Adrien Bellamy
Caractère
Histoire
De mon enfance, je me souviens de l’entêtant parfum du cuir masquant à peine les effluves de violette que laissait ma mère derrière elle. Je préférais les fragrances de L’Heure Bleue de Guerlain. Mon père lui en avait offert un flacon pour Noël. Un véritable sacrifice pour sa bourse ! Il me disait toujours quand on aime, trop s’estompe au fil des jours. A cette époque-là, je la suivais du regard, accoudé à la fenêtre de l’atelier paternel. Pas question de lanterner. Mon père me trouvait une occupation ou m’assénait un de ses « T’as pas des devoirs, toi ? » de son ton bourru. Mes parents n’aimaient pas l’oisiveté. Tous deux artisans, ils tiraient une grande fierté de leur travail. De leur passion, de leur vocation, de leur âme. Moi, ni la maroquinerie ni la couture ne m’attiraient. Il m’arrivait de travailler comme garnisseur dans une boutique de chapeaux, mais une partie de moi ne pouvait s’empêcher de penser « Modiste, c’est un travail de femme ! » J’aurais pu être tailleur. Ma mère m’avait transmis son goût des vêtements, des belles matières et des belles coupes. Ce n’est pas l’homme qui fait l’habit. C’est l’habit qui fait l’homme. L’individu le plus riche du monde peut ressembler à un épouvantail dans un costume mal coupé. En couture, je me débrouillais même très bien. Assez pour rapiécé mes fonds de culotte ou celles de mes camarades qui craignaient le courroux des parents trop pauvres pour passer encore une fois chez le tailleur ou la couturière.
Ça ne me satisfaisait pas. Je voulais quelque chose à moi. Avoir ma propre voie. Les quelques fois où ma mère aux Galeries Lafayette, je rêvais du jour où mes créations y seraient vendus. Faubourg Saint-Honoré, rue de Rivoli, je connaissais toutes les adresses où l’empreinte du luxe était palpable. Mais ce n’était pas le luxe qui me fascinait. C’était le beau.
Pré-adolescent en proie l’indécision, je me dirigeais vers l’horlogerie avec l’espoir ténu de pouvoir entrer aux Beaux-Arts. Un jour. « Les petites gens ne font pas ça, ils travaillent. » me soufflait ma mère sans cacher son angoisse. Être artiste rimait avec un nombre incalculable d’excès. Ils avaient pour compagne la fée verte et les filles de joie, d’après les dires du vieux Fernand qui tenait avec plus de fermeté son verre de rouge que la caisse de son bistro. Si je doutais de ses propos - à mes yeux, il n’y avait pas plus canailles que ces fils de bonnes familles bourgeoises -, je savais que je me devais de gagner quelques francs pour m’acheter carnet et crayon. Ce matériel superflu que je chérissais autant que ma besace faite par mon père. Mes parents m’accompagnaient dans cet imprévisible voyage qu’est la vie, mais jamais ils ne l’influencèrent autant que mon mentor. Les yeux bleus pétillant de malice, la moustache bien taillée, Germain était de ces êtres volubiles qui parlait avec plus d’amour de leur métier que de leur chère et tendre. « On peut se lasser de sa femme, mais jamais de son travail. » Il travaillait sur une pièce complexe sertie de pierres précieuses. Voyant ma curiosité, il me proposa de me présenter un confrère qu’il tenait en estime.
Même bien des années après, je me rappelle ce singulier affolement en pénétrant dans l’atelier. L’éclat des pierres, la concentration des artisans, ce calme presque sacré et cette dévorante envie de tout découvrir. Les questions et les remarques se bousculaient contre mes lèvres.
Je suis rentré en joaillerie chez Cartier comme un homme rentre dans les ordres : avec la conviction chevillée au cœur et au corps que ma vie était là.
La flamme ne s’est jamais éteinte, n’a jamais vacillé.
A 25 ans, Clémence avait les yeux des éternelles rêveuses. Elle, qui se faisait appeler Lily, avait quitté sa Corrèze natale avec le fol espoir de réussir à Paris. Quand elle ne dansait pas aux Folies Bergères, elle déambulait dans Montmartre et Montparnasse frôlant probablement Henry Miller ou Ernest Hemingway. Moi, j’étais un anonyme qui sifflotait des airs entendus dans les cafés-concerts. De temps à autre, je passais le smoking cousu par ma mère - elle y avait tenu. Je ne savais pas danser le tango, mais je me prêtais au charleston avec plaisir.
