La besace lourdement chargée pèse sur ton épaule valide. Toi qui avait l’habitude de porter et supporter absolument tout du côté de ta prothèse, tu t’abstiens pour un temps afin de ménager la mécanique nouvellement montée, bancale et encore dégingandée qui te sert à nouveau de bras gauche. Il te manque encore certaines pièces, quelques éléments à tordre, fabriquer, des pièces à souder qui laissent quelques portions à nu, révélant les amas de fils qu’elles devraient dissimuler au public. La bande de tissu grossier enroulée autour de ton avant-bras a connu des jours meilleurs, mais fait son office, le temps de finir ce long travail de fourmi pour retrouver un membre complet et fonctionnel, non un qui te rappelle à chaque tiraillement douloureux dans le torse que tu dois mieux régler la connectique de tes nerfs artificiels. Le cliquetis qui s’échappe de ton paquetage rythme chacun de tes pas, trahissant une nouvelle provision de déchets de carrosserie et d’autres reliquats métalliques que tu es allé glaner depuis l’extérieur de la ville –la décharge, disons-le-, jusque dans plusieurs recels plus ou moins connus en banlieue. Te voilà redevenu un temps vagabond, de course louche en ballade nocturne allongée pour piller, marchander ou juste rabioter de quoi survivre. Une habitude.
Tu rentres dans tes quartiers en baillant beaucoup trop, plus prêt à céder à quelques heures de sommeil pour rattraper la nuit blanche précédente qu’à augurer la suivante penché sur ton échoppe à t’abimer les yeux. La porte n’est jamais fermée, mais le battant n’est pas enclenché pour cette fois. Le détail te ramène soudainement en alerte, et tu le pousse lentement en espérant voir un gisant, un client ou même Junji. Plutôt Junji, au vu de l'aide dont tu ferais encore bon usage. Les derniers événements t’on rendu encore plus paranoïaque, plus encore envers la diaspora dont sont issus tes agresseurs. La silhouette trapue qui observe les anciennes pièces sur la table ne t’es pas familière et si tu commençais à t’approcher à pas de loup, dès que son profil asiatique se détache dans ton champ de vision, tu en oublie la contenance et la prudence. Un des leurs. D’un bond, d’un geste, tu l’attrape par l’épaule d’un côté valide, avant de refermer une main squelettique et métallique autour de sa gorge sans aucune forme de compassion. Tu le dépasse d’une très courte tête, et de quelques années, mais cela ne t’inspire pas la moindre pitié. Son ethnie, encore moins, vu que seuls leurs clans peuvent connaître ton adresse. Tu serres. « Donne-moi une bonne raison de ne pas te tuer, Iwasaki. »