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La voie de la paix - PV Anna Lefevre

Ven 10 Fév 2017 - 21:42
Tobias n'avait encore jamais mis les pieds au Spencer's. L'Autrichien avait toujours préféré fréquenter les petites boutiques, reliquats d'artisanat, plutôt que de s'engouffrer au sein d'un supermarché au fonctionnement bien trop moderne pour lui. Toutefois il ne pouvait reculer indéfiniment. Non pas qu'il irait y mener ses courses dans un des lieux de pouvoir des Opportunistes – depuis qu'il avait trouvé ses aises au sein de la zone agricole, Tobias possédait plus d'une ressource pour pouvoir subvenir à ses besoins. Non si ses pas le menaient au Spencer's aujourd'hui c'était dans un but bien plus noble qu'un simple plaisir égoïste. Il allait se rapprocher de ce public à qui il allait tenter, aussi vainement que possible, de faire changer d'avis au sujet des conflits de diasporas.

Les portes électrisées, panneaux de verre s'ouvrant en marchant à leur rencontre, le laissèrent pantois quelques instants. Figés devant ce prodige, Tobias ne vit pas les regards interloqués lancés par les passants, certains faisant un pas de côté pour l'éviter comme s'il était porteur d'une quelconque germe. L'Autrichien finit par avancer, un brin décontenancé par cette technologie, se raccrochant à la vieille écharpe qui lui ceinturait le col.

Marchant à petits pas, Tobias jetait des coups d’œil hagards à cet environnement qui lui semblait trop aseptisé. Seuls les commerces bordant la gigantesque allée offraient un peu de couleur. Rien de tout cela n'avait le charme d'une ruelle commerçante, tortueuse et pavée, flanquée de ses petites boutiques chiches. Tobias secoua la tête comme un chien se secoue les puces – il devait se reprendre, se recentrer sur son objectif.

Sortant une liasse de papiers sous sa veste, Tobias se positionna au centre de l'allée, tâchant de se rendre aussi visible que possible. Personne ne devait l'ignorer. L'homme inspira longuement avant de clamer, avec la même harangue qu'une poissonnière met dans sa voix pour vendre la prise du jour.

« En avez-vous assez de ces conflits qui font flamber la ville ? En avez-vous assez de devoir cacher votre appartenance à une diaspora à vos proches ? Nous en avons tous assez ! Tous, sans exception ! Ces diasporas ne sont là que pour nous diviser et nous éloigner de notre véritable objectif : vivre ensemble et en paix. Quels que soient nos origines, notre identité... »

Le papier bruissa dans sa main alors qu'il tendait le bras en l'air.

« Rejoignez-moi ! J'ai choisi la voie de vivre hors des diasporas. Je souhaite le meilleur pour cette ville. À plusieurs nous pourrons déplacer les montagnes ! »

Personne ne semblait se ranger à cette idée. Une vieille dame accepta de prendre un feuillet mais, à son regard, Tobias comprit que c'était plus par bonté désintéressée que par envie de rallier un quelconque partie. Seul au sein de cette foule qui le regardait avec des yeux ronds, ou l'ignorait superbement, Tobias se sentait perdu. Son regard quêta un miroir qui ferait écho à sa voie, quelqu'un qui penserait comme lui mais n'oserait pas prononcer les mots, taisant tout bas ce qu'il pensait tout haut.

Il y avait un petit café, coincé entre deux boutiques de vêtement. Tobias s'y élança comme si se trouvait sa bouée de salut, les feuilles froissées au sein de sa poigne.

« Quelqu'un ne veut-il donc pas la paix ici ? »
Sam 18 Fév 2017 - 15:51
Le temps ne m'a jamais paru aussi long qu'aujourd'hui. Appuyée contre un mur, les bras croisés sur la poitrine, je jette un œil à ma montre peut-être pour la centième fois depuis le début de ma journée. Et je vois ces aiguilles ridicules me narguer alors qu'elles marquent les secondes en émettant ce petit «clic» exaspérant. L'heure de la pause ne va pas tarder pour moi, du moins je l'espère. J’aperçois ma responsable me lancer ce regard que je lui connais si bien, à quoi je réponds par un petit sourire coupable avant de repartir entre les rayons.

