| "top 10 des youtoubeurs morts en 2022" | |
Tu ne veux pas t'asseoir, et tu méprises le commentaire qu'il te fait sur ta fragilité. Ne serait-ce que parce que avec le nombre de fois où tu t'es écroulée, ton corps sait tomber sur le sol sans se fracasser. Tu sais comment gérer ton corps qui cesse de te répondre, tu sais quoi faire quand tu ouvres de nouveau les yeux, et tu sais très bien que tu ne te brises pas dès que tu touches le sol. Et si cette homme te connaissait réellement, même vaguement - s'il avait fait quelconque recherche sur l'anorexie, il le saurait. Tu ne t'attends pas à ce qu'il aie fait quelconques de ces choses, mais tu t'en sers tout de même comme excuse pour le mépriser. Pour lui lancer ce regard dédaigneux, et pour laisser ce sentiment t'envahir pour oublier l'angoisse qui t'enserre la colonne de ses griffes glacées. Et pourtant, quand il va s'asseoir, tu le suis. Tu te poses à côté de lui, établissant le plus de distance possible entre vous, et tu fixes un point dans l'air devant toi. Tu ne veux pas le regarder. Autant parce que tu le méprises, que parce que tu as affreusement peur de ce qu'il va te dire. Que tu ne veux même pas y penser, et que de poser tes pupilles sur lui et son air mi-con mi-dépressif l'impose à ton esprit sans que tu ne puisses rien y faire.
Et même si tu ne le regardes pas, même si tu sais déjà tout ce qu'il te dit, tu l'écoutes attentivement. Accrochée à ses lèvres, comme s'il parlait de quelque chose qui t'intéresse au plus haut point. Et à mesure qu'il parle, à mesure qu'il explique les choses, l'angoisse continue de te serrer la colonne - elle s'étend le long de tes côtes en vrilles glacées, descends le long de tes os jusqu'au bout de tes orteils, au bout de tes doigts qui se mettent à picoter. Lentement, tu te sens commencer à trembler, et tu serres les dents pour que ça ne paraisse pas. Après tout, le paraître, c'est tout, avec toi. C'est tout ce que tu as; c'est tout ce qui cause tes problèmes. C'est le démon au fond de tes entrailles qui te les vide jusqu'à ce que tu n'aies plus que la peau sur les os. Ce désir de bien paraître. D'être belle. D'avoir le monde à tes pieds. Tu sais que tout serait différent, si seulement tu les avais écouté, tes parents, quand ils te disaient que tu étais belle? Si seulement tu avais cessé de te détester un seul instant pour écouter ton amie, celle qui t'a recueillie, celle qui a tout fait pour t'aider? Si, un seul instant, tu avais pris le temps de réellement écouter ce qu'elle avait à te dire? Et si tu n'avais pas fais à ta tête, décidé de déménager à l'autre bout du monde pour rejoindre un garçon que tu ne connaissais que depuis quelques mois? Tu sais que tu n'en serais jamais descendue jusqu'ici, si tu avais pris la peine d'écouter les autres?
Mais tu ne l'as pas fais. Parce que l'on ne t'as jamais appris à te faire dire non. Alors, non, tu ne le sais pas. Tu ne sais pas que tout aurait pu être différent, si seulement tu avais pris le temps de te tourner vers les autres, et d'écouter ceux qui t'aimaient. Que même si tu avais finis par être malade de toute façon, ta mère aurait pu te dire que ça court, dans la famille. Ils auraient pu t'aider à comprendre avant que ça dégénère. Et si tu avais écouté les médecins, quand ils t'avaient dit que tu étais malade, que tu devais voir un psychiatre, peut-être que tu n'en serais pas ici. Mais tu es Anja. Tu sais mieux que tout le monde, tu es mieux que tout le monde, et ce même si tu te détestes plus que tu détestes quiconque. Alors tu n'allais tout de même pas les écouter; tu savais ce qui était le meilleur pour toi, non? Tu le savais tellement que maintenant tu le sais encore mieux: tu as eu tord. Tu as eu tord, et maintenant tu ne sais pas grimper hors du trou que tu as creusé toi-même. Et tu vas peut-être y mourir, affamée. Si tu n'arrives pas à en sortir, si tu n'arrives pas à grimper au prix de tes ongles, de ta sueur et de ton sang, tu vas mourir dans le fond de ce trou que tu as creusé en te disant que tu trouverais certainement la beauté de l'autre côté. Tu vas mourir, laide, avec tes joues creuses et tes côtes saillantes, et cette simple pensée te donne envie de vomir.
