alois vallès
Caractère
Histoire
monica ernsting, pallatine, année 2000Confortablement assise sur son fauteuil en cuir noir, ses jambes d’albâtre croisées sous le bureau en acajou, Monica parcourait les documents de transfert d’un œil avide. Ces formulaires la passionnaient. Qu’ils soient récents ou remontent aux origines de Pallatine, ils attisaient sa curiosité. Elle aimait découvrir tous ces détails qui précèdent l’arrivée d’un individu, des secrets d’une vie antérieure aux motifs de son déplacement temporel. Et si la paperasse de l’Institut se montrait parfois avare en renseignements, elle ne s’en plaignait jamais : les dossiers énigmatiques stimulaient son imagination, et de toute manière, elle n’avait personne avec qui partager ce hobby aussi indiscret qu'inhabituel. Ses doigts effleurèrent la couverture d’un dossier ancien et poussiéreux, dont elle détacha les pages avec grande délicatesse. Armand Camille Vallès. Français. Chef d’atelier dans une usine automobile. Aviateur. Transféré de l’année terrienne 1912 vers Pallatine, en l’an 1994 sur requête de sa sœur jumelle. Appartenance probable à la diaspora opportuniste. Du bout des ongles, elle retira une agrafe, libérant les documents scellés par la tige de métal. Une photo traînait entre les feuilles jaunies par le temps. Elle la saisit prudemment entre l’index et le majeur, soucieuse de n’abîmer aucun de ces trésors historiques. Elle tenait là le portrait d’un homme blond, la vingtaine, avec un sourire charmeur et des dents parfaites, dignes d’un spot publicitaire. Il avait des yeux marrons magnifiques, de longs cils et une fossette au menton. Pour Monica, il incarnait la perfection. Elle se sentait comme une adolescente, une fillette à couettes qui croisait le regard de son premier amant. Si elle avait l’âge de tenir un journal intime, elle signerait toutes ses pages d’un « Monica Vallès » avec un cœur sur le « i ». C’était le coup de foudre. Elle ne rêvait que d’une chose, le rencontrer (et l’épouser, et porter ses bébés, tout ça). Ils auraient trois enfants, deux garçons et une fille. Leurs prénoms ? Eva. Alois. Karl. Elle se faisait des films. Elle les voyait déjà, main dans la main, batifolant sur une plage de sable fin ou enlacés auprès d'une cheminée. Jusqu'à ce qu'elle ne remarque, griffonnée sur la page suivante, la mention « décédé le 12 juin 1996 ». Un frisson lui parcourut l’échine. C’était comme un château de cartes qui s’effondre, un raz-de-marée dans son cœur de jeune femme sensible et romantique… une grosse claque dans sa gueule. Anéantie par ce triste retour à la réalité, Monica fit pivoter le papier glacé entre ses doigts. Elle espérait, naïvement, qu’une légende au dos de la photo viendrait démentir la mort d'Armand. Mais son prétendant n’était plus ; il avait rejoint un monde meilleur et inaccessible, et bien qu'ils soient indéniablement faits l'un pour l'autre, leurs chemins ne se croiseraient pas ; leurs bras ne s’enlaceraient jamais ; le destin en avait décidé autrement. La bonne nouvelle c’est que Monica, elle n’y croyait pas, au destin. Elle devrait se laisser abattre ? Abandonner l’amour de sa vie sous prétexte qu’il était déjà mort ? Non, il en faudrait plus pour l’arrêter. Elle en avait rien à carrer, du destin. Elle se donnerait à fond, elle soulèverait des montagnes ; tout pour les réunir. Pour le rencontrer.
05/04 ; J'ai modifié le dossier d'Armand. Je l'ai réémis tel quel, en ne changeant que la date de transfert, espérons que personne ne s'en apercevra…
15/06 ; Ça a fonctionné. Il est là, je l'ai vu entrer dans les laboratoires de tests. Nos regards se sont croisés.
16/06 ; Je crois qu'il m'a remarquée ? Demain, il faut que je lui parle. J'ai peur qu'il me rejette.
17/06 ; Il a une voix magnifique.
24/07 ; Nous sommes sortis en cachette de l'Institut, je crois qu'il apprécie ma compagnie ?
04/08 ; Armand a dit qu'il m'aimait, et bien sûr, je l'aime aussi… pourvu que cela dure.
14/09 ; Sa soeur, Madeline, a découvert son 2ème transfert. Elle s'est plainte à l'Institut. J'espère qu'ils ne remonteront pas jusqu'à moi. Armand est déboussolé. Pourquoi lui avoir dit la verité ?
15/10 ; Sale garce, je vais la ---
28/11 ; Armand est malade.
12/12 ; Son état empire. Madeline rejette la faute sur moi, elle dit que c'est déjà arrivé il y a 5 ans et que le ramener était une torture. Je la déteste.
25/12 ; La paralysie d'Armand progresse vite. Il a du mal à déglutir et à respirer.