C'est mon quatrième jour ici et je suis loin d'avoir fait bonne impression jusqu'à présent. Je le vois aux mimiques de mes collègues, au regard fuyant de mes clients et à l'agacement non dissimulé de ma supérieure. Ce n'est pas étonnant au vu de mes performances de cette semaine. Hier fut encore une de ces soirées où ma tête se retrouve aussi vide que mon porte-monnaie. Quand je me suis levée ce matin, j'avais encore mes chaussures aux pieds et le reste d'une addition collée sur la joue. Ça aurait été la première fois, je me serais sûrement ruée jusqu'à mon lieu de travail avec la chemise sortie de mon tailleur et ma brosse à dents à la bouche… Mais ce n'est pas la première fois, ce qui fait que chaque matin, je dois essuyer les remontrances de mon chef.
La seule chose qui diffère aujourd'hui, c'est que je peine à encaisser les litres d'alcool ingurgités la veille. Je ne pensais pas que perchée sur mes talons de vendeuse bidon de prêt-à-porter, il était possible d'avoir des vertiges. J'ai l'impression que deux mètres me séparent du sol… Plus pour très longtemps, j'en ai bien peur, car les loopings dans ma tête ne cessent de s'intensifier. La pause s'impose à moi. Je me dirige vers les toilettes du personnel et pour la première fois, j'arrive à passer outre les odeurs d'urine et à profiter pleinement du silence qui y règne. Je détache les agrafes de ma jupe crayon et je me débarrasse de cette veste que je pends négligemment à la poignée d'une porte. Retrouvant peu à peu mon équilibre, je savoure ces quelques minutes où je ne sens plus ce costume étreindre ma taille. Puis je m'appuie contre la rangée de lavabos et bataille pour enlever ces escarpins que je soupçonne être la création du diable lui-même.

« Chaussures de m... »


Au même moment, j'entends à l’extérieur des voix s'élever, mais je n'arrive à en deviner la raison. Aurais-je encore fait une bourde sans même m'en rendre compte ? Partagée entre rester cacher dans les toilettes et sortir d'ici pour voir de quoi il en retourne, je décide finalement de chausser mes baskets et de quitter ma planque, quoique un peu incertaine de ma décision.
Je rejoins le petit rassemblement de personnes qui s'était formé à l'entrée du magasin et en me rapprochant, j'entends plus clairement les petits rires moqueurs et messes basses des vendeuses. Tous leurs regards étaient dirigés sur une seule personne.

« En avez-vous assez de devoir cacher votre appartenance à une diaspora à vos proches ?  »

Notre supérieure vint disperser la foule et ordonna aux employés de retourner à leur poste. Il était temps pour moi de disparaître. Si elle me surprenait avec cette tenue, j'avais toutes les chances de perdre mon poste. Dans le chaos général, je réussis à me faufiler hors de la boutique et à rejoindre les personnes affluant dans les allées principales du centre commercial. Mon escapade accomplit avec succès, je marche d'un pas léger jusqu'au café non loin de là. Rien que les senteurs qui s'en échappent me donnent des palpitations de joie. Je m'installe à une table un peu isolée des autres, et observant de manière passive les gens défilant devant moi, mon attention se porte de nouveau sur l'homme qui, quelques minutes plus tôt, avait laissé tout le monde pantois.

« Rejoignez-moi ! J'ai choisi la voie de vivre hors des diasporas. Je souhaite le meilleur pour cette ville. »

Il est rare de voir des gens venir au Spencer's ayant assez courage pour tenir ce genre de discours. Après tout, c'est un endroit où circule une grande diversité de diasporas, et qui plus est, il a été construit par l'une d'entre elles. Dans un sens, c'est un peu chez eux ici et nous indépendants, nous y sommes juste invités. C'est comme aller dans un repère à gangster pour venir prêcher la bonne parole, ça n'a aucun sens. Je ne sais pas encore si je dois qualifier son acte d'héroïque ou de simplement suicidaire… Mais j'admets qu'il a beaucoup d'audace et je ne peux pas m'empêcher d'en sourire. Qui aurait cru qu'un homme de sa carrure pouvait avoir une voix qui porte autant…
Ma gaieté a vite fait de disparaître lorsque je comprends qu'il se dirige maintenant en ma direction. Son enthousiasme me fait bien trop peur pour que j'arrive à rester tranquille. Je l'observe, les yeux écarquillés, prête à fuir à tous moment.

