Histoire

Son sac d’école glissait le long de son bras, tombant lourdement sur le sol dans un bruit sourd. Les yeux fixés sur le spectacle qui se trouvait en face d’elle, elle n’arrivait pas à comprendre l’horreur de la scène, ce qui s’était passé ou pourquoi. Son regard ne se détournait pas, elle restait debout, la bouche entrouverte sans qu’un seul son n’en sorte. Pas même un cri étouffé, absolument rien. Ses jambes avançaient lentement, traînant presque des pieds. La fillette clignait des yeux avant de se pencher vers les corps sans vie de ses parents. Qu’est-ce que c’est la mort ? Une question à laquelle elle n’avait pas eu de réponse avant ce jour. Elle n’avait que six ans, ce n’est pas une question où l’on connait la réponse à cet âge-là. Sa petite main se rapprochait du visage de son père, il avait l’air triste de quitter ce monde beaucoup trop rapidement. Zhu Qiao Rong le secouait doucement comme pour tenter de le tirer hors de ce sommeil éternel.

- Papa, arrêtes ta blague… Réveilles toi…

Pas de réponse. Les larmes perlaient aux coins des yeux de la petite chinoise. Pourquoi il ne se réveille pas ? La vérité était que ses parents avaient volés un bien de grande valeur pour tenter de le revendre pour assurer un avenir plus prospère pour leur fille. Ce qui ne s’est pas passé tels qu’ils le souhaitaient, ils furent retrouvés et assassinés par l’un des gangs qui dirigeait les bas-fonds de la ville. Faire respecter leurs lois, c’était connu, quiconque tentait de violer leurs règles serait sévèrement réprimandé. Les pleurs de la petite chinoise résonnaient dans la maison sans vie. Des pas derrière l’enfant faisaient craquer le vieux plancher gondolé. Elle ne s’arrêtait de pleurer - un véritable torrent de larme - n’entendant pas les pas résonner. L’inconnu restait derrière elle, sans mot dire. Son visage grimaçait à chaque pleurs de la petite fille.

- Je m’étais juré d’avoir exterminé tout le monde ici. Il en manquait donc une. Quelle pauvre enfant triste. Un sourire malsain se formait sur ses lèvres pincées. Je te ferais bien taire mais je vais m’occuper de ton cas d’une façon plus « amusante. »

C’est à partir de ce jour-là que le cœur de la petite Zhu allait être corrompu par la haine et la rancœur. Le membre ayant « adopté » la fillette était chargée de s’occuper d’elle, à sa manière. Pas de sentiments, pas de lectures le soir, pas de petites attentions, ni de parents, ce monde de tendresse qu’elle avait connu s’était envolé. L’homme avait décidé de l’élever comme un garçon. Il lui apprenait à se battre, à tenir une arme et à viser correctement avant de lui apprendre à tirer. Elle exécutait les ordres qu’il lui donnait. De temps à autres, la jeune fille s’occupait de la sale besogne de son tuteur, après tout, personne ne soupçonnait une jeune personne de pouvoir tuer de sang-froid. Petit à petit, elle avait réussi à se faire une place au sein du gang.

Le soir de ses vingt-et-un ans, son « père adoptif » lui glissait une photo sous les yeux. Les sourcils de la jeune femme se fronçaient dans l’incompréhension. Il l’observait au travers des moutons de fumée de sa cigarette. Elle prenait la photo, la regardant de plus près, détaillant les traits de chaque personnes dessus. Elle restait interdite, n’arrivant pas à comprendre le message qu’il voulait lui faire passer. Son regard interrogatif se posait sur l’homme, quel était le but de tout ça ?

- Tu as tout oublié à ce que je vois. Il soupirait sa fumée. Les deux adultes sur cette photo sont tes vrais parents. Tu étais petite quand ils se sont fait tuer.

Zhu entrouvrait la bouche pour tenter de dire quelque chose. Elle se doutait que cet homme n’était pas son véritable père seulement elle ne voyait pas encore où il voulait en venir.

- D’accord mais… Je ne suis pas sûre de comprendre.
- Ils se sont fait tuer pour avoir volé quelque chose qu’ils n’auraient pas dû. Ils voulaient sûrement faire ça pour toi, pour ton bien. Que c’est touchant. Il haussait les épaules. La personne qui les a tués, tu la connais bien. Cette personne y était contrainte pour ne pas courroucer le chef.
- C’est toi ?

