangereux que c'est sanglant. Alors il sort son téléphone et s'empresse d'appeler les services d'urgence.
Dans un autre cas, probablement qu'il aurait été désolé d'avoir à recouvrir à cette solution.
Mais cette fois, il refuse de se voiler la face.
Anja a des problèmes.
Et ce n'est pas lui qui pourra la sauver seul.