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mend you ❃ naga

Jeu 23 Fév 2017 - 11:14
Naga aurait dû se douter que ses explications ne la toucheraient pas. Il s'était laissé emporter. Peut-être son discours était-il trop mécanique ? Il se demandait. Les mots qu'il employait si naturellement n'étaient pas vraiment les siens, après tout : on les lui avait inculqués à l'école, et ils s'étaient tout naturellement greffés à son langage. Il les avait d'autant mieux acceptés qu'ils lui permettaient de parler plus précisément de réalités qu'il expérimentait tous les jours. Il faut dire cependant que ça l'embêtait, Naga, de voir que tout le monde n'avait pas le même attachement à ce monde que lui. Pour la majorité des gens, un poisson était un poisson, un bateau était un bateau, et la mer juste une étendue bleue synonyme de vacances. Et pourtant, il y avait tellement plus de choses que cela, et elle ne semblait pas les voir. Naga ignorait ce que la princesse percevait de la mer ; peut-être des impossibilités et des rêves morts-nés ; en tout cas, tout ceci était bien différent de ce que lui expérimentait tous les jours. C'était un lieu de vie, pas un endroit pour rêver.
Il retint son soupir sans trop de difficultés - il y était habitué, après tout. S'il lui avait montré un filet plein de poissons, elle aurait pu comprendre. S'il l'avait fait naviguée, elle aurait pu comprendre. Mais Naga ne pouvait rien faire de tout cela ; d'une certaine façon, la faute était sienne, puisqu'il ne faisait pas ce qu'il fallait. Il abandonna l'idée. Tant pis.
La question le prit au dépourvu, et il faillit répondre spontanément qu'il n'y avait pas de poisson de chez lui. Il venait de la terre ferme, de l'industrie, pas de la mer, mais il se mordit la lèvre - elle ne pouvait pas savoir. Peut-être voulait-elle parler des espèces qui existaient en Alaska. Naga sourit en se rappelant que la plupart des gens, dont lui-même quand il était plus jeune que maintenant, associaient cet État au colin. Et du colin, on en trouvait régulièrement à Pallatine.

« Parfois, répondit cependant prudemment Naga. Mais il y a des poissons de toutes les régions du monde ici. Ce n'est... pas normal. »

Il s'était fait la réflexion des tonnes de fois, mais il avait conclu que la faute revenait au fonctionnement particulier de ce monde. Un souvenir particulier lui revint en mémoire, preuve la plus flagrante que quelque chose ne tournait pas rond dans cette dimension. Naga n'hésita pas un seul instant à partager ce souvenir.

« Je suis déjà allé au bord du monde, ici. Sur Terre, dans les temps reculés, les marins croyaient que leur bateau chuterait lorsqu'il arriverait au bout du monde. Puis ils ont compris que la Terre est ronde. Ici, le monde... a une bordure. Une sorte de mur. Je ne l'ai pas touché, mais je l'ai vu. »