« Quelqu'un ne veut-il donc pas la paix ici ? »

La phrase avait éclaté tel un obus et avait mis fin à toutes les conversations autour de nous. Je pense que personne ne s'y attendait, car un silence presque morbide s'installa. Je commence à voir des têtes se tourner vers nous et des gens un peu trop curieux s'arrêter sur leur chemin. Dans un élan de survie, je l'attrape par le bras et l'incite à s'asseoir, plus de force que de gré, sur la chaise en face de moi. Sur le moment, je ne trouve rien d'autre à lui dire que :

« Oui, j'adore la paix ! Asseyez-vous maintenant ! »


Mais je sens bien que cette phrase n'a pas beaucoup de sens. Je vois le serveur s'approcher de nous et avant qu'il ne puisse poser une seule question, je commande deux cafés doubles avec en prime mon plus beau sourire commercial. Je ne sais pas si cela réussit à le convaincre, mais l'important, c'est qu'il soit repartit derrière le comptoir sans rien demander.
Je me tourne ensuite vers celui que j'avais contraint à partager cette table avec moi, et hésite entre lui présenter mes excuses ou alors l'étrangler. J'avais tellement attendu cette pause que je n'aurais laissé personne me la gâcher. Je regarde quand même rapidement derrière moi pour vérifier que ma responsable ne m'attend pas avec une scie circulaire dans les mains. Ne voyant pas sa silhouette dans le flux de personnes qui passe près de nous, je respire un peu mieux et finis par me détendre.

« J'espère que vous aimez le café… »

Encore une de ces phrases maladroites dont j'étais la seule à avoir le secret. Je secoue la tête, un peu décontenancée par la situation, et enchaîne rapidement :

«  Hum … je m'appelle Anna »
Mer 22 Fév 2017 - 22:09
Tobias ne s'était nullement attendu à cette réaction. Lorsque les premiers mots avaient franchi les lèvres de la jeune femme, l'Autrichien avait déjà imaginé la suite, des propos confus qui auraient pu se résumer à un « Oui, j'adore la paix ! Alors fichez la moi ! » Au lieu de cela, l'inconnue l'avait tiré vers elle, l'obligeant à prendre place à sa table. Soit elle faisait preuve d'un excès de zèle, soit elle tentait de le faire taire de manière moins conventionnelle. Trop surpris, Tobias ne sut pas réagir et se contenta de cligner des yeux, plaquant ses prospectus contre son torse en un maigre bouclier. La situation venait de s'inverser le plaçant, lui, l'instigateur dans la position de la victime.

Le mot café fut une ancre qui le relia à la réalité. Un terme familier aux relents de passé à jamais perdu, mais empli de nostalgie.

« Oui. J'adore le café. » réussit-il à prononcer, sans même remarquer le sourire qui se glissait sur son visage, à l'évocation même de ce mot. Comme s'il mentionnait celui d'un ami. Et n'était-ce pas cela ? Le café – boisson, commerce – avait toujours été au centre de ses amitiés, de ses rencontres avec ses semblables. « Mademoiselle Anna. Je vous remercie pour votre invitation. Même si elle a été très... cavalière. »

Tobias vit d'ailleurs le serveur hésiter quelques secondes avant de s'approcher d'eux s'attendant, probablement, à ce que Tobias se jeta sur lui pour lui glisser un prospectus, de force, entre les mains. L'employé était comme un stagiaire jeté dans la cage aux lions, craignant pour sa survie, avançant à pas comptés, le sourire commercial aux lèvres menaçant de s'effriter. Lorsque le serveur fut à portée d'eux, Tobias commanda son café.

« Long s'il vous plaît. Et mademoiselle Anna si vous souhaitez des douceurs, laissez-moi vous les payer. »

Habitude de gentleman de la vieille époque. Tobias devait semblait bizarre auprès des clients attablés tout proches. Lorsque le serveur eut fini de prendre leurs commandes, l'Autrichien instaura un nouveau sujet à la conversation.