Tu ne veux pas mourir. Tu ne peux pas mourir. Pas comme ça. Pas du tout.
Tu ne réagis pas à son commentaire, parce que tu es trop occupée à essayer de te retenir de trembler. Tes mains enserrent tes genoux, et pourtant ça n'empêche pas tes doigts de trembler. Tu serres la mâchoire, mais tes épaules sont secouées sans que tu ne puisses rien y faire. Tu es parcourue de ces tremblements, l'angoisse qui habite totalement ta poitrine, si bien que tu as l'impression que tu ne peux plus respirer. Tes côtes serrent tes poumons, ton cœur bats la chamade et, lentement, la noirceur rampe aux limites de ta vision. Il te dit de fuir, mais tu ne pourrais pas, même si tu le voulais. Tu es figée sur place, sueurs froides le long de ta nuque. Tu ne pourrais même pas vivre avec ce secret. Tu ne pourrais pas vivre sans savoir ce qu'il s'apprête à te dire. Il s'arrête de parler, un instant, et tu sais ce qui s'en vient. Tu le sais dans le fond de tes os, tu le sais dans tout ton être qui ne cesse de trembler, dans ton cœur qui palpite, dans tes poumons étriqués. Tu le sais et pourtant alors qu'il ouvre la bouche de nouveau tu cesses de respirer.
Il te reste une année.
Dans un an, si tu ne fais rien, tu vas mourir. Mais tu ne peux rien faire, tu n'en es pas capable; tu n'en a jamais été capable. Parce que tu es faible, parce que tu ne sais plus vivre sans ton illusion de contrôle, parce que Thomais avait raison: tu es laide, et tu ne peux pas vivre si tu es laide, et la seule façon de te rendre belle, c'est de te faire ça. Tu n'y arriveras pas, tu n'y arriveras jamais, et dans une année, tu en mourras. Tu en mourras avec ta peau sur les os et tes poumons étriqués et ton cœur qui palpite et la douleur qui te prends soudainement et qui éclate dans ta poitrine et qui t'empêche de respirer. Tu trembles tellement que tu as l'impression que tu ne contrôles plus tes mouvements, et ton cœur ne bats pas régulièrement, il saute des battements, et la douleur continue de s'épancher dans ta poitrine et - oh, tu réalises que tu n'auras pas à attendre un an: tu vas mourir maintenant. Ici, assise sur ce banc, avec cet inconnu, avec ta caméra dans ton sac remplie d'un vlog qui ne se finira jamais, tu vas mourir. Parce que tu n'arrives plus à respirer, il n'y a que quelques respirations qui percent ta gorge fermée, et tu ne sens plus tes mains, et tu ne vois rien, et tu as tellement mal que tu es certaine que ton cœur s'est arrêté. Tu vas mourir, ici, maintenant, à cet instant, mais bordel, TU NE VEUX PAS.
TU NE VEUX PAS MOURIR. TU NE DOIS PAS MOURIR.
Tu as besoin d'aide, tu as besoin qu'on appelle un docteur, tu vas mourir, tu vas mourir, alors tu t'accroches à l'inconnu, tu attrapes son bras et tu t'y accroches de toutes tes forces et tu aimerais lui crier pour communiquer l'urgence de la situation mais tu ne sais pas respirer assez pour pouvoir crier: ‟Aide-moi, je vais mourir, aide-moi” tu veux qu'il appelle un docteur, tu as besoin qu'il appelle un docteur ‟Appelle un docteur, je vais mourir, je ne veux pas mourir” Tu ne veux pas mourir, tu as encore tellement de choses à faire, tellement de respirations à prendre, tu ne sais pas ce qu'il y a de l'autre côté et tu ne veux pas le savoir, tu ne veux pas mourir, tu pries tous les dieux qui existent s'ils existent de te sauver de répondre à tes prières, parce que tu ne veux pas mourir, tu ne veux pas, tu ne veux pas, ta vision se fade, tu resserres ta prise sur l'inconnu comme s'il te tenait en vie tu ne veux pas aller dans la noirceur tu ne veux pas mourir tu ne veux pas mourir mourir mourir mourir