Il sonnait presque perturbé, Naga. Il se souvenait parfaitement s'être ému de cette découverte, même si symboliquement elle était frustrante. Cela voulait dire qu'il n'y avait nulle part où aller, que la finitude existait et qu'ils étaient en quelque sorte coincés dans une immense prison. Les côtés étaient bloqués, et peut-être aussi l'en-dessous et le ciel. Ils étaient peut-être dans une cloche ou une bulle. Il s'en foutait : il voulait rentrer chez lui, pas partir à l'aventure au loin, mais tout de même. On ne ressortait pas pareil/indemne de cette rencontre avec la fin du monde.
Mer 1 Mar 2017 - 23:06
là où les mers s'enfuient
+ naga
Elle y croit, Sara, que la mer fait souffrir. Elle a entendu ses explications mais elle a aussi entendu les muscles qui crissent, les machines qui tirent, les vagues telles des sirènes, l'orage comme un invité indésirable ; elle a entendu la technique, la précision, des choses qu'elle ne comprend pas, elle a compris la complexité, la passion, d'autres choses qui la dépassent.
Et Sara, elle sait que le sol aussi, il fait souffrir -il n'y a que le ciel qui a l'air d'échapper à cette règle, et souvent, elle se dit que c'est parce que les Hommes ne peuvent pas y vivre.
(elle ne sait pas, Sara, que les hommes ont construit de quoi voler bien avant sa naissance, qu'ils foncent désormais dans des sénescences, dans une couche d'ozone qui résiste comme une amazone (les seins coupés pour mieux pouvoir tirer)(les étoiles décrochées pour encore mieux viser)(le corps perforé pour ne plus pleurer))
Elle ne connaissait pas les limites de la terre, Sara. Elle ignorait qu'elles étaient tout simplement au-dessus d'elle.
Il trouve que ce n'est pas normal, le petit homme des glaces, de voir des poissons autant qu'il en existe. La princesse, elle trouverait ça plutôt merveilleux -l'innocence, l'émerveillement, l’encensement de la diversité, la facilité d'un monde à portée de doigt, des secrets qui n'en sont plus vraiment, une rareté qui ne l'est plus vraiment, l'instabilité de ce que l'on va voir ce soir ; c'est cruel d'être persuadé de tant de bien quand en réalité rien n'est plus mal. Elle a des yeux solaires, mais à quoi servent-ils lorsqu'ils sont encore bandés par des idées qui manquent de luminosité ?
Elle regardait la mer, sans rien dire, et elle le regarde lui, maintenant, doucement bercée par un rythme sauvage, régulier mais ah, doux ne serait pas le bon adjectif -sans être mauvais.
Et elle l'écoute. Elle le voit, sur son visage, que ça le touche.
Et c'est encore plus clair dans son esprit -elle ne peut pas vraiment comprendre.
Qu'est-ce qui te fait peur ? Qu'on arrive au bout du monde ou que le monde arrive au bout de nous ?
Elle ne peut pas vraiment comprendre, Sara, parce qu'elle a d'autres limites avant celle de l'univers, parce qu'elle se demande d'abord si elle peut monter en haut d'un immeuble avant de se dire que l'océan a une fin -mais elle y croit, à ce qu'il dit, le garçon des pôles. Elle y croit et elle veut savoir ; mais c'est une autre étape, et c'est une autre histoire. Elle se contente de détailler ses yeux graves, ses lèvres gercées, ses traits lissés, les cheveux blancs. Il a plein de détails, le marin qui vient de la terre, des choses qu'il a pris de là-bas, des choses qui l'ont marqué ici. Ça se voit à la manière dont il aime l'endroit (et sa peur de l'envers)
Lun 27 Mar 2017 - 11:43
Qu'est-ce qui te fait peur ? Qu'on arrive au bout du monde ou que le monde arrive au bout de nous ?
La surprise fit sursauter Naga, le ramenant brutalement à une réalité qu'il ne se souvenait pas avoir quittée. Il s'était plongé dans ses pensées sans même s'en rendre compte, englouti par les perspectives terrifiantes que la finitude du monde posait. Naga n'avait pas compris qu'il avait peur, mais elle l'avait remarqué tout de suite - avait-elle perçu un tremblement de ses muscles, un froncement de sourcils inquiet, des dents qui se serrent derrière le rideau de ses lèvres ? Elle avait compris, elle, qu'il y avait quelque chose d'effrayant dans tout cela. Que craignait-elle, elle ? Elle en avait vu moins que lui, mais elle devait bien avoir sa propre expérience de la finitude.
Qu'est-ce qui te fait peur ? Qu'on arrive au bout du monde ou que le monde arrive au bout de nous ?
Naga évita le regard de la princesse - il ne désirait pas contempler ses perles violettes où la vérité du monde semblait s'y baigner. Il n'avait pas envie de faire face à quiconque. Le regard des autres lui était nocif, et leur jugement l'accablait. Comment pouvait-on réfléchir sur soi-même lorsqu'un autre vous transperçait de son regard intimidant ?
Le monde, à l'inverse... notre berceau. On ne pouvait lui échapper puisqu'on y vivait. On ne pouvait lui échapper puisqu'il avait une fin. Hors de lui, rien n'existait, du moins, c'était ce que Naga supposait. Mais le monde, lui, ne jugeait pas. Il accueillait et blessait ceux qui l'habitaient. C'était cela que Naga jugeait réconfortant. Il n'avait donc pas peur du monde.
Mais alors, qu'est-ce qui l'effrayait vraiment ?

« Ce qui me fait peur, confia finalement Naga, c'est tout ce qu'on ne peut pas voir. »

Il ne développa pas, ce constat se suffisant à lui-même. Arriver au bout du monde ne l'effrayait pas : sortir du monde paraissait bien plus effrayant. Le monde ne pouvait rien lui faire, après tout. Seuls les hommes pouvaient le blesser. Et Naga commençait à en avoir assez de se sentir blessé par eux. Un jour, il évoluerait enfin. Il trouverait un angle d'attaque qui lui conviendrait. Il se vengerait de la mauvaise opinion que les autres avaient de lui. Il trouverait la force de ne pas se faire enchaîner par leurs dires. Il serait enfin libre d'agir comme il le souhaitait.
Mais pas aujourd'hui.

« Et toi ? demanda Naga en retour. Qu'est-ce qui te fait peur ? »