« Je ne me suis pas présenté, veuillez m'en excuser. Tobias Gehring. Je suppose que si vous m'avez invité à votre table, c'est pour parler en privé de ce que j'ai clamé tout à l'heure... ou me faire taire. Je suis curieux d'avoir votre avis sur la question. »

Avec cela le sourire, imperturbable, d'un professeur écoutant les explications de son élève.
Mer 19 Avr 2017 - 16:17
Dans quelle situation me suis-je encore fourrée ? Une fois de plus, je paye pour mon impulsivité. Pourtant, de nature, je me montre assez discrète, car j'avoue apprécier observer les choses d'une certaine distance. D'ailleurs, il arrive souvent que les gens l'interprètent comme de la nonchalance… Ou même une forme de provocation… Qui sait, peut-être qu'ils disent vrai. Cependant, je vois les choses de manière beaucoup plus simple. Je m'efforce juste à ne pas être mêlée à des affaires qui me mettraient dans une position inconfortable. Car attirer l'attention sur moi me fait hérisser le poil. Malgré ça, j'arrive encore à trouver un moyen pour boire un café avec un inconnu qui, cinq minutes plus tôt, donner toute son énergie à rameuter du monde autour de lui. Bravo moi-même. Ça mérite des applaudissements.

Impossible cependant de faire marche arrière. Les présentations étaient faites et même si cela ne me plaisait pas, il allait falloir que je partage cette table avec l'ovni assis en face de moi. J'en ai fait des rencontres insolites mais lui, il battait des records. "Mademoiselle Anna". Je pouffe, c'est plus fort que moi. Je cache mon sourire derrière ma main en faisant mine de me gratter la commissure des lèvres. Son langage venait d'un autre temps... De ma vie, je n'ai jamais entendu quelqu'un faire usage d'autant de politesse à mon égard. Je racle ma gorge pour m'aider à recouvrer mon sérieux et hoche simplement la tête à ses remerciements. Je ne pense mériter le moindre témoignage de gratitude au vu de la brutalité de mon invitation mais soit. Cela m'arrange qu'il n'insiste pas sur ce qui venait de se passer. Je profite qu'il soit occupé avec le serveur pour me mettre un peu plus à mon aise ; je glisse mon pied hors de ma chaussure et l'enroule autour de ma cheville pendant que je regarde de manière distraite la population qui circule dans le centre commercial. Machinalement, je porte mes doigts à ma bouche et passes mes ongles entre mes dents. Une vieille habitude dont je ne suis pas arrivé à me séparer, mais qui m'aide inconsciemment à me détendre. Mon attention se reporte naturellement sur lui et je l'observe avec plus de minutie. Je n'arrive pas à expliquer pourquoi, mais cet homme me fait penser à un ancien professeur d'art que j'avais étant plus jeune. Bien que son accent anglais était plus qu'irréprochable, il avait comme lui ce visage d'une blancheur marmoréenne qui trahissait ses origines. Et en voyant les tâches de peinture sur les doigts de mon invité, je me dis que je n'étais pas si loin de la vérité. Même d'ici, je pouvais sentir l'odeur familière de térébenthine émaner de ses vêtements ...

Je suis extirpée de mes pensées lorsque je l'entends prononcer mon prénom. Il me parle de douceurs, mais ce que j'affectionne se rapproche plus de l'acidité subtile d'une tarte au citron ou encore l'amertume d'un jus de pamplemousse frais. Rien que d'y penser me donne l'eau à la bouche. Cependant, même en dose infinitésimal, mon penchant pour les agrumes ne ferait qu'aggraver mes aigreurs d'estomac. Je laisse donc le serveur repartir à contrecœur.