05/01 ; Mon amour pardonne moi pardonne moi je ne savais pas pardon pardon je t'aime.
12/04 ; Il n'y a rien à faire. Je ne peux pas l'aider… parler devient difficile.
02/05 ; Il m'a fait promettre de ne jamais plus le transférer. Je n'ai pas répondu.
juin / juillet 2001
26/06 ; Il est mort.
Madeline n'aimait pas Monica. Elle ne la supportait pas. À chaque fois que cette catin aux longues jambes l'approchait, une envie irrépressible l'envahissait, celle de l’attraper par les cheveux et de fracasser son crâne contre un mur, ou de saisir le premier objet à sa portée (contondant de préférence) pour l’assommer avec jusqu’à ce que mort s’ensuive. C'était comme une allergie, un état grippal qui vous submergeait sans prévenir et vous poussait à bout. La scientifique était malade, folle à lier. Elle jouait avec le feu en bafouant des lois anciennes et sacrées ; on ne ramenait pas les morts à la vie, bordel à cul. C'était mal, très mal. Quand l’heure du jugement sonnera, Dieu la condamnera pour ses péchés, et Madie prendra son pied. Elle la regardera brûler, cette sorcière, un bol de pop-corn entre les mains, car pour avoir entraîné Armand dans cette spirale dangereuse, elle lui vouait une haine viscérale. Elle n’enterrerait pas son frère une troisième fois, ah ça non. Elle arrachera les yeux de Monica pour les cuire à la coque avant que cela n’arrive. Mais alors qu’elle s’appliquait à ne plus jamais croiser sa route, la succube surgit de nulle part avec un bébé sous le bras, une petite chose blonde et fragile qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Armand. C’est qu’il l’avait engrossée avant de clamser, le salaud ! Bravo frangin, très classe, un vrai gentleman. Madie se retrouvait acculée au pied d’un mur. Elle ne pouvait pas laisser cette timbrée élever seule son neveu. Pauvre gosse. Sa belle-sœur hystérique, elle la supporterait pour le bien d'Alois. Pas le choix. La famille, c’est sacré. Trois ans plus tard, Monica disparaissait mystérieusement. Madeline s’en réjoui. On va pas tortiller du cul pour chier droit ; c’était une grande perte pour personne, et si l'Institut se cachait derrière sa disparition (certaines rumeurs semblaient l’indiquer…) elle les en remerciait cordialement. Elle leur enverrait presque des fleurs, mais elle n'oubliait pas l’implication de ces rats de laboratoires qu'elle considérait responsables du transfert d'Armand (et la mort / disparition de Monica aussi sauf qu'elle s'en foutait). Madeline adopta Alois. Éduquer un mioche en tant que "mère" célibataire, c'était pas facile. Surtout qu'elle avait une enseigne à tenir en parallèle (okay elle était fleuriste pas boulangère) (les fleurs ça pousse tout seul, même la ganja planquée dans la salle du fond, elle poussait toute seule). Heureusement, elle appartenait à la diaspora des opportunistes et ils se serraient les coudes entre branleurs professionnels. Alois grandit normalement (ou presque). À douze ans, il jurait comme un charretier et enchaînait les conneries, et un jour ça lui retombera sur le coin de la gueule mais en attendant, ils s'en sortaient bien. Madie l'adorait. C'était sa "petite merde", son "casse-bonbon". Un jour, il cassera les burnes de la mauvaise diaspora et elle recevra une jolie demande de rançon (avec une oreille ou un doigt) et elle ira pleurer sur les genoux d'un généreux opportuniste qui tombera sous son charme fou et l'épousera (c'est son plan pour devenir riche maintenant vous savez tout).
27/04 ; Je ne peux pas l'oublier.
22/12 ; Je n'ai rien promis à Armand. Si je trouve une réalite où il est en bonne santé, serait-ce un mal de le transférer à nouveau ? …est-ce qu'il m'en voudra ?
23/02 ; Armand est malade dans toutes ses "lignes de temps", je ne peux plus le voir ainsi, je vais abandonner.
28/02 ; J'en ai trouvé une. C'est la seule, je pense, où il n'est pas malade. Mais il meurt jeune d'un accident domestique, ce n'est encore qu'un enfant. Je crois que le destin a une dent contre moi.
06/04 ; J'ai déposé une demande au nom de sa soeur pour transférer Armand, même s'il n'est encore qu'un bébé. Madeline va me tuer. Il ne faut pas qu'elle sache.
11/11 ; Tout va étonnamment bien. Madeline pense qu'il est notre enfant. Je l'ai appelé Alois. C'est bizarre, mais je m'en suis presque persuadée moi aussi…
09/02 ; Des rumeurs circulent dans l'Institut. Quelqu'un se doute de quelque chose.
14/02 ; Alois grandit tellement vite.
23/03 ; On m'observe, j'en suis sûre.
salut. je suis le dc de shu. je viens avec les oeufs de pâques.