Ce n'était que justice : l'Inuit s'était déjà amplement livré. Au tour de la princesse. Après tout, c'était elle qu'à l'origine Naga avait tenté de découvrir. Mais peut-être son narcissisme avait-il joué contre lui, ou bien Sara Krizman était-elle particulièrement douée pour détourner l'attention de sa personne, mais cet objectif n'avait pas été rempli. Trop mal à l'aise pour poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, Naga se résolut à suivre la voie qu'elle avait commencé à emprunter, en espérant qu'il ne se retrouverait pas disséqué une fois de plus par cette jeune fille en chaise roulante.
Lun 3 Avr 2017 - 20:58
and things go wrong no matter what i do
+ naga
Il a les yeux perdus des enfants à qui on apprend que les nombres négatifs existent, qu'il y a d'autres choses au-delà du ciel, que les étoiles sont plus grandes que la terre entière -quand on comprend ce qu'on ne pouvait pas savoir, et qu'on les sait trop tôt pour les deviner seuls. C'est de la peur, mais pas vraiment. C'est imaginer ce qu'on a jamais pensé, c'est demander des détails sur ce qu'on ne connaît pas -et c'est brut, c'est tellement pur, c'est étrangement oxygénant. C'est vrai, parce qu'il n'y a pas encore eu l'occasion d'être transformé, altéré, bricolé.
Elle n'a peut-être pas vu grand chose, Sara, mais elle en a imaginé bien plus que ce que l'on peut croire.
Elle le regardait se défiler -et ça, elle l'avait déjà vu maintes fois, sans jamais ne rien penser d'autre. Fuir est une action, un instinct humain ; on lui a dit que c'était comme ça qu'ils avaient pu survivre. Il n'y avait aucune honte à survivre. A se préserver. A vouloir continuer.
Sara n'avait pas peur de ce qu'on ne voyait pas.
Ou du moins, pas plus que d'autres choses.
Et elle avait senti dans ses mots pesants le poids de sa peur, elle avait senti la mesure et la confiance et la fébrilité et les questions et tant d'autres choses. Il savait si bien s'exprimer, soudainement, et il n'en avait sûrement aucune idée -elle a peut-être frissonné en entendant la fin de sa phrase, les suspens entre ses mots, la dureté des r.
Elle a les yeux qui dévient vers le sol, comme si elle voulait éviter la question, ou au moins ne pas se la prendre en pleine face. Elle savait que ce n'était que justice. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit, elle savait ça et tant d'autres choses -mais elle n'avait pas non plus à le regarder dans les yeux. Elle n'avait pas honte. Elle n'avait pas peur de ses peurs, elle n'avait pas peur de les dire.
Elle avait peur de ce qu'on pouvait en dire.
J'ai peur des Hommes. C'est étrange, pour une telle Princesse. Pour une ambassadrice, pour une figure publique, pour une fille aussi gentille ; pour quelqu'un qui parlait aux gens qui riait et qui se faisait juger, pour quelqu'un qui a les autres dans la peau. On a souvent peur de ce qu'on aime. Elle le sait, Sara. Et elle a peur des Hommes parce qu'elle y tient, elle a peur des autres parce qu'elle les aime bien plus qu'elle-même.
Et elle regarde la mer -elle est sauvage, la mer. Elle n'a personne qui la blesse sans qu'elle ne se défende.

Lun 10 Avr 2017 - 21:42
Des peurs, il en existait de toutes sortes, des grandes, des petites, des importantes, des anodines, des terrifiantes, des légères, des insultantes, des compréhensibles, des avouables, des impardonnables, des subtiles, des brutes, des irréfléchies, des sincères, des évitables, des cruelles, des noires, des bleues, des rouges, des jaunes, des grises. Naga pouvait en imaginer un nombre infini qui étaient toutes bien différentes des siennes - comme si la peur était dans la nature humaine et caractérisait l'homme avec plus de force encore que ses forces et ses espoirs, comme si le monde était un réceptacle effrayant de cauchemars polymorphes qui n'attendaient que de s'abattre sur lui. Mais parmi cet amas informe des peurs humaines, il y en avait qui appartenaient à la princesse et à personne d'autre, et Naga avait du mal à les apercevoir. Que pouvait craindre une jeune fille comme elle ? De perdre le peu de mobilité dont elle disposait encore ainsi que la santé ? Naga aurait craint de se retrouver en fauteuil, de perdre l'usage de ses jambes, et pas uniquement parce que cela aurait signifié perdre un emploi qu'il aimait - sa diaspora lui en aurait de toute manière trouvé un autre -, mais pour la perte de liberté, d'autonomie et de dignité qui l'accompagnait. Mais Sara était déjà passée par là et ce qui la menaçait encore était plus terrifiant encore - à un point que Naga n'osait même y songer, par crainte de donner réalité à ces pensées délétères. Alors quoi d'autre ? De ne pas trouver l'amour ? De se retrouver seule et abandonnée toute sa vie ? De croiser quelqu'un qui voulait lui faire du mal et d'être incapable de se défendre ? (il ne savait pas alors qu'il serait lui-même impuissant face aux poings ravageurs d'un petit coréen, et ô combien cette menace pouvait être réelle, pour tous)
Mais la princesse le surprit en lui avouant sa peur des Hommes - avec un grand H, Naga le perçut très nettement, car elle ne distinguait pas l'humanité selon son sexe dans ce cas précis. Une femme pouvait être tout aussi dangereuse et cruelle qu'un homme, il le savait bien. L'humanité, c'était autre chose. Naga comprenait cette peur : il existait bien plus de mal que de bien chez les hommes. Ils causaient la souffrance et la peine de leurs semblables, ils se tuaient, se mutilaient, se détestaient et s'écrasaient entre eux. Les manifestations d'amour étaient réelles, mais si faibles, minces consolations pour celui qui plie sous le poids de sa douleur. Tout le monde avait une tendance à faire du mal, à imposer sa volonté aux autres et à céder aux sirènes de ses envies ; mais faire le bien demandait un contrôle sur soi que la plupart des gens étaient loin de posséder. La bonté n'était pas naturelle, elle se travaillait. Il était donc normal de craindre les hommes et leurs méfaits.
Mais la princesse ajouta immédiatement qu'elle les craignait parce qu'elle les aimait, et Naga se sentit subitement perdu, incapable de comprendre ce paradoxe. Lui avait peur pour ce qu'il aimait, et non de ce qu'il aimait. Malgré lui, il se mit à scruter son visage, à la recherche du moindre pli de douleur qui raconterait le passé de Sara. Mais il ne voyait rien - elle cachait ses douleurs derrière un visage affable qui lui devenait insupportable, et il se détourna, torturé pour elle. Ses paroles avaient un accent de masochisme qui lui échappait, mais il supposait qu'elle n'arrivait pas à ressentir de la colère envers ceux qui lui faisaient du mal - exactement le contraire de lui, qui n'était capable d'éprouver de l'affection envers ceux qu'il aimait pourtant.