« Je ne me suis pas présenté, veuillez m'en excuser. Tobias Gehring. Je suppose que si vous m'avez invité à votre table, c'est pour parler en privé de ce que j'ai clamé tout à l'heure... ou me faire taire. Je suis curieux d'avoir votre avis sur la question. »

Le piège se referme sur moi. Il fallait s'y attendre. Je l'avais obligé à s'asseoir à ma table en lui affirmant avec aplomb que j'aspirais à la paix pour notre très chère ville. J'imagine que maintenant, c'est l'heure des explications. La vérité, c'est que je me moque pas mal des conflits entre les diasporas et que tant que je ne suis pas impliquée personnellement dans ces histoires, ils sont libres de faire ce qu'ils veulent. Si je fais partie des “indépendants, ce n'est pas pour rien… Mais je me garde bien de lui dire ça, ma conscience me dit que ce serait maladroit de commencer les présentations ainsi. Ne croyez pas que je me soucie des conventions sociales, je veux juste éviter de rentrer dans un débat inutile. Ma position face à la situation actuelle de Pallatine ne regarde que moi et je me vois mal me confier à un inconnu. Qui sait ce qui se cache réellement derrière ces sourires bienveillants et cette courtoisie abusive ? Plus j'y pense, plus je le vois très bien faire partie de ces gens qui font du porte-à-porte avec des textes sacrés entre les mains. Je regarde ses poignets, son cou à la recherche d'une quelconque croix. J'inspecte même si sous cette blondeur divine qui encadre son visage n'est pas caché la marque encore fraîche d'un phylactère. Je prends un des prospectus posés sur la table dans l'espoir d'y trouver des indices, mais le serveur interrompt mes recherches et pose une tasse devant moi. Il suffit que je sente l'odeur du café pour perdre tout intérêt pour cette enquête. Je le remercie et sans une perdre de temps, j'ajoute trois grains de sucre ( pas plus ) et apprécie le tintement de ma cuillère contre la porcelaine. Je pose mon coude sur la table et soutiens ma tête de ma main, observant avec fascination les tourbillons qui se formaient à la surface du liquide noir. Sans détacher le regard de mon café, je réponds avec légèreté :

« Vous ne pensez pas que les gens ont rejoint les diasporas par choix ? »

Je lève les yeux vers Tobias, curieuse de savoir si cela allait susciter une réaction de sa part. Bien que je fais tout mon possible pour rester le plus neutre possible, je ne peux totalement effacer cette pointe d'ironie dans ma voix. Je suis née à Pallatine et je sais très bien comment les choses se passent. Et le dédain que j'ai envers les diasporas et leur membre n'est pas quelque chose de nouveau. Ça a eut le temps de se développer tranquillement dans ma tête toutes ces années où j'ai vécu ici. Je laisse une pause puis reprends :

« Après tout, personne ne les a obligé à prendre ce chemin… »

Inconsciemment, je fuis son regard et prends une gorgée de ma boisson pour m'empêcher d'en dire plus… Ce que je regrette aussitôt lorsque je sens le café me brûler le bout de la langue.
Mar 25 Avr 2017 - 22:27
« Êtes-vous certaine de ce que vous dites ? » glissa Tobias nonchalamment sans forcer, sans se presser, se permettant simplement un sursaut lorsque la jeune femme se brûla la langue. Blessure bégnigne à laquelle il ne pouvait rien si ce n'est un brin de commisération et de refouler le traditionnel « faites attention ». L'Autrichien but une gorgée de sa propre tasse, laissant la boisson rouler sur sa langue, dévaler son œsophage pour s'enrouler, tel un chat au repos, dans le creux de son estomac.

« Je ne forcerais évidemment personne. Mais je suppute que plus d'un ralliement a été mené contre le grès des concernés. Ou avec des informations détournées. D'après vous rejoins-t-on les Gangsters par conviction ? Nous savons tous qu'une telle organisation criminelle possède ses apôtres, oui, mais aussi une part d'individus qui, liés à eux par de noirs marchés, sont obligés de leur obéir pour préserver leurs familles. Je suppute l'Iwasaki d'agir de même. Leur formation me fait songer à la triade chinoise. »

Tobias pouvait lourdement se tromper, lui-même en était conscient. Mais il voulait y croire à ce fragment d'individus reliés de force à un groupe, asservis à une cause qu'ils défendaient du bout des lèvres.

« Mais vous faites peut-être parti de ceux qui ont choisi leur place. Pourrais-je savoir qui à votre approbation et pourquoi ? »

L'Autrichien écarta les mains avec un haussement d'épaules.

