Jeu 7 Juil 2016 - 22:06
- Marguerite avait toujours préféré le murmure discret et complexe de la campagne au chahut incessant de la ville. Elle se sentait à la fois noyée et émerveillée par ce formidable récital mécanique, de ronflements de moteur, de crissement de pneus, de voix entrelacées et entrecoupées de morceaux de rire ou de colère, de touches électroniques tapotées frénétiquement, de grésillements d’enseignes fluorescentes…C’était pour elle une mélodie d’un autre temps, différent de celui qu’elle avait connu, d’une autre vie.
Chaque visite était alors un moment d’ébahissement et de surprises, une succession de découvertes étranges, amusantes, rocambolesques. Elle explorait chaque fois les recoins plus reculés d’une civilisation qui avait évoluée sans elle. Alors, Marguerite se laissait flâner entre les boulevards et les avenues, les ruelles et les promenades comme portée par la brise tiède d’un jour d’été.
Elle aimait particulièrement le parc.
Sa longue jupe florale se soulevait doucement au rythme de sa ballade, son sac de courses débordant de ses trouvailles entre les doigts - elle paraissait toujours un peu décalée, Marguerite, avec ses habits de vieille dame et son visage de jeune fille. Le ciel était bleu, parsemé de quelques nuages.
Et puis, il y avait un miaulement, long et plaintif suivi d’une série de complaintes plus brèves. La jeune femme avait relevé les yeux vers un gros chat moucheté – une espèce de chat de salon paresseux – coincé sur la plus longue branche d’un arbre. Il la fixait de ses grands yeux verts globuleux avec une détresse palpable qui balaya alors toutes les hésitations qu’aurait pu avoir Marguerite.
Marguerite avait bon cœur comme si elle avait rassemblé toute la douceur et toute la gentillesse du monde dans ses sourires d’enfant. Marguerite était un peu bête aussi. Alors parfois, elle se faisait avoir par sa propre bonne volonté. Mais, ce n’était pas grave parce qu’on aimait bien Marguerite.
Elle déposa ses affaires au pied de l’arbre, inspira un peu d’air, releva sa jupe au-dessus des genoux et s’agrippa à l’écorce rugueuse des branches les plus basses. Malgré son apparence quelque peu fluette, Marguerite avait plus de forces dans les bras que tous ces hommes assis à leurs bureaux à taper sur leur clavier de huit heures à dix-sept heures. Elle se hissa jusqu’à la hauteur de l’animal sans grand problèmes, surtout gênée dans son entreprise par sa jupe retroussée. La jeune femme s’agenouilla sur la branche puis, tendit sa main vers le félin en l’appelant de la langue.
C’est alors que Marguerite réalisa à quel point le sol lui semblait soudain hostile et tout son courage s’évapora. Elle se retrouva agrippée à la branche à s’en blanchir les jointures, glapissant de terreur au moindre balancement des feuilles, les fesses en l’air et ayant vraisemblablement perdue toute dignité. Même le chat semblait – elle en était convaincue – la narguer d’un rictus narquois. La hauteur l’empêchait même de frétiller ses doigts de pied, trop crispée qu’elle était à se tenir de toutes ses forces à une branche. Les larmes lui montaient aux yeux alors que Marguerite songeait que tout espoir était perdu et qu’elle passerait la nuit coincée ici…
« Il y a quelqu’un ? …Hey vous-là-bas ! Oui vous ! Ici ! Eh excusez-moi il y avait un chat là-haut et… » et quoi championne? Elle s’interrompit avant d’ajouter d’une toute petite voix : «…je suis coincée. Est-ce vous pouvez m’aider ? »