« Ce n'est pas très logique. » commenta simplement Naga, manifestant clairement le fait qu'il ne l'avait pas comprise.

Que pouvait-il dire d'autre ? Naga ne comprenait pas, et il ne pensait pas que ce serait possible. L'envie de dire qu'il ne pouvait partager cette peur parce qu'il était bien pire que la plupart des hommes lui brûlait les lèvres, mais Naga ne pouvait se résoudre à les desserrer, une fois encore pour ne pas donner de la réalité à un état qu'il ne pouvait totalement nier. Il ne pouvait avouer à la princesse à quel point il était mauvais au fond de lui : il savait qu'il l'était, mais de là à le dire... il aurait pu le faire sur le ton de la plaisanterie, mais cela n'aurait pas sonné vrai.
De toute manière, les actes de Naga parlaient pour lui, et l'on avait tôt fait de se faire une opinion négative à son sujet. S'il n'avait pas encore déçu la princesse, il aurait encore largement le temps de le faire pendant les minutes qui leur restait. Et sans s'en rendre compte, il agit ainsi qu'il avait toujours détesté.

« On redescend ? Il n'y a rien à voir ici de toute façon. »

Naga fut surpris de son ton presque acerbe - comme s'il avait quelque chose à reprocher. La déception transparaissait clairement dans sa voix, mais pour quoi était-il déçu, et de quoi, il n'aurait pu le dire, cela n'avait pas de sens. Rien chez lui ne faisait sens, en fait, et il fallait toujours qu'à un moment, ses pensées le ramènent à lui-même et à tout ce qu'il détestait profondément chez lui.
Ven 14 Avr 2017 - 12:46
it's too soon
+ naga
Sara -elle avait l'honnêteté candide. Elle ne se cachait pas derrière des mots trop compliqués, non, pas derrière des mots sérieux de psychologues ; parfois c'est encore une enfant, Sara, et c'est le privilège de ceux qui ont bientôt vingt ans mais pas encore tout à fait. de ceux qui rêvent encore et qui pensent pouvoir les réaliser. de ceux qui dorment à poings fermés, de ceux qui travaillent sans s'ennuyer, de ceux qui restent motivés.
Mais Sara -elle a peur des anges autant qu'elle a peur des satans qui traînent, parce qu'elle a peur de ce que les autres peuvent lui faire mais aussi de ce qu'elle peut faire aux autres. Tout est réciproque -et rien n'est ange, rien n'est blanc, rien n'est pur. Et sûrement pas elle -elle le sait.
Ça la fait sourire, la remarque du garçon de glace. Ça la fait sourire -qu'elle, la membre de l'Institut, la science institutionnalisée, parle de chose illogique à un pêcheur -les rationnels, ceux qui voient la réalité des choses. Ça la fait sourire parce que ça illustre un vide qui n'existe pas dans ce cas, mais qui existe souvent : celui entre la théorie et la pratique, entre ce qui est prévu et ce qui arrive vraiment.
Elle se dit que peut-être, elle a tord, Sara. Qu'elle ne devrait pas avoir peur. Et pourtant, elle répond. Et pourquoi est-ce que tout devrait toujours être logique ? Et elle a les yeux qui se perdent, qui se couvrent, qui s'agitent ; un peu de vie dans son visage de poupée, de princesse améthyste. Descendons donc, si tu le veux bien. Elle ne dit pas parce qu'il n'y a rien à voir parce qu'elle n'y croit pas -ça ne sonnait pas comme un mensonge, mais plutôt comme une demie-vérité. Peut-être qu'il n'avait plus rien à tirer d'elle. Peut-être qu'il se lassait des surprises de l'océan, des vagues à chaque fois différentes, mais il y avait toujours quelque chose à voir -Sara en était certaine.
Et pourtant elle tourne le dos à l'océan (à la liberté), elle relève la tête vers son interlocuteur (son guide son pilier éphémère) Je ne connais pas ton prénom. C'est une constatation, pas une demande.
Mer 19 Avr 2017 - 12:32
Comment retrouver sa confiance en lui piétinée ?
Car c'était bien le problème de Naga, en fait : la belle assurance dont il avait toujours su faire preuve s'étiolait progressivement, sans qu'il parvienne à trouver un moyen de stopper cette lente descente en enfer. Il s'enfermait. Évitait le contact des autres. Se sentait brûlé si quelqu'un lui manifestait trop d'intérêt. Se sentait isolé si personne ne le regardait. Se sentait déçu lorsqu'il comprenait l'inadéquation de sa personne avec celle des autres. Tout était prétexte à ces sentiments amers qui le submergeaient sans pitié.
Voir les autres ne rien lui reprocher lorsqu'il se comportait ainsi n'aidait pas vraiment Naga à aller mieux. La princesse ne semblait pas s'offenser de ce cruel renversement de son caractère - comme s'il lui était plus facile encore de pardonner que de respirer. Avec une pensée amusée, Naga se dit que l'Institut avait bien choisi son ambassadrice et l'avait bien formée : on ne pouvait que céder à la douceur de ses yeux violets, au réconfort de ses mots, à la fragilité de son apparence - comment lui en vouloir, comment nourrir de la rancune contre elle, impossible, il ne voyait pas comment. Il regrettait déjà ses paroles amères - n'était-il pas en train de la priver d'un rêve qu'elle n'accomplirait jamais mais qu'elle pouvait imaginer, aidée du ballotement des flots, de l'iode de la mer et de ce vent frais qui chatouillaient ses cheveux clairs. Mais elle avait déjà accepté, comme si elle avait compris sa réaction, et une fois de plus, Naga dut se reprocher son égoïsme et son caractère. Lui qui rêvait de rencontrer la princesse Améthyste qu'il aimait tant se montrait décevant au moment de lui faire découvrir son univers.
Naga acquiesça d'un bref signe de tête, s'efforçant de décripser son sourire, mais il ne fit pas le moindre geste pour la faire descendre - elle ne semblait pas en avoir vraiment envie, et la façon dont elle regardait l'océan, avec nostalgie et désir, l'incita à lui laisser quelques instants de plus. Lorsqu'elle se retourna pour lui demander son prénom, Naga ne pensa même plus à redescendre.

