Thomas Åkerman

Caractère

Il se fait pas chier. Il a pas envie de s'étendre sur un sujet ni même de discuter pour latter le temps derrière une cigarette. Il a la gueule molle, trop paresseux pour entamer la conversation, trop cynique pour caqueter auprès des mondanités. Sa perte de temps, il la fabrique et l'épuise dans les petits trous sanglants des têtes payées. Ou dans ses passe-temps culturels, à se droguer à la caféine. Pas d'inquiétude, de toute manière, y'a personne pour se plaindre. Alors Jack ouvre sa gueule quand il faut participer au minimum. Sinon, il fait de son corps le langage qu'il renferme derrière son clapet.

Il fait passer son silence pour une imbécilité. Son manque d'attention pour de l'ignorance et son indifférence pour de la cruauté. Mais il s'en fout. C'qu'il peut bien s'en battre royalement les couilles de sa visibilité. C'est pas comme s'il cherchait la notoriété. Qu'il passe pour un con, un détraqué, un despote, un taré, si ça plaît aux gens. C'est encore mieux. Jack cherche ce qu'on déteste et ce qu'on réprouve. C'est attirant, une véritable attraction qui sape son attention. Il parie avec la vie, à savoir lequel des deux aura gagné à la roulette russe. Et s'il survie, alors il tourne encore et encore, jusqu'à ce qu'un jour la balle soit pour lui. Il ne veut même pas qu'on vienne quand son corps sera raide et blanc. Il ne veut même pas qu'on le couche dans un coffre de satin et qu'on récite pour lui des mots éteints. Jack veut crever dans la saleté avec le rire de ceux qui l'auront détesté.

C'est une dépendance compulsive à la haine. Dépendance qu'il assume avec indifférence. Faut quand même clamser un jour. Après tout.

Il est là, aux petites aurores, à regarder Pallatine en se disant qu'il y a toujours mieux à faire que de se sentir aimé. Jack ne parle pas de sexe. Il ne parle pas de sentiments, ni d'amour, ni d'effroi. Il ne parle pas du petit café qu'il a oublié sur le comptoir et qui s'est renversé sous l'impulsion d'une assiette brusquement valser dans les airs. Façon de briser l'ennui. Jack ne parle pas de ses problèmes. Il reste un livre fermé, borné sur l'inutilité de sa vie. Faut rien savoir de lui. C'est ce qu'il désire avec ses airs froids, ses airs sans remords. Il envoie valdinguer dans un autre temps la tendresse mutuelle et l'entraide humaine.

Jésus se serait chié dessus dans sa tombe s'il y était resté.

Pourtant, même s'il n'est pas un bon Jack comme le veut l'adage, il n'est pas non plus gangréné par la pierre de la tête aux pieds. Son cœur n'est pas de granite coulé dans l'eau glacée et sculpté à coup de hache. S'il sentait que sa survie devenait menacée, il courberait sûrement l'échine devant les Altermondialistes plus que les autres, mais Jack tique à chaque fois qu'il les entend parler. Son esprit cynique adhère à la recherche d'équité et à la conscience éveillée, mais c'qu'ils sont merdiques pour représenter ces idées... C'est à s'en tordre de rire parfois. Jack ne voit en eux que des idéalistes ratés qui ont tenté de changer un temps soit peu le monde, mais qui ont fini par baiser avec le pouvoir afin d'instaurer leur doctrine. C'est pire que des démocrates se disant humanistes. Jack préfère se moquer de cette diaspora antithétique.

Alors pour se défouler et calmer ses envies meurtrières, sa haine et sa franchise, il se lie avec les gangsters, franchement plus intéressant qu'un idéal dérouté. Il joue les clebs de service, attend qu'on le mande, traîne dans le vice sans s'en sentir immonde. Ça l'arrange bien, ça l'arrange merveilleusement bien, d'être un chien, d'être une bête, rien qu'une bête à tuer, qui mord et qui déchiquette. Tant qu'à être dégoûté de cet univers, autant le tuer à coup de révolver. Magnum, mitraillette, taurus, gatling, il les passe tous au rack, dans ses mains avant de les offrir aux acheteurs. Faut s'assurer de la qualité en fin connaisseur. Alors pourquoi pas prendre comme cible ses têtes d'affiches ? Jack ne doute même pas de cette horreur.

Et quand il est en attente, couché dans sa niche, il joue entre ses connaissances et ses passions, à s'enrichir parce qu'il a le goût de remplir sa matière grise. C'est comme une arme qu'il charge de munition, faut s'assurer que le mécanisme ne s'enraye pas et que les balles restent de qualité, autant dans la diversité.

Un clebs sans cervelle. Un clebs servile. Un clebs ignorant. Un clebs vénal. Voilà c'qu'il entend de lui quand il s'intéresse étonnement à son environnement. Il en rit, hausse les épaules et fume sa sèche, bien content qu'on le déteste. Il fume sa vie, la joue contre celle des autres, lance la monnaie en l'air. Pile ou face ? Tant qu'il y a une conséquence. Jack jette tout ce qui le sécurise et se roule comme un cabot heureux dans les taudis miteux. Ses yeux azur observent le monde en haussant un sourcil, voix caustique, sarcastique et pose ironique. Faut jouer avec lui quand il parle, rien de sérieux. Mais faut faire gaffe, il aime à exercer sa mémoire, savoir si ses souvenirs sauront emmagasiner les histoires.

Alors ? S'il ne reste qu'une balle et une arme, faudra-t-il survivre avec lui ?