« Moi-même étant indépendant, j'ai du mal à concevoir le ralliement à un troupeau. »
Dim 9 Juil 2017 - 21:32
Il ne suffit que d'une simple question pour que Tobias enchaîne directement et m'expose son point de vue et ses inquiétudes vis-à-vis des diasporas. Son engouement est presque touchant. Mais il m'irrite de la même façon. Cette bonté en lui ne fait que me renvoyer à la gueule le peu de considération que j'ai pour les personnes qui n'ont pas la même chance que moi. La liberté de choisir la vie qu'ils veulent mener. Et cela m'agace. Car je ne comprends pas pourquoi je devrais me sentir responsable de leur avenir. Après tout, ce n'est pas de ma faute s'ils se retrouvent aujourd'hui sous l'autorité d'une diaspora.

Je ne montre que du détachement à ce qu'il me dit puisque c'est la seule arme dont je dispose face à lui. Les années qui nous séparent me rendent la tâche plus facile, car j'ai compris avec le temps que mon jeune âge pouvait légitimer aux yeux de beaucoup de personnes mon inexpérience et mon manque d'implication dans notre société. Si cela peut m'éviter de me justifier sur mes opinions, je ne moque bien que les gens me voient comme une jeune fille naïve et égoïste.

Je trempe de nouveau mes lèvres dans le café, avec plus de prudence cette fois-ci, et essaye de rester attentive à ce qu'il me dit. Mais lorsqu'il me parle d'une confédération aussi influente que les Iwasaki, je perds un peu de mon flegme. Je repose ma tasse dans la soucoupe, plus brutalement que je ne l'aurais voulu, et le coupe dans sa phrase :

" - Mais pourquoi voulez-vous autant défendre la cause de personnes qui ne veulent pas de votre aide ? Vous perdez votre temps. "

Je soupire, à la fois énervée de mon impatience, mais aussi par l'optimisme qui faisait briller les yeux de Tobias. J'en savais déjà assez sur lui pour deviner que ses ambitions étaient démesurées et sûrement irréalistes. Des gens qui veulent changer le monde, j'en vois assez tous les soirs dans les bars, lorsqu'ils ont 3 grammes dans le sang et qu'ils crient sur tous les toits qu'un jour ils renverseront le système. La seule chose que je sais, c'est que le lendemain, ils sont tous bien contents de retrouver le confort que leur offre leur diaspora. Et peut-être que c'est mieux ainsi.

J''inspire longuement puis poursuis :

" Écoutez. Je ne pense pas être l'alliée que vous recherchez. Les diasporas ont toujours existé et je suis convaincu que dans 100 ans, elles existeront toujours. Et il en est de même pour la mafia. Comme vous le dites vous-même, « nous », les indépendants, nous sommes ceux qui refusons d'être liés à une quelconque forme d'organisation où existe une hiérarchie. Alors je vous demande… Qui sommes-nous pour leur demander de se rallier autour de quelque chose qui se rapporte plus à un modèle anarchique ? Ça n'a aucun sens ! Si vous voulez réunir les gens contre les diasporas, créez un mouvement, appelez-vous « les insurgés », mais n'impliquez les indépendants là dedans "

Ça y est. J'en ai trop dit. Je me sens un peu confuse. Et en même temps soulagée. Ça doit être la première fois que je m'exprime aussi librement sur ce sujet. Et j'avoue que ce n'est pas une sensation désagréable.
Lun 10 Juil 2017 - 21:19
La fureur de la jeune femme éclata comme le couvercle d'une cocotte-minute arrivée à ses dernières limites de contenance. Tobias cligna des yeux, plusieurs fois, ne sachant trop comment répondre à de telles attaques. Car il comprenait le point de vue exposé par son interlocutrice tout en n'y adhérant pas. On ne balayait pas ainsi des années de convictions et de croyance dans le bon de l'humain pour se laisser aller à l'acceptation et à la résignation. Il voulut apaiser la jeune femme en posant sa main sur celle de Anna mais se ravisa, se disant qu'il risquait gros à ce jeu – une gifle ou du café brûlant au visage. Il rangea ses mains sur ses cuisses, déjà prêt à bondir en arrière si la jeune femme laissait éclater sa hargne plus physiquement.