« Je... »

Mortifié à l'idée d'avoir oublié de se présenter, les joues de l'Inuit se colorèrent de rose, chassant la teinte polaire qui habituellement recouvrait tout son visage. Il aurait dû le dire, peut-être - mais il lui était déjà arrivé de discuter avec des inconnus sans jamais connaître leur nom. Naga avait pensé que cette vérité n'intéressait pas la princesse - la princesse, jamais Sara, car il ne se sentait pas assez proche d'elle pour l'appeler par son prénom. Et pourtant, maintenant qu'il la connaissait mieux, il se rendait compte qu'elle était le genre de personne qui aimait donner un nom aux choses.

« Naga. »

Un prénom qu'il ne prononçait même pas avec son accent américain habituel et qui sonnait exotique dans son anglais maternel. Un prénom qu'il offrait brut, sans fioritures, parce qu'il se suffisait à lui-même, parce qu'il aurait pu être ce prénom seul et que personne, ou presque, à Pallatine, n'aurait porté le même.

« C'est inuit, précisa-t-il, pas indien. Ça veut dire "non", ou en tout cas, ça symbolise la négation. »

Naga ne s'exprima pas sur ce que lui évoquait son prénom - pendant longtemps, sa signification lui était totalement inconnue, il s'était simplement demandé pourquoi ses parents lui avaient donné un nom inuit et non typiquement américain. Ce n'est qu'en venant à Pallatine, et en changeant de nom de famille, qu'il s'était dit qu'il devait apprendre le sens de son prénom. L'eût-il appris plus tôt, il l'aurait trouvé inapproprié à sa personne, concentré de positivité et d'ambition démesurée et non jeune homme de négation. Sur le moment, il s'était dit que cela reflétait bien son comportement avec la culture de sa mère. Désormais... Naga se disait qu'il rendait parfaitement honneur à son prénom - ce qui n'était pas forcément une bonne chose.
Estimant qu'il avait assez parlé de lui, Naga demanda d'une voix timide :

« Est-ce que... je peux t'appeler Sara ? »

Une pointe d'espoir transparaissait dans ses paroles - on sentait que Naga ne cherchait pas uniquement à être sur un pied d'égalité avec elle, mais aussi un réconfort que la plupart des gens, parce qu'il était trop froid et trop distant, lui niait.
Ven 28 Avr 2017 - 15:38
it's too soon
+ naga
Sara ne le voyait pas comme il était. Comment la blâmer -elle a cette sensibilité, cette manière de comprendre sans parler, mais elle n'est pas devin et oh, elle a bien des défauts : l'empathie est une chose, la familiarité en est une autre. Elle ne s'offusque pas, Sara, comment le pourrait-elle alors qu'elle ne connaît rien de lui -pas ses raisons, pas sa réalité, pas ses problèmes, pas ses joies, même pas son nom.
La vérité, c'est qu'elle ne comprend pas, mais surtout, qu'elle n'a pas la verve d'oser dire qu'elle pourrait éventuellement comprendre -Sara était trop délicate pour ce genre de choses, elle avait le soucis des mots comme on le lui avait appris et pour rien au monde elle ne voulait vexer les gens avec eux, avec d'autres, avec tout. Oh, ça ne l'empêchait pas d'en réveiller certains, parfois, de piquer et de rire, mais jamais de vexer. C'était inutile.
Alors elle sourit doucement -amusée, peut-être, mais pas en colère face à ses joues roses sur son être de neige.
Ce n'était pas un prénom qu'elle connaissait.
Elle s'est rapidement mise à rêver -un nom, ça en dit tellement et si peu ; alors elle essaie de deviner d'où il vient, de quand il vient, d'où il ira, parce que parfois Sara se mélange les pinceaux et colore tout dans un vert espoir, dans un vert peut-être un peu accusatoire.
Mais elle arrête de rêver, Sara, et elle relève la tête ; elle ne connaît ni les inuits ni les indiens mais elle est sûre et certaines qu'ils viennent de beaux pays -elle n'imagine même pas que Naga viennent d'une région aussi blanche que ses cheveux, à l'origine. Elle ne savait toujours pas, Sara, si elle adorait ou détestait ne rien savoir du monde -elle aimait les surprises, cette manière dont les gens façonnaient sa façon de voir la Terre, de lui donner plus de vie encore qu'elle n'en contient déjà.
Mais parfois, c'était triste, et parfois, elle se détestait aussi.
Bien sûr, Naga. Elle le dit de manière tranquille, sans être inquiétée le moins du monde, comme un automatisme. C'en était sûrement un, au fond. Elle préférait être Sara que Princesse -c'était toujours le problème, avec les pseudonymes. Parfois on a du mal à faire la différence. Allez-vous me dire non si je demande la descente ? Elle se fait douce moqueuse, mais pas méchante ; elle sait qu'elle n'est pas bonne humoriste mais elle ne s'en empêche pas pour autant. Elle abuse du pardon des gens. Ce sont de jolis sons. Elle le dit alors qu'elle regarde une dernière fois vers l'étendue d'eau, et les vagues semblent un peu scander le prénom de l'autre, lorsqu'elles frappent le rivage.
Dim 30 Avr 2017 - 11:50
Elle ne lui avait pas dit qu'elle trouvait son prénom étrange ou joli : elle n'avait fait aucun commentaire, et pendant un instant, Naga aurait pu croire qu'elle ne l'avait même pas entendu, qu'il était passé par dessus elle et s'était perdu dans les profondeurs de l'océan où seule l'oreille des poissons pouvait encore l'entendre. Mais c'était normal : le jeune homme ne pouvait espérer mieux, il aurait réagi de la même façon. Il n'était pas dans un de ces romans où le nom avait un sens et où on le dégustait dans un obscur et poétique monologue intérieur. Ce n'était qu'une façon de le désigner, après tout. Il ne se laissa pas décevoir, puisqu'il n'y avait pas de raison d'être déçu. Naga se contenta de remercier Sara lorsqu'elle l'autorisa à utiliser son prénom - cela voulait dire quelque chose, et si peu en même temps, c'était le signe qu'il la connaissait désormais un peu mais sans pouvoir se targuer de la connaître davantage. Puis il passa rapidement à autre chose - les cartes avaient été attribuées, et désormais, chacun savait où s'en tenir.
Il ne décela pas vraiment d'ironie dans les propos de la princesse lorsqu'elle lui rappela qu'il lui avait proposé de descendre, et il s'en excusa à peine - là encore, rien à excuser. Naga lui avait offert quelques secondes de répit qui avaient infiniment moins de valeur pour lui que pour elle, et il se sentait plus à l'aise de la priver de la mer si c'était elle qui demandait. Sara regardait encore la mer et appréciait la mélodie des vagues portant le bateau : ce spectacle était d'une grande tristesse et serra le cœur de Naga. Il ne songeait pas encore à ce qui lui arriverait lorsqu'il devrait quitter définitivement la mer à son tour. Il se racla la gorge avec élégance avant de prononcer d'une voix douce :

