— Je suis sûr que tu n’es même pas capable de le faire.
— Mais… ma maman me dit qu’on ne peut pas faire ça, répondit un garçonnet.
— T’es une poule mouillée, Trey. Une vraie poule mouillée railla le premier. Et je ne deviendrais jamais ami avec une poule mouillée.
Le garçon juste en face de Trey se nomme Hudson. Haut de ses un mètre vingt, le garçon se vantait d’être le plus grand de son âge. Hudson avait un père banquier et une mère tisserande. Tous deux gagnaient suffisamment d’argent pour vivre dans un appartement au rez-de-chaussée. Devenir ami avec Hudson, c’est se faire accepter de tous les garçons du quartier. Il était le chef de la bande, celui qui décide qui attaquer ou qui laisser tranquille.
À côté de Hudson se tint son second, Earl, un autre enfant de leur âge. Ce dernier ne sourit jamais et ne dit pas un seul mot. Il croisait toujours les bras, intimidant ceux qui contredisaient Hudson. Tout le monde dans le quartier savait que le père d’Earl avait dû quitter la ville pour trouver du travail, mais il n’était jamais revenu. En conséquence, sa mère subvenait au foyer en travaillant dans la rue en tant que femme de joie. C’était peut-être pour ça qu’Earl ne souriait jamais.
— Laisse-le venir pour une fois, intervint Earl.
— Non, Earl. Il doit prouver qu’il peut faire partie des nôtres. Et pour cela…
Hudson posa sa main sur son menton et réfléchit rapidement. Il pivota sur lui-même en passant d’une idée à une autre. Son attention se porta sur une vieille devanture à la peinture écaillée avec le temps. Une idée lui vint à l’esprit.
— Tu n’as qu’à rentrer chez le vieux fou de Reynold.
— Que… comment !? s'exclamèrent les deux autres garçons, étonnés.
— Tu n’es pas sérieux, reprit Earl, inhabituellement loquace.
— Si. Tu rentres dedans. Tu t’approches du comptoir et tu comptes jusqu’à dix. Et je t’accepterais sans problème de la bande.
Trey grimaça nerveusement en serrant les pans de sa veste. Puis, il déglutit en se disant qu’il n’eut rien à perdre. Sans plus attendre, il s’approcha de la porte d’entrée sous les protestations d’Earl. Le tintement d’une clochette annonça son entrée. Trey s’immobilisa, pétrifié. Il attendit quelques secondes avant de constater l’absence du propriétaire.
Le garçonnet soupira de soulagement.
Il regarda derrière lui et vit deux pairs d’yeux tout aussi inquiets que lui. S’assurant de leur attention, il s’approcha lentement vers le comptoir. Sous les tic-tac des horloges, le parquet grinça timidement. Il s’arrêta devant le meuble et posa sa main dessus. Puis, il commença à compter.
1... 2... 3... 4... 5... 6... 7...
Une main se posa implacablement sur la sienne.
Trey fit un bon et leva la tête vers l’individu. Au début, il constata un corps vêtu d’un veston bleu au-dessus d’une chemise. Puis, son regard se porta vers un homme aux cheveux blancs, mi-longs. Ses iris rosés le fusillèrent sévèrement.
Le cœur battant, Trey recula et parvint à s’échapper de la prise. Il courut comme si sa vie en dépendait vers la sortie. Il claqua la porte sous les jurons d’une voix juvénile.
Le trio courut le long de l’avenue bondée et s’arrêta dans une petite ruelle, le souffle court, le cœur battant.
— J’ai réussi ? J’étais jusqu’au comptoir.
— Ce n’était pas le vieux Reynold, annonça Earl.