Il ne répondait pas, écrasant la fin de sa cigarette dans son cendrier. Il plongeait son regard dans celui de Zhu en souriant. La colère, le désir de vengeance montaient en elle. Serrant les poings, sont expression n’était plus la même. Ses traits tirés, le visage fermé et sévère.

- C’est vraiment toi qui m’as retiré tout ça ?

Se contentant de lui répondre d’un sourire, il ne bougeait pas les lèvres pour parler. Seul son regard signifiait « Vas-y, venges toi, je n’attends que ça. ». La chinoise glissait ses mains sous sa gorge. Elle ne détournait pas les yeux, serrant les mains autour de son cou laiteux. Elle ne ressentait rien d’autre que de la haine à cet instant, pas de remords, pas de sentiments à l’égard de cet homme, uniquement de la colère à l’état pur. Elle ne lâchait sa gorge que lorsque son dernier souffle fut soupiré.

Zhu avait fait le choix de fuir le gang pour éviter les représailles, elle savait ce qui l’attendait s’ils la retrouvaient. Elle a décidé de quitter la capitale quelques temps avant d’être recrutée par une société privée afin de devenir mercenaire. La chinoise ne refusait pas, après tout, elle ne ressentait rien en éliminant les gens. Ce qui était dur pour elle était l’environnement masculin dans lequel elle travaillait désormais. Les mœurs ne changeaient pas, une femme restait une femme, une femme restait une chose fragile à protéger, une femme restait une vulgaire personne sans force. La jeune femme faisait ses preuves en effectuant son travail le plus sérieusement. Aucunes fautes commises. Elle était un membre exemplaire. Elle entendait ces murmures derrières elle, jugeant ses capacités, jugeant ses aptitudes ou même ce qu’elle aurait pu faire pour être reconnue. Crainte de certains, elle commençait à se faire connaître pour ses compétences.

Cette fois ci, la jeune femme avait été envoyé pour une cible un peu spéciale cette fois ci. Ce n’était plus des histoires de vengeances où le client disait « Mort aux traîtres ! ».  Les lieux où se trouvait la vermine étaient beaucoup trop calme, elle trouvait cela suspect. Alors qu’elle arrivait près du hangar en question, son regard était attiré par quelque chose non loin. Ses jambes continuaient d’avancer, ne prenant pas garde à ce qu’il pouvait y avoir. Au moment où elle reposait son regard vers les pieds, c’était trop tard, l’explosion se déclenchait sous ses jambes. Le bruit de la chair qui se déchirait et des os se brisant résonnaient après la détonation. Les bris du piège volaient ça et là. La chinoise se sentait stupide d’avoir sauté à pied joints dans le piège, d’avoir eu ce moment d’inattention, elle ne sentait plus grand-chose d’autre que la douleur qui engourdissait tout son corps. Elle ne sentait plus ses jambes, elle ne voyait plus. Elle ne criait pas sous la douleur, elle restait face contre terre, se disant que la mort n’était peut-être pas si mal. Est-ce la fin ? Vais-je mourir ici ? Zhu ne la redoutait pas, elle lui tendait presque les bras, à défaut de pouvoir courir vers elle, attendant son doux baiser qui l’emporterait loin de ce monde. Elle voulait sentir la froide étreinte de la mort engourdir ce qui lui restait, l’emporter pour ne pas avoir à souffrir d’avantage – l’espace d’un instant la brute n’était plus. Ses attentes ne furent pas exhaussées, la société qui l’employait jugeait bon avoir encore besoin d’hommes aussi qualifiés qu’elle. Transportée d’urgence pour s’occuper de son état critique. Maintenue artificiellement entre la vie et la mort le temps de lui remplacer les membres qu’elle avait perdus. Tout espoirs s’effondrait pour certains en imaginant le pire pour elle.

A son réveil, elle constatait que ses yeux voyaient à nouveau, rapidement elle soulevait la couverture pour vérifier l’état de ses tibias. Ils étaient tout sauf humaines malgré le réalisme frappant de la chose. La chinoise comprenait qu’elle avait été arrachée des mains de la mort, son heure n’était pas encore venue. La rééducation à ses membres robotisés fut assez longue et difficile pour elle. L’un des mercenaires lui rendait visite régulièrement, comme soulagé de la savoir encore en vie.

