On inspire, on expire. Seung Joo se tient devant la porte, un petit paquet glissé dans un sac qu'il porte de la main droite. Ses cheveux sont libres, son œil couvert d'un bandage. Emmitouflé dans un manteau rouge, il tremble légèrement de froid. Son doigt se lève, appuie sur la sonnette. « Naga ? Tu peux ouvrir ? » : demande-t-il dans le silence ; ses lèvres frissonnent. Il a peur de ne pas être à la hauteur.
La sonnette qui retentit soudainement dans la demeure vide en ce début de week-end fit sursauter Naga sur son lit. Il n'ignorait pas qu'un certain Coréen viendrait le voir en soirée : il avait été probablement stupide d'accepter la visite que Hwang désirait lui rendre à domicile, mais lorsqu'il avait vu le message sur son profil, Naga n'avait su faire autrement. Une part superficielle de lui avait craint de passer pour un méchant s'il ne répondait pas positivement. Sur le coup, cette peur était plus forte que celle de se retrouver devant le petit Coréen, mais maintenant que ce dernier était là - pas besoin de vérifier, ses os ressoudés l'élançaient comme pour lui annoncer sa présence - il se devait de réagir. Peu désireux de faire attendre quelqu'un qu'il savait colérique, l'Inuit s'empressa de descendre et d'ouvrir la porte.
« Salut. Entre. »
Aucune chaleur dans ses paroles, mais Naga n'était ni menaçant ni particulièrement désagréable, juste mécanique. Il s'effaça tel un automate pour laisser Hwang pénétrer dans le corridor - vision qui suffisait à faire couler une sueur glacée le long de sa colonne vertébrale.
L'invitation est calme, neutre - presque froide. Seung Joo pénètre dans le logement avec l'impression que des millions d'yeux se sont posés sur lui et attendent de voir ses excuses. Il a la gorge sèche, tout à coup. Lorsque Naga referme la porte tout à coup, il lui dit : « Je suis désolé, pour ton bras. Je ne voulais pas, et puis, c'était à cause de la situation. » Il espère que Naga va comprendre, même s'il ne lui pardonne pas : ce n'est pas ce que l'Ace attend de lui.
Le bruit sec d'une porte qui claque vint les couper du monde extérieur. Habituellement doux avec les objets, Naga faisait preuve d'une négligence à demi-assumée lorsqu'il s'agissait d'accueillir Hwang. De même se montrait-il très peu prévenant envers son visiteur, ne songeant ni à lui proposer un rafraîchissement, ni à l'inviter à rejoindre l'intérieur de la maison. L'entrée restait leur terrain de jeu de prédilection, semblait-il. Hwang se répandit immédiatement en excuses directes et, instinctivement, Naga porta la main au bras blessé où régnait encore l'ombre d'une douleur fantôme. Il la sentait parfois quand il devait travailler, mais il ne savait pas s'il s'agissait d'un effet de son imagination ou si la douleur était réelle. Les excuses de Hwang la ravivaient, mais elles contribuaient également à l'apaiser - comme si quelque chose était en train de se régler entre eux.
« Ça faisait un mal de chien. » répondit seulement Naga.
Mais il ne savait pas quoi dire d'autre : à vrai dire, il ignorait totalement si Hwang était vraiment là pour s'excuser, ou s'il désirait lui faire peur à nouveau.
La remarque de Naga lui fait mal - mais peut-il vraiment protester ? Seung Joo sait qu'il a raison de la faire. Aussi acquiesce-t-il, murmure-t-il encore un pardon, avant de tendre le sachet qu'il tenait jusque là un peu en retrait. « Ça ne suffira pas à me faire pardonner, admet-il, mais je sais que la dernière fois, tu voulais ça. Ça fait un moment que je comptais te l'offrir mais... » Il ne dit rien de plus, fixant son œil unique sur Naga. Le problème, c'est qu'il n'a pas osé, qu'il était persuadé que Naga lui fermerait la porte au nez. Ce n'est que récemment qu'ils ont recommencé à se parler en ligne, et il a déjà eu beaucoup de mal à oser lui demander une rencontre en chair et en os. Pourtant le cadeau traîne chez lui depuis un moment.
Jusque là, le petit paquet était resté inaperçu de Naga ou, plus exactement, le jeune homme n'y avait pas vraiment prêté attention. Connaissant Hwang, Naga ne pouvait guère imaginer autre chose que quelque chose de terriblement nocif ou nuisible dans ce petit paquet. Naga ne pouvait cependant plus l'ignorer, à présent que Hwang le lui tendait. Seung Joo Hwang lui offrait un cadeau. Plutôt qu'un coup de poing, ce qui était à souligner. L'Inuit prit le paquet en tremblant et défit soigneusement le paquet. Une forme douce et moelleuse en ressortir bientôt.
« Hwang... » dit-il avec son bel accent américain.
Il contemplait le nounours de collection pour lequel il avait craqué.
« C'est... c'est pour te racheter ? » demanda-t-il, abasourdi.
Seung Joo a eu du mal à obtenir une autre version du nounours de collection. Ça lui a coûté beaucoup de temps et d'argent. Mais au final, la joie sur le visage de Naga en vaut la peine. « Non, contredit-il aussitôt. Je l'avais avant. Je sais que tu l'aimais et je n'ai pas toujours été très correct avec toi. Alors celle-là est pour toi. » Seung Joo ne rougit pas - c'est peut-être sa seule fierté. A présent, il attend de voir si Naga va le jeter à la porte, ou s'il va le laisser rester un petit peu.
La dignité de Hwang rendait ses explications plutôt convaincantes. Naga ne saurait jamais les raisons exactes pour lesquelles il lui faisait un tel cadeau, mais une chose était sûre : il venait effectivement s'excuser. Et puisque l'on en était aux excuses, lui aussi avait des choses à se reprocher.
« Merci... » répondit-t-il d'un souffle, serrant le nounours contre son corps. « Je reviens. »
Naga dévala les marches vers l'étage aussi rapidement que son élégance le lui permettait. Il parcourut sa chambre des yeux, repéra le paquet qu'il venait à peine de se faire livrer, fouilla dans ses papiers, en trouva un qui restait de Noël, avec un motif de rennes, qu'il utilisa rapidement pour emballer le paquet. Quelques instants plus tard, il redescendit en tendant un nouveau cadeau qui, en dépit de la précipitation, avait plutôt fière allure :
« Moi aussi, il faut que je m'excuse. Pour être venu chez toi pour t'engueuler. C'était pas correct. Et puis... c'était ton nounours, t'étais pas obligé de me le donner, alors je crois que la moindre des choses, c'est que je t'en donne un en retour. »
Preuve qu'il avait évolué, l'objet de son désir, qu'il était prêt à voler à un petit Coréen, lui semblait désormais devoir être mérité...
Seung Joo est déjà rassuré que son cadeau soit accepté. La hache de guerre n'est peut-être pas enterrée, mais avec un peu de chance, c'est une première étape. Ce à quoi il ne s'attend pas, c'est que Naga s'éclipse avant de lui présenter à son tour ses excuses. « Non, non, c'est moi. » : répète-t-il, mais il accepte malgré tout le paquet. A l'intérieur se trouve un nounours - encore un, mais différent, pour autant tout à fait aussi mignon. « Oh la la, merci ? Mais c'est le tien, non ? Je ne devrais pas le prendre. » Il lui retourne son argument, mais ses doigts serrent fort la peluche, qu'il n'a pas vraiment envie de rendre.
La réticence de Hwang à rendre le nounours était aussi réelle que la proposition polie de ce dernier pour rendre un cadeau qu'il ne pensait pas mériter. Cet attachement à un nounours lui donnait un air étrangement doux, bien loin des airs violents que Naga lui connaissait d'habitude. Se pouvait-il que lui aussi avait changé ? L'Inuit avait beau regardé, il avait du mal à trouver quelque chose de l'agressivité dont le Coréen avait toujours fait preuve en sa présence. Ce qui était déconcertant.
« C'est le tout dernier modèle, ce n'est pas comme s'il était vraiment à moi. » argua Naga qui effaça de la sorte tous les efforts qu'il avait dû faire pour l'obtenir.
En comparaison de la civilité de Hwang en cet instant, Naga estimait que c'était bien peu. Peut-être le craignait-il encore assez pour lui céder ce bien précieux. Mais peut-être aussi avait-il envie de récompenser le jeune homme pour les efforts qu'il faisait.
« Tu veux boire quelque chose ? » demanda-t-il finalement, comme si ses devoirs d'hôte se rappelaient à lui...
C'est plié : Seung Joo garde le nounours. Cela le rend curieusement ému : il y a très peu de choses capables de réveiller ces sentiments. Knut y arrive, de sa façon paradoxale, par sa violence ; Naga, par sa générosité. La vie du Coréen change par ces rencontres qui lui rappellent à quel point il peut être humain. « Oh... Oui, bien sûr ? Si cela ne te dérange pas. » Il sourit, Seung Joo ; il n'a jamais réussi à se faire des amis ; il a eu l'impression qu'il pouvait le faire, avec Taejoon, mais sans doute n'était-il pas prêt. Avec Naga, il sent que c'est bon. Ils ont traversé trop d'épreuves pour s'offusquer des défauts des l'autre.
La conversation devenait de plus en plus aisée entre eux, comme si les quelques minutes qui avaient précédé et qui avaient donné lieu à l'échange de nounours avaient définitivement aplani les choses entre eux. Naga aurait été bien en peine d'expliquer un tel phénomène : peut-être l'attitude singulière de Hwang à son égard avait-elle suffisamment bousculé ses a priori pour lui permettre de changer l'image qu'il avait de lui. Il emmena Hwang à la cuisine, étant toujours en froid avec le salon qui lui semblait trop formel pour lui, et le fit asseoir à la table :
« Qu'est-ce que tu veux ? Thé ? Café ? Chocolat ? Ou jus de fruit ? »
L'heure n'était pas encore venue pour l'alcool : au goûter, on buvait obligatoirement sucré. Pendant que Naga faisait ses propositions, il fouilla les placards pour chercher quoi manger. C'était bien ce qu'il avait le plus l'habitude de faire dans cette cuisine, aussi savait-il exactement où concentrer ses recherches.
Seung joo n'aurait jamais cru pouvoir avoir ce genre de conversation avec Naga. Il trouve cela plutôt agréable, et regrette de ne pas avoir voulu s'excuser avant. Il suit Naga dans la cuisine, s'assoit sur une des chaises avant de répondre : « Qu'est-ce que tu as comme jus de fruit ? » C'est ce qui le tente le plus en cet instant, il a envie de quelque chose d'un peu frais, car il se rend compte que l'inquiétude lui a asséché la gorge et qu'il crève de soif.
Le choix de boisson surprit Naga, qui s'attendait à voir le petit Coréen choisir quelque chose de chaud, mais il masqua du mieux qu'il put son étonnement.
« Voyons voir... du jus pomme-fraise ou pomme-poire. On n'a pas grand chose parce que ce sont des jus fraîchement pressés et sans conservateurs, donc ça doit partir dans les jours qui suivent... »
On ne savait pas trop si Naga ressentait de la fierté pour posséder des jus aussi naturels dans sa cuisine, ou s'il se sentait lésé du fait de devoir se contenter des fruits de saison. Probablement un peu des deux. Il décida qu'il prendrait la même chose que son invité. Hafiz serait fier de lui.
Des jus fraichement pressés et sans conservateur ? Une part de Seung Joo continue de penser que c'est la norme : il a encore un peu du mal à s'habituer au fait que tout soit industriel désormais, ça lui change de son alimentation. Autant changer d'aliments ne lui pose pas de problèmes, autant la perte de qualité... « Pomme-fraise, alors. » : répond-t-il, le regard brillant indiquant la satisfaction qu'il éprouve. Cela lui confirme que Naga, c'est un type bien.
