Ven 10 Fév 2017 - 21:42
Tobias n'avait encore jamais mis les pieds au Spencer's. L'Autrichien avait toujours préféré fréquenter les petites boutiques, reliquats d'artisanat, plutôt que de s'engouffrer au sein d'un supermarché au fonctionnement bien trop moderne pour lui. Toutefois il ne pouvait reculer indéfiniment. Non pas qu'il irait y mener ses courses dans un des lieux de pouvoir des Opportunistes – depuis qu'il avait trouvé ses aises au sein de la zone agricole, Tobias possédait plus d'une ressource pour pouvoir subvenir à ses besoins. Non si ses pas le menaient au Spencer's aujourd'hui c'était dans un but bien plus noble qu'un simple plaisir égoïste. Il allait se rapprocher de ce public à qui il allait tenter, aussi vainement que possible, de faire changer d'avis au sujet des conflits de diasporas.
Les portes électrisées, panneaux de verre s'ouvrant en marchant à leur rencontre, le laissèrent pantois quelques instants. Figés devant ce prodige, Tobias ne vit pas les regards interloqués lancés par les passants, certains faisant un pas de côté pour l'éviter comme s'il était porteur d'une quelconque germe. L'Autrichien finit par avancer, un brin décontenancé par cette technologie, se raccrochant à la vieille écharpe qui lui ceinturait le col.
Marchant à petits pas, Tobias jetait des coups d’œil hagards à cet environnement qui lui semblait trop aseptisé. Seuls les commerces bordant la gigantesque allée offraient un peu de couleur. Rien de tout cela n'avait le charme d'une ruelle commerçante, tortueuse et pavée, flanquée de ses petites boutiques chiches. Tobias secoua la tête comme un chien se secoue les puces – il devait se reprendre, se recentrer sur son objectif.
Sortant une liasse de papiers sous sa veste, Tobias se positionna au centre de l'allée, tâchant de se rendre aussi visible que possible. Personne ne devait l'ignorer. L'homme inspira longuement avant de clamer, avec la même harangue qu'une poissonnière met dans sa voix pour vendre la prise du jour.
« En avez-vous assez de ces conflits qui font flamber la ville ? En avez-vous assez de devoir cacher votre appartenance à une diaspora à vos proches ? Nous en avons tous assez ! Tous, sans exception ! Ces diasporas ne sont là que pour nous diviser et nous éloigner de notre véritable objectif : vivre ensemble et en paix. Quels que soient nos origines, notre identité... »
Le papier bruissa dans sa main alors qu'il tendait le bras en l'air.
« Rejoignez-moi ! J'ai choisi la voie de vivre hors des diasporas. Je souhaite le meilleur pour cette ville. À plusieurs nous pourrons déplacer les montagnes ! »
Personne ne semblait se ranger à cette idée. Une vieille dame accepta de prendre un feuillet mais, à son regard, Tobias comprit que c'était plus par bonté désintéressée que par envie de rallier un quelconque partie. Seul au sein de cette foule qui le regardait avec des yeux ronds, ou l'ignorait superbement, Tobias se sentait perdu. Son regard quêta un miroir qui ferait écho à sa voie, quelqu'un qui penserait comme lui mais n'oserait pas prononcer les mots, taisant tout bas ce qu'il pensait tout haut.
Il y avait un petit café, coincé entre deux boutiques de vêtement. Tobias s'y élança comme si se trouvait sa bouée de salut, les feuilles froissées au sein de sa poigne.
« Quelqu'un ne veut-il donc pas la paix ici ? »