Ce fut lors d’une de ces danses que mon regard croisa celui aigue-marine de Clémence. Il me hanta à ma plus grande surprise. Cette soudaine obsession me bouleversa. Je ne le fus que davantage, lorsque j’appris qu’elle était de 5 ans mon aînée. Bien que déniaisé, je n’étais guère habitué aux choses de l’amour.
Et une femme plus âgée que moi m’effrayait un peu. L’expérience, l’exigence. Je l’approchais gonflé de doutes et d’appréhension. J’étais idiot. Je ne compris que trop tard, qu’elle désirait ce que je ne pouvais pas lui offrir. Et moi, comme un fou, sourd aux conseils de mes amis, aveugle face à cette situation, je choisis de réparer cela.
Clémence était mon poison. Celui qui brisait tous mes principes et rendait ma vie plus belle.
1928.
Je foulais le sol de New York avec d’autres confrères. Pas de vacances pour nous. Nous étions là pour visiter la boutique de la 5e avenue et nous imprégner de la ville. Elle était différente de Paris. Mais tout paraît différent à celui qui n’a jamais quitté son point d’ancrage. Cédant à la curiosité, je m’aventurais dans les rues et les dancings, le soir. Pourquoi rester confiné avec les autres ? C’était l’occasion d’une vie et je ressentais le bonheur presque enfantin des premières découvertes. Et Clémence… Je m’imaginais sans peine raconter mes péripéties à mon joyau impur. Je la voyais tantôt boudeuse, tantôt envieuse. Les Etats-Unis, New York, Broadway ! Pour celle qui rêvait d’être une étoile, il n’existait pas meilleur endroit sur Terre.
Les souvenirs sont toujours plus beaux avec le temps. Plus romanesques, moins angoissants. Pourtant, il y a une chose que ma mémoire ne pourra jamais altérer : ce séjour a façonné celui que je suis aujourd’hui.
J’ai trahi mon art. J’ai souillé la mémoire de mes maîtres.
Pour son sourire, pour l’attacher à moi au lieu de la laisser partir.
Une bonne idée se mue parfois en une mauvaise. Qui n’a jamais regretté une décision ? Bien que je préfère les regrets aux remords, je ne peux pas nier l’importance de réfléchir à certaines décisions.
Dans mon cas, il était trop tard. Ayant amassé suffisamment d’argent, j’avais prévu de demander Clémence en mariage et de l’emmener Outre-Atlantique. Seulement, mes commanditaires n’appréciaient guère ma décision de cesser toute collaboration. Qui se sépare de ses bons éléments ? Je vous le demande ! Oh, j’aurais pu être flatté, voire honoré de leur intérêt pour mes contrefaçons. Si cela n’avait pas été accompagné de quelques coups de poing et de menaces de mort. J’avais bien expliqué ne vouloir doubler personne ou même me mettre à mon compte. En dépit de mes réalisations illégales, mes propos étaient ceux d’un homme honnête. Il n’y a pas plus sincère que celui qui voit la silhouette de la Mort approcher. Personne n’est prêt à mourir. Encore plus d’une façon douloureuse.
A cette époque, je m’épanchais souvent auprès de Pietro, un jeune homme à peine plus vieux que moi. J’étais aux abois, j’avais besoin de vider mon sac devant une personne qui ne me jugeait pas. Pallatine, ce fut lui qui lâcha le nom.
Pendant un court instant, il me sembla devenir la solution à tous mes problèmes.
L’alliance était dans ma poche ; Clémence dans la chambre, en train de finir une valise. Seule ma demande en mariage subsistait dans mon esprit. Ces derniers temps, j’avais presque tout oublié à part et notre départ avancé en toute hâte.
Je revois encore son air ému à la vue la bague, mais la réponse à « Veux-tu être ma femme ? » tarde. J’entends encore des pneus crisser dans la rue, le cri de la sonnette et moi, qui me précipite aussi agacé que surpris.
« On doit y aller, maintenant ! » hurle Pietro, pendant que des rugissements font trembler la cage d’escalier.
Depuis ce jour-là, il n'y a plus que Pallatine.
Ici, Myst qui se demande encore si c'était raisonnable d'avoir craqué. J'aime la littérature asiatique (même si j'en lis nettement moins), latino-américaine et les écrivains francophones de SFFF (soyons un peu chauvin, il était bien français, Jules Verne !). Eponge musicale sur les bords, j'écoute de tout. Sériephile sur les bords (mais pas spécialement fan des séries US, à part Oz, Twin Peaks et quelques autres) et adepte de trop de jeux produits par Atlus. (Persona fan)