- Je suis heureux de savoir que tu iras mieux désormais. J’étais très inquiet.
- Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi. Je n’ai pas peur de mourir. Je ne faisais que mon travail, j’aurais péris en tentant d’accomplir ma tâche. Je ne suis qu’un assassin comme un autre.
- Tu es spéciale pour moi. Tout le monde te critique, sauf moi… Je sens que tu es une femme bien, que tu t’investis. Enfin ce que je veux dire c’est que, hum… Je t’apprécie beaucoup. Je t’admire même.
- M’apprécier ? En quoi ?
- Ce que je veux dire c’est que, hum, je t’aime bien. Enfin, plus que bien.

La jeune femme restait de marbre, ses prunelles rouges fixées sur lui. Elle secouait doucement la tête pour lui faire comprendre que ce n’était pas partagé. En réalité, elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il ressentait, ni pourquoi. Elle ne connaissait pas l’amour. Un petit rire gêné sortait des lèvres de l’homme. Quoi de plus humiliant que de se faire rejeter par la femme que l’on aime ? Il baissait le regard vers ses pieds sans mots dire, jouant nerveusement avec ses doigts avant de se lever et de partir silencieusement de la chambre. Le silence laissait la pièce baigner dans une atmosphère lourde et pesante. La chinoise posait son regard vers les fleurs qu'il lui avait apportées, un bouquet de gardénia. Elle savait ce que ça représentait, un amour caché, la sincérité. Son regard se perdait ensuite vers la fenêtre, se perdant dans ses pensées. Que ressent-on grâce à l’amour ? Est-ce quelque chose de bien ? Ou est-ce que ça mène à la souffrance ?

Quelques temps plus tard, la mercenaire avait été contactée par un groupe d’individus qu’elle jugeait pour le moins suspects, étranges. Elle n’y prêtait guère attention jusqu’au jour où ils lui avaient évoqué Pallatine. Loin de tout, loin de ce monde, loin de ce qu’elle a perdu ici-bas. Elle saisissait l’occasion à pleine mains.

Le transfert était pour elle une période relativement difficile pour elle. Zhu tenait du mieux dans ce monde qui lui était inconnu, non pas qu’elle avait peur, elle semblait particulièrement déroutée aux brusques changements. Progressivement, elle prenait ses repères dans ce monde, une diaspora s’était penchée sur son profil et l’avait recrutée. La chinoise se renseignait un peu plus avant d’accepter. Un gang qui fait régner l’ordre par la violence, cela sonnait bien. C’est à ce moment qu’elle rejoignait le Lotus Rouge. Encore farouche, Zhu ne pensait pas à s’intégrer dans le gang, elle n’arrivait pas à se dire qu’il fallait aussi faire confiance aux autres. Renfermée sur elle-même, elle n’ouvrait pas les yeux. Elle se contentait d’écouter les ordres sans pour autant se mêler aux autres, elle restait seule, tel un loup solitaire.

C’est au bout de quelques années au sein du gang que la femme avait appris à faire confiance aux autres, en comprenant qu’ils n’étaient pas tous de la même espèce que les vermines qu’elle avait côtoyés durant toute une partie de sa vie. Elle faisait preuve de loyauté sans égal envers les autres sans pour autant se montrer amicale. Quelques séries événements dévastaient un membre du gang, curieuse, la chinoise se renseignait à ce sujet.

- Tu n’as pas entendu parler de ce qu’a fait le boss ? Il a détruit son meilleur ami qui était une taupe. Il a fait peur aux types avec qui il était lié mais aux membres d’ici. Il ne fera pas dans la dentelle si on trahi sa confiance, tu peux en être sûre.


Le gang ne cessait d’accroître grâce à la peur qu’avait semée le chef lors qu’il s’était occupé du cas de la taupe.
La fidélité de la chinoise avait été remarquée. Elle était promue bâton avant de finir Maître adjoint de la montagne. Ceci n'était un détail lorsque le chef avait choisi d'en faire son second, elle avait fait ses preuves, elle avait tenu dans cet environnement machiste. Le chef avait choisi de mettre une femme en tant que second pour faire changer les mentalités, pour que les autres diasporas asiatiques changent leurs visions des femmes, qu'elles n'étaient pas toutes faibles. Honorée de son grade :

– Je saurais faire de mon mieux pour changer l'image qu'ils ont des femmes.