Tu ne te souviens pas vraiment des dernières semaines. Tout se perd, puisque tu as tout perdu. Tout n'est qu'un flou de douleur, de pensées auxquelles tu ne sais même plus assigner de sens, de la monotonie de ton travail et pourtant de ton assiduité, toujours. Tu as tout perdu, mais dans la coquille vide de tes os restent encore gravés ces actions que tu as posées tant de fois. Tu n'as plus rien à faire des apparences, et pourtant tu les conserve. Comme si dans le plus profond de ton crâne était gravé cet ordre, de ne jamais montrer à personne que tu souffres sauf ceux à qui tu veux faire le plus mal. Ceux que tu as échoué. Ceux qui méritent de monter immédiatement au paradis avant de même pouvoir te voir et être tachés plus noir que l'enfer par ta présence. Tu croyais avoir conservé une chose, une seule dans ta vie. Tu croyais n'être un échec que d'une seule, si monumentale façon. Il ne reste plus rien de toi. Tu ne désignerais pas tes regrets comme 'quelque chose'. Tu t'es fracassé, comme tu as fracassé tant de choses, en tellement de petits morceaux qu'on ne pourra jamais te réparer. Si tu le pouvais, tu ramperais plutôt que de marcher - tu ne mérites pas de t'approcher du ciel plus hautement qu'au ras du sol. Tu ne mérites pas de porter tes épaules. De soulever ta tête.
Tu conserves les apparences, parce qu'elles ne valent rien.
Ton appartement est rempli d'objet fracassés que tu as mal rapiécés. Juste pour tenir le désordre à distance. Juste pour conserver une illusion d'ordre. Tout a l'air normal, mais il suffit de doucement pousser la bibliothèque pour la voir s'écrouler. Il ne te reste que deux verres intacts. Tu as posé quelques livres sur ton bureau pour cacher les taches d'encre. Tu as renié les draps blanc, puisque tu n'arrives plus à les laver du sang de tes mains. En entrant, tout a l'air à sa place. Seul toi connaît l'état réel des choses. Personne ne doit savoir qu'il ne reste plus rien que toi, puisque tu dois souffrir en silence. Tes mots n'ont jamais que ruinés plus de choses encore.
Tu es à l'atelier lorsque ton téléphone sonne. Tu ne reconnais pas le numéro qui s'affiche, et t'apprêtes donc à le reposer. Puis, une pensée traverse ton crâne comme une balle, et tu réponds. La voix de l'autre côté fait trembler tes mains. Tu raccroches, poses tes outils, et sort de l'atelier à la course, sans penser à oublier de verrouiller la porte derrière toi. Tu cours jusqu'à ton appartement, tu cours et tu t'y jettes sans plus attendre - tu te changes et puis tu retournes à la cuisine t'asseoir à la table. Tu poses tes mains tremblantes sur la table, et tu attends.
Quand on sonne à la porte, tu t'élances sans avoir la présence d'esprit de conserver quelconque prestance. Tu ouvres, et dévoiles ton cadet devant toi.
Димитрий.
Tu as oublié de cacher la bouteille de vodka qui trône sur le comptoir de la cuisine. Tu en as encore les relents dans le fond de la gorge, couplés avec la nausée qui ne te quitte plus depuis un moment. Tu fais un pas de côté, pour inviter Димитрий à entrer là où personne ne peut deviner que tu es le pire des démons. Avec tes meubles abîmés à l'air pourtant parfaitement fonctionnels. Tu as quelque chose de coincé dans la gorge (une lame), alors tu attends que ton cadet se prononce en premier. De toute manière, tu n'as plus le droit de lui parler sans qu'il ne s'adresse à toi en premier.