« Qui dit qu'ils ne veulent pas de mon aide ? Je ne leur imposerais pas. Tout comme je ne l'imposerais pas à vous. Je vous ai présenté mon idée mais si vous n'y adhérez pas... Et bien, soit, tant pis. »

Tobias avait accompagné ses propos d'un haussement d'épaules, montrant qu'il ne s'en formaliserait pas du refus. Plier les gens à sa volonté, leur faire adhérer de force à ses convictions, tout cela reviendrait à jouer le rôle des diasporas.

« Je voudrais bien former ce mouvement comme vous dites. D'ailleurs j'apprécie beaucoup le nom que vous avez suggéré. Mais, pour cela, il faudrait que je ne sois pas seul. »

Deux personnes sont exigées, au minimum, pour former un ersatz de groupe. Tobias regarda la liasse de tracts qu'il avait laissé sur le rebord de la table. Il en prit un feuillet qu'il glissa vers Anna avant de prendre le paquet restant et de le glisser dans sa sacoche de cuir.

« Si jamais vous rencontrez quelqu'un d'intéressé... Mais vous pouvez le jeter aussi. De préférence dans une poubelle. Ne salissons pas la voie publique. » appuya Tobias d'un sourire complaisant.

Saisissant sa tasse l'homme la vida. La tasse émit un léger tintement contre sa soucoupe tandis que Tobias se levait dans un même mouvement. Glissant la lanière de cuir sur son épaule, repoussant sa chaise, l'artiste salua son interlocutrice.

« Je ne veux guère vous déranger davantage. Vos paroles m'ont beaucoup éclairé. Je dois me montrer moins... investigateur ? Prendre davantage en compte le ressenti des autres. Merci à vous. »

Après une hésitation il finit par tendre sa main, se demandant si la jeune femme aurait la hardiesse de lui refuser une poignée de main.

Dim 17 Sep 2017 - 22:37
Ce soudain gain d'assurance s'évanouit en un rien de temps. Il laissa place à un sentiment nettement moins agréable que je refusais d'associer à de l'embarras, même s'il était évident que sa réaction m'avait troublé. On pouvait le lire sur mon visage. Car je ne m'étais pas attendu à ce que, si subitement, il décide de couper court à notre conversation avec un simple haussement d'épaule. J'étais d'autant plus décontenancée que c'était l'une des rares fois que je dévoilais le fond de ma pensée au sujet de ma ville natale. Et sans le savoir, il m'avait fait me sentir ridicule de tenir ce genre de propos. Mes mains étaient moites et cet étau qui resserrait ma gorge m'empêchait de prononcer le moindre mot. Et quand bien même je retrouvais le courage de parler, que pouvais-je lui répondre ? Que pouvais-je répondre à quelqu'un qui clairement ne voyait plus d’intérêt à poursuivre le débat avec une personne de mon tempérament ? Car dans ses yeux, j'y ai vu l'espace d'un instant une espèce de crainte sans réel fondement. Après tout, je n'ai jamais mangé personne ...

Trop fière pour admettre que j'étais blessée dans mon ego, je ne dis rien et le laissais parler, bien que je ne l'écoutais plus depuis un moment. Au fond de moi, je bouillonnais, mais comme à mon habitude, je ne laissais voir que de l'indifférence. Et pourtant, j'étais fatiguée de constamment ravaler ma rancœur, mais je ne voyais pas quelles étaient les autres alternatives… Dire les choses franchement plutôt que de se terrer dans le silence ? Non, il était hors de question que je parle à cœur ouvert à cet homme. J'avais cette petite voix dans ma tête qui me disait que tout ceci était disproportionné. Que de nouveau, j'étais incapable de gérer mes émotions. Mais mes nerfs étaient trop à vifs à ce moment-là pour que j'entende raison.
Il se leva et je fis de même. Il me tendit sa main que je serrai presque mécaniquement, car l'envie n'y était pas. La seule chose que je voulais maintenant, c'était de fumer une cigarette avant de repartir travailler. Et rien que l'idée de retrouver mes collègues de travail me mina un peu plus le moral.

« Bonne journée à vous. »

Je laissai un billet sur la table et partis dans une direction que j’espérai opposée à la sienne.

HRP:
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