« Allons-y... »

La même cérémonie que pour la montée fut effectuée, mais à l'envers, et Sara se retrouva bien sur son fauteuil, au pied du bateau, sans que Naga ait consenti à échanger un seul mot - il trouvait cela bizarrement dangereux. Il lui était trop facile de prendre sur lui une culpabilité qu'il ne méritait pas - il n'était pas responsable de Sara ou de ce qui lui était arrivé mais les aiguillons de la culpabilité le piquaient tout de même, puisqu'il était incapable de faire quelque chose de véritablement utile pour elle. Pourtant, si Naga gardait le silence, son visage avait quelque chose de lumineux - peut-être cela tenait-il à la façon dont ses lèvres se plissaient pour former un sourire large et rond, ou bien à la lumière du soir qui était encore assez vigoureuse pour percer la transparence de ses iris décolorées et qui effaçait les ombres les plus dangereuses de ses traits. On ne le sentait pas malheureux, ni tout à fait heureux, plutôt perdu dans un tourbillon de sentiments qui n'étaient pas tous négatifs.
Il répugnait encore à la laisser partir ou à la reconduire à l'entrée du port, aussi demanda-t-il d'un ton détaché :

« Mais ils n'ont pas de bateau à l'Institut ? Ils pourraient organiser des croisière, des fois, ça ferait plaisir aux gens, j'en suis sûr. »
Mar 16 Mai 2017 - 22:33
know my name
+ naga
On a tellement l'habitude quelle dise quelque chose, Sara, que parfois quand elle se tait, on tourne les pupilles vers ses améthystes bordées de cils, et on attend. Elle sait, Sara, que c'est son rôle, de parler. Elle sait, Sara, qu'elle a de la chance, parce qu'on lui donne le droit de parler avec son cœur, parce qu'on le lui demande même, mais parfois même l'âme reste silencieuse et parfois elle n'a rien envie de dire, rien envie de voir, rien envie de savoir.
Elle pourrait penser beaucoup de choses d'un prénom -des stéréotypes, souvent, des jolies choses, plus rarement.
Peut-être qu'en réalité, on se tait seulement quand on sait qu'on ne peut pas mentir.
Elle se laisse porter comme à l'aller, et elle regarde la mer encore -la réalité, c'est qu'elle aurait bien aimé la toucher. Y nager. Elle se doute qu'elle aurait couler, mais même des gens atrophiées, ça ne l'a jamais empêchée d'avancer.
Et elle regarde de loin, et elle admire, et elle salue, et elle fait son deuil. Elle dit qu'elle préfère les au revoir, en réalité elle souffle des adieux pour être certaine de ne pas les rater. Pour pouvoir être surprise, plus tard, quand elle pourra redire bonjour avec volupté.
Elle retrouve son fauteuil avec un sourire ; elle a l'impression, à défaut d'avoir des jambes, d'à nouveau avoir un corps. Elle rit, parce qu'elle souriait déjà, et elle pose ses bras sur ses accoudoirs, comme sur un trône. Je ne sais pas si l'Institut a un bateau. J'imagine, tout comme vous, sur ce coup-là. Et son regard glisse -un adieu vers la mer, avait-elle dit. Des croisières, ça serait beau. Enfin, elle croit, Sara -elle n'est jamais allée plus loin que le rivage. Ils pourraient dire que c'est pour la science. Et elle est parfois joueuse, Sara, mais jamais trop longtemps.
Lun 31 Juil 2017 - 10:26
Naga attendait encore avant de la reconduire à l'entrée du port. Il désirait goûter encore un peu au charme poignant des paroles de Sara, celle qui se cachait derrière la Princesse Améthyste. Il n'avait pas envie de la quitter, même s'il se sentait fatigué de sa journée et qu'il avait hâte de rentrer chez lui pour se débarrasser définitivement de son odeur de poisson par un long bain parfumé et par des fragrances hors de prix. Il voulait profiter de sa présence le plus longtemps possible. Mais déjà, le soleil amorçait sa longue descente vers l'horizon et viendrait bientôt colorer la mer de ses reflets dorés. Naga ne tenait pas à ce que Sara trainât seule dans le port à la nuit tombée - même si probablement personne ne s'en prendrait à elle, mais sait-on jamais.
Elle était en tout cas charmée par la perspective de croisières sur la mer, et Naga se rendit tout à coup compte que sa proposition était indigne d'un Altermondialiste - les croisières pouvaient être très polluantes. Il ne l'aurait pas remarqué si Sara n'avait pas voulu prêter des prétextes scientifiques à la croisière - il s'était senti bizarrement remis à sa place, se rappelant qu'il appartenait à une diaspora qui préservait l'environnement aussi bien que le milieu social des hommes. Heureusement, elle n'avait pas révélé qu'il n'était qu'un Vert imparfait, et il n'éprouvait aucune honte à cette bourde. Naga avait du mal à se débarrasser de ses anciens réflexes impérialistes.
Il avait toujours rêvé de croisière. Ce n'étaient pas les eaux glaciales de l'Alaska qui le faisaient rêver - même si, de son temps, elles devenaient franchement agréables en été - mais la chaleur des eaux des Caraïbes. C'était si loin de chez lui. Depuis le temps que ces croisières existaient, elles avaient acquis un prestige incomparable. Alors forcément, il en rêvait. Mais ils n'avaient jamais pu partir.
Les eaux de Pallatine n'étaient ni chaudes ni glaciales - c'étaient des eaux tempérées, où on percevait des courants chauds ou froids, mais légers. L'été d'un Alaska réchauffé. C'était peut-être ce qu'il y avait de plus proche.

« Il n'y aurait peut-être rien à visiter, reprit Naga, mis à part le mur au bout du monde - et ce n'est pas si impressionnant que cela. C'est peut-être pour ça qu'ils n'ont jamais tenté. »

Et puis, il connaissait la mer, désormais, il n'avait plus envie de croisières. En particulier ici, sur la mer de Pallatine. Il en connaissait trop les recoins, et tout ce qui l'intéressait, c'étaient les poissons. Mais d'autres que lui avaient peut-être envie de naviguer.

« Le soleil va se coucher, fit-il enfin remarquer, ça va devenir assez froid, ici, lorsqu'il sera parti. On ferait peut-être mieux de rentrer. »

Chacun de son côté. Naga trouvait cela fort triste.
Jeu 31 Aoû 2017 - 21:37
i wither underneath, i of the storm
+ naga
Sara avait la présence douce : on ne s'en veut pas vraiment de la retenir, parce qu'on a l'impression que ce n'est pas le cas, qu'elle aussi elle veut rester là. En réalité, ce n'est pas vraiment le cas, mais qu'importe. Le temps passe, et quand il se passe bien, c'est qu'elle a fait son travail comme il le fallait. C'est tout ce qu'elle demande. C'est tout ce qu'il lui faut.
Et Sara, elle ne voit les croisières que comme un divertissement ; on ne lui a pas appris comment les poissons meurent des bouts de plastique qu'on leur donne comme des friandises, on ne lui a pas appris que les bateaux parfois s'échouent et déversent tout dans les vagues qui avalent à l'infini, on ne lui a pas dit que sur Terre il y avait même un septième continent et qu'il devenait de plus en plus grand de plus en plus gros de plus en plus monstrueux oh mais -comment aurait-elle pu deviner. On n'avait même pas inventé le plastique quand elle est partie ; il n'y avait que les fumées blanches des locomotives à vapeur et les suies de ceux qui travaillaient au charbon. Elle était trop jeune pour s'intéresser à ce que devenait tout ce qu'elle utilisait.
Ce serait majestueux, pourtant, non ? D'annoncer la fin du monde, et de leur montrer la réalité. Elle sait que c'est une pensée triste, elle ne s'en cache pas, mais la tristesse fait partie du monde et oh, il en faut en toutes choses. C'est-à-dire qu'à la fin, il n'y a plus rien. Juste rien, si l'on peut dire, parce que rien, c'est tellement déjà. Elle a les mains qui glissent sur les roues pour faire avancer son fauteuil jusqu'à un petit peu plus loin. Mais il se fait tard, vous l'avez dit. Mieux vaut-il ne pas trop s'épancher. Sur la conversation ou dans le temps, personne n'en saura rien.
Dim 10 Sep 2017 - 15:46
Le bout du monde, Naga avait déjà eu l'occasion de le contempler - de loin, tout de même, mais cela lui avait suffi. Il savait exactement à quoi s'attendre, et de là ne pouvait concevoir pas le moindre sentiment de stupeur ou d'étonnement face à ce phénomène qui n'avait rien de naturel. Les anglophones, dont Naga faisait partie, auraient employé ce concept difficilement traduisible de awe pour décrire le sentiment que l'on était censé ressentir face à la fin du monde : une admiration, un étonnement émerveillé qui se teintait de nuances craintives face à la monstruosité qui écrasait de sa splendeur indifférente l'homme fragile qui se dressait faiblement face à lui. Naga n'avait jamais connu ce sentiment, ni face à la banquise plus si blanche autour de Kaktovik, ni face aux immenses puits de pétrole d'où l'or noir était péniblement traîné à la surface par des hommes au sang-mêlé et aux illusions brisées. Pallatine et ses merveilles, pas plus que Pallatine et ses horreurs, ne savaient lui arracher un autre sentiment qu'une passible acceptation de tout ce qui se présentait à lui.
Mais Sara ne pensait pas comme lui : elle était toujours dotée de la capacité d'émerveillement dont Naga était privé. Elle voyait, dans cette fin du monde, une apocalypse qui peut-être était une déception bien cachée. Du moins, c'était ainsi que l'Inuit voyait les choses. Il ne voyait pas comment on pouvait réagir autrement. Mais il pouvait comprendre que pour une personne privée de ses jambes, l'envie d'explorer les confins du monde dans lequel elle évoluait devait être une tentation qu'un homme de la mer ne pouvait pas comprendre. Il lui pardonnait cette naïveté - car après tout, peut-être était-ce lui qui était blasé.

« Ce n'est pas si impressionnant que ça. » glissa Naga dans un souffle, sans s'adresser à personne à particulier.

Il ne voulait pas la regarder, même s'il désirait inscrire dans sa mémoire sa silhouette s'éloignant lentement du port en le laissant derrière. Naga désirait ressentir le sentiment d'abandon que les séparations finissent toujours par provoquer - pour pouvoir, peut-être, se convaincre que ce n'était pas sa faute, en définitive, si elle était partie. Ainsi pourrait-il entretenir à son propos un petit aiguillon de désespoir qui ne pourrait se calmer qu'à la prochaine rencontre.
Il aurait dû la regarder.

« Eh bien, dans ce cas, à bientôt. Je travaille ici presque tous les jours, sauf le dimanche, si l'envie te prend de repasser. »

Sa gorge se serra avant qu'il ait eu l'occasion de lui dire qu'il aurait bien aimé passer la voir un de ces jours. Naga savait se faire suffisamment élégant pour ne pas être rejeté par l'Institut s'il tournait trop autour de leur ambassadrice. Mais là n'était pas la question. Sara accepterait-elle de lui laisser un place dans sa vie ? Elle était une célébrité, après tout.

« À bientôt. »

Sa voix, transformée en soupir délicat, ne portait guère plus loin que le fauteuil de Sara. C'était une promesse, bien sûr, car Naga voulait la revoir. Et il savait qu'un jour, n'y tenant plus, il ferait l'effort d'aller la chercher si elle ne revenait pas d'elle-même. Pour lui parler encore et découvrir ce monde caché qu'elle seule savait entretenir dans le globe de ses yeux améthystes.
Ven 29 Sep 2017 - 17:33
i wither underneath, eye of the storm
+ naga
Elle sait qu'elle dit des mondanités. C'est pour ça qu'on l'aime après tout : elle les dit avec tant d'innocence, et tant de foi, et tant de fougue ; elle les dit avec peu de manières, si ce n'est les siennes, et elle les dit sans trop y réfléchir. On lui avait dit, après tout, de ne jamais prendre trop de temps pour répondre. Les gens se sentent trop trahis, sinon -alors elle a toujours des phrases déjà toutes faîtes derrière son sourire de poupée, d'albâtre et de ciment, alors elle sait comment dévier les conversations, comment se donner un peu d'oxygène. Ce n'est pas si compliqué, en réalité.
Et peut-être que ce n'était pas si impressionnant, mais c'était le retournement final de la situation. Rendre l'incroyable croyable, transformer la fin en un rien, supposer l'impossible et le voir sur un bateau qui tangue, qui tangue, mais qui ne sombre pas.
Elle n'est pas didactique, Sara. Il n'y a rien à sortir de son esprit.
Je travaille tous les jours, mais il n'est pas nécessaire de tout rendre professionnel, n'est-ce pas ? C'était une question à laquelle elle ne voulait pas de réponse -non pas qu'elle la craignait, mais plutôt qu'elle n'en attendait pas : elle la connaîtrait assez vite, pensait-elle. Naga n'avait pas l'air d'être de ceux qui attendent trop longtemps, alors elle s'en ira, et un jour peut-être, elle reviendra. Au revoir. C'est un synonyme c'est un à bientôt incertain, c'est une invitation et c'est aussi une conclusion ; c'est dire merci pour le moment mais il est venu le temps de s'échapper de s'en aller de s'en voler.
Peut-être qu'elle reviendra -quand l'eau lui manquera, quand elle aura des questions, quand elle voudra plus en savoir. Un jour, on lui a dit quelque chose, et elle croit bien que ça s'applique à tous : on ne demande pas au poisson ce qui arrive sur terre, ni au rat ce qui arrive dans l'eau.
La sagesse d'un